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Entretien avec GfK autour de la classification des albums en ''comics'' sur le marché de la BD

Entretien avec GfK autour de la classification des albums en ''comics'' sur le marché de la BD

chronique

Depuis plusieurs années que nous allons régulièrement interroger les dynamiques du marché des comics en France, nous parlons régulièrement avec les professionnels du milieu de la "classification des comics" en France. Avec souvent deux choses qui reviennent souvent : certains albums de comics sensu stricto (venus des Etats-Unis) sont rangés dans d'autres catégories sur le marché VF (comme Garfield en jeunesse, par exemple), tandis que parfois des albums de création originale française sont rangés en comics - avec l'exemple de certains titres du Label 619, pour ne citer qu'eux. 

Deux interrogations qui renvoient souvent à la façon dont le marché VF de la BD est analysé, puisque les chiffres - et les catégories - proviennent d'une même source, le paneliste GfK. Nous sommes donc partis interroger directement les personnes concernées.

Rencontre avec Magali et Laurent de GfK 

Note : l'interview a été enregistrée au printemps 2024, et c'est pour ça que le rapport du FIBD est souvent évoqué. Pour l'article d'analyse de ce rapport qui a servi de base à cette discussion, se reporter à l'article suivant

Magali Saint-Laurent et Laurent Pringuet de GfK ont accepté de discuter en long et en large de leur travail au sein du paneliste, avant que nous ne parlions en profondeur de la façon dont les albums de BD sont classés sur le marché français, en accord ou parfois non avec les demandes des éditeurs, et ce que tout ça peut impliquer sur la façon dont peut être lue l'analyse du marché de la bande dessinée en France - ou celui des comics en ce qui nous concerne. 

Nous remercions chaleureusement Magali et Laurent de leur temps pour cette discussion, à notre sens très importante, et qui permettra sûrement d'éclaircir pas mal de choses auprès des lectrices et lecteurs qui s'intéressent au marché VF. Cette discussion est également à retrouver à l'audio en format podcast via First Print.

Bonjour Magali, bonjour Laurent, et merci d'avoir accepté cette interview. On parle beaucoup de vous, on parle beaucoup de votre travail. De mon point de vue, c'est une ressource qui est essentielle. Alors, je n'ai pas accès à tous les chiffres qui arrivent chaque semaine, mais c'est vrai que notamment lors du FIBD, vous me laissez à chaque fois utiliser la fameuse présentation qui permet de donner les lister les grandes dynamiques du marché à un moment donné. Donc, je voulais juste vous remercier, déjà, d'avoir accepté de discuter avec nous pour expliquer notamment à nos lecteurs et lectrices comment tout cela fonctionne. Et ma première question, d'abord : est-ce que vous pouvez vous présenter un peu ? Magali, je commence par vous, juste pour nous dire qu'est-ce que vous faites chez GFK. 

Magali : Très bien, merci Arnaud. C'est un plaisir de vous recevoir. Moi, je suis... Depuis six ans chez GFK et je suis en charge du marketing et de la communication pour l'entité France.

Laurent :  Et moi, je suis également depuis plus de six ans chez GFK et je suis consultant sur le panel livre, donc sur le marché du livre, de la BD, mais également d'autres marchés.

Alors, la première question, la plus simple, la plus évidente, c'est comment est-ce qu'on définit GFK concrètement ? Qu'est-ce que c'est, quel est son rôle ? 

Alors, comme vous l'avez dit Arnaud, effectivement, dans le jargon, GFK est un "paneliste". Et en fait, ce que ça veut dire dans le langage commun, c'est que nous sommes une entité qui récupère toutes les données issues des tickets de caisse des distributeurs, qu'ils soient en magasin ou en ligne. Et notre métier, c'est d'analyser ces données. Qu'est-ce qui est acheté ? Où ? Quand ? A quel prix ? Avec quelle spécification technique ? 

