A force d'empiler les comportements abusifs, en participant à la concentration accélérée du capital et en renonçant au principe originel des accords de branche, les grands studios ont fini par pousser Hollywood vers l'état de siège. Les scénaristes ont mis le feu aux poudres, suivis par les actrices et les acteurs, et depuis peu, par les spécialistes de l'animation. En l'espace de quelques mois, les corps de métier syndiqués ont donné l'exemple, en organisant la grève face à l'attitude de la guilde des producteurs, aux autres salariés de l'industrie des images en mouvement. Dernier exemple en date : chez Marvel Studios, les techniciens de plateau en charge des VFX ont décidé, à leur tour, de se rattacher à une organisation syndicale.
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La rédaction de
Vulture résume la situation en ces termes : ce lundi, une cinquantaine d'employés, courant sur les différents postes associés aux effets visuels lors des sessions de captation (superviseur, manager des données, assistants, etc - si le travail des techniciens de plateaux dans le domaine des VFX vous intéresse,
vous pouvez retrouver cette interview qui détaille une partie du processus) ont déposé une pétition officielle auprès de leurs employeurs dans le but d'être reconnus comme une organisation syndicale déclarée.
Les salariés en question comptent s'affilier à l'organisation International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE), qui représente les régisseurs, les artisans, les chefs machinaux, les mécanos, en résumé, les professions relatives à la technique dans l'industrie du spectacle vivant et de la télévision. Le syndicat, qui représente déjà 170.000 professionnel(le)s, tend à ouvrir ses portes à d'autres corps de métier depuis peu. Notamment, plusieurs professionnels de la production dans le milieu de l'animation, un autre champ d'expériences et de revendications pour de jeunes organisations de travailleurs(euses) apparues au fil de ces derniers mois.
Le collectif monté par les techniciens de
Marvel Studios représente une avancée considérable pour ce corps de métier, devenu essentiel à l'aune du tout virtuel. Jusqu'ici, les équipes chargées des VFX n'avaient jamais été protégées par les organisations syndicales et les accords de branche signés et ratifiés par le patronat. Ce qui a eu pour effet d'engendrer toute une série d'abus particulièrement préoccupants au fil de ces dernières années - plusieurs exemples ont été documentés lors de différentes enquêtes réalisées dans la presse. Or, dans ce cas de figure,
Marvel Studios a souvent été pointé du doigt comme le pire exemple en la matière. Les équipes de
Kevin Feige, représentées
par Victoria Alonso, ex directrice du pôle effets spéciaux pour la marque, se sont bâties
une solide réputation de mauvais payeurs. Incompétentes, désorganisées, parfois cruelles...
Marvel représente le symptôme grave d'une problématique d'ensemble, entre les grands studios et les petites mains du secteur de l'image numérique.
Les motifs ne sont pas neufs et ont déjà été largement théorisés et appliqués dans le réel : avec l'apparition et la démocratisation des méthodes du fond vert, de l'intégration, des extensions et du "volume", les principales sociétés de production américaines ont pu remplacer des corps de métier plus anciens, et représentés par les organisations syndicales classiques. Les artistes en charge de la construction des décors, des mécaniques pyrotechniques, de l'animation d'animatroniques ou de miniatures, toute une variété de disciplines rendues obsolètes (et moins coûteuses, sur le papier) que les techniciens des effets visuels. Disney, Marvel Studios et les autres grands groupes ont investi dans ces technologies révolutionnaires, avec quelques profits à en tirer : les artistes des VFX ne sont pas couverts en cas d'heures supplémentaires, ne profitent pas de couvertures maladies, de temps de travail maximum, et doivent tenir des délais souvent irréalistes pour le rendu des résultats.
Ces graves problèmes concernent l'industrie des effets visuels au sens large, et pas seulement les techniciens de plateau, qui restent, de leur côté, à considérer comme des ouvriers en présentiel. La partie émergée d'un iceberg plus large, dans la mesure où les réalisateurs et les producteurs peuvent les considérer comme des interlocuteurs directs, là où les artistes qui travaillent à distance sur la création des images sont généralement plus exposés aux abus (dans la mesure où des groupes comme Marvel passent à ce moment là par des fournisseurs indépendants - qui vont ensuite former leurs équipes, en jouant sur la concurrence des salariés, l'importance de signer un gros projet sur un CV, etc). Mais, la performance n'en reste pas moins historique, et pourrait donner des idées aux autres corps de métier concernés si cette première initiative devait se couronner de succès.
Reste une donnée plus importante à considérer : uns par uns, l'ensemble des rouages de la mécanique hollywoodienne sont en train de gripper. Pour des motifs peu ou prou comparables - la difficulté des employeurs à rémunérer correctement les salariés, avancer sur les primes, les intéressements, les couvertures maladies ou retraites, des difficultés qui n'ont fait que s'accroître à l'aune du streaming et depuis la crise COVID. Cette série d'événements mis bout à bout devrait en toute logique amorcer une prise de conscience dans les hautes sphères du système.
Mais, en parallèle, on apprenait récemment que
Disney venait d'ouvrir un poste dédié à la capitalisation des technologies relatives à l'intelligence artificielle (dont les performances inquiètent mécaniquement les artistes de VFX -
dont acte, une fois de plus, chez
Marvel Studios). A croire que la guilde des producteurs pense pouvoir passer à travers la colère de l'ensemble des créatifs sans jamais lâcher un pouce de terrain. A voir si d'autres grèves se préparent, et surtout, quelle sera l'atmosphère à Hollywood d'ici la fin de l'année.
