Ce n'est un secret pour personne, le groupe Warner Bros. Discovery est sévèrement endetté. L'enseigne, née de la fusion de deux énormes structures, repose sur la base un emprunt chiffré à 49,5 milliards de dollars. L'objectif de Discovery Inc. était alors d'acquérir et d'intégrer les entreprises WarnerMedia au sein de ses actifs personnels - en droite ligne d'une logique d'entreprise, voire d'une philosophie de groupe, qui a eu tendance à se répandre sur le marché des industries culturelles et créatives modernes. Pour résumer : devenir plus gros, toujours plus gros, jusqu'à avoir atteint un portefeuille de compétences suffisamment généraliste (ou une taille suffisamment imposante) pour résister aux intempéries des temps futurs. A savoir, la menaces de la tech' et des GAFAM, ou d'autres secteurs plus lourds.
Le plan de bataille de David Zaslav a fonctionné : la justice américaine a autorisé le rachat de WarnerMedia, les deux groupes ont fusionné. L'enjeu est donc désormais de rembourser le prêt et d'envoyer des signaux positifs aux actionnaires (une catégorie de population notoirement hostile aux entreprises endettées). La plupart des décisions ordonnées par la nouvelle présidence de Warner Bros. Discovery visent à la complétion cet objectif précis - et si un site de comics n'aurait pas, en théorie, vocation à couvrir cette part de l'actualité, réservée aux spécialistes de la bourse en temps normal, le poids de la dette aura fini par peser sur l'imaginaire culturel des super-héros DC Comics. Dans la mesure où ceux-ci représentent un enjeu économique certain, et que la maison d'édition (et son département adaptation) appartiennent de fait à Warner Bros. Discovery, en tombant sous le coup des décisions de David Zaslav et de ses généraux.
Exemples connus : le retard à l'allumage des productions de cette année (The Flash, Shazam : La Rage des Dieux) parce que le groupe ne pouvait pas se permettre de dépenser trop d'argent sur une seule année pour les frais de campagnes publicitaires en parallèle de la sortie de Black Adam, l'annulation de Batgirl pour profiter d'une exonération fiscale, l'annulation de Wonder Twins, le déplacement de certaines propriétés en gestation vers Prime Video pour répartir les budgets de production avec ce nouveau partenaire de diffusion, etc. Pour résumer, l'actualité de DC Comics et de DC Studios doit désormais être comprise dans un écosystème plus large, qui intègre les variations boursières et le remboursement d'un prêt conséquent.
L'objectif actuel fixé par David Zaslav à ses subalternes a le mérite d'être clair : économiser, et générer de l'argent frais ("free cash flow") à grande vitesse. Le président de WBD a même couché cette consigne sur papier en des termes passablement explicites : six généraux en particulier ont reçu la promesse de primes spéciales (versées en action et pouvant monter jusqu'à 35 millions de dollars) en échange de nouvelles idées pour réduire dans les coûts et amorcer des rentrées d'argent dans l'année. Quelques lieutenants aux étages inférieurs ont reçu des offres comparables. En somme, par-delà le premier plan d'économie de 3,5 milliards de dollars, les pressions exercées par les actionnaires pour réduire la dette et revenir à l'équilibre vont s'accélérer, et les chefs de rang les plus zélés seront récompensés en conséquence.
Fonds de Tiroirs et Ritournelles
L'offre formulée par
David Zaslav à ses équipes remonte au mois de mars, et d'ores et déjà, de premières décisions ont été prises pour tenter de remplir les caisses. Entre la fin d'année dernière et le début de cet été,
Warner Bros. Discovery a par exemple décidé de réinvestir le créneau en chute libre de la technologie des NFT, pour pallier au recul des ventes de DVD et de blu-rays au format physique face à l'économie du streaming. L'offre en question se propose de créer un équivalent dématérialisé de deux premiers films (
Le Seigneur des Anneaux et le
Superman de
Richard Donner)
avec les bonus habituels. Une expérience à grande échelle pour tenter d'ouvrir un nouveau canal économique, en s'inspirant des bonnes vieilles méthodes du marché vidéo d'autrefois - mais, dans le contexte de l'affaissement progressif du marché du NFT, la stratégie passe pour anachronique, voire désespérée.
En parallèle, le département en charge des droits musicaux de Warner Studios est lui-aussi parti à la pêche aux bonnes idées. Celui-ci s'apprête à vendre une partie du catalogue du groupe pour un montant de 500 millions de dollars. La rédaction de Variety consacre une tribune à cette dernière annonce étonnante, dans le suivi d'une longue liste de décisions paniquées.
