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Les créateurs de comics, éternels parents pauvres dans le succès des films de super-héros

Les créateurs de comics, éternels parents pauvres dans le succès des films de super-héros

chronique

L'article ci-dessous émane pour partie d'une enquête menée par le Hollywood Reporter sur la rémunération des auteurs de comics en cas d'adaptation, couplée avec quelques autres informations et témoignages, histoire de ne pas s'arrêter à un simple portage en français. Pour celles et ceux qui souhaiteraient trouver l'article original, ça se passe par ici.

Lorsque Jerry Siegel et Joe Shuster déposent leur première histoire de Superman chez National Allied Publications (DC Comics), les deux auteurs reçoivent la somme de 130 dollars, ou 2390 dollars ajustés à l'inflation, de la part de leur éditeur en 1938. L'accord est à ce moment dans les normes du marché de la bande-dessinée de cette époque : l'entreprise conserve la propriété intellectuelle, les droits d'adaptation, le merchandising et les futures réimpressions. Siegel et Shuster acceptent de donner la patte, en échange d'un contrat salarié de plusieurs années, pendant lesquelles la popularité de Superman continuera de gonfler.

Le reste de l'affaire est connu : de retour du front après la Seconde Guerre Mondiale, Jerry Siegel attaque DC Comics en justice pour récupérer les droits du personnage, et d'une autre création qui n'avait pas été vendue à l'éditeur, Superboy. Dans la foulée de ce premier échec, l'entreprise licencie les deux récalcitrants. Le duo aura énormément de mal à retrouver du travail, probablement gênés par leur réputation d'auteurs procéduriers. Sans le sou, Joe Shuster participera même à un projet de revue fétichiste, tirant sur le sadomaso', Nights of the Horror, pour payer ses factures. Le bras de fer durera pendant de longues années, mais rien n'y fit : le contrat signé au départ stipulait que Superman avait été cédé à DC, et les juges appelés à l'arbitrage se contenteront de faire respecter la loi. Au terme de plusieurs procès, Warner Bros. s'engage finalement, en 1975, à verser une pension de 20,000 dollars par an aux deux artistes contre leur promesse de ne plus contester la propriété intellectuelle de Superman. Siegel et Shuster ne retrouveront jamais l'assise financière de leurs premières années chez DC Comics, le dessinateur du duo en particulier. Joe Shuster meurt criblé de dettes en 1992, suivi de près par Jerry Siegel en 1996. Quelques années après l'accord trouvé avec Warner Bros., le film de Richard Donner empochait 300 millions de dollars dans les salles de cinéma.

Employeur et Employé


 
Il y a quelques mois, le scénariste Ed Brubaker s'est exprimé sur le cas du Soldat de l'Hiver, personnage utilisé dans le corps des films de Marvel Studios et interprété par l'acteur Sebastian Stan. Invité à participer à l'émission de Kevin Smith, le bonhomme mit le feu en poudre en expliquant avoir été mieux rémunéré pour son caméo dans le film des frères Joe et Anthony Russo que pour l'utilisation de Bucky Barnes, sans préciser les sommes. 
 
"Je me suis fait plus d'argent avec les cachets de la Screen Actors Guild (ndlr : syndicat des acteur.rices, cascadeurs.euses et figurant.es aux Etats-Unis) pour avoir joué une réplique dans le film, coupée au montage d'ailleurs, qu'en tant que créateur du personnage."

Cette situation interpellera le lectorat, surpris de cette curieuse répartition des budgets. L'auteur et journaliste Ta-Nehisi Coates, responsable d'un long volume de Black Panther et grand ami d'Ed Brubaker, appuiera le discours du scénariste en expliquant que ce-dernier n'avait même pas eu droit à un coup de fil de Marvel suite à sa déclaration. En tant que multi-professionnel, Coates estime que les auteurs devraient être mieux traités par des corporations de la taille de Disney, qui utilisent leur travail pour produire des objets de consommation massifs sans faire remonter le capital à son point d'origine : la bande-dessinée. 
 
