A la périphérie d'une grève qui concernait jusqu'ici les syndicats des scénaristes (WGA) et des comédien(ne)s (SAG-AFTRA), les professionnels de l'animation s'organisent à leur tour pour faire face à l'évolution des méthodes de travail à Hollywood. Chez Warner Bros. en particulier, où l'animation occupe une place importante. Géant du secteur (aux côtés du groupe Disney, évidemment), l'enseigne compte plusieurs divisions importantes associées à la production d'images animées : Cartoon Network, Adult Swim, Hanna-Barbera, sous la tutelle de la division Warner Bros. Animation. En interne, on s'organise pour s'associer au syndicat référent (The Animation Guild), en parallèle d'ne prise de conscience globale sur le sort des salariés de cette part de l'industrie.
La grogne, partout, à tous les étages
La rédaction du
Hollywood Reporter publie une chronique qui retrace le déroulé des faits : chez
Warner Bros. Animation et chez
Cartoon Network, 88 employé(e)s ont engagé une pétition pour mener à l'élection d'un bureau des représentants du personnel (66 pour
WBA, 22 pour
Cartoon Network). Les concerné(e)s pensent pouvoir se greffer au collectif des animateurs défendus par la
TGA, et ont d'ores et déjà demandé à
Warner Bros. de reconnaître la validité de cette prise de position - et la légitimité du syndicat de travailleurs qui sera élu au terme de cette initiative. Depuis les Etats-Unis, l'usage recommande d'être prudent : les demandes de ce genre ne sont que la première étape vers une négociation de long terme, souvent ardue. En témoigne le cas particulier de la
CBWU à l'échelle de la maison
Image Comics (
plus de détails à lire ici).
A noter également : les employé(e)s à l'origine de cette demande ne correspondent pas forcément aux métiers spécialistes du dessin ou de l'animation concrète. Comme tout secteur industriel, cette part des activités de Warner Bros. nécessite des compétences plus généralistes, et l'initiative syndicale en présence couvre de très nombreux corps de métier : assistant de production, manager de production, responsable informatique, coordinateur de production, etc. Hanna Fenrec, l'une des porte-paroles du collectif, insiste sur ce détail : du point de vue des aspirants syndiqués, la production entre dans le domaine des savoir faire spécialisés, et les organisations de salarié(e)s ne devraient pas se limiter aux artistes ou aux scénaristes. De ce point de vue, il est effectivement utile de rappeler que l'animation nécessite un travail de supervision, de coordination, de suivi des équipes et d'études des rendus tout particulier, dans la mesure où la production se confond aussi avec les postes de réalisateur ou de monteur.
L'organisation espère pouvoir obtenir de meilleurs salaires, une couverture maladie, une protection contre les traitements abusifs de la hiérarchie (et là-encore, l'industrie a récemment eu l'occasion
de s'émouvoir récemment des difficultés posées en animation par certains producteurs incapables de fonctionner intelligemment sur les projets ambitieux). Pour une fois, le syndicat potentiel n'évoque pas le sujet des intelligences artificielles, à contre-courant des trois grandes organisations de salarié(e)s à Hollywood (
DGA,
WGA,
SAG-AFTRA), même si on imagine assez aisément que les producteurs auraient tout intérêt à se prémunir dès maintenant des éventuelles mises à pied en cas de réduction des effectifs, une fois que cette technologie aura été mise en place.
L'ensemble de ces 88 employé(e)s oeuvre actuellement sur toute une variété de projets pour le compte de
Warner Bros. :
Batman: Caped Crusader,
Harley Quinn,
Teen Titans Go! dans le cas de
WBA, et
Adventure Time: Fionna and Cake,
We Baby Bears et
Craig of the Creek pour
Cartoon Network. Autrement dit, certaines pièces maîtresses dans les plans de conquête du studio. La série animée
Harley Quinn représente un certain enjeu pour les pontes de
DC Entertainment, et le rachat de
Batman : Caped Crusader s'est monnayé sur le marché des diffuseurs pour des sommes (apparemment) assez élevées lorsque les pontes de
HBO Max avaient décidé de vendre le produit plutôt que de le garder en interne. A voir si l'organisation de ce syndicat aura un effet concret sur la production de ces différentes séries.
Depuis bientôt deux ans, le syndicat The Animation Guild recrute massivement pour gonfler ses rangs, dans l'idée de pouvoir infléchir sur la politique des studios et de représenter une force de négociation comparable à celle des grandes organisations hollywoodiennes classiques. Le Hollywood Reporter explique que les équipes de certains monuments de la télévision américaine (Rick and Morty, Solar Opposites, Les Simpsons, Family Guy, American Dad) ont entamé des discussions avec la TGA. Dans le même temps, la rédaction de Vulture, dans la chronique consacrée au cas de Phil Lord sur la production de Spider-Verse, confirmait le plan de bataille des animateurs pour les temps futurs : actuellement, la TGA compte 6000 membres actifs, et entend viser plus large pour pouvoir s'asseoir à la table des négociations avec l'AMPTP, comme la SAG-AFTRA ou la WGA récemment. Reste à voir si le syndicat, visiblement assez agressif dans ses tactiques de recrutement (dans une industrie bien moins représentée que les autres corps de métier essentiels à Hollywood), obtiendra gain de cause.
Une chose est sûre : l'industrie américaine de la télévision et du cinéma est en passe d'évoluer. Avec des mouvements de colère un peu partout, et un effort de solidarité impressionnant à toutes les échelles de la production de fiction, les studios risquent d'avoir du mal à endiguer le phénomène une fois que l'ensemble des salarié(e)s auront les moyens de se défendre. Peut-être le début de quelque chose de neuf, dans un microcosme généralement assez injuste et qui tourne la plupart du temps à la faveur des financiers. A suivre.