Dans la liste des productions Marvel Studios, le film Thunderbolts* passe légitimement pour le dernier kilomètre parcouru avant de sortir du tunnel de production mis en place à la suite du couple Avengers : Infinity War et Avengers : Endgame. Effectivement, dans l'idée de se décrocher lentement mais sûrement de la première génération des super-héros qui auront porté l'essentiel de la saga pendant toute la période du combat contre Loki, Ultron et Thanos, Kevin Feige avait effectivement validé plusieurs nouvelles pistes. Des équipes inédites (Eternals, The Marvels), des personnages inédits (Moon Knight, Shang-Chi) ou des héritiers directs et indirects (Sam Wilson, She-Hulk, Kate Bishop), comme une suite de nouvelles propositions balancées au spectateur dans l'espoir d'attirer son attention et de renouveler l'écurie générale.
Retour aux Fondamentaux
Avec le recul de ces quelques années, l'expérience passe globalement pour un échec. Avec les bourrasques des vents contraires à considérer (la pandémie, l'absence d'une ligne fédératrice, le retour des idéaux réactionnaires aux Etats-Unis), on remarque rapidement que seuls les films basés sur les plus vieilles franchises ont réellement fonctionné : Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Black Panther : Wakanda Forever, Thor : Love & Thunder, Spider-Man : No Way Home... l'afflux de nouveaux personnages n'a pas permis de générer une seconde vague d'enthousiasme pour cet univers dans la foulée d'Avengers : Endgame. L'essentiel des franchises montées entre temps n'auront pas trouvé leur public, en dehors d'une cohorte de fans irréductibles (qui représenterait globalement l'équivalent de 400 à 500 millions de dollars pour la norme du box office sur les dernières sorties, voire moins). Et même si Thunderbolts* pourrait briser ce plafond de verre, il faudra certainement attendre Fantastic Four : First Steps et les deux prochains Avengers pour se reconnecter aux performances d'autrefois.
Du point de vue de Bob Iger, cet échec éparpillé sur une période de cinq ans s'explique surtout par les choix stratégiques de son prédécesseur. Selon lui, lorsque Bob Chapek a pris la présidence du groupe Disney, celui-ci aurait simplement exigé un afflux constant de productions inédites pour alimenter la plateforme Disney+, sans se poser la question du contrôle qualité ou de l'incapacité des équipes de chez Marvel Studios à tenir un tel rendement. En somme, l'explication consensuelle d'un grand patron qui défend les intérêts de son conglomérat, et qui élude évidemment toute une variété de paramètres. Mais la formulation est plutôt intéressante si on choisit de se concentrer sur la dernière phrase :
"Nous avons pêché par excès de zèle dans notre envie d'alimenter la plateforme de streaming avec toujours plus de contenu. Pour ce faire, nous avions actionné tous les leviers du côté des créatifs, chez Marvel Studios notamment, en leur demandant de produire plus de contenu que d'habitude. Mais surtout, nous avons appris au fil du temps que la quantité n'était pas nécessairement synonyme de qualité. Et très franchement, il faut bien admettre que nous avons perdu en consistance à force de multiplier les projets. En insistant sur la consolidation, et en replaçant Marvel sur la priorité du cinéma, nous pensons que la qualité sera bientôt de retour.
Je pense que le meilleur exemple - voire même le premier exemple - reste le film Thunderbolts*."
Sur le papier, le président du groupe Disney estime donc que Thunderbolts* serait le premier film réussi dans cette correction de tir, cette nouvelle stratégie qui consisterait donc à prioriser le cinéma au détriment de l'effort consenti pour alimenter Disney+. Et la phrase est presque comique, dans la mesure où le produit sort pourtant dans le cadre d'une année record chez Marvel Studios : avec les séries télévisées (Daredevil : Born Again, Wonder Man, Ironheart), les séries animées (Your Friendly Neighborhood Spider-Man, Eyes of Wakanda, Marvel Zombies) et les films (Captain America : Brave New World, Thunderbolts*, Fantastic Four : First Steps). Autant de productions développées simultanément, pour la plupart, en accord avec cette logique d'expansion permanente et d'occupation de terrain sur tous les fronts. En définitive, si Thunderbolts* incarne cet effet de changement, est-ce que la réponse ne serait pas à chercher... ailleurs ?
Au hasard : dans le fait de ne pas avoir eu de production "canonique" l'an dernier dans les salles de cinéma par exemple ? D'avoir pu profiter de cette pause de respiration (pendant que Ryan Reynolds assurait l'opératoire sur Deadpool & Wolverine) pour avancer sur le gros chantier Fantastic Four : First Steps ? De repartir sur la formule d'un film qui assume enfin de servir un plan de développement global, avec Avengers : Doomsday en ligne de mire, pour mobiliser l'attention d'un grand public en mal de saga bien connectée ? Ou bien encore, d'avoir été plus économe sur le tournage additionnel, contrairement à Captain America : Brave New World, pour s'assurer d'une rentabilité plus certaine et éviter de se retrouver en face d'un film qui sent le rafistolage et les changements d'avis ? Qui peut savoir.
En définitive, casser du sucre sur le dos des séries Disney+ reste une solution un peu facile pour justifier certaines des erreurs récentes. D'ailleurs, Kevin Feige l'a admis lui-même. Le problème de ces productions reposait surtout sur un manque global de vision. Maintenant que le groupe a rouvert un pôle consacré (Marvel Television) avec son propre président (Brad Winderbaum) et réinstauré la logique des capitaines (showrunners) pour assurer le travail, la marque serait au contraire en bonne voie pour développer de véritables séries intéressantes.
Espérons que la présidence du groupe Disney tirera de meilleures leçons des prochains succès, dans la mesure où, lorsque les deux films Avengers seront passés, le problème du renouvellement de la marque risque de se poser pour la seconde fois. Et il ne suffira plus de dire "c'est la faute à Bob Chapek" d'ici cet intervalle. En s'inspirant de ce que Kevin Feige a l'air d'avoir bien compris avec le développement de Fantastic Four : First Steps, Marvel Studios pourrait peut-être enfin briser sa propre routine des productions de milieu de gamme... et refaire ce que l'entreprise a toujours fait jusqu'ici : déplacer le grand public vers les salles de cinéma pour des personnages qu'ils ne connaissent pas.