Comme une impression de déjà vu. Une nouvelle fois, le groupe Warner Bros. a obtenu gain de cause dans une affaire relative à la propriété intellectuelle du personnage de Superman. L'affaire a été tranchée cette semaine à la cour de New York : estimant que le procès intenté par les héritiers de la famille Shuster reposait exclusivement sur le droit britannique, la justice américaine s'est prononcée pour un non lieu. Ce qui signifie donc que le procès en question n'ira pas plus loin. Une conclusion attendue pour une affaire aux contours étranges, et qui repose globalement sur une contradiction entre les textes de loi à échelle internationale. En théorie, le Joe Shuster Estate devrait toutefois tenter sa chance une nouvelle fois (et aurait même déposé une seconde plainte... mais toujours à la cour de New York). De leur côté, les avocats de Warner Bros. se félicitent de cette décision.
Rappel des Faits
Pour celles et ceux qui n'auraient pas suivi : au mois de février, le Joe Shuster Estate, un organisme chargé de représenter les intérêts de la famille Shuster, avait déposé une plainte devant la justice américaine dans l'idée d'exploiter une clause exclusive au droit britannique. En effet, au Royaume-Uni comme dans les anciens pays du Commonweatlth qui reprennent les principes des textes de loi importés lors de la période coloniale (Australie, Canada, Nouvelle Zélande, etc), une loi existe pour protéger les héritiers des artistes, créateurs, musiciens, ou tout autre corps de métier susceptible de faire l'objet d'un dépôt de propriété intellectuelle. Cette loi précise que les brevets (i.e. : le copyright, les droits d'auteur, la propriété de franchise) doivent être restitués aux héritiers des auteurs concernés après une période de carence de vingt-cinq ans.
Pour le dire plus clairement : si vous êtes un auteur de BDs né au Royaume-Unis, par exemple, la loi impose que l'on restitue à vos héritiers les droits de vos créations vingt-ans après votre mort. Ce qui comprend les droits des œuvres créés sous contrat à la commande d'un client. Et donc, mécaniquement, les droits des propriétés intellectuelles développées dans le cadre d'un accord de "work for hire" également. En général, ce statut tristement célèbre, qui s'applique pour l'ensemble des contrats proposés chez Marvel et DC Comics, permet aux entreprises de conserver la propriété intellectuelle exclusive des créations. Sans limite de durée ou cas particuliers. C'est sur cette norme que repose toute l'industrie des comics mainstreams aux Etats-Unis (et ce pourquoi Jerry Siegel et Joe Shuster n'ont jamais été capables de récupérer les droits de Superman malgré plusieurs tentatives devant les tribunaux).
En suivant le cas particulier du droit britannique, les représentants du Joe Shuster Estate espéraient donc contourner le problème : techniquement, si l'on se fie aux textes de loi du Royaume-Uni et de ses anciennes colonies... dans la mesure où les deux auteurs sont morts depuis plus de vingt-cinq ans, les héritiers de Jerry Siegel et Joe Shuster étaient donc censés récupérer la propriété intellectuelle du personnage de Superman en Angleterre, en Ecosse, en Irlande du Nord, en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande, etc. Et donc, si Warner Bros. comptait effectivement exploiter le personnage sur ces territoires, il leur aurait fallu l'accord du Joe Shuster Estate.
Seulement voilà : dans la mesure où la plainte a été déposée aux Etats-Unis, la justice américaine estime qu'elle n'est pas en capacité d'arbitrer sur cette affaire en prenant en considération les textes de loi de pays étrangers. Un bilan assez logique, somme toute. On se demande même pourquoi les avocats de la famille Shuster n'ont pas directement tenté leur chance depuis le Royaume-Uni ou le Canada. C'est vrai : pourquoi espérer des tribunaux américains ce qu'ils n'ont pas été mesure de produire depuis plus d'un demi-siècle ?
En l'état actuel des choses, rien ne va donc changer du côté de Warner Bros. et de Superman. Le studio va pouvoir avancer sereinement vers la sortie du film de James Gunn (dont la sortie n'était pas garantie sur les territoires concernés, compte tenu de l'affaire et de cette exception juridique) en conservant encore et toujours la main sur ce personnage vedette. A voir maintenant si les avocats de la famille Shuster auront de meilleures idées d'ici les prochaines années pour aborder la situation sous un angle différent.