Dans les travées de Hollywood, la mobilisation monte d'un cran. Au terme de longues semaines de conversations, et de négociations visiblement assez tendues entre le syndicat des interprètes (SAG-AFTRA) et l'alliance des producteurs (AMPTP), les comédiennes et les comédiens se préparent à leur tour à voter la grève générale. L'ouverture des pourparlers, en vue de la signature d'un nouvel accord de branche entre les deux parties, avait débuté le 7 juin 2023.
La SAG-AFTRA avait alors présenté une feuille de route articulée autour de plusieurs points précis : "une meilleure équitabilité dans la répartition des payes et des résiduels, une régulation des technologies d'intelligence artificielle, et un recul des pratiques de 'l'auto-audition.'" Ce dernier élément désigne le fait de devoir enregistrer soi-même une candidature ou une version test pour un rôle, à domicile, avant de l'envoyer à un studio. Selon le syndicat, la démocratisation de cette pratique, très mal encadrée, pose des problèmes d'accès à l'emploi pour de très nombreux comédiens. Plusieurs semaines plus tard, et après avoir obtenu un délai supplémentaire pour tenter de sauver les négociations, la feuille de route précédente s'est achevée le 12 juillet 2023. Les actrices et acteurs n'ont donc pas signé de résolution avec l'AMPTP. Ne reste plus, alors, que la grève.
Convergence des luttes
Dans l'ensemble, l'
AMPTP assure avoir répondu aux demandes de la
SAG-AFTRA. La présidente du syndicat des actrices et des acteurs,
Fran Drescher ("Miss Fine dans Une Nounou d'Enfer ?" oui, c'est bien elle - un être humain de grande qualité en somme), a pris la parole par voie de communiqué de presse, pour revenir sur les éléments de langage déployés par le studio. Selon elle, l'
AMPTP n'aurait pas offert de solutions ou de compensations suffisantes
aux problématiques soulevées par le syndicat. Quant aux propositions faites par la base, les producteurs se seraient généralement contentés de refuser en bloc.
"Les studios et les diffuseurs ont imposé des changements massifs et unilatéraux au modèle économique de notre industrie, mais, en parallèle, refusent de faire évoluer les contrats comme si les conditions d'hier étaient gravées dans le marbre. Ce n'est pas comme cela que l'on traite un partenaire que l'on respecte, que l'on estime et que l'on considère comme essentiel. Leur refus de discuter de nos propositions, et le manque de respect fondamental dont ils font preuve vis-à-vis de nos membres, nous a amenés à ce point de bascule. Les studios et les diffuseurs ont sous-estimé la détermination de notre syndicat, et ils sont sur le point de réaliser leur erreur."
D'ici lundi, les représentants de la
SAG-AFTRA rendront un avis favorable à l'ouverture d'un vote en vue d'une grève générale. Celui-ci aura ensuite lieu, dans la journée de mardi, et sera vraisemblablement approuvé à majorité. Lors d'une précédente séquence, pendant les négociations du mois de juin, les membres du syndicat avaient approuvé à 98% la résolution d'un grève éventuelle si les négociations avec l'
AMPTP n'aboutissaient pas à un résultat favorable aux demandes formulées. En résumé : les actrices et les acteurs
vont rejoindre les barricades aux côtés des scénaristes et, cette fois, les caméras vont devoir s'arrêter de tourner pour de bon.
La charte de la SAG-AFTRA précise qu'en cas de grève, les comédiens ont pour interdiction de reprendre le travail (à l'exception notable des soap opéras, qui tombent sous le coup d'un autre accord de branche). Ce qui signifie, au-delà de leurs activités sur les plateaux de tournage, que les vedettes actuellement en tournée de promo' devront aussi abandonner leurs postes. Dans la mesure où les interviews publicitaires, les séances d'avant-premières, les plateaux télévisés, en résumé, la routine standardisée du circuit promotionnel classique font partie du métier, et sont couchées sur papier lors des signatures de contrat.
Avec la sortie de Barbie, Mission Impossible 7 et Oppenheimer, il paraît assez fou d'imaginer que les figures de proue de ces productions (Margot Robbie, Cillian Murphy, Tom Cruise, Ryan Gosling) très attendues abandonnent leurs postes pour accompagner le mouvement de grève de la SAG-AFTRA. Noah Baumbach, co-scénariste sur Barbie, avait déjà renoncé à participer aux avant-premières pour poursuivre l'effort de mobilisation aux côtés de ses camarades de la WGA. Dans le même temps, le tournage de Deadpool 3 devrait aussi prendre fin après un lancement en grande pompe. Au passage, Ryan Reynolds avait déjà dû accepter de ne pas improviser de nouvelles répliques pendant la captation - dans la mesure où l'improvisation est associée à une forme d'écriture. Or, même si le comédien reste producteur du film, celui-ci doit se plier aux règles de la WGA en cas de grève. C'est comme ça que les choses se passent en temps normal.
La SAG-AFTRA revendique 160.000 membres aux Etats-Unis, sur corps de métier (dans des sphères parfois assez éloignées de la fonction de comédien - on parle de DJs, d'animateurs de télévision ou de radio, de mannequins, etc). Si les spécialistes du cinéma et de la télévision ne représentent qu'une partie de ce grand tout, l'organisation a de quoi exercer une certaine pression sur les studios - qui pouvaient envisager de partir en tournage avec les scripts réalisés avant le début de la grève des scénaristes, oui, mais pourront difficilement avancer sur de nouveaux projets sans comédiens à mettre devant les caméras. Dans l'histoire d'Hollywood, cela fait soixante ans que la SAG-AFTRA et la WGA n'avaient pas fait cause commune, et organisé une grève générale au même moment. Le dernier événement de ce genre remonte à 1960, à une époque où Ronald Reagan était président du syndicat des acteurs.
Ce nouvel élément participe à la cimentation d'un narratif explicite. A savoir : les studios ont décidé de gouverner en se passant de l'accord des grands corps salariaux du cinéma et de la télévision américaine. Les accords de branche, autrefois formés sur la base de compromis et de négociations mesurées et respectueuses, doivent désormais s'obtenir au coup de force, au bras de fer, voire au chantage économique. Cette semaine, la rédaction de
Deadline expliquait que l'
AMPTP n'avait jamais eu l'intention de céder aux revendications des scénaristes de la WGA. L'objectif secret des studios était alors de pousser pour la grève, et d'attendre patiemment que les scribes finissent par perdre leurs économies et leurs logements avant de revenir à la table des négociations, et d'imposer au forceps leurs décisions sur les salaires, les intéressements, l'intelligence artificielle... etc.
Les grands conglomérats du divertissement américain n'ont plus l'intention de céder. L'objectif étant d'envoyer un signal de fermeté aux actionnaires, et d'amorcer de nouveaux plans d'économies tout en refusant autant que possible de partager avec les artistes les gains générés sur les périodes d'activité. Situation familière, vous dites ? Peut-être bien.