Amer, Ed Brubaker fit le choix il y a bientôt dix ans de claquer la porte de Marvel pour se consacrer à une carrière de scénariste indépendant, exclusif à la société Image Comics. Il n'est d'ailleurs pas le seul dans ce cas : Mark Millar, auteur vedette et consultant sur le premier Iron Man, avait aussi décidé de couper les ponts en estimant être trop peu dédommagé par rapport au nombre de ses idées reprises par Marvel Studios. Le bonhomme aura notamment posé les bases du premier Avengers de Joss Whedon avec ses Ultimates, et inventé le Nick Fury de Samuel L. Jackson
 

 
Ces différents cas de figure s'inscrivent dans la droite lignée d'une sorte de tradition intronisée par Siegel et Shuster - le cas particulier de l'industrie de la bande-dessinée aux Etats-Unis régie par les lois du salariat, ce que les éditeurs ont tendance à qualifier de work for hire. En résumé ? Les personnages n'appartiennent jamais aux auteurs. Toute création s'inscrit dans un contexte plus large, dans lequel la maison d'édition garde la propriété intellectuelle de l'ensemble des histoires. Cette constante est aussi valable pour les nouveaux personnages inventés dans le cadre d'une histoire originale : au hasard, les différentes créations de Scott Snyder apparues lors de son passage sur Batman ne lui appartiennent pas. DC Comics n'est pas tenu d'informer le scénariste dans le cas de futures réutilisations de son travail, et n'aurait pas à lui rendre de comptes dans le cas d'une adaptation, en dehors de droits minoritaires. Quelques évolutions ont été constatées au fil des ans, mais depuis la généalogie des premiers super-héros, les contrats ont toujours suivi cette logique d'arbitrage. La mécanique protège les employeurs de l'industrie des comics autant qu'elle agace les artistes responsables des grandes histoires qui inspireront, plus tard, les adaptations.
 
Jusqu'ici, le système avait un intérêt dans une logique de marché, avec l'alternative de la bande-dessinée indépendante. Des scénaristes et artistes débutants pouvaient accepter de se cantonner à des rôles de salariés sur des super-héros le temps de faire leurs armes, de développer une base de fans susceptible de les suivre plus tard sur des histoires plus originales, dans des structures différentes aux contrats plus avantageux. Le mantra de Todd McFarlane chez Image Comics s'est longtemps résumé à cette proposition d'alternative au genre des super-héros traditionnels. Dessinateur de génie, celui-ci se chargea de mener la charge lors d'un mouvement de grogne advenu pendant les grandes heures du marché spéculatif : plusieurs artistes responsables de séries particulièrement performantes reprochaient à Marvel de ne pas partager les profits. A l'époque, les produits dérivés et le secteur de l'animation tournaient à plein régime, en reprenant les designs de McFarlane, Jim Lee, etc.
 
Image Comics fut alors posée comme la base d'un autre modèle, où les créateurs ne céderaient plus leurs droits et pourraient même conserver l'ensemble des propriétés intellectuelles de leurs différents projets, y compris dans le cas d'adaptations potentielles. Des scénaristes comme Jeff LemireScott Snyder ou Donny Cates se seront chargés depuis d'illustrer ce nouveau mode opératoire : bâtir une carrière sur les super-héros des majors, avant de bifurquer lentement mais sûrement vers l'indépendant, en espérant embarquer au passage quelques dizaines de milliers de lecteurs au mieux. La stratégie pouvait paraître viable, jusqu'à ce que les studios de cinéma n'investissent le créneau des adaptations de comics, et que les injustices de répartition apparaissent comme d'autant plus importantes.

