Si la plupart des fans s'accorderont à dire que l'aventure de DC Comics sur les écrans de cinéma n'a pas nécessairement tenu l'ensemble de ses promesses - et avantage : l'assertion a de quoi mettre d'accord à la fois les amateurs et les réfractaires du cinéma de Zack Snyder, frustrés des plans dont ils ont été privés d'un côté, captifs d'une vision à laquelle ils n'adhéraient pas pendant de longues années de l'autre - force est de le dire, celle-ci a tout même accouché d'un impressionnant feuilleton médiatique. Le canal de production consacré aux adaptations de comics, du côté de Warner Bros., n'a jamais réussi à esquiver le regard attentif des antennes de presse. A chaque film son enquête. A chaque enquête, ses accusés.
Producteurs, metteurs en scène, patrons de studio, comme si l'entreprise "DC Films" s'était donnée pour mission d'exposer au grand jour les absurdités de la machinerie hollywoodienne. Pour Black Adam, les révélations ne sont pas forcément aussi tonitruantes - mais le fait est que le paramètre de la vedette capricieuse n'était pas encore apparu dans l'historique de la maison, et cet exposé chapitré de tous les éléments qui peuvent aider à faire capoter la chaîne de montage. On avait eu droit aux reshoots, aux licenciements ou aux annulations, souvent attribués aux grands patrons, aux cols blancs, aux producteurs - mais le cinéma s'écrit aussi dans l'encre dorée des superstars, avec leurs requêtes, leurs obsessions, et, surtout, leur ego.
Têtu Adam !
Dans la foulée de la sortie de
Black Adam, la rédaction de
Variety avait publié un bilan chiffré de l'échec financier du film de
Jaume Collet-Serra. Un bilan économique négatif, à hauteur de 50 à 100 millions de dollars (195 millions de dollars de budget de production contre 390 millions de recettes au box office, moins les coûts publicitaires, les résiduels, et la part captée par la distribution/exploitation). Dans la foulée de cette tribune, un journaliste de
Deadline avait décidé de répondre en avançant des chiffres plus favorables, laissant entendre que
Black Adam allait générer un bénéfice modéré. La plupart des observateurs avaient alors envisagé la théorie selon laquelle
Dwayne Johnson aurait lui-même décidé de faire fuiter certaines données (
sans demander la permission à Warner Bros.) pour essayer de sauver la face. L'acteur aurait même été jusqu'à truquer les chiffres avant de les transmettre à
Deadline pour donner à
Black Adam l'image d'un petit succès, ou tout du moins, d'un film capable d'engranger un premier bénéfice.
L'article de cette rédaction spécialisée, généralement respectée dans le milieu du cinéma américain, avait passablement surpris l'ensemble de la profession. Le
Hollywood Reporter s'était même empressé de commenter en expliquant que les données étaient incomplètes : en réalité,
Black Adam n'aurait pas coûté 195 millions de dollars, mais 260 millions, en comptant le tournage additionnel. Un budget complet que l'article de
Deadline n'avait pas présenté au moment de dresser le bilan. A partir de là, le film ne serait pas seulement un échec commercial modéré, mais un échec grave. Dans la foulée de cette passe d'armes,
James Gunn, pour compléter la feuille de route des prochaines années de
DC Studios, s'était entretenu avec
Dwayne Johnson pour confirmer l'annulation des prochaines aventures de Black Adam au cinéma.
Et puis, Variety a décidé de creuser les détails de l'affaire. Puisque, dans le fond, la mort de cette franchise potentielle avait tout de même de quoi étonner, même dans le cas d'un échec au box office. D'autres films n'ont pas nécessairement réussi de ce point de vue (à commencer par le petit cousin du géant au torse de foudre, Shazam), mais Warner Bros. avait jusqu'ici appliqué une logique de soutien pour ces petits cas isolés. Alors, que s'est-il passé avec Dwayne Johnson dans les murs cloisonnés du studio ?
Pour résumer, une petite série de données suffisamment nombreuses pour agacer les producteurs. D'abord, une donnée que les autres rédactions n'avaient pas rapporté jusqu'ici. En avril dernier, Dwayne Johnson et Hiram Garcia, les deux têtes pensantes de Seven Bucks Productions, avaient été s'entretenir avec David Zaslav, le nouveau patron du groupe Warner Bros. Discovery. La vedette avait alors tenté un coup de poker pour prendre les commandes de DC Studios (ou "DC Films", à l'époque) en proposant un plan de plusieurs années autour de Black Adam, d'un nouveau film Superman avec Henry Cavill de retour dans le rôle titre, et d'un film Black Adam vs Superman quelques années plus loin. Cette piste avait été rapportée dans la presse. Lorsque Michael De Luca et Pam Abdy avaient été nommés à la co-présidence de Warner Bros. Pictures, la rumeur d'une apparition d'Henry Cavill à la San Diego Comic Con de cet été avait même émergé peu de temps avant la convention - convention au cours de laquelle DC Films n'avait que deux films à présenter, Black Adam et Shazam : La Colère des Dieux.
