Lorsqu'Ed Brubaker annonçait la conclusion de son run sur les différents personnages des séries Captain America, beaucoup imaginaient que l'auteur avait simplement besoin de faire une pause pour se consacrer à des projets plus personnels. Quelques temps plus loin, le scénariste signait un contrat d'exclusivité de cinq ans avec Image Comics, dans la foulée des débuts de Fatale. Il abordera plus ouvertement les raisons qui l'avaient poussé à quitter la Maison des Idées au terme des années suivantes : pour Brubaker, il n'était simplement plus question de se faire exploiter par les contrats salariés du work for hire.
My Heroes Have Always Been I.P.s
Interrogé dans le podcast Fatman Beyond de Kevin Smith, à l'occasion de la série The Falcon & the Winter Soldier de Marvel Studios, pour partie inspirée par le travail de Brubaker sur Captain America, le scénariste ne cache pas son amertume vis-à-vis de son ancien employeur. Lorsque cette nouvelle aventure de Sam et Bucky s'était lancée sur la plateforme Disney+, l'homme avait déjà exprimé sa difficulté à voir sa propre création devenir un personnage important de Marvel Studios sans obtenir de rémunération à la hauteur de sa contribution. Il s'exprimait sur le sujet dans une newsletter il y a quelques semaines.
"Bien sûr, aujourd'hui, la série The Falcon & the Winter Soldier démarre sur Disney+, et je suis triste de dire que mes sentiments sont assez partagés. Je suis très content pour Sebastian Stan, qui est à la fois quelqu'un de bien et un très bon interprète pour Bucky et le Soldat de l'Hiver, et je suis vraiment très heureux de le voir enfin prendre un peu plus d'importance. Anthony Mackie est également génial dans le rôle du Faucon, et tous les gens que j'ai rencontrés chez Marvel Studios (y compris Kevin Feige lui-même) ont été agréables avec moi...
... Mais, dans l'intervalle je suis obligé de me dire qu'en définitive, tout ce que Steve Epting et moi avons obtenu pour la création du Winter Soldier se résume à quelques remerciements ici ou là, et avec les années cette réalité est devenue difficile à endurer."
Dans le cadre des contrats salariaux proposés par DC Comics et Marvel, les artistes qui inventent de nouveaux personnages ne sont effectivement pas reconnus comme les détenteurs juridiques de leurs créations : tout ce qui est fabriqué de nouveau dans le cadre d'une série en work for hire appartient à l'éditeur, qui n'a aucune obligation de verser un pourcentage aux équipes créatives à l'origine de ces nouvelles idées. Un cas d'école de la mécanique des comics aux Etats-Unis qui en aura agacé plus d'un. Mark Millar avait aussi choisi de claquer la porte, en comprenant que ses Ultimates, largement pillés par Marvel Studios au moment de la Phase 1 et du film Avengers, ne lui vaudraient qu'un crédit au générique sans contrepartie financière.
Dans le podcast de Kevin Smith, Brubaker ira plus loin en expliquant que son caméo dans le film Captain America : The Winter Soldier de Joe et Anthony Russo lui aura en définitive rapporté plus d'argent que la création du Soldat de l'Hiver.
"Je me souviens être assis sur le plateau de tournage du film et sentir une sorte d'ulcère dans mon estomac qui me parlait avec la voix de Jack Kirby. 'Voilà comment je me suis senti, petit'. Quand je vois des publicités pour la série, je vous assure que ça me donne la nausée.
Il n'y a rien qui empêche Marvel de regarder combien de fois le personnage de Winter Soldier aura été utilisé et de nous passer un coup de fil à Steve ou à moi pour nous dire 'hey vous savez quoi, on va peut-être essayer de corriger le truc standard pour vous récompenser un peu mieux.' En définitive, j'ai gagné plus d'argent pour mon caméo dans The Winter Soldier de la part de la guilde des acteurs pour les droits de rediffusion, tout ça parce que j'avais une réplique dans le film qui a été coupée au montage, que pour avoir inventé ce personnage."
Dans l'absolu, le problème majeur qui bloque les avancées sur la question reste le cas de la jurisprudence : si Marvel devait faire une exception pour Ed Brubaker et Steve Epting, les dizaines d'autres artistes floués par l'entreprise (qui ne se sera pas empêchée de faire des milliards sur les créations de ses employés) serait obligée de faire un cas collectif pour les autres. Il est donc peu probable que la situation évolue dans l'immédiat.
