Depuis de longues années déjà, le cas de Francesco Mattina agace les professionnels de l'industrie. Artiste régulier chez DC Comics, celui-ci est considéré en interne comme un fournisseur régulier de couvertures variantes, pour les nouvelles séries, les crossovers et les grands événements. Spécialiste du numérique, Mattina a aussi été accusé de plagiat à de nombreuses reprises : ses travaux s'appuient généralement sur la méthode du "swipe", à savoir, le décalque bête et méchant de dessins réalisés par d'autres artistes du milieu. Une façon de faire qui n'est pas du goût de tout le monde, mais qui ne l'a pourtant pas empêché de continuer à exercer chez DC Comics malgré des exemples de plus en plus flagrants.
La méthode de travail de Francesco Mattina est même considérée comme le secret le moins bien gardé de l'industrie moderne. Alors, forcément, le sujet commence à se répandre. Et force est de constater que l'intéressé joue avec le feu puisque, selon toute vraisemblance, une nouvelle méthode serait en train de se greffer à son arsenal de compétences : l'utilisation de l'intelligence artificielle.
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Comme souvent dans ces cas de figure qui vont visiblement devenir monnaie courante dans l'actualité des arts séquentiels, toute l'affaire démarre sur les réseaux sociaux. Sur la plateforme Twitter, un utilisateur (@NebsGoodTakes) a publié un long fil documenté pour revenir sur les différents cas de plagiats qui constellent le parcours de Mattina. Quelques exemples évoqués dans la presse notamment, auxquels viennent s'ajouter d'autres accusations émanant de professionnels du dessin ou des goodies. L'objectif est certainement de donner un peu de contexte, pour toutes celles et ceux qui auraient pu passer à côté de ces différents exemples déjà largement problématiques.
Quelques extraits isolés :
"Le premier (?) vol a été remarqué en mai 2017, lorsque BleedingCool a publié un article pour indiquer que Mattina avait décalqué l'illustration originale de Ian McDonald pour une statuette Sideshow Collectibles (à gauche) pour sa couverture de Jean Grey #1 dans le cadre de l'événement Venomized."
"Dans un post de Walter O'Neil III (ndlr : ancien directeur artistique de Sideshow Collectibles), il pointe du doigt comment Francesco Mattina a aussi décalqué une illustration originale de Judge Dredd par Greg Staples (un autre artiste à la commande pour Sideshow Collectibles).
Encore une fois, ces accusations ne sont pas nouvelles et ne constituent pas une actualité inédite dans le cas de cet illustrateur. Mais, un peu plus loin, l'auteur du fil pointe du doigt des créations plus récentes. Et notamment, trois couvertures variantes de Francesco Mattina réalisées pour les numéros Superman #18, Batman : The Brave & the Bold #17 et Action Comics #1069.
Ces différentes illustrations sont aujourd'hui sous le feu des projecteurs, accusées d'avoir été réalisées à l'aide de la technologie de l'intelligence artificielle générative. Pour rappel, les salariés des métiers du dessin, actuellement mis en danger par l'apparition de cette nouvelle méthode de travail, sont généralement opposés à l'utilisation des IAs sur le marché des comics. Les arguments mis dans la balance reposent globalement sur l'aspect éthique de ces "créations" dont les bases de données reposent
sur la pratique du data mining : pomper les créations des autres sans leur consentement et au mépris des droits d'auteurs.
DC Comics a officiellement pris position sur cette problématique, en annulant trois couvertures accusées d'avoir été générées par la voie de l'intelligence artificielle en avril dernier.
Plusieurs dessinateurs ont pris la parole dans la foulée de cette découverte pour exprimer leur mécontentement : Valerio Schiti, Mahmud Asrar et Adi Granov, trois vedettes du milieu, s'alarment sur les réseaux sociaux de voir l'éditeur valider une fois encore les méthodes de Francesco Mattina. L'affaire s'est alors vite enflammée : d'une part, le fil inquisiteur est rapidement devenu viral, et d'autre part, les réactions fusent de toutes parts face à la redondance du problème dans la sphère des fans et des professionnels.
La rédaction de BleedingCool a compilé quelques réactions complémentaires (à retrouver dans le lien source). Et notamment, celle de l'encreur Scott Williams, partenaire de longue date de Jim Lee. Celui-ci a opté pour la sobriété, dans un message que l'on pourrait traduire par : "Que cet escroc aille se faire foutre", ou pour tenter de rester plus proche de l'esprit anglo-saxon "Nique ce tricheur". A vous de nous dire.
A noter tout de même : si la viralité et les proportions que peuvent prendre ce genre de scandales localisés depuis les réseaux sociaux pousse l'industrie à s'interroger, une fois encore, sur le cas Francesco Mattina, cette accusation n'est (toujours) pas une nouveauté. En réalité, à l'occasion de l'événement Knight Terrors, celui-ci avait déjà livré trois couvertures variantes du même genre. Mais, peut-être parce que le public n'était pas encore conscient de la rapidité et de la réalité de cette explosion des intelligence artificielles sur le marché des comics, peu de gens avaient, à l'époque, pointé du doigt ces quelques créations isolées.
Seulement, voilà. En l'espace de quelques mois, et
depuis "l'affaire" Andrea Sorrentino en particulier, le public s'est emparé de ce sujet et ne compte plus laisser passer ce genre de comportements. Tandis que
Jim Lee milite pour une signalétique, ou une information claire pour signaler la présence de l'IA pour la création de couvertures ou de dessins, les grandes maisons d'édition restent passives face aux rixes interposées. La colère gronde, et les artistes ont de moins en moins de mal à exprimer leur opinion calmement. Avec, cette fois, des dessinateurs vraiment importants qui n'hésitent pas à monter au créneau : comment
DC Comics pourra encore justifier de sortir de telles couvertures au moment où
Asrar,
Schiti ou
Williams poussent un tel coup de gueule ?
En ce qui concerne Francesco Mattina, Adi Granov décide de s'exprimer franco'. Et difficile de lui en vouloir, compte tenu du nombre de fois où la maison d'édition a couvert une telle quantité de plagiats supposés, et une sanction à géométrie variable pour les couvertures générées par intelligence artificielle, si l'accusation devait se vérifier.
"Lorsque l'intelligence artificielle générative est arrivée, la première personne qui m'est venue à l'esprit était Francesco Mattina, le célèbre plagieur en série. Je me suis dit qu'il a dû vivre ça comme un matin de Noël. Si vous ne le savez pas, celui-ci a monté toute sa carrière en décalquant les dessins des autres (les miens y compris) pour alimenter ce que certains appellent son "travail". Je ne m'exprime pas sur les artistes que je n'aime pas en général, mais lui, je ne le considère pas comme un artiste. Et je ne peux pas cacher mon aversion pour ces plagiats flagrants et continus. Voici sa nouvelle couverture. Non seulement c'est un voleur, mais il n'est même pas assez bon pour dissimuler une erreur aussi évidente quand il reprend l'un des symboles les plus emblématiques de toute la culture pop."
A voir maintenant si DC Comics compte réagir face aux proportions de cette affaire.