Ca représente un énorme travail de codification puisque, chez GFK, la moitié des équipes sont vouées justement à approfondir, corriger, réagencer ces données pour ensuite les analyser, les traduire, tout simplement, et ensuite la proposer sous forme d'analyse à la fois aux distributeurs qui en ont besoin - pour vérifier leur performance - mais également aux fabricants, aux acteurs du marché de l'édition, qui vont pouvoir ainsi savoir quelles sont les meilleures ventes de la semaine, quelle est la dynamique de tel ou tel type de livre... Savoir également en fonction des types de format, est-ce que c'est plutôt le fond ancien, est-ce que c'est la nouveauté qui va donner de la dynamique au marché. Et donc, c'est une activité extrêmement riche et passionnante, je dois le dire, de suivre la dynamique de ces marchés à travers les données factuelles. 

C'est vraiment le point le plus important. Quand on parle de sortie caisse, ça traduit vraiment des ventes réelles qui ont eu lieu. Donc, on va rester vraiment sur le marché du livre à chaque fois, mais on n'est pas sur ce qu'on appelle la mise en place, c'est-à-dire le nombre d'exemplaires qui sont mis à disposition dans les librairies pour les lecteurs, ou encore même du tirage qui est le nombre d'exemplaires imprimés. 

Exactement. Et là, je pense que c'est important de préciser que c'est par par rapport aux ventes réelles, justement, que l'on va faire des estimations de vente. Donc, sur certains circuits, sur certaines enseignes, sur certaines librairies, sur certains magasins, on va avoir l'intégralité de leurs ventes au sein de ce circuit. 

On a plus de 8500 points de vente partenaires en France. Et quand je dis point de vente, en fait, on parle bien de différentes enseignes. Ca comprend donc de grands, grands acteurs du marché, mais aussi des librairies indépendantes. On a 1100 libraires indépendants qui nous envoient, en fichiers Excel ou via un flux informatique, leurs données de vente. 

C'est ça. Et dans un certain nombre de cas, notamment sur les librairies, il est plus compliqué d'avoir l'intégralité des données de vente. Par contre... on a des moyens statistiques de mettre en place ce qu'on appelle une extrapolation, qui nous permet d'estimer, à partir d'un échantillon représentatif de magasins, l'intégralité de ce que l'on appelle l'univers des librairies, donc l'ensemble des magasins qui vendent du livre. 

Ce qui fait qu'effectivement, GFK va représenter l'intégralité de ce qui est acheté en France métropolitaine. Pour tout ce qui est vente directe. Sont exclus, par exemple, les fois où l'éditeur vend lui-même ses exemplaires auprès des établissements scolaires en direct, ou encore, un éditeur qui effectuerait ses ventes sur les salons. Et évidemment, le livre d'occasion, qui ne fait pas partie des circuits, puisque nous suivons exclusivement les ventes de livres neufs. 

Et non numériques.

Et sont exclus également les formats numériques, oui. 

Et alors, quand vous dites vente directe, ça s'inclut aussi, je crois, la vente qui peut se faire, par exemple, si je vais sur le site d'un éditeur qui a sa propre boutique en ligne, est-ce que si je commande des albums directement chez eux ? 

Si c'est inclus dans le flux, si la librairie fait partie du panel. 

Si nous avons un accord avec cet éditeur... 

La vente directe, c'est surtout sur le scolaire, les livres scolaires, les manuels scolaires, tout ce qui passe par les collectivités, ce genre de choses. Et tout ce qui ne passe pas par des magasins, si vous voulez. On est vraiment les ventes directement aux consommateurs. 

J'aimerais un peu revenir aussi même sur cette notion d'extrapolation : comme vous l'avez dit, avec 1100 librairies indépendantes dans votre panel, ça veut dire qu'effectivement, vous prenez ces 1100 librairies en France et vous faites une sorte de moyenne, c'est ça ? Vous estimez que, par exemple, l'ensemble des livres vendus dans ces 1100 librairies peut ensuite être extrapolé par je ne sais quel calcul, à ce qui se vend sur le reste du circuit ? On va dire que si un livre a des très bons chiffres de vente, ça n'empêche pas que, peut-être, dans une librairie à Montpellier, le livre ne soit pas vendu du tout, c'est ça ? 

Alors, il y a plusieurs choses qui entrent en compte de manière précise, parce qu'effectivement, on va essayer de faire en sorte qu'une certaine catégorie de librairies représente sa propre réalité. Par exemple, les librairies BD vont représenter les librairies BD, pas les Gibert, pas d'autres librairies qui représentent des réalités totalement différentes. 