Selon Variety, Hiram Garcia, l'ex beau-frère de Dwayne Johnson, et Beau Flynn, producteur de Jungle Cruise, Baywatch, Rampage et Red Notice, auraient pu prendre les commandes de l'appareil DC Films/DC Studios avec Dwayne Johnson en nouvelle figure de proue. Les sources de Variety divergent quant à la nature de cet entretien, mais la plupart confirment que celui-ci a bien eu lieu, peu de temps avant le grand ménage opéré par David Zaslav sur HBO Max, et avant que James Gunn et Peter Safran ne soient considérés pour prendre la tête de DC Studios. En somme, au moment où Toby Emmerich et Walter Hamada étaient déjà prêts à prendre la porte, et où la place de capitaine était laissée vacante. Une tentative de passage en force qui aura, un temps, porté ses fruits puisqu'elle permettra de faire valider le retour progressif de Henry Cavill dans le rôle de Superman.
Selon Variety, cette façon de procéder n'a pas été sans brusquer l'ego de plusieurs pontes au sein des studios Warner Bros.. "Dwayne a décidé de contourner tout le monde, ce qui a eu tendance à agacer." affirme l'un des interlocuteurs anonymes cité dans l'article. Pam Abdy et Michael De Luca, mandatés par David Zaslav pour piloter Warner Bros. Pictures dans le nouvel organigramme, ont fini par valider le retour de Cavill, à la fois pour Black Adam et pour le film The Flash.
Dans la foulée de l'échec de Black Adam, et de son départ de la série The Witcher, l'interprète de Superman avait de son côté décidé de se séparer de Danny Garcia, qui avait été sa manager pendant de longues années. Celle-ci se trouve être l'ex femme de Dwayne Johnson, et la soeur de Hiram Garcia, cofondatrice de Seven Bucks Productions et ancienne présidente de la compagnie. Variety ne tisse pas de lien de causalité direct entre la décision de Cavill et l'échec de Black Adam, mais la coïncidence intervient au coeur d'une même séquence temporelle.
En parallèle de cette dégradation progressive de la relation entre Dwayne Johnson et Warner Bros., le studio reprochait aussi à l'acteur son refus de participer activement à la promotion du film Krypto & les Super Animaux (DC League of Super Pets), après avoir pourtant exigé un crédit de producteur sur cette petite production animée. Plus surprenant : la vedette aurait apparemment imposé au studio un bar de New York spécialisé dans la tequila lors de la campagne de promo' de Black Adam. L'objectif ? Mettre en avant sa propre marque de liqueur, "Teremana". Warner Bros. avait, là-encore, vu d'un assez mauvais oeil ce coup publicitaire dans la mesure où Black Adam avait été présenté comme un film PG-13 accessible aux mineurs et aux familles. "Ses exigences ont continué à s'accumuler, mais le retour sur investissement n'était pas au rendez-vous" déplore une autre source citée dans l'article.
A partir de là, le cas de Johnson aurait sans doute pu être traité comme un mal nécessaire si le film s'était effectivement métamorphosé en un succès commercial net et définitif. Malheureusement pour Warner Bros., le résultat n'a pas été au rendez-vous. Dans un état de tension grave depuis son rachat par le groupe Discovery, le studio n'avait déjà pas les moyens d'assurer la promotion de plusieurs sorties importantes cette année (au point de repousser l'exploitation de certains titres à l'année suivante), et l'aggravation du déficit par Black Adam sera passé en interne comme un problème sérieux. En particulier face à la gestion de cet échec par Dwayne Johnson sur la scène publique. Si l'acteur a effectivement fait fuiter les chiffres (ou truqué les chiffres), son attitude n'aura fait que confirmer ce statut de star ingérable, prompt au passage en force, qui refuse de respecter la hiérarchie naturelle des décisions et qui décide de faire cavalier seul sans consulter ses collègues. Si David Zaslav comptait effectivement appliquer la "méthode Kevin Feige" à l'appareil DC Studios, ou balayer l'héritage des rixes autour de Zack Snyder et Walter Hamada, les guerres d'ego ou de pouvoir devaient nécessairement être enterrées. Pour de bon.
L'article de
Variety conclut toutefois ce récapitulatif sur une note plutôt enthousiaste, en rappelant que
Bilal Fallah et
Adil El Arbi n'ont pas renoncé, malgré
l'annulation sauvage et cruelle de Batgirl, à collaborer avec
Warner Bros. sur de futurs projets. De fait, le studio aura du mal à se couper de
Seven Bucks Productions ou de
Dwayne Johnson si le comédien décide de revenir frapper à la porte du groupe avec une création originale, peut-être un peu moins chère, ou peut-être un peu moins connectée à l'impératif de collectif implicite du cinéma des super-héros. A voir. Pour l'heure, deux choses sont sûres : de ses seuls bras,
Black Adam aura réussi à tuer pour de bon toute possibilité de voir un jour
Henry Cavill réapparaître dans les productions
DC Studios à l'avenir (sauf cas exceptionnel, adaptation de
Crisis ou "
No Way Home" des films
Superman), et à valider une grande table rase pour
James Gunn et
Peter Safran qui pourront désormais opérer sans s'encombrer des franchises passées.
Seul caillou dans cette godasse pour les promenades futures : le cas du film The Flash, qui générera mécaniquement sa propre enquête, en cas d'échec comme de réussite d'ici l'année qui vient. Les présidents changent, les acteurs se font virer. Seuls les écrits restent.