Les éditions Rackham (Sin City) ne publieront pas de nouveautés en 2022

Bien qu'en tant que structure indépendante, les éditions Rackham ne sont pas souvent abordées sous nos latitudes - et à tort, puisqu'on y retrouve quelques fleurons de la bande dessinée américaine, tels que Frank Miller (Sin City, 300), Daniel Clowes (Pussey!, Caricature), Alex Robinson (Derniers Rappels), Tony Millionaire (Sock Monkey), Peter Stagge (Apocalypse Nerd) ou Joe Sacco (The Fixer). Mais cette production de graphic novels très marqués indépendants, parmi quantité d'autres productions venant de France ou du reste du monde, devra prendre une pause en 2022, selon un long communiqué laissé sur le site officiel de l'éditeur il y a maintenant presque une semaine.

Repenser l'édition face à l'industrialisation

Baptisé "un bol d'air frais" et partagé avec un "notre programme 2022" volontairement ironique sur les réseaux sociaux, le communiqué des éditions Rackham est très clair (et foutrement passionnant à lire : on vous invite à le retrouver ici en intégralité). Allant à contre courant des chiffres largement vantés sur le milieu de la bande dessinée en 2021 (auquel nous mêmes nous apportions un contre point en restant focalisé sur le seul secteur comics), les éditions annoncent se mettre en pause et prendre une année 2022 sabbatique, et ne proposer ainsi aucune nouveauté au cours des douze prochains mois (ou onze, janvier étant passé).

En cause, les effets néfastes de la sur-production dans tout le secteur de la bande dessinée, que l'on peut résumer en ces points suivants : 

• Le trop grand volume de sorties empêche les libraires de pouvoir tout commander (faute de temps pour pouvoir tout lire), ce qui se fait donc au détriment des "petits" noms par rapport aux séries et auteurs les plus connus/médiatisés. 

• Ce même volume fait que les sorties s'enchaînent à un rythme effréné, et que les livres fraîchement sortis n'ont en réalité que quelques semaines pour vivre sur les étals des boutiques, avant que les libraires ne les renvoient aux éditeurs (ce qu'on appelle "le retour"). En conséquence : ce sont les titres les plus vendus sur ce court laps de temps qui vont rester (et souvent, ce sont les mêmes qui ont été les plus commandés car plus connus). 

• L'accélération de ces mécaniques combinées fait que les éditions Rackham ne peuvent pas sortir leurs albums dans des conditions qui leur permettent d'avoir une exposition correcte (avec des taux de retour importants, sachant que très souvent, ces retours ne peuvent pas être stockés et sont donc envoyés au pilon) ; l'éditeur évoque un sentiment de gâchis par rapport au temps investi à présenter ces ouvrages au lectorat français. Un sentiment qu'on se permettrait par ailleurs d'extrapoler à bon nombre d'éditeurs de comics indépendants.

• Face à l'émergence de nombreux nouveaux modèles de publication (qu'il s'agisse de structures nouvellement fondées comme les éditions Exemplaire, de l'auto-édition ou du recours au financement participatif), Rackham prend donc cette pause d'un an, pour pouvoir profiter du "bol d'air frais" qui donne son titre à leur communiqué, et réfléchir à leur envie et leur façon de faire de l'édition.

Un discours également appuyé sur le fait que selon eux, il serait vain de ne compter que sur la motivation d'une partie des libraires (qui ont eux mêmes des impératifs économiques pour faire tourner boutique : et donc rechignent à commander des nouveautés moins "valeurs sûres" ou à les garder en rayon), ou sur un lectorat curieux et/ou engagé. Une année de pause, donc, pour Rackham, qui insiste sur le fait de bien revenir en 2023, avec des titres, et peut-être une nouvelle façon de faire circuler leurs productions. 

Le geste interpellera très certainement d'autres structures d'édition (que ce soit sur les comics ou la bande dessinée dans son ensemble), à mesure que les discussions sur l'apparente bonne santé du secteur iront de bon train - et feront certainement l'objet de débats au prochain FIBD. Pour en connaître plus sur le secteur VF du comics en particulier, on vous renverra aux différents podcasts déjà réalisés sur cette question, en compagnie de Xavier Guilbert ou Sullivan Rouaud.