Il y a aussi des particularités géographiques. 

Il y a des particularités géographiques qui sont importantes, qui sont prises en compte. Des particularités dans la notion du chiffre d'affaires, c'est-à-dire des grosses librairies vont représenter d'autres grosses librairies. Parce qu'effectivement, on peut avoir sinon des librairies qui en représenteraient d'autres, mais qui ont vendu plus de titres. Et il va y avoir des grandes différences à la semaine, puisqu'on est vraiment sur des données recensées de manière hebdomadaire. On peut avoir de grandes différences entre les librairies. C'est important d'être très précis par rapport à ça. 

C'est vrai qu'en fait, c'est un millefeuille d'extrapolations, puisque, oui, on parle des 1100 libraires indépendants, mais c'est 8500 points de vente et enseignes, sites internet, pure players. 

Qu'est-ce que vous appelez pure player ? 

Ce sont des acteurs qui vendent exclusivement sur internet et qui n'ont pas de magasin physique. Dans le jargon, on va appeler Click & Mortar un acteur qui a à la fois un magasin et un e-shop. Donc l'objectif de nos experts en data science chez GFK, mais comme chez tous les autres panélistes, c'est de venir représenter la granularité de ce marché. Donc on va avoir une approche pour les grands spécialistes qui est différente de ces petits spécialistes. 

Et Laurent prenait l'exemple des librairies BD : on a également des librairies spécialisées poésie et pièces de théâtre que l'on prendra en compte dans notre extrapolation différemment d'une très grande librairie dans une ville de 50 000 habitants, au sein d'une zone de chalandise très importante et qui, du coup, compte aussi pour une représentativité différente sur son territoire et dans les genres qu'elle va diffuser. Donc, quand je parlais de millefeuille c'est ça : il y a à la fois une question de taille du point de vente, du genre qui va mettre en place, et enfin, de la proposition à la vente. Et puis, il y a également sa position sur le territoire. qui va refléter aussi certains usages. Il y a des auteurs qui sont plus régionaux ou qui ont des ancrages plus forts. Et ça aussi, ça doit se refléter dans les données et dans l'extrapolation que nous restituons. 

Donc ce n'est pas simplement qu'on additionne tous les chiffres des 1000 points de vente et qu'on fait une moyenne alors. C'est plutôt, si je vous comprends bien, des catégories de points de vente, comme celle des librairies du Grand Est avec des sous-catégories pour les villages de moins de 500 habitants, les librairies du Grand Est dans des villes de 5000 habitants, etc. Et à chacune va être attribué un facteur pour extrapoler ensuite sur la moyenne nationale. 

C'est la magie de notre métier. C'est d'être à la fois expert de la data avec une très grosse couche de science et de technique, et à la fois d'être sur des univers de passionnés. La littérature et la BD et le comics, par essence, constituent une matière extrêmement vivante à étudier, dynamique, créative. Et d'avoir l'alliance des deux, entre cet aspect extrêmement technique, peut-être un peu froid, mais qui exige cette méthodologie, et en même temps d'avoir toute la vivacité et la créativité de ce milieu, c'est ce qui fait le sel de notre métier. 

Finalement, on a un peu un double métier chez GfK. D'un côté, la partie qu'a évoquée Magali sur la compilation des données, peut-être un peu froide, mais très précise, très carrée, où on se doit de donner des estimations (qui restent des estimations, mais les plus précises possibles pour les différents acteurs du marché, pour les différents segments du marché). Et d'un autre côté, en tant que consultants, on va essayer pour les différents acteurs, pour nos clients, ou dans le cadre d'interventions comme à Angoulême, d'interpréter ces données et d'essayer d'être le plus... précis, le plus neutre possible aussi, de manière à donner l'interprétation la plus juste et la plus nuancée possible. 

Alors, est-ce que vous pourriez m'expliquer un petit peu aussi les différents types de points de vente qui existent et que vous prenez en compte. Est-ce que vous pourriez juste me dire grosso modo quelles sont les différentes catégories ? 