Shut Up Money


 
La rédaction du Hollywood Reporter s'est penchée sur cette particularité de la bande-dessinée américaine. Plus spécialisé dans l'étude du marché du cinéma, le rédacteur Aaron Couch signe une tribune dans laquelle sont résumées les forces en présence, et l'apparition d'une nouvelle dynamique dans la répartition des budgets. Ce que Jim Starlin, inventeur du personnage de Thanos, appelle le "rouage qui grince", littéralement, une somme d'argent pour que les créateurs arrêtent de se plaindre. Grande gueule notoire, ce vétéran de l'industrie s'était illustré il y a quatre ans en expliquant avoir reçu plus d'argent de la part de Warner Bros. pour le personnage de KGBeast dans Batman V Superman : Dawn of Justice que pour l'ensemble de ses inventions dans le champ du cosmique utilisées dans la saga de Marvel Studios.
 
"Je viens de recevoir un assez gros chèque de la part de Warner Bros. pour ma participation à Batman V Superman : Dawn of Justice (pour le personnage d'Anatoli Knyyazev, ndlr : même pas mentionné comme KGBeast dans le film de Zack Snyder). La somme est bien plus importante que tout ce que m'a versé Marvel en cumulé pour les personnages de Drax, Gamora ou Thanos dans leurs différents films. J'imagine que je suis obligé de regarder BvS, maintenant."

Suite à cette déclaration, Disney avait fait le choix de revoir à la hausse le cachet de Starlin pour les films qui suivront. De passage chez le Hollywood Reporter, une fois de plus, l'auteur n'avait pas communiqué la somme engrangée pour les films Avengers : Infinity War et Endgame, directement basés sur son travail et cumulant à eux deux près de 4,8 milliards de dollars de recettes. Le scénario des deux productions repose explicitement sur la saga du Gant de l'Infini, conçue par Jim StarlinGeorge Pérez et Ron Lim en 1991.
 
"L'image la plus commune à utiliser serait de dire que les rouages qui grincent ont droit à un peu d'huile. Vous savez que ces contrats sont explicitement conçus pour être révisés à la hausse, en cas de besoin. Disney peut parfaitement faire le choix de se montrer plus généreux."

Dans le même ordre d'idées, le regretté Len Wein avait expliqué avoir reçu plus d'argent de la part de Warner Bros. au moment de la saga Dark Knight pour avoir inventé le personnage de Lucius Fox que de la 20th Century Fox pour l'ensemble des films où apparaît Wolverine. Des cas précis qui ne suffiraient pas à définir un argus définitif, encore que les équipes en charge des adaptations de la famille DC Comics/Warner Bros. auraient apparemment plus de facilité à sortir le carnet de chèque : depuis la présidence de l'immense Jenette Kahn, les créateurs associés à l'invention de tel personnage ou de telle histoire touchent bel et bien une commission variable sur le cinéma, la télévision et le merchandising. Cette ouverture a pu poser d'autres problèmes à l'éditorial ou aux sociétés de production compte tenu de la variété que peuvent prendre les renvois aux comics opérés par certaines adaptations. 
 
 
Lors de son mandat de président de DC ComicsPaul Levitz avait pour mission d'identifier les liens de paternité établis entre le cinéma et la bande-dessinée. Plusieurs catégories avaient alors été mises en place : la création d'un personnage particulier, ou l'emprunt explicite à une histoire précise. Au hasard, The Long HalloweenThe Dark Knight Returns ou Knightfall, cités très ouvertement par Christopher Nolan dans deux des trois films de la saga Dark Knight. D'autres catégories seraient en revanche plus floues, compte tenu de la matière malléable que représentent certaines adaptations. Levitz prenait en exemple une habitude de jeu de Christian Bale sur les plateaux de tournage.
 
"Il aimait regarder des planches de Tim Sale avant que les caméras ne se mettent à tourner, et s'en inspirer pour prendre des pauses. Je ne sais pas comment on évalue la rémunération de ce genre de choses. Mais dans le cas de films aussi appréciés que Batman Begins ou The Dark Knight, je pense que ça dit quelque chose. Et on se doit de remercier les auteurs d'une façon ou d'une autre."

