Paradoxalement, le premier film Suicide Squad est peut-être l'un des projets les plus importants de l'histoire moderne du cinéma des super-héros. Et pas forcément pour sa qualité en tant qu'objet de cinéma, son scénario, sa mise en scène... mais plutôt pour tout ce qui s'est passé ensuite. Et surtout au moment où Warner Bros. a voulu remettre le couvert en validant une suite directe à cette étrange proposition. Pour rappel, le film avait tout de même obtenu 749 millions de dollars au box office mondial malgré des critiques extrêmement mitigées (et un statut de nanar authentique pour les années qui suivront).
Finalement, le projet n'était donc pas tombé si loin de Batman v Superman : Dawn of Justice et de ses 874 millions, avec des personnages bien moins populaires (voire globalement méconnus du grand public, à l'exception du Joker et de Harley Quinn).
Drop the "The"
Le studio estimait donc qu'une potentielle franchise (au sein de la franchise) était en train de naître, et s'était donc lancé sur plusieurs projets simultanés : un spin-off sur Deadshot, un spin-off sur les Gotham City Sirens, une potentielle comédie romantique sur le Joker et Harley, et puis, bien sûr, une suite directe. De son côté, le réalisateur du premier volet, David Ayer, avait pris les commandes d'une production consacrée aux super-méchantes de Gotham City, en laissant la place vacante pour un remplaçant capable de tourner Suicide Squad 2 dans les conditions souhaitées par Warner Bros..
Et les commanditaires auront longtemps tâtonné avant de trouver le profil idéal. Dans l'ordre,
Mel Gibson,
Ruben Fleischer,
Daniel Espinosa,
David S. Goyer et
Jonathan Levine avaient été considérés avant que le studio ne se décide sur
Jaume Collet-Serra, qui restera attaché à cette production pendant un temps avant de migrer vers les entreprises
Disney pour développer le film
Jungle Cruise en compagnie de son camarade
Dwayne Johnson. C'est à ce moment là que
DC Films, en charge de l'opératoire sur les adaptations de la licence
DC Comics, décidera de se rapprocher
du réalisateur Gavin O'Connor, un habitué des productions musclées : polars, westerns, films d'action ou de bagarre, le bonhomme était alors en odeur de sainteté à Hollywood et aurait effectivement pu corriger le tir après
David Ayer, en proposant quelque chose de plus sombre, de plus adapté aux personnages de
John Ostrander. Mais bien sûr,
ce n'est pas exactement ce qui s'est passé.
Passé par la rédaction du site Collider récemment pour défendre les couleurs de son nouveau film, Mr. Wolff 2, O'Connor est revenu sur ce qui s'était produit au moment de sa rencontre avec Walter Hamada, qui était alors président de DC Films et en mission pour redresser le navire après l'échec du Justice League de Joss Whedon.
"C'était l'exemple parfait de tout ce qui ne fonctionne pas dans cette industrie. Ma vision du projet était très précise. Et au départ, ils étaient d'accord pour me laisser travailler. Je pense qu'on devait probablement en être aux trois quarts du script quand ils ont finalement décidé de remplacer l'ancienne équipe chez DC Films. Tous les gens avec qui j'avais travaillé jusqu'ici ont été virés à ce moment là.
J'écrivais le scénario directement depuis les plateaux de chez Warner Bros.. Ils nous avaient installé un petit bungalow sur place pour mon partenaire et moi, on se retrouvait tous les jours et on grattait du papier. Un jour, quelqu'un a tapé à la porte, et c'était le nouveau président de DC Films. Il m'a dit 'vous en êtes où du côté du scénario ?' J'ai répondu que c'était presque prêt et il a demandé à le lire. Je lui ai dit qu'il fallait attendre que ce soit terminé. Deux semaines plus tard, quand je lui ai finalement livré notre travail il m'a dit... 'est-ce que vous pouvez en faire une comédie ?'
Je lui ai répondu que ce n'était pas le film que j'avais écrit, que ce n'était pas l'accord que j'avais avec le studio. Mais il voulait que je transforme le script pour en faire une comédie. C'est là que j'ai réalisé que je n'allais pas travailler pour eux."
Pour l'anecdote, et pour enfoncer le clou sur la gestion (légendaire) des équipes de
Warner Bros. sur la franchise
DC Comics, la petite mésaventure de
Gavin O'Connor évoque presque à l'identique
celle de David Ayer au moment de signer le premier film
Suicide Squad. Embauché pour son expérience dans le registre des polars, des films de guerre et des histoires de truands, le bonhomme avait reçu la même commande
en plein pendant le tournage du projet : un script pas terminé, sur lequel on impose une consigne de comédie familiale, pour un réalisateur incapable de manœuvrer entre les deux tonalités.
Alors, vous allez dire : ils n'ont pas appris de leurs erreurs ? Sauf que ce n'est pas exactement le sens dans lequel fonctionne cette équation. Encore une fois, avec 749 millions de dollars au box office, les grands studios sont pleinement capables de revoir leur définition de ce qui constitue une "erreur". Contrairement aux commentaires (absurdes, puérils, idiots, infantiles) du président de Sony Pictures récemment, la somme des critiques et les médianes de RottenTomatoes n'ont en réalité pas la moindre importance sur ce genre de décisions.
En définitive,
Suicide Squad 2 finira par devenir la comédie dont rêvaient en secret les pontes de
Warner Bros.. Mais pour obtenir ce résultat, il faudra attendre que
James Gunn prenne les commandes, dans la foulée de son départ de chez
Marvel Studios. Et c'est alors que ce projet accouché au terme de longues années d'hésitations et de tâtonnements obtiendra son statut de pierre angulaire : une fois installé chez
DC Films avec
The Suicide Squad, le réalisateur va tout bonnement gravir les échelons jusqu'à obtenir la présidence complète d'une toute nouvelle structure pensée pour effacer l'ancienne continuité,
DC Studios, en dégageant au passage
Walter Hamada de son trône inconfortable.
En s'arrêtant une seconde, on peut se demander ce qui aurait pu se passer si l'ancien responsable de la licence avait finalement décidé... de valider le script de Gavin O'Connor et de relancer la marque DC Films sur de nouvelles couleurs avec des projets plus sérieux, plus sombres et plus adultes. Peut-être que James Gunn serait encore chez Marvel Studios, en train de tourner Avengers : Doomsday et Avengers : Secret Wars à la place des frères Russo ?
Ceci étant dit, dans le monde réel, le statut de DC Films était de toutes façons compromis dès le moment où Discovery Inc. a racheté Warner Bros., et Hamada n'aurait sans doute pas pu conserver son poste avec ou sans le succès d'un Suicide Squad 2 réussi. On retiendra surtout l'anecdote historique d'un DCEU qui n'aura jamais été réellement capable de respecter la vision de ses auteurs (pour Zack Snyder comme pour David Ayer ou Gavin O'Connor) au point de finir par recevoir un juste châtiment et de transitionner vers un modèle plus sain. Un modèle qui privilégie aujourd'hui a priori les scénaristes et la variété de tons, quitte à miser sur des franchises de plus petites tailles et de prendre son temps sur les produits importants.
Finalement, The Suicide Squad restera dans le présent comme le premier film originel de DC Studios, avant Peacemaker, Creature Commandos et Superman, ce qui reste assez cocasse une fois toutes les données remises dans le bon ordre.