Dans le présent, le web propose quelques avantages occasionnels pour équilibrer ses propres défauts : oui, d'accord, effectivement, une partie considérable de la population s'acharne quotidiennement à détruire notre perception de la réalité sur internet par le biais de l'intelligence artificielle (et comme l'Agent Smith dans Matrix 2 : la barrière est déjà en train de s'éroder), mais dans le même temps, d'autres plateformes existent pour nous permettre d'éviter les approximations, les rumeurs, les scoops et autres affirmations sans fondement.
Au hasard, pour les comics, le site Subtack est un bon exemple de ce point d'équilibre. Si ce service de newsletter n'a pas forcément tenu toutes ses promesses de croissance (dans le sens où la plateforme n'est pas devenue le nouvel Image Comics du vingt-et-unième siècle, malgré un bel effort publicitaire), au moins, celui-ci nous permet d'avoir aujourd'hui un biais d'accès direct aux propos des scénaristes, des éditeurs et autres acteurs de l'industrie de la BD aux Etats-Unis. Une bonne partie des voix importantes dans les comics qui sont produits aujourd'hui utilisent Substack, et ce canal exclusif nous permet de mettre des mots sur certaines nouvelles avec un semblant d'humanité ou de contexte, pour éviter de tomber dans le piège du "à mon avis'. Dernier exemple en date : le départ de Chip Zdarsky de la série Batman.
The Man Who Wouldn't Be King
Dans les annonces de la New York Comic Con, DC Comics a officialisé la reprise de cette série régulière par Jeph Loeb et Jim Lee pour le printemps de l'année prochaine. Les deux créateurs en profiteront pour produire une suite directe de Batman : Hush (Batman : Silence en VF), en accord avec la philosophie moderne des comics de super-héros, essentiellement tournés vers le passé pour les événements importants. La rédaction de BleedingCool avait annoncé cette reprise en amont de la NYCC, et beaucoup de gens (même au sein de la rédaction du site) avaient alors pu proposer différentes théories susceptibles de justifier ce retour de volée : est-ce que le travail de Chip Zdarsky était réellement apprécié en interne ? Est-ce que les ventes étaient au rendez-vous ? Est-ce que DC Comics n'avait pas fait une erreur en nommant cet auteur en plein ascension à un poste aussi important ?
Autant de théories qui allaient dans le sens d'un remplacement en forme de sanction, tout simplement, et en bonne et due forme. Mais si on écoute l'intéressé, l'affaire était en réalité bien moins dramatique, bien moins scandaleuse, en désaccord avec les fantasmes du lectorat. En effet : non seulement Chip Zdarsky n'a pas été remercié de la série Batman, mais mieux encore, le scénariste avait lui-même prévu de quitter le projet avant même que ne soient formulées les annonces de la période All In. Voici ce que celui-ci a expliqué via une prise de parole récente sur la plateforme Substack :
"J'adore Batman. Ca a été un véritable bonheur de travailler sur ce titre. Mais, au printemps, j’ai eu envie de conclure mon passage sur la série. En partie parce que Jorge Jimenez et moi étions en train de terminer l'histoire qui concernait les personnages de Failsafe/Zur, mais aussi parce que mon éditeur sur le titre, Ben Abernathy, était parti chez Skybounrd pour s'occuper des comics Transformers/G.I. Joe. J'avais aussi à gérer une charge de travail harassante, et il m'a fallu prendre une décision sur les choses que je devais prioriser en l'état.
Alors, juste avant la C2E2 en avril, j'ai fait savoir à DC que j'allais m'en aller. C'était une décision difficile, parce que j'aime vraiment l'équipe avec laquelle j'ai travaillé (en particulier leur éditrice en chef, Marie Javins, une étoile merveilleuse au sein d'une industrie globalement gouvernée par les gogols dans mon genre), mais ils ont compris le message et ont respecté ma décision. Ils m'ont aussi demandé si j'étais partant à rester pour un arc supplémentaire à partir du mois d'octobre, et j'ai dit oui, parce que je voulais faire quelque chose de spécial et de contenu pour Jorge. Le beau, le talentueux Jorge."
Vous pouvez retrouver le reste de cette missive en lien source (et allez-y si vous parlez anglais : comme à son habitude, le bon
Zdarsky est un drôle qui s'amuse à imaginer une interaction avec
Mark Waid susceptible de coller aux fantasmes des théoriciens du complot, dans le cadre d'un dialogue hilarant qui va dans le sens de celles et ceux qui imaginent que le loustic a effectivement été viré manu militari). Pour rappel et pour un peu plus de contexte :
DC Comics a effectivement proposé au scénariste de rempiler pour une dernière histoire, en décalage avec l'effet de grande redistribution des cartes de la période
All In. Parce que, si beaucoup de séries ont été confiées à de nouvelles équipes créatives, le projet
Batman n'était pas encore prêt à l'emploi pour cette période éditoriale ouverte tout récemment - simplement parce que
Jim Lee avait besoin d'une période de temps supplémentaire pour dessiner les planches de son
Hush 2 en compagnie de
Jeph Loeb.
En somme, les prochains mois sont à voir comme un genre de bonus stage pour les fans du Batman de Chip Zdarsky, en attendant que celui-ci s'envole vers de nouvelles aventures. Et si quelques lecteurs pourront regretter cette expérience (malheureuse) sur la série Batman, l'industrie a l'habitude d'être clémente envers ses meilleurs soldats dans ce genre de cas de figure : en définitive, le bonhomme sort grandi de toute l'expérience, dans la mesure où il quitte le projet de son plein gré, sans avoir été licencié, et après avoir eu le droit de gérer le destin du personnage le plus célèbre du registre des super-héros. Il lâche son poste à deux authentiques titans face auxquels il n'existe aucun effet comparatif légitime. En somme, ni honte ni regret pour Chip Zdarsky, on salue les efforts et on applaudit le courage, en admettant de se mettre d'accord pour dire que, malgré le talent de Jarvins et d'Abernathy, peut-être que le copain aurait simplement été mieux taillé pour Detective Comics... et que Ram V aurait été préférable sur le titre Batman une fois les données étudiées de plus près. Mais qui peut savoir ? L'histoire a déjà été écrite, avec ou sans les vainqueurs.