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Face à la grève, les studios préfèrent attendre que les scénaristes soient ruinés avant de reprendre les négociations

Face à la grève, les studios préfèrent attendre que les scénaristes soient ruinés avant de reprendre les négociations

NewsCinéma

L'industrie du cinéma aux Etats-Unis a longtemps fonctionné sur un principe d'autogestion, avec des accords signés entre les différents groupes qui composent cette grande mécanique. Les studios, qui commandent et qui financent, les réalisateurs, qui tournent, les interprètes, qui jouent, les scénaristes, qui écrivent, etc. A Hollywood, les corps de métier essentiels à la production d'une oeuvre de fiction sont tous syndiqués. Et par la voie des négociations, des feuilles de route et des accords de branche, l'industrie a généralement réussi à fonctionner en bonne intelligence, à partir du moment où tout le monde était d'accord pour s'asseoir autour d'une table, et pour discuter. 

Cet exemple de dialogue social cohérent est toutefois en passe de s'éteindre, peut-être définitivement. L'AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers), qui représente les diffuseurs et les grands studios des Etats-Unis, a décidé, cette fois de ne pas négocier avec la WGA (Writers Guild of America) pour former la base d'un nouvel accord. En grève depuis plus de 70 jours, les scénaristes protestent contre les conditions proposées par l'AMPTP - et notamment, la possibilité pour les studios de recourir à la génération de scripts par intelligence artificielle. Egalement, le refus d'augmenter les droits d'auteurs, le refus d'imposer un minimum nécessaire sur la masse salariale des équipes de travail, d'imposer un minimum nécessaire sur le temps de travail, etc. 

Selon la rédaction de Deadline, les producteurs ont simplement décidé de jouer la montre- d'attendre que les grévistes tombent à court d'argent, avant de revenir à la table des négociations pour dicter les termes du nouvel accord. Un plan qui était prévu depuis le départ, selon les sources revendiquées par le site spécialisé, et qui avait même été envisagé avant que la grève des scénaristes ne soit votée, en mai dernier.

Fin de Partie

Les informateurs contactés par Deadline témoignent sous couvert d'anonymat, mais la rédaction est formelle : la consigne a été donnée de "briser la WGA", et Warner Bros. Discovery, Disney, Apple, Netflix, Amazon et Paramount se sont mis d'accord pour ne pas négocier avant l'automne, en espérant que les grévistes perdent de l'argent à force de ne pas travailler. Jusqu'au moment où les scribes les plus endettées finissent par ne plus avoir les moyens économiques de poursuivre le combat.
 
"Le but de la manoeuvre est de traîner les pieds, jusqu'à ce que les scénaristes syndiqués commencent à perdre leurs appartements ou leurs maisons", explique un producteur à la rédaction de Deadline. Un autre ajoute que la méthode est "cruelle" mais "nécessaire". Pour l'AMPTP, il s'agit d'envoyer un signal : en refusant de céder aux revendications de la WGA, pour mettre à genoux l'un des corps de métier les plus essentiels de la mécanique de production, les producteurs espèrent que les autres organisations salariales renonceront de leur côté à sortir cette carte d'ici les années à venir. Dans cette optique, la guilde des producteurs n'a pas proposé la moindre négociation aux scénaristes depuis le début de la grève. Les sources de Deadline expliquent que l'objectif a été fixé à la fin du mois d'octobre, en espérant que les grévistes se seront suffisamment appauvris dans l'intervalle.
 
Bien sûr, une fois que la base des scénaristes syndiqués n'auront plus d'autres ressources, les représentants de la WGA n'auront pas d'autre choix que d'accepter la feuille de route proposée par l'AMPTP. Un plan de bataille qui prévoit d'ouvrir la porte à l'intégration progressive des technologies d'intelligence artificielle dans l'écriture de séries, de films ou de documentaires, quitte à représenter un danger pour les auteurs et autrices de cette catégorie de productions. Cet objectif a déjà été évoqué et documenté dans la presse, dans la mesure où les studios américains entendent faire de nouvelles économies sur la masse salariale en passant par l'IA générative, assistée par l'homme dans un premier temps.
 
