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Où l'on comprend enfin le système de paiement injuste des adaptation de comics contre les auteurs

Où l'on comprend enfin le système de paiement injuste des adaptation de comics contre les auteurs

NewsCinéma

Il y a un an tout pile - à trois jours près - la rédaction du Hollywood Reporter se penchait sur le système de répartition des gains générés par chaque adaptation de comics, avec dans le viseur le cas précis de Marvel Studios. Complétée par quelques informations supplémentaires, celle-ci avait été traduite et développée sur le site Comicsblog.fr Ã  l'époque (vous retrouverez le lien en bas de page). Pour offrir un résumé rapide des données collectées jusqu'ici, il avait été possible, au terme d'années de développement, de témoignages et de prises de parole variées, de former une sorte de norme officielle.

Quelques points essentiels : basées sur un principe de salariat sous contrat, les éditions Marvel Comics (via la holding Marvel Entertainment) ne seraient pas tenues de rémunérer les artistes à l'origine de tel ou tel personnage au regard de la loi américaine sur la propriété des copyrights. Cette donnée reste toutefois à contextualiser, attendu que plusieurs créateurs ont tenté leur chance devant les tribunaux par le passé, avec des résultats différents et des jugements moins définitifs au sujet de cette réalité salariale. Marvel proposerait donc aux créateurs/créatrices un intéressement chiffré, sous la forme d'un contrat baptisé "Special Character Agreement". Celui-ci répond à deux objectifs : fournir la promesse d'une rémunération (sur une base fixe de 5.000 dollars pour chaque apparition d'un personnage dans un film de Marvel Studios selon la plupart des témoignages collectés), et garantir que le créateur a bien renoncé à ses droits et ne tentera pas de poser de problèmes à la compagnie.

L'an dernier, la rédaction du Hollywood Reporter expliquait que les termes du contrat en question étaient volontairement flous, comprenant notamment une clause stipulant que Marvel Ã©tait en capacité de calculer seuls la valeur de l'apparition d'un personnage à l'écran. La somme versée aux créateurs module en fonction de cette grille de critères, dont le détail n'est pas communiqué aux artistes. Pire, le "Special Character Agreement" intègre également une clause de confidentialité ("Non Disclosure Agreement"). Les auteurs de comics qui acceptent de signer ces contrats sont donc interdits au regard de la loi de divulguer le contenu précis de ces accords entre les deux parties. Ce qui explique pourquoi les montants exacts de cette répartition des gains, ou des versements adressés aux créatrices/créateurs, ont pu rester secrets pendant si longtemps. 

Galvanisée par les prises de parole récentes, la scénariste Devin Grayson, à l'origine du personnage de Yelena Belova (Black Widow) interprétée au cinéma et à la télévision par l'actrice Florence Pugh, s'est exprimée à son tour dans les colonnes du Hollywood Reporter pour élaborer sur ces fameux contrats à l'allure de gigantesques souricières juridiques. J.G. Jones, co-créateur de Yelena, a également contribué à cette enquête, qui livre un aperçu assez terrifiant de la mécanique de répartition orchestrée par Marvel Studios et Marvel Entertainment Ã  l'endroit des architectes de la bande-dessinée, à l'origine des personnages, des designs, des histoires et de tout un imaginaire chiffré à plusieurs milliards de dollars dans les industries créatives modernes.

Achat en Copropriété

Le dessinateur parle d'un contrat pensé pour servir "d'appât". Un leurre, ou une fraude substantielle visant à motiver les artistes de comics à renoncer à leurs droits en passant par la signature de ces contrats contre la promesse d'une rémunération intéressante. Ainsi, J.G. Jones et Devin Grayson, auraient accepté de renoncer à la propriété de Yelena Belova contre 25.000 dollars. La somme aurait été mentionnée telle quelle dans le contrat. Pourtant, quelques mois après la sortie du film Black Widow, la scénariste et le dessinateur auraient été surpris de ne trouver dans leurs boîtes aux lettres que le même chèque de 5.000 dollars, la fameuse somme planchée versée respectivement à l'une et à l'autre malgré la promesse d'un montant cinq fois plus élevé. Marvel ne leur fournit aucune explication au sujet de ce versement moins élevé que prévu.
 
"Pour avoir parlé avec d'autres collègues de l'industrie", explique J.G. Jones, "les offres que propose Marvel sont un genre de leurre mensonger. Ils vous annoncent une grosse somme d'argent, et puis, petit à petit, ils épluchent le tout jusqu'à arriver à ce qu'ils vont vraiment vous payer."