Ancien éditeur, Levitz fit le choix de ne pas revenir sur les règles posées par Kahn au moment de sa propre présidence, en expliquant qu'un meilleur traitement des artistes était la seule solution pour inciter de futurs créateurs à travailler pour DC. D'autres cols blancs de l'industrie n'ont pas forcément suivi cette voie : sur le papier, rien n'oblige effectivement les responsables de Disney à mieux rémunérer les créateurs de comics sur la base d'adaptations ou d'inspirations de leur travail. La maison d'édition Marvel possède les personnages, et n'a de fait pas d'obligation juridique à dédommager qui que ce soit, à l'exception de contrats très particuliers. Le risque principal encouru par le groupe se cantonnerait à la mauvaise publicité que pourrait leur rapporter un auteur mécontent - un danger somme toute très relatif, pour une marque qui représente aujourd'hui l'un des pôle d'attractivité les plus importants au monde. Un créateur anonyme de Marvel parle de "Shut Up Money", en résumé, recevoir un chèque en échange de la promesse de ne pas gâcher la fête.
 
Todd McFarlane préfère de son côté parler de "miettes". Avant d'inventer le personnage de Spawn pour le compte de sa propre société, ce prodige du dessin avait été à l'origine de Venom dans la série Spider-Man, en compagnie du scénariste David Michelinie. A chaque apparition du vilain, McFarlane empoche un crédit de créateur au générique et un modeste virement - pour celui qui a été l'un des principaux théoriciens de la fuite des cerveaux depuis les grandes maisons de super-héros vers les structures indépendantes, le principe a quelque chose de grotesque.
 
"Le créateur original ramasse les miettes. Mais la première personne qui aura l'idée de dire 'nous vous offrons trois fois plus de miettes' passera pour un génie, et s'attirera de fait les faveurs de gens très talentueux. De notre côté, les contrats que nous proposons abordent cette question sur un plan bien plus important."

Dans le cas des séries éditées chez Image Comics, les auteurs et autrices restent généralement les propriétaires légaux de leurs personnages, sauf cas particulier, dans le cas des éditions Skybound, qui fonctionnent parfois sur un principe de work for hire. Dans la grande majorité des cas, les créateurs demeurent les premiers interlocuteurs des studios lorsque ceux-ci décident de mettre un projet en marche, et les seuls à empocher les sommes pour les achats de droits. L'utopie de cette entreprise montée par les artistes pour les artistes s'est déversé dans l'industrie de la BD aux Etats-Unis, avec toute une variété d'autres structures inspirées par ce modèle : la philosophie du creator owned, devenue de plus en plus importante au fil des générations. A titre d'exemple, AfterShock Comics, fondée par Joe Pruett et Mike Marts, proposerait des contrats au cas par cas, selon la rédaction de BleedingCool. L'éditeur n'imposerait pas aux équipes créatives un rôle d'intermédiaire entre artistes et studios, dans le cas où une adaptation serait mise en route - cela serait en revanche proposé au moment de la signature, sans obligation contractuelle.  
 

 
D'autres exemples plus ou moins récents démontrent aussi de la difficulté à établir une règle générale. Les grands personnages d'hier sont généralement le point de focale du rapport de force historique : au hasard, le scénariste Steve Gerber avait par exemple choisi d'attaquer Marvel en justice lorsque le projet de film Howard the Duck fut annoncé en 1980. A court d'argent, l'auteur reçut l'aide de Jack Kirby en éditant une parodie de son propre personnage, Destroyer Duck, chez Eclipse, une série dont les ventes devaient servir à payer ses frais d'avocats. Les tribunaux trancheront une fois encore dans le sens de Marvel - et ce malgré plusieurs révisions de la juridiction portant sur le droit d'auteur aux Etats-Unis depuis l'affaire Siegel et Shuster
 
