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Mise à la porte de Marvel Studios, la productrice Victoria Alonso estime avoir été licenciée sans motif

Mise à la porte de Marvel Studios, la productrice Victoria Alonso estime avoir été licenciée sans motif

NewsCinéma

Dans les milliers de licenciements prévus à l'agenda du groupe Disney, dans l'idée d'une opération de reconquête de la confiance actionnariale et de la stabilisation de la valeur boursière, un épiphénomène isolé captive la presse spécialisée depuis quelques jours. Le cas de la productrice Victoria Alonso, présidente du département post-production, VFX et animation chez Marvel Studios, interroge les quelques irréductibles qui cherchent encore à comprendre les mécaniques à l'oeuvre dans les coups de force et les luttes de pouvoir internes au conglomérat. Alors, que nous enseigne le cas de cette vénérable productrice, restée en poste pendant dix-sept ans aux côtés de la compagnie actuellement pilotée par le président Kevin Feige ? Des choses, et d'autres. A vous de voir.

Another Day, Another Alonso

Pour contexte, Victoria Alonso a effectivement passé une large partie de sa carrière chez Marvel Studios. Débarquée longtemps avant le lancement de la saga du "MCU", celle-ci aura occupé son rôle de chef de projet sur les effets spéciaux et les extensions de travail en aval des phases de prises de vue sur la quasi-totalité des productions Marvel depuis le premier Iron Man jusqu'à Ant-Man & the Wasp : Quantumania, voire jusqu'au très attendu Guardians of the Galaxy vol. 3. A l'aune des découvertes sur la mécanique interne de Marvel Studios vis-à-vis des artistes spécialisés dans la production d'effets spéciaux, cette couronne s'accompagne mécaniquement d'une sorte de sous-texte implicite. Sur la plateforme Reddit, nombreux auront été les professionnels de ces secteurs industriels, liés à l'imagerie de synthèse, à venir se plaindre de la façon dont le studio avait pris l'habitude de traiter leurs corps de métier.
 
Bête noire des techniciens des VFX, Marvel Studios est effectivement connu dans le présent comme un client difficile. Désorganisés, vociférants, mauvais payeurs, et particulièrement chronophages pour les différentes société de sous-traitances qui auront accepté les contrats proposés pour la création des images virtuelles nécessaires au "MCU". Dans le tas, de nombreux témoignages ont pointé du doigt, très précisément, la direction de Victoria Alonso. Celle-ci serait même connue pour sa capacité à rayer de sa liste de fournisseurs les salariés qui refusaient d'aller dans son sens. Une faiseuse de rois à poigne de fer, en quelque sorte. Aussi, vu de l'extérieur, le schéma de son licenciement passerait pour une sorte de courbe assez logique. A titre d'exemple, voici un témoignage glané par le Hollywood Reporter chez les représentants de Disney :
 
"La difficulté finit par s'installer quand vous demandez au moindre salarié de finir sa journée de travail à 1h du matin. C'est à ce moment là que les choses finissent par se casser."
 
Récemment, Marvel Studios s'est retrouvée dans l'oeil du cyclone : peu de temps avant le départ forcé de l'ancien président du groupe DisneyBob Chapek, une petite polémique était apparue sur les réseaux sociaux au sujet de Thor : Love & Thunder. Le film de Taika Waititi avait mis le feu au poudre lorsque le metteur en scène avait, dans le cadre d'une interview filmée, ironisé sur la qualité des effets spéciaux créés pour animer cette énième aventure de Thor sur le grand écran. En blaguant sur la qualité des rendus finaux, Waititi s'était attiré les foudres de nombreux professionnels des VFX qui avaient, les uns après les autres, communiqué sur la difficulté de travailler avec Marvel Studios et leurs différentes consignes (souvent assez absurdes). Plus tard, Bob Chapek sera foutu à la porte de la présidence du groupe, et Bob Iger, l'ancien meneur de jeu, était rappelé par les actionnaires à reprendre les commandes. Celui-ci avait une mission claire : assainir la machinerie interne, dégorger dans la masse salariale, amoindrir les dépenses, etc.
 
