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A Hollywood, on propose aux figurants ''d'acheter'' leur image pour les reproduire sur commande via l'intelligence artificielle

A Hollywood, on propose aux figurants ''d'acheter'' leur image pour les reproduire sur commande via l'intelligence artificielle

NewsCinéma

Dans le monde des arts, la progression (rapide) des intelligences artificielles inquiète. Le monde du cinéma et des séries télévisées en particulier, dans la mesure où ces loisirs peu ou prou dominants traversent depuis quelques années une crise de stabilité. D'énormes groupes industriels ont décidé de poser leurs valises à Hollywood (Apple, Amazon). Les anciens grands studios et les géants de l'audiovisuel ont décidé de réagir en optant pour une stratégie de concentration des actifs, à savoir, une série de fusions et d'acquisitions (Disney/Fox, Warner/Discovery) dans l'idée de devenir suffisamment imposants pour tenir la concurrence. 

Cette philosophie, couplée à des plans de conquête coûteux pour le lancement et l'entretien de plateformes de streaming et aux pertes sèches de la période COVID, a eu tendance à amorcer un glissement dans le comportement des grands groupes du cinéma et de la télévision américaine. Quand les caisses sont vides, les studios ont tendance à chercher des solutions pour rassurer les boursiers, les banquiers, et garder à flot le cours de l'action. Dans ce contexte, l'utilisation des intelligences artificielles passe pour une résolution presque miraculeuse à tous les problèmes - à partir du moment où, une fois opérationnelle, celle-ci permettrait d'économiser des milliards sur la masse salariale, de minimiser les risques, et de débloquer une réserve inépuisable d'idées "nouvelles" ou de créations originales à rentabiliser. 

Dans l'intervalle, on tente des trucs

Cette semaine, le syndicat des actrices et des acteurs américains (SAG-AFTRA) a opté pour le vote de la grève générale après plusieurs semaines de négociations avec les représentants des grands studios d'Hollywood (AMPTP). Cette décision a été largement commentée depuis. Les producteurs reprochent aux scénaristes et aux comédiens de vouloir aggraver la dette en présentant des demandes irréalistes (selon Bob Iger, le président du groupe Disney, du haut de ses 25 M$ de salaire annuel), et affirment dans le même temps avoir proposé des solutions rationnelles et concrètes pour résoudre les différents points de friction. 
 
A savoir, dans le cas présent, l'évolution du principe des résiduels à l'aune des productions en streaming (c'est à dire : comment calculer l'intéressement d'une vedette à l'audimat d'un produit mis en ligne sur une plateforme de VOD, à partir du moment où les commanditaires refusent de donner les chiffres de diffusion ?), les auto-auditions, les salaires, et le danger de l'intelligence artificielle et des doubles virtuels.
 
Sur ce dernier point en particulier, les studios ont refusé toute forme de négociation. Dans la presse, en revanche, on a pu entendre les représentants de l'AMPTP expliquer que : si, une offre avait bien été faite à la SAG-AFTRA sur ce sujet, mais que celle-ci n'avait visiblement pas été entendue. Le détail complet de l'offre en question n'a pas été précisé, mais plusieurs interprètes ont toutefois donné un exemple relativement éloquent de ce à quoi les professionnels du cinéma et de la télévision américaine devront sans doute s'habituer si l'AMPTP finit par avoir gain de cause.
 
 
Traduction : avec les intelligences artificielles, les grands groupes proposent désormais aux figurants de recevoir un salaire unique (l'équivalent d'une journée de travail), pour être "scannés" et vendre leur image au studio. Celui-ci pourra ensuite stocker ces doubles virtuels, générés par ordinateur, et les reproduire indéfiniment à l'arrière-plan de telle ou telle production. Dans la mesure où les studios auront acheté le droit à l'image des figurants en question, ils n'auront plus d'obligation légale à verser de salaire aux comédiennes et aux comédiens qui auront accepté d'être scannés. En résumé, une société de production X ou Y pourra construire une base de données truffée de clones virtuels fabriqués à partir d'humains bien réels, qui auront signé pour céder leur droit à l'image une bonne fois pour toutes, et qui pourront ensuite apparaître dans n'importe quelle création de cette société sans recevoir de compensations futures.
 