A époque comparable, Roy Thomas s'en sera beaucoup mieux tiré : bras droit de Stan Lee, ancien capitaine du navire dans les années 1970, celui-ci assume aujourd'hui un emploi de promoteur à plein temps. A chaque adaptation, le bonhomme s'assure que les sommes et les remerciements tomberont à heure fixe. Encore récemment, le bonhomme remarquait que son nom n'était pas mentionné à l'agenda de production de la série Loki ou du film Black Widow, qui utilisaient respectivement les Time Keepers et le Red Guardian, deux de ses créations. Disney ne tardera pas à réagir en allant dans le sens de Thomas, un cas particulier à mettre sur le compte de l'importance de cet ancien chef de file des éditions Marvel, ou à son carnet d'adresse, probablement mieux fourni que celui de Steve Gerber.
 
Des affaires plus graves se sont parfois manifestées sur la scène publique. Après la première adaptation du Ghost Rider en 2007, l'artiste Gary Friedrich, considéré comme l'un des créateurs de Johnny Blaze, tente lui-aussi de faire valoir ses droits devant la justice. Le litige sera tranché, sans surprises, à la faveur de Marvel en 2011. L'éditeur décide alors de contre-attaquer, en intentant un procès au dessinateur pour avoir vendu des originaux du Ghost Rider appartenant à la compagnie aux yeux du législateur. A ce moment là de sa carrière, Friedrich était déjà ruiné, atteint de la maladie de Parkinson et souffrant d'une perte générale de l'audition. Le service juridique de Marvel, qui cherchait sans doute à faire un exemple du bonhomme, accepte de renoncer au procès contre la promesse de ne plus vendre de merchandising Ghost Rider, et oblige l'artiste à payer la somme de 17,000 dollars au titre de dommages et intérêts - une autre conception de la fameuse "Shut Up Money". Risquant de perdre sa maison, Friedrich reçoit à l'époque le soutien de Steve Niles et Neal Adams, qui lanceront un appel aux dons à la faveur du dessinateur. La missive de l'époque se terminait sur ces mots :
 
"Et si j'espère encore que Marvel fasse machine arrière et aide Gary, je comprends qu'ils soient dans une mauvaise position et qu'ils ne peuvent tout simplement rien faire. J'aime penser qu'ils feraient quelque chose s'ils le pouvaient..."

Une année après ce premier témoignage de soutien, un tribunal de cour d'appel casse le premier jugement imposé à Gary Friedrich, en stipulant que les termes du contrats portant sur la cession du Ghost Rider étaient "peu clairs" et "ambigus". Marvel, pour s'épargner une polémique gênante, ou éviter de faire jurisprudence, acceptera de laisser le vieil homme tranquille. Celui-ci meurt cinq ans plus tard, dans l'anonymat.

Super Picsou Géant 

 
La situation de Friedrich évoque d'autres problèmes plus graves liés à la couverture médicale ou aux pensions de retraite accordées aux auteurs dans le système fédéral américain, face à une industrie qui a longtemps refusé de mettre en place un principe de revenu sur royalties. Si les négociations sont aujourd'hui plus abordables, avec des contrats individuels et une marge de manœuvre pour certains créatifs bien installés, le cas particulier des employés de l'industrie des comics pose encore de sérieuses questions pour celles et ceux qui sortent de la carrière, à l'âge de la retraite, ou se trouvent frappés de maladie grave.
 
