Belle victoire juridique, même si l'on serait en droit de se demander pourquoi (et surtout comment) ça n'a pas été fait plus tôt. Pour résumer, un cabinet d'avocat a obtenu un jugement favorable devant les tribunaux américains pour mettre fin à un monopole vieux de plus de quarante ans, sur un terme, ou plutôt une série précise de termes. Effectivement, en 1980, Marvel et DC Comics se seraient apparemment entendus pour déposer officiellement un brevet sur les termes "superhero", "super-hero" et "super hero". En accord avec le droit de la propriété intellectuelle aux Etats-Unis, les Big Two étaient donc les seuls à pouvoir utiliser ces trois nomenclatures dans un cadre légal ou à des fins commerciales.
Ce qui signifie, donc, que si une entreprise privée, ou une association quelconque, venait à se reposer sur le terme "superhero" pour vendre un bien ou un service précis, Marvel et DC Comics étaient alors capables d'opposer un véto (ou d'attaquer en justice pour utilisation frauduleuse d'un terme déposé). Et ce depuis quarante-quatre ans.
... Ah bon ?
C'est curieux non ? Si tout ceci vous intéresse, le cabinet Reichman Jorgensen Lehman & Feldberg (RJLF) a publié un résumé synthétique de cette curieuse exception juridique dont on n'avait, franchement, jamais entendu parler jusqu'ici. Depuis tout ce temps, et la popularité fulgurante des super-héros dans les éléments de langage du marketing moderne, on aurait pourtant pu avoir l'impression que le mot en lui-même rentrait dans le cadre du langage commun. Et que les entreprises de tout bords étaient autorisées à utiliser cette accroche marketing. On pourrait s'arrêter un instant et imaginer le nombre de fois où Marvel et DC Comics ont reçu de l'argent lorsque le concept même des "superheroes" a été évoqué en fiction, dans des publicités ou même chez la concurrence sur le marché de l'édition américaine... et envisager la somme que ce simple dépôt de copyright a pu rapporter aux deux compagnies. De quoi rester songeurs.
Notez bien : on sait tout de même depuis un assez long que
Marvel et
DC sont des groupes particulièrement procéduriers. D'un côté, la Maison des Idées n'a jamais hésité à attaquer en justice ses propres artistes dès lors qu'il s'agissait de protéger ses intérêts, et de l'autre, l'armée d'avocats ninjas qui arpentent l'étage du service juridique chez la Distinguée Concurrence est notoirement connue comme une solide équipe d'abrutis. Les juristes de
DC Comics n'ont jamais eu peur du ridicule : en attaquant le club de foot de
Valencia au prétexte d'un logo en forme de chauve-souris qui ressemblait un peu trop à celui de
Batman à leur goût (en sachant que le logo en question avait été créé... vingt ans avant la première apparition de
Batman en comics) ou en attaquant la chanteuse
Rihanna lorsque celle-ci avait tenté de déposer le terme "
Robyn" (à savoir... son propre prénom, et avec un orthographe différent du
Robin de
Gotham City). Autrement dit, le groupe emploie des avocats à plein de temps, qui ont beaucoup trop de temps libres et un problème chronique d'agressivité compulsive. Vous pouvez chercher sur
Google les détails des affaires évoqués plus haut, mais pour résumer, il est simplement difficile de s'étonner de ces batailles en rangées dès lors que le juridique s'emboîte dans l'économique.
Pour cette fois, DC et Marvel ont donc décidé d'empêcher une société britannique (Superbabies Limited) d'utiliser le terme "superhero" pour décrire certains de leurs produits. A noter que l'entreprise en question produit de la bande-dessinée et du merchandising, et son siège social est installé au Royaume-Uni. Le cabinet RJLF a été mandaté par Superbabies Ltd pour prendre l'affaire en main. Le litige a été arbitré aux Etats-Unis et s'est soldé par une défaite des Big Two en première instance, puis en cour d'appel. Actuellement, DC et Marvel ont donc perdu l'usufruit exclusif des termes "superhero", "super hero" et "super-hero". Cette décision de justice a été validée par le Bureau des Brevets des Etats-Unis. Vous pouvez retrouver les relevés des documents officiels en lien source, dans la mesure où la rédaction de BleedingCool a pris le temps de publier les versions scannées.
Le cabinet d'avocat n'a pas eu énormément d'efforts à fournir pour casser le copyright des Big Two : selon le droit américain, deux entités ne peuvent simplement pas déposer un brevet... à deux. Le principe de la propriété dépend en effet du caractère individuel de possession, ce qui signifie donc que Marvel et DC Comics n'ont en réalité jamais eu l'usufruit des termes concernés. Vous voyez, c'est rigolo un peu.
Alors, qu'est-ce que ça va changer ? Pas grand chose, dans la mesure où la plupart des gens n'avaient de toutes façons pas conscience de ce statut d'exception. Mais, rétroactivement, cela signifie peut-être que toutes les sommes que les Big Two pourraient avoir perçu sur l'emploi des mots "super hero" au prétexte de leur brevet pourrait être réclamées par de potentiels plaignants dérobés par le passé. C'est à voir. Pour le moment, on retiendra deux informations essentielles : oui, les grands éditeurs pensent pouvoir tout se permettre, et oui, parois il est préférable de pas dégainer trop vite la carte de l'avocat.