Quelques mois après le retour de Bob Iger, le film Ant-Man & the Wasp : Quantumania, ouverture de la "Phase 5" de Marvel Studios, était projeté dans les cinémas du monde entier. Après quelques semaines d'exploitation, celui-ci se transformera vite en un échec cuisant - et depuis les réseaux sociaux, on ironisera beaucoup sur la qualité des effets spéciaux, en particulier dans le cas du personnage de M.O.D.O.K.. Des plaisanteries qui n'auraient probablement pas eu le même impact si le projet n'avait pas à ce point échoué au box office - et pour le groupe Disney, l'énorme rente d'argents que représente le "MCU" demeure un sujet sérieux. Aussi, si beaucoup d'éditorialistes américains se seront posé la question de la raison du licenciement de Victoria Alonso de son poste de présidente de la post-production et des effets spéciaux, celle-ci passait, forcément, pour un fusible naturel à faire sauter. Pour rassurer les actionnaires, montrer que Bob Iger avait conscience de la nécessité de faire évoluer le modèle, prouver que les leçons de l'échec d'Ant-Man & the Wasp : Quantumania, avaient été retenues, etc. Le motif de rupture de contrat passait au moins pour une clause naturelle, compte tenu de l'actualité récente du groupe.
 
Mais, tout le problème est là. Peut-être parce que Disney ne peut pas ouvertement dénigrer publiquement un produit aussi important, ou peut-être parce qu'il ne s'agit pas du motif réel de cette mise à pied, les porte-paroles du conglomérat ont décidé de justifier le départ d'Alonso tout à fait différemment. En effet, selon eux, l'ancienne haute gradée de Marvel Studios a été licenciée pour... rupture de contrat. Parce que celle-ci avait décidé de produire un film baptisé "Argentina, 1985", pour le compte d'Amazon Studios. Lorsque les avocats d'Alonso ont tenté d'expliquer qu'il s'agissait d'un motif de licenciement fallacieux, voici, en substance, le communiqué de presse de Disney sur le sujet :
 
"Il est dommage que Victoria tente de produire une version de l'histoire qui met de côté de nombreux facteurs relatifs à son départ - notamment, une violation de contrat qui constitue une faute grave et très claire par rapport à la politique de notre entreprise."
 
En somme, du point de vue de Disney, Victoria Alonso a pris la porte après avoir commis une faute. Mais, dans le même temps, les avocats de l'ancienne présidente évoquent un faux prétexte. "Argentina, 1985", long-métrage sorti l'année dernière réalisé par Santiago Mitre, lauréat du Meilleur Film International à la cérémonie des Golden Globes et sélectionné aux Oscars dans cette même catégorie, a tout d'une sorte de projet-passion pour la productrice. Alonso, née en Argentine, tenait particulièrement à financer ce long-métrage consacré au procès de la junte militaire et des dictateurs jugés dans le pays en 1985 - un fait d'histoire tragique sur les droits de l'homme et l'action en justice de gens responsables de massacres qui la touchaient de près. Selon ses avocats, Alonso avait même reçu l'aval de Disney avant de s'embarquer dans cette production. 
 
La présidence du groupe, agacée par cette infidélité à la faveur de Prime Video selon les portes-paroles, aurait interdit à Alonso d'aller défendre le film dans la presse ou d'accorder des interviews sur le sujet. Plusieurs sources citées par le Hollywood Reporter expliquent que la productrice avait été alertée à maintes reprises de la précarité de sa situation si celle-ci s'obstinait à promouvoir un objet financé par la concurrence, et que celle-ci refusera d'écouter les interdictions. C'est en tout cas en ces termes que se résumerait le son de cloche promulgué par Disney, en l'état.
 
Si l'on voulait donc tirer une sorte de bilan de ce parole-contre-parole, voici donc la situation à l'heure actuelle : une présidente de département, qui aura passé plus de quinze ans à travailler sur l'une des franchises les plus lucratives du plus grand conglomérat culturel installé à Hollywood, a été mise à la porte. Le groupe avance une rupture de contrat et une clause de non-concurrence, tandis que les avocats de la plaignante parlent d'un licenciement symbolique, et injustifié. Les experts du milieu imaginent que l'échec d'Ant-Man & the Wasp : Quantumania, la trouille des actionnaires et le déplacement sur la scène publique du débat sur la qualité des VFX ne sont pas étrangers à toute l'affaire. Dans le tas, bien évidemment, Kevin Feige a décidé de ne pas prendre position pour sauver son ancienne collègue. Selon la rédaction de Variety, le président de Marvel Studios a effectivement considéré que la situation était "trop impossible pour intervenir", selon les sources d'une chronique réalisée suite à cette affaire. Les mêmes informateurs vont jusqu'à expliquer qu'Alonso a été laissée dans le flou des raisons de sa mise à pied, jusqu'à la dernière minute. Isolée, et sans recevoir d'explications ou de consignes officielles.
 