Alors, on a... quatre grandes catégories de circuits de distribution ce qu'on appelle la GSA. C'est à dire les hypermarchés et les supermarchés. On a aussi ce qu'on appelle des GSS culturelles. Donc là on va être vraiment dans les enseignes multimédia avec des rayons dédiés à la culture. Et on va avoir les librairies qui sont divisés en deux grandes catégories, qu'on appelle les librairies de niveau 1, les "grandes" librairies...

Qui doivent présenter une superficie et un chiffre d'affaires minimum pour être comptabilisées dans cette catégorie. 

Effectivement. Oui, c'est vraiment lié au chiffre d'affaires. Quand je parle de grands librairies, il y a vraiment des caractéristiques techniques précises derrière. Mais pour simplifier, effectivement, on est vraiment dans les grandes librairies. En termes de chiffre d'affaires et de superficie. Et enfin, on va avoir un circuit qui regroupe les plus... petites librairies spécialisée. Dont notamment les librairies BD. Et internet donc, un groupe mis à part pour des raisons de confidentialité des données, mais voilà, on a quatre grands circuits analysés.

On associe souvent l'idée que les librairies de niveau 1 seraient les généralistes et les librairies de niveau 2 seraient plus spécialisées. Mais si je comprends bien vu, que ce c'est surtout une question de chiffre d'affaires, si une librairie spécialisée affichait une certaine performance à l'année, elle pourrait être considérée comme une librairie de niveau 1.

Ça pourrait être le cas, oui. Mais généralement, c'est vrai que les spécialisés vont être vraiment dans ce fameux quatrième circuit qui regroupe aussi d'autres circuits de vente. 

Et c'est quelque chose d'assez particulier d'avoir quand même internet rangé à côté des librairies de niveau 2. C'est quelque chose de neuf ou pas ? Est-ce que vous, vous trouvez ça… cohérent ou est-ce que ça empêche quand même d'avoir accès à certaines formes de lisibilité ? Parce que l'on sait que les ventes en ligne représentent un volume très éloigné des réalités des librairies spécialisées. 

En fait, ça dépend de la maturité des marchés sur le numérique. Très concrètement, quand on a cette analyse GSA, GSS, donc Grande Surface Spécialisée, cela comprend les ventes. magasins et e-shop de ces enseignes. Et donc, il n'y a quelque part que les PurePlayer qui sont isolés dans un circuit à part, en parallèle avec avec le reste du marché de l'édition, et les librairies de niveau 2. D'autres circuits sont traités de la même manière chez GFK, parce que que internet reste, dans la plupart des cas, un canal minoritaire. En tout cas, le circuit internet des PurePlayer C'est un canal minoritaire. 

Quand on englobe ensuite toutes les ventes réalisées online, quelle que soit la typologie du vendeur, là, effectivement, le numérique prend une certaine part. Mais encore une fois, ça dépend vraiment des marchés. De notre côté, c'est aussi un équilibre que nous devons tenir vis-à-vis de nos partenaires distributeurs pour avoir aussi une lisibilité sur le long terme de leurs performances sur tel ou tel circuit. Pour l'instant, c'est comme ça que l'on procède. Néanmoins, quand les éditeurs ou les distributeurs veulent en savoir plus, on a d'autres manières d'appréhender le canal numérique, que ce soit via un acteur traditionnel ou un PurePlayer. Dans ce cas-là, on fait parler les données consommateurs, qui sont de l'ordre du déclaratif. On vient interroger les consommateurs tous les mois sur leurs achats de biens culturels. Et dans le cadre de cette interrogation, on leur demande par quel canal ils se fournissent, si c'est en magasin ou sur internet, auprès de quelle enseigne, grand public ou spécialiste, etc. Et en fait, de par cette approche déclarative du consommateur, on va pouvoir venir affiner la vision et la dynamique du circuit online. 

D'accord, mais donc si je comprends bien, en fait, le site d'une GSS est intégré dans le circuit GSS. 

Exactement. 

Et pas sur la partie internet. Donc ça, je pense que c'est intéressant à préciser. Donc voilà, tous les achats passés via le site de la Fnac ou de Leclerc, en fait, seront dans cette partie dédiée à la Fnac et à Leclerc. 

