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Les héritiers de Jack Kirby critiquent les (nombreux) oublis du documentaire Disney+ sur la carrière de Stan Lee

Les héritiers de Jack Kirby critiquent les (nombreux) oublis du documentaire Disney+ sur la carrière de Stan Lee

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Dans la grande histoire des comics, le sujet sensible de la paternité des créations a tendance à revenir dans les conversations. Par périodes. En particulier dans le cas de Stan Lee, figure de proue des comics Marvel de l'âge d'argent, et inventeur autodiagnostiqué de la plupart des personnages fondateurs de la Maison des Idées. Les Quatre Fantastiques, Spider-Man, Hulk, etc. L'énorme présence éditoriale et médiatique de Stan Lee (devenu au crépuscule de son existence la "caution comics" de Marvel Studios, toujours présent à chaque film pour une validation paternelle des adaptations à coups de caméos) aura eu tendance à gommer de l'équation les autres créateurs. Et plus généralement, les artistes de la fabrique Marvel des premiers temps.

Dans le cas de Jack Kirby, cet oubli de l'histoire, écrite par un unique vainqueur, a soulevé énormément de débats au fil des générations. Quelques années avant sa mort, le dessinateur vedette s'était livré à une interview coup de poing pour rétablir sa version des faits, dans les colonnes du Comics Journal. Une interview dont on parle encore aujourd'hui, pour expliquer, contextualiser, ou remettre les choses à leur place. Selon Kirby, le gros des inventions Marvel (Thor, les Quatre Fantastiques) étaient le résultat de son travail, Stan Lee s'étant contenté, en somme, de mettre son nom sur la copie. 

Même son de cloche du côté de Steve Ditko à propos des premiers numéros de Spider-Man - l'artiste, écoeuré par le partage des gains opéré par Marvel à l'époque, avait même fini par claquer la porte et refusé ensuite d'entendre parler de ses créations sous contrat. Si l'industrie des comics a longtemps fonctionné sur cette mécanique d'invisibilisation (en témoigne le cas de Bill Finger sur Batman, au hasard), le rôle crucial de ces architectes fondateurs, de grands révolutionnaires de la BD attribué à Kirby et Ditko, n'aura fait qu'aggraver le problème à mesure que le grand public se sera pris d'affection pour Stan Lee, en tant que mascotte de Marvel Studios, tandis que les autres étaient relégués au rang de curiosité seulement connus des aficionados de l'art séquentiel.

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Forcément (et en l'attente de l'ouvrage de JL Mast sur le sujet, Fathers of Marvel Comics), la situation se résume globalement à un état de parole contre parole. Mais, les imprécisions historiques n'empêchent pas les biographes de Stan Lee de passer, souvent, un coup de propre sur le sujet. Dernier exemple en date : un documentaire produit par Disney pour rendre hommage à la vie et l'oeuvre de "Stanley Martin Lieber", jeune assistant éditorial devenu le créateur vedette d'un segment entier de la culture pop' moderne, en accord avec le roman national dressé autour de lui. Mis en ligne tout récemment sur la plateforme Disney+, cette production agiographique aura été diversement appréciée par les professionnels. La rédaction de Rolling Stone reprochant notamment au documentaire de donner dans "la publicité pathétique", tandis que le site Decider constate que l'écriture "met de côté les désaccords entre Lee, Kirby et Ditko". En substance.
 
Sur les réseaux sociaux, les héritiers de Jack Kirby se sont aussi exprimés sur le sujet. Jillian Kirby, la petite fille du "Roi des Comics", a posté un long communiqué rédigé par son père, Neal Kirby, le fils de Jack. Celui-ci revient dans les grandes largeurs sur la problématique que soulève la starification systématique de Stan Lee au détriment de ses nombreux collaborateurs, la place tutélaire de cet unique créateur systématiquement mis en avant pendant que les autres dorment dans les anecdotes de l'histoire et les renvois rapides de fiches Wikipédia, et surtout, le choix de proposer un documentaire qui passe à côté de la réalité.
 
 
Pour les anglophobes, voici toujours la version française :
 
"Le poète et érudit islamique du XIIIe siècle, Rumi, a dit un jour : "L'Ego est un voile entre les humains et Dieu." Dans le documentaire biographique de Disney+ sur Stan Lee, ce voile est levé. Présenté à la première personne, avec la voix de Lee pour fournir un narratif construit, il s'agit de l'hommage le plus important que Stan Lee pouvait se rendre à lui-même. L'expression littéraire de l'ego passe par l'emploi du pronom personnel "je". Le moindre professeur décent d'Anglais ou de journalisme conseillerait à ses élèves de ne pas abuser de l'emploi de cette forme. Partant de là, le challenge sera étendu à toutes celles et ceux qui auraient envie de compter le nombre de "je" utilisés pendant ces 86 minutes de temps d'écran consacrés à Stan Lee.