Des fonds d'aide privées, à l'image de la Hero Initiative, ont été mis en place pour organiser des mouvements de solidarité entre professionnels à destination des auteurs ou autrices dans le besoin. Comme l'observait récemment l'historien de la bande-dessinée américaine Xavier Fournier, le rapport de force entre éditeurs et employés n'a jamais concrètement évolué parce que les artistes eux-mêmes ont leur part de responsabilité : longtemps incapables de s'organiser en collectifs, en syndicats ou en communautés et acceptant globalement de jouer le jeu, de générations en générations. Si Ed Brubaker a effectivement reçu une plus grosse somme d'argent pour sa courte prestation dans le film Captain America, le scénariste a surtout profité du système plus favorable mis en place pour les professionnels du cinéma par la Screen Actors Guild, un syndicat, monté en 1933 pour faire valoir le droit des interprètes face aux sociétés de production. L'organisme recense près de 200.000 membres et s'est illustré à plusieurs reprises pour ses mouvements de grèves et son intransigeance vis-à-vis des conditions salariales des comédiennes et comédiens.
 
De leur côté, les grandes maisons d'édition administrent aujourd'hui un catalogue de propriétés intellectuelles avec des schémas de promotion en vase clos : un film appelle généralement à plusieurs comics focalisés sur le personnage ou l'équipe mis en avant, sur des contrats ouvrant la possibilité de royalties et des artistes travaillant à la commande qui comptent sur d'éventuelles retombées positives pour peu que leur projet tombe au bon moment. D'autres tentent leur chance en indépendant, avec une distribution plus honnête des profits. NetflixAmazon ou Legendary Pictures investissent généralement sur ces projets pour nourrir les grilles de leurs plateformes de VOD, ou installer leur offre de super-héros face à la force de frappe des groupes concurrents, Warner Bros. et Disney. Les cas sont encore très rares, et concernent généralement des équipes créatives confirmées - surtout, la plupart des projets mis en développement sortent rarement de terre, et s'arrêtent généralement à un premier chèque pour l'achat des droits ou la mise en option d'une adaptation. Une situation que l'artiste Phil Hester compare à l'industrie de la musique, pour décrire la problématique du marché de l'édition indépendante.
 
"La carrière dans le comics fonctionne comme une carrière dans la musique. Un nombre infime d'entre nous peuvent remplir des stades de concert, quelques uns sortent un hit ou deux et arrivent à en vivre pour le reste de leur vie, la plupart se produisent à des salles de village, et quelques uns se contentent de jouer de la basse dans leur garage."

A comparaison équitable, le problème des manageurs et des contrats à sens unique, grande spécialité de l'industrie du disque, se pose aussi dans le cas de toute franchisée. En septembre prochain, Marvel Studios prévoit de sortir l'adaptation du personnage de Shang-Chi au cinéma, un autre invention de Jim Starlin dans Special Marvel Edition #15 en 1973. Ce-dernier n'aurait pas encore été contacté par Disney et ne saurait pas à l'heure actuelle s'il sera dédommagé pour ce potentiel nouveau héros à succès. Dans le même temps, les héritiers de Jack Kirby continuent de se battre pour faire valoir les droits de leur parent comme créateur de la plupart des personnages de Marvel, en s'appuyant sur les différentes révisions du droit d'auteur appliquées aux Etats-Unis.
 
Les choses bougent de ce côté là : la juridiction votée en 1976 autorise certains artistes à réclamer la restitution des propriétés intellectuelles après une période de vacation de quelques décennies. Dans le cinéma, le scénariste Victor Miller a par exemple pu récupérer les droits de la saga Vendredi 13 au terme de trente-cinq ans d'exploitation, et les scénaristes du premier film Predator de John McTiernan sont actuellement en pleine bataille juridique avec Disney/20th Century Fox pour la restitution de leur personnage vedette - ce cas particulier pose d'ailleurs un problème à Marvel, qui comptait justement éditer des comics Predator sur cette fin d'année. Quelques professionnels de la musique profitent également de cette nouvelle zone grise pour réclamer les originaux de certains morceaux ou albums produits dans des conditions équivalentes. A voir si cette nouvelle vague de procès fera tache d'huile dans l'industrie de la bande-dessinée, paralysée par la mécanique du work-for-hire depuis l'invention de la première paire de collants.
Corentin
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