L'AMPTP n'entend pas non plus accéder aux demandes du syndicat des actrices et des acteurs, ou pas immédiatement. Récemment, les représentants de la SAG-AFTRA se disaient prêts à rejoindre le mouvement de grève des scénaristes - équitablement frustrés de l'accord proposé par les studios jusqu'ici, pour des motifs sensiblement comparables. Mais les studios ont anticipé cette possibilité. D'ici quelques semaines, l'AMPTP devrait ouvrir une nouvelle phase de négociations avec la SAG-AFTRA pour arrondir les angles : céder à quelques revendications isolées et obtenir, en échange, que les vedettes dont les productions sont prévues pour les prochains mois puissent participer aux tournées publicitaires. Dans le cas de Margot Robbie et Ryan Gosling pour le film Barbie, par exemple, ou Cillian Murphy pour Oppenheimer. En somme, sécuriser cette clause qui permettrait aux studios de faire la promotion des productions déjà tournées et prêtes à être rentabilisées.
 
L'objectif affiché est de démoraliser la WGA en montrant que le système peut encore continuer de tourner, et que les scénaristes n'auront peut-être pas les moyens d'assurer une grève de long terme sans le soutien des comédiens. Dans le même ordre d'idées, l'AMPTP avait déjà appliqué cette logique de la division en signant un accord avec le syndicat des réalisateurs (DGA) il y a quelques semaines. Les professionnel(le)s de la mise en scène avaient alors accepté de tourner le dos aux scénaristes, en protégeant leurs intérêts au détriment de la convergence des luttes. A partir de là, les grands studios avaient donc débloqué un boulevard pour isoler la WGA. Ne reste plus qu'à attendre que les grévistes commencent, en somme, à crever de faim.
 
Quelques voix discordantes sonnent dans la mêlée des réactions à cette décision (particulièrement préoccupante) des grands studios américains. En laissant la presse évoquer ce plan de bataille, et en affirmant à l'unisson que l'AMPTP a prévu de laisser traîner les discussions dans la durée, certains envisagent que tout ceci ne serait qu'un coup de bluff - que les studios préféreraient faire peur aux scénaristes en jouant cette carte de la cruauté revendiquée et affichée, pour tenter de dissuader la WGA de poursuivre la grève sur le temps long. Voire de créer la division au sein des scénaristes les plus exposés à des situations de précarité économique. Pour faire peur, et accélérer la reprise des négociations. 
 
Si cette piste de réflexion n'est pas forcément idiote, et si les producteurs auraient effectivement intérêt sur le papier à laisser flotter l'idée d'un front imprenable et préparé à une guerre de positions, le fait est qu'Hollywood n'est plus aujourd'hui gouvernée par de simples studios de cinéma. Les ententes d'hier, et l'idée d'un écosystème articulé autour de corps de métier spécialistes, ne peuvent plus suivre les mêmes logiques à partir du moment où des groupes comme Amazon ou Apple, pour qui la production culturelle ne représente qu'un appel d'offre pour des activités industrielles externes, entrent dans l'équation. Ces deux géants du commerce en ligne et de la tech' ont rarement eu pour habitude de s'embarrasser à gérer des conflits avec les représentants du personnel, dans les usines, les entrepôts ou les commerces. Si leur présence à Hollywood participe d'un ensemble plus vaste, l'idée de studios de cinéma qui s'accordent avec des artistes de cinéma, à différentes échelles, ne peut plus fonctionner à partir du moment où des conglomérats multi-spécialistes entrent dans la partie.
 
De la même façon que Disney ou Warner Bros. Discovery répondent à des logiques actionnariales plus sévères depuis quelques années. Les pertes engendrées par le COVID-19, les dettes accumulées pour les fusions et acquisitions, les énormes frais de la course au streaming, les valeurs boursières fluctuantes, autant de facteurs lourds à supporter pour des présidents de studio prêts à prendre des décisions extrêmement cruelles pour calmer la trouille de leurs conseils d'administration : plans de licenciements massifs, fermetures de studios, annulations de projets, etc. 
 
Lorsque les actionnaires de Disney ont décidé de déloger Bob Chapek de son fauteuil de président, Hollywood a entendu la consigne, formulée distinctement - plus question de gaspiller, plus question de dépenser, plus question d'agiter le marché. L'objectif actuel est de faire des économies par tous les moyens et de recouper les pertes engendrées par l'explosion de la bulle streaming. Dans ce contexte, on voit mal comment les conglomérats pourraient accepter de partager la valeur en redistribuant l'argent vers les scénaristes, ou en leur offrant une assurance sur l'avenir au moment où une nouvelle technologie (qui promet de nouvelles économies conséquentes) vient frapper à la porte 
 
A voir comment les choses se joueront à partir de là.
 
Corentin
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