Je (oups !) peux comprendre pourquoi, en tant que "documentaire sur Stan Lee", la majeure partie du narratif passe par sa voix personnelle, au sens propre comme au figuré. Le fait qu'il demeure une controverse à propos de l'attribution des rôles de celles et ceux qui ont compté lors de la création et le succès des personnages de Marvel n'a rien d'un grand secret. Stan Lee a eu la chance d'avoir accès au porte-voix corporatiste et aux médias, et il les a utilisés pour créer son propre mythe en tant que créateur du panthéon des personnages Marvel. Il s'est fait la voix de Marvel. Donc, pendant plusieurs dizaines d'années, il a été le "seul" à exister. Et, dans la mesure où il a eu la chance de mener une longue existence, le dernier à exister quand tous les autres n'étaient plus là (mon père est décédé en 1994). Il est également important de noter - ce qui est généralement admis aujourd'hui - que Stan Lee avait une connaissance limitée de l'histoire, de la mythologie ou de la science.

D'un autre côté, les connaissances de mon père sur ces sujets, ce dont je peux témoigner, comme bien d'autres, étaient très importantes. Einstein a même très bien résumé cet état de faits : "Plus on a de connaissances, moins on a d'ego. Moins de connaissances on a, plus on a d'ego."

Si l'on devait faire une liste et une chronologie des personnages de Marvel de 1960 à 1966, période pendant laquelle la grande majorité des personnages fondateurs ont été inventés, pendant le mandat de Lee, vous remarquerez que le nom de Lee est systématiquement affiché en tant que cocréateur sur chacun d'entre eux, avec à l'exception du Silver Surfer, créé uniquement par mon père. Est-ce que nous sommes supposés croire que Lee a participé à la création de chaque personnage Marvel ? Doit-on supposer que les autres cocréateurs ne sont jamais entrés dans le bureau de Lee pour lui dire : "Stan, j'ai une super idée de personnage !" Selon Lee, c'était toujours son idée à lui. Il a passé pas mal de temps à expliquer comment et pourquoi il avait créé les Quatre Fantastiques, avec une référence à peine perceptible pour mon père. Alors que la plupart des historiens de la bande dessinée reconnaissent que mon père s'est inspiré d'une bande dessinée de 1957 qu'il a créée pour le compte DC Comics, les Challengers of the Unknown, au moment d'inventer les Quatre Fantastiques. Il même choisi le nom de Ben Grimm (La Chose) en hommage à son père Benjamin, et Sue Storm d'après ma sœur aînée Susan.

Si le conflit entre Lee et mon père sur ce problème du crédit à la création est à peine évoqué, voire passé sous silence, le documentaire porte plus d'attention au litige entre Lee et Steve Ditko. La voix de Lee proclame que "c'était mon idée, donc j'ai créé le personnage". La réfutation de Ditko veut que ce soit plutôt son art, et son écriture, qui a insufflé la vie au personnage de Spider-Man. Comme lorsqu'en 1501, l'Opera del Duomo avait chargé un Michel-Ange de 26 ans de sculpter une statue de David pour la cathédrale de Florence - leur idée oui, leur argent aussi. Mais la statue s'appelle "le David de Michel-Ange" - son génie, sa vision, sa créativité.

J'ai eu beaucoup de chance. Mon père travaillait à la maison dans son studio au sous-sol de Long Island, que nous appelions "le donjon", généralement 14 à 16 heures par jour, sept jours sur sept. La plupart des artistes, écrivains, encreurs, etc, travaillaient à domicile, et non pas dans les bureaux de Marvel, comme le montre le documentaire. Au collège et au lycée, j'ai pu regarder par dessus l'épaule de mon père, et à travers les nuages de fumée de son cigare, assister à la création de l'univers Marvel. Je ne suis en aucun cas un historien des comics, mais il y en a peu, voire même aucun, qui ont personnellement vu ou expérimenté ce que j'ai pu voir. J'ai accès à cette vérité pour avoir été là, au premier plan.

Mon père a pris sa retraite au début des années 1980 et, bien sûr, il nous a quittés 1994. Lee a eu droit à plus de 35 ans de publicité jamais contestée publiquement, avec le soutien et la bénédiction de Marvel bien entendu, dans la mesure où il participait alors à renforcer la marque en plus de brosser sa propre image de lui-même. Des dizaines d'années d'autopromotion, qui ont fini par culminer lors de ses apparitions dans plus de 35 films, à commencer par X-Men en 2000, consolidant ainsi son statut de créateur de tout le catalogue Marvel pour les millions de spectateurs de ces films. Un public qui n'a pas conscience, ou qui n'est pas assez familier avec la véritable histoire des comics Marvel. Le premier crédit au générique mentionnant le nom de mon père n'est apparu pour la première fois que dans les dernières secondes de l'adaptation d'Iron Man au cinéma, en 2008. Après Stan Lee, après Don Heck et Larry Lieber. Ce conflit pour la reconnaissance des créateurs existe depuis que la première tablette des textes babyloniens a été gravée. Il est plus que temps d'avoir de formuler correctement et sans erreur ce chapitre de la littérature et de l'histoire l'art. 'Nuff said."

 
Jack Kirby's Son, Neal Kirby Responds to Stan Lee Disney+ Documentary
Corentin
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