En dehors de cet argument par la rupture de contrat, le groupe Disney n'a pas communiqué à la presse de raison particulière pour justifier le départ de la productrice. D'où les nombreuses interrogations des journalistes spécialisés dans les remous du petit monde fermé d'Hollywood - qui imaginent, bien sûr, un motif sous-jacent et que l'entreprise n'aurait pas intérêt à divulguer dans l'immédiat. Un élément relativement utile à empiler au dossier, à toutes fins utiles : Victoria Alonso était aussi l'une des rares femmes de pouvoir à assumer son identité de femme lesbienne au grand jour. Si le lien de cette identité avec toute l'affaire n'est pas évident à première vue, le licenciement couvre aussi quelque chose de plus symbolique, dans la mesure où les femmes (LGBT+, à plus forte raison) ne représentent pas la norme des têtes couronnées dans l'organigramme Disney.
 
En particulier dans le cas particulier de cette énorme entreprise sous la présidence de Bob Chapek - et les différentes ramifications qui avaient lié l'ancien patron à la polémique de la loi "don't say gay" soutenue par le parti Républicain aux Etats-Unis. Une juridiction spéciale pour limiter l'expression des identités homosexuelles dans les discours publics, à laquelle Victoria Alonso était notoirement opposée. Celle-ci s'était ouvertement - et publiquement - opposé au discours officiel de Chapek à ce moment là, en arguant pour la représentations des identités LGBT+ en fiction lors des GLAAD Media Award, au point d'irriter l'entourage de l'ancien président. Certaines sources citées par THR estiment que la productrice a pu se retrouver isolée, et réduite au silence, dans la foulée de cette prise de position. 
 
Voici le communiqué publié par les avocats de Victoria Alonso, suite à son départ forcé.
 
"L'idée selon laquelle Victoria aurait été virée après une série d'interviews éparses au sujet d'un projet passion qui lui tenait à coeur (ndlr : Argentina, 1985) au sujet des droits de l'homme et de la démocratie, qui a été nommé aux Oscars, et pour lequel elle avait reçu la bénédiction de Disney, est absolument ridicule.

Victoria, une femme gay et latina, qui a eu le courage de critiquer Disney, a été réduite au silence. Ensuite, elle a été licenciée lorsqu'elle a refusé de faire quelque chose qu'elle jugeait répréhensible. Disney et Marvel ont pris une mauvaise décision qui pourrait être lourde de conséquences. Il y a bien d'autres choses à retenir de cette affaire, et Victoria en dira davantage d'ici peu lorsque l'occasion se présentera."

Dans l'article du Hollywood Reporter, plusieurs artistes des VFX expliquent au passage que, si Victoria Alonso a peut-être effectivement servi de fusible pour désamorcer le cas des effets spéciaux dans le modèle Marvel Studios, celle-ci n'a jamais été la seule responsable du problème. Avec une cadence énorme à tenir pour proposer plusieurs films et séries télévisées à l'année, avec des dates butoir intenables pour de très nombreuses équipes, l'accélération des productions marquées super-héros serait un problème plus net qu'un simple cas de présidente individuelle qui n'aurait fait qu'obéir aux directives venues d'en haut. 
 
De ce point de vue, le problème devrait se résorber de lui-même dans la mesure où Bob Iger a donné à Kevin Feige la consigne de lever le pied d'ici les années à venir - avec moins de films, moins de séries, Marvel Studios et ses artistes devraient commencer à respirer et à retrouver un mode de production plus sain. Quant à savoir à quelles "révélations" fait référence la défense de Victoria Alonso, il faudra attendre d'entendre pour juger.
 
Corentin
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