En l'occurrence, les propriétés qui seraient mises sur la table représenteraient "un peu moins de la moitié" des coffres de Warner Studios dans cette catégorie des droits musicaux. A savoir, des bandes sonores de films (Purple Rain, Evita, Sweeney Todd, Rent, plusieurs adaptations de Batman), des chansons originales (As Time Goes By du film Casablanca), et des thèmes sonores à définir. Variety explique que le contenu proprement dit n'a pas encore été tout à fait clarifié, et que les chansons représenteraient la part la moins importante de cette vente, surtout cantonnée aux OST, avec pour objectif de se débarrasser de certains actifs moins rentables. Certains observateurs estiment que l'offre de Warner Bros. Discovery serait largement surestimée - en expliquant que le gros de cette banque sonore s'appuierait sur des films "vieux de plus d'un demi-siècle", dont la valeur serait "en déclin" et peu pertinente au regard du présent. Jusqu'à récemment, le groupe Universal Music avait pour mission d'entretenir et de sauvegarder ce catalogue dans le cadre d'un contrat avec WBD. On imagine, là-encore, que la vente permettra surtout d'économiser des coûts sur la gestion, les frais de détention et d'entretien de ces propriétés.
Pour rappel, quoi qu'il s'agisse d'une industrie différente aux enjeux économiques disproportionnés, lorsque le groupe
Disney décidait récemment de déprogrammer une trentaine de séries, films et documentaires de la plateforme
Disney+, le conglomérait estimait
pouvoir économiser 1,5 à 1,8 milliards sur la base de cette seule opération. Bien sûr, les arriérés de paiement, les taxes et les coûts de maintien sur serveur ne sont pas les mêmes pour les contenus vidéos et musicaux. Mais cet exemple nous rappelle que les propriétés qui dorment, sans être actionnées à intervalles réguliers, coûtent de l'argent. Donc, par-delà l'objectif de récupérer 500 millions de dollars,
Warner Studios chercherait peut-être simplement à se débarrasser d'un catalogue qui constitue une dépense régulière (en plus de devoir verser une cotisation à
Universal Music dans le cadre de l'accord entre les deux groupes).
Plusieurs labels musicaux ont été approchés, et Sony Music serait en tête pour acquérir le catalogue en question. Reste maintenant à s'entendre sur la somme, et sur les conditions des accords futurs. Puisque si Sony hérite de la propriété légale de ces différentes OST... quel sera l'impact futur pour les films concernés ? Est-ce que, dans le cas d'une réédition 4K de la trilogie Batman de Christopher Nolan, par exemple, Warner Bros. Discovery serait obligé de verser une partie des recettes de la vente de chaque copie à Sony Music pour la bande-son de Hans Zimmer ? Ou bien, est-ce que l'accord s'arrête aux diffusions radio', samples, CD, vinyles et aux plateformes d'écoute en ligne ? Mystère.
Une chose est sûre : d'autres idées seront lancées d'ici les mois à venir pour écoper le coût de la dette. Au premier trimestre de cette année, les représentants de
Warner Bros. Discovery étaient heureux d'annoncer que 2 milliards de "
free cash flow" avaient été générés pour rembourser une partie de l'emprunt suite aux décisions prises par
David Zaslav en fin d'année dernière. Décisions qui concernaient, essentiellement, des licenciements, des déprogrammations, des annulations de projets, exonérations fiscales, etc. Entre temps, la grève des scénaristes a été votée et risque bien de coûter aux membres de la guilde des producteurs (
AMPTP) qui font face à l'arrêt des machines.
The Flash est également sorti de terre, et s'annonce
comme un nouveau désastre financier dans la foulée de
Shazam : Fury of the Gods et de
Black Adam.
David Zaslav essuie de son côté certaines critiques pour sa gestion de
CNN, et pour sa réputation qui s'écorne au fur et à mesure, depuis ses prises de décisions de l'an dernier, jusqu'à récemment.
En résumé, Warner Bros. Discovery est loin d'être sortie de la tempête, et le public doit s'attendre à ce que le groupe accélère les plans d'économie (nouveaux licenciements, nouvelles ventes, nouvelles trouvailles farfelues). A voir si celles-ci finiront par avoir un impact sur DC Entertainment ou DC Studios, en cas de problème grave à résorber.