Pour détail, Devin Grayson, après avoir pris contact avec différents avocats spécialisés (c'est en tout cas sous cette forme que la scénariste présente les choses à la rédaction du Hollywood Reporter - sans doute pour ne pas être accusée d'avoir violé la clause de confidentialité des contrats "SCA"), on arrive à former une sorte de feuille de route standard dans le discours officiel de Marvel avant le fameux calcul qui n'intervient que dans un second temps :
  • Pour le cinéma, Marvel avait donc offert à Grayson et Jones la somme de 25.000 dollars pour chaque apparition de Yelena Belova Ã  l'écran.
  • Pour les séries télévisées, l'un et l'autre auraient empoché 2.000 dollars pour chaque épisode de plus de trente minutes, et 1.000 dollars pour chaque épisode de moins de trente minutes, si le personnage était effectivement présent à l'écran.
  • Pour les figurines et les produits dérivés, les auteurs percevraient un montant variable en fonction de la quantité de goodies sur une seule année : 5.000 dollars pour une action figure, 10.000 pour deux action figures, 25.000 pour trois action figures, et plus en fonction de la quantité de produits fabriqués.
  • Pour les jeux vidéos - une industrie qui génère un chiffre d'affaire supérieur à celui du cinéma ou des séries télévisées à hauteur d'une année - les chiffres ne sont pas du tout les mêmes. En résumé, Marvel explique que la compagnie consentirait à verser une enveloppe totale de 30.000 dollars pour chaque adaptation de franchise, mais cette somme est ensuite répartie équitablement entre l'ensemble des créateurs/créatrices de chaque personnage utilisé en jeu. Ce qui signifie donc que la moindre adaptation utilisant plus d'un seul personnage morcelle ces 30.000 dollars entre de très nombreux artistes. Pour les jeux d'équipe, on imagine donc que les chèques versés seront particulièrement légers- et même pour des aventures centrées sur un seul personnage, les vilains à battre à l'écran ont aussi leurs propres inventeurs à rémunérer. Considérez la quantité de personnages présents dans les jeux Spider-Man d'Insomniac Games, par exemple. Si Spider-Man est le héros de l'histoire, l'ensemble des adversaires sont à considérer, de même que les personnages secondaires, etc.
  • Au sujet du jeu vidéo, Marvel refuse également de rémunérer les artistes sur l'utilisation de leurs personnages dans les jeux destinés aux plateformes mobiles, un secteur en croissance perpétuelle depuis une quinzaine d'années.
Sur le papier, les montants proposés pourraient donc passer pour relativement faibles à l'échelle des millions de dollars engrangés sur la moindre adaptation des personnages du catalogue Marvel au cinéma ou en série télévisée. Pour rappel, lorsque Scarlett Johansson avait intenté un procès à Marvel Studios suite à la sortie du film Black Widow sur la plateforme Disney+, l'actrice avait obtenu de l'empire Disney un règlement à l'amiable chiffré à 40 millions de dollars (en plus des 20 millions de dollars que le studio avait déjà cédé à l'actrice/productrice pour sa participation initiale au projet). Une victoire en l'occurrence légitime pour la comédienne, qui s'estimait flouée par les décisions du studio, mais qui permet de poser un regard comparatif assez éloquent sur la répartition des sommes à cette échelle de productions. Les vedettes d'Hollywood gagnent énormément, tandis que celles et ceux qui inventent les personnages et développent les trames qui seront, plus tard, adaptées au cinéma, récoltent les miettes.
 
Et pourtant, les sommes d'argent offertes sur les contrats "SCA" restent paradoxalement très supérieures à la réalité de ce que perçoivent les artistes une fois passé le service comptabilité de Marvel Entertainment. L'enquête du Hollywood Reporter explique que la zone grise de ces accords juridiques, qui octroie à la compagnie une totale liberté de calcul pour estimer les détails et les circonstances précises de l'utilisation des personnages concernés, rogne énormément sur les montants prévus au départ.
 
Là-encore, Devin Grayson livre une feuille de route complète. D'abord, la somme de 25.000 dollars offerte au départ ne constitue pas un montant individuel versé à chaque créateur/créatrice, mais une enveloppe globale, qui sera répartie entre scénariste et dessinateur. Ce qui signifie que Grayson et Jones pouvaient au mieux espérer toucher 12.500 dollars par tête de pipe, une donnée que le contrat oublierait volontairement de mentionner. Ensuite, si une adaptation comporte plus qu'un seul personnage concerné par les contrats "SCA", Marvel applique la logique des jeux vidéos en répartissant une enveloppe fixée à un montant maximum entre l'ensemble des créateurs concernés par les héros et héroïnes présents.es à l'écran. Dans le cas de Black Widow, on pense à Natasha Romanoff, au Red Guardian, au Taskmaster, etc. 
 