Si cette pratique venait à devenir une norme d'ici les années, le métier de figurant, premier marche pied historique vers les métiers du cinéma pour énormément de passionnés, aspirant à entrer dans la carrière, serait automatiquement supprimé. A partir du moment où les studios auraient atteint une masse critique suffisante de clones virtuels stockés dans leurs bases de données, cette rampe d'accès démocratique (dans la mesure où elle n'exige pas de compétences particulières) qui permet de découvrir de l'intérieur le fonctionnement d'un film ou d'une série, n'aurait plus besoin de salariés humains. Ce n'est plus un secret : la plupart des productions américaines ont déjà recours à la création informatique pour rajouter des éléments à l'écran (et ce même dans le cas de productions plus "naturalistes" que les Marvel ou les Star Wars), qu'il s'agisse de voitures, d'arbres, de nuages, d'éléments de décors, etc. 
 
Jusqu'ici, la duplication d'êtres humains dans ces séquences filmées se cantonnait surtout aux scènes de foule ou aux scènes de bataille, dans des oeuvres qui jouaient sur la densité d'individus à l'image. A l'aune des compétences dégagées par les outils modernes, en revanche, il n'est pas interdit de penser que la majorité des éléments à l'image seront artificiels. A partir du moment où l'IA aura ouvert un nouveau champ d'économies radicales pour des studios qui cherchent à tout prix à tirer les coûts vers le bas. 
 
Dans la foulée de ces témoignages de différents membres de la SAG-AFTRA, quelques figurant(e)s embauché(e)s par Disney sur de précédentes productions (Cruella, notamment, ou certaines séries Marvel plus récemment) expliquent que cette méthode de numérisation a été instaurée depuis déjà plusieurs années. Le groupe aurait commencé à monter sa base de données, visiblement sans alerter au préalable les figurant(e)s en question de l'usage qui allait être fait de leurs doubles virtuels - plusieurs témoignages de personnes qui n'ont pas compris ce qui leur avait été proposé concordent, et tout porte à croire que les studios n'ont même pas attendu l'arrivée des IAs pour commencer à mettre en route ce processus de duplication. En échange de sommes ridicules.
 
 
Difficile de ne pas être extrêmement préoccupé, voire déstabilisé, par ces informations. En parallèle, dans la presse, on entend les membres de l'AMPTP ironiser sur le manque de sens commun des grévistes, qui oseraient réclamer des protections réalistes et des salaires décents, quand ce genre d'opérations se montent en secret au mépris des accords de branche depuis (visiblement) plusieurs années. Lunaire. Ahurissant.
 
Pour rappel, l'argument de la "destruction créatrice", qui veut qu'une nouvelle technologie impose toujours une disparition de certains corps de métier mais finit de toutes façons par en créer de nouveaux, ne s'applique que si les entreprises à l'origine de cette transition ont prévu de suivre ce raisonnement. Or, les groupes représentés par l'AMPTP ont le mérite de jouer franc jeu : non, le but n'est pas de s'amuser à "créer" avec l'IA. Le but n'est pas non plus de repousser les limites du savoir ou d'aller là où l'humain n'a jamais été jusqu'ici. L'objectif annoncé est encore et toujours le même : rembourser la dette, renouer avec les valeurs boursières d'avant-COVID, et minimiser autant que possible les retombées positives de ces gains vers la masse salariale. 
 
Ce n'est pas un hasard s'il s'agit ici de la première grève commune aux syndicats des acteurs et des comédiens depuis plus de soixante ans : la menace de l'intelligence artificielle est réelle, et ce qui se joue à Hollywood ne se résume pas à un litige en vase clos entre deux corps de métier piégés au sein d'un même microcosme. Actuellement, aucune autre catégorie professionnelle ne s'est encore élevée contre cette problématique (ou pas avec cette caisse de résonance exceptionnelle dont profitent les vedettes de cinéma), et cette logique de corporatistes prêts à faire l'expérience de la destruction d'emplois au profit d'une concentration de capital au sommet de la chaîne peut s'appliquer pour tout un tas d'autres champs de compétence que les arts ou la culture. A voir. Bientôt.
 
Corentin
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