Le Hollywood Reporter nuance cette donnée, qui paraîtrait d'ailleurs incompréhensible sans la précision d'une source interne à Marvel : les enveloppes prévues pour chaque adaptation ne sont pas limitées à un plafond de 25.000 dollars, pas plus sur Black Widow que sur les autres projets de la saga du MCU. La compagnie n'aurait même pas défini de limite précise aux sommes d'argent prévues pour indemniser les auteurs à chaque film ou série télévisée. On peut donc en conclure que dès lors qu'une adaptation atteint un certain nombre de personnages à l'écran, plutôt que de diviser une enveloppe prévue à l'avance, Marvel préfère se baser sur le fameux salaire plancher de 5.000 dollars. Ce qui peut paraître logique au demeurant : les films Avengers comptent par exemple énormément de héros et d'héroïnes, et la compagnie n'aurait pas intérêt à se montrer généreuse compte tenu de la grande quantité d'artistes à indemniser à chaque fois.
 
Mais, il ne s'agit que d'une hypothèse, puisque Devin Grayson elle-même ne parvient pas à comprendre pourquoi la somme qui lui a été proposé au départ a été divisée par cinq après la sortie de Black Widow. Quant à la promesse des 2.000 dollars mentionnée dans le contrat pour les séries télévisées (et qui serait donc plutôt 1.000 dollars, puisque l'on comprend que celle-ci est en fait toujours divisé entre scénariste et dessinateur), la créatrice n'a finalement touché que 300 dollars (!) pour les apparitions de Yelena dans la série Hawkeye. Il est probable que J.G. Jones a reçu un chèque du même montant.
 
Un autre critère compris dans la méthode de calcul de Marvel repose sur le temps de présence du personnage à l'écran. Si un personnage apparaît moins dans moins de 15% des scènes sur une adaptation complète, il est alors considéré comme un caméo, et la rémunération de l'artiste va donc continuer à fondre en conséquence. Dans cette famille des "caméos", le Hollywood Reporter observe avec adresse que le Winter Soldier, pourtant essentiel au scénario du film Captain America : Civil War, est à ranger dans cette catégorie. Le personnage d'Ed Brubaker, l'un des premiers scénaristes à s'être élevé contre le système mis en place par Marvel contre ses propres salariés, n'apparaît que sur 22 minutes du film, soit un peu moins de 15%.
 
L'enquête s'achève par la mention du cas de certains artistes qui refusent simplement de signer les contrats "SCA", et qui gagnent du même coup un levier de négociation supplémentaire dans leur relation avec Marvel Entertainment, par avocats interposés. Un rappel crucial serait aussi à apporter quant à ces détails (stupéfiants) sur les méthodes de calcul d'une entreprise dont les productions rapportaient encore plusieurs milliards de dollars par an, jusqu'à récemment : toutes les compagnies n'appliquent pas ce principe de rémunération au lance-pierre, à commencer par la concurrence directe de Marvel Studios. L'ensemble des artistes contactés au cours de différents articles rédigés sur le sujet s'accordent sur ce point : Warner Bros., DC Films et DC Entertainment se montrent généralement bien plus généreux avec la masse salariale des auteurs de comics que Marvel Entertainment, Marvel Studios et Disney. Une réalité qui s'étend à des cas de figure pour le moins étonnants.
 
Jim Starlin avait ainsi expliqué que l'utilisation du personnage de KGBeast dans Batman V Superman : Dawn of Justice - un film dans lequel celui-ci n'est même pas identifié sous son patronyme de super-méchant - lui avait rapporté plus d'argent que l'ensemble des Gardiens de la Galaxie dans la première adaptation mise en scène par James Gunn. D'autres artistes abondent en ce sens, pour fragiliser l'idée d'une sorte de norme ou d'accord tacite entre les créateurs/créatrices du milieu de la bande-dessinée, petite industrie à l'échelle d'Hollywood, et les studios fortunés. Si la plupart des professionnels restent silencieux - tenus au secret par contrat, lassés de cette situation ou incapables de se brouiller avec un acteur incontournable des deux secteurs - la grogne semble se propager peu à peu depuis les premières déclarations d'Ed Brubaker au sujet du Soldat de l'Hiver, et l'avalanche de données supplémentaires récoltées sur une petite année dressent un constat accablant en perpétuelle aggravation.
Corentin
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