Tout à fait. 

Concrètement, comment ça se passe une semaine chez GFK ? On sait qu'il y a les sorties de caisse qui arrivent chaque semaine. Ca consiste à sortir toutes les semaines tous les chiffres de vente, d'intégrer toutes les nouveautés et ensuite de traduire avec cette estimation ce qui s'est vendu chaque semaine ?

En fait, on va recevoir en début de semaine un certain nombre de flux qui sont automatisés de la part de tous les clients, tous nos partenaires qui nous envoient les données, toutes les enseignes, et ces chiffres vont être compilées, reçus, vérifiés, transformés dans des fichiers que l'on va ensuite intégrer dans notre base personnelle pour constituer le seuil des ventes de la semaine. Ensuite, ce seuil va se rajouter à un historique qui, du coup, remonte à 2003. Le premier panel de livres de GFK date de 2003. 

C'est un rythme effréné puisqu'en fait, on va recevoir le lundi dans la journée les flux des ventes du lundi au dimanche précédent. Et les premières analyses sont restituées le mardi à 18h. En France, il s'est vendu plus de 350 millions de livres l'année dernière. Vous imaginez la volumétrie que cela représente, la quantité de données traitées chaque semaine ? 

Et la particularité du marché du livre, c'est qu'il y a effectivement beaucoup de nouveautés, plusieurs milliers par semaine. 

Je ne m'intéresse qu'aux comics ou à la BD de façon générale, où il y a déjà un volume de nouveautés monstrueux. Si on prend le livre en général, bon... 

Vous n'imaginez pas le nombre de titres qui ne représentent que quelques dizaines de ventes par semaine. Et finalement, cela ajoute énormément de choses. Peut-être qu'ils vont décoller plus tard, mais c'est vrai qu'on a beaucoup de titres qui se vendent très peu. Il faut aussi les intégrer, il faut aussi les vérifier, vérifier s'ils sont bien codifiés de la même manière que les autres. Et donc, c'est vrai que c'est un travail qui peut prendre du temps. 

Vérifier, par exemple s'il n'y a pas d'erreur de prix ? 

C'est ça, il y a des vérifications qui sont faites par rapport aux prix.  Est-ce qu'ils sont bien codifiés dans tel ou tel segment, je pense qu'on va y revenir. Et vraiment d'un point de vue technique, beaucoup de vérifications à faire. 

Et en fait, en termes d'organisation, on a nos deux équipes à la fois techniques et analystes qui travaillent en parallèle, puisqu'on reçoit les flux consolidés du lundi au dimanche le lundi. Le premier volet d'analyse est restitué aux éditeurs et aux distributeurs le mardi à 18h. C'est le fameux First Weekly. Il y a un deuxième jeu d'analyse qui sera livré le jeudi, le Weekly Consolidé. Et d'autres acteurs vont nous envoyer les données en mensuel. Pour avoir une vision complète du marché qui est couvert chez GFK, les données mensuelles sont généralement disponibles à partir du 10/12 du mois suivant. Donc, oui, c'est un travail en continu, à la fois sur la partie technique et sur la partie analyse par nos équipes. 

Vous êtes combien, juste pour gérer ? Ou peut-être juste sur la partie bande dessinée ? Vous êtes tout seul pour faire ? 

Dans la partie qui concerne, mettons, la réception des données, on est une équipe de trois ou quatre personnes, suivant les moments. Et dans la partie consultation (je parle uniquement du livre), on est trois consultants, plus notre manager. C'est un commercial, j'oubliais de le préciser, ce qui est important car il travaille avec nous pour démarcher les clients et pour la partie contractuelle essentielle. 

Oui, parce qu'en fait, pour avoir accès aux chiffres, il faut que le partenaire commercial soit en accord avec vous. 

En fait, il y a deux actions commerciales qui sont importantes. D'abord, l'action commerciale vis-à-vis des partenaires distributeurs qui nous fournissent les données, et d'autre part, pour les clients qui vont acheter les données analysées. Puisque sans client, on n'a pas de moyens de soutenir la production du panel. Donc, c'est important pour nous. 

C'était aussi deux questions subsidiaires. D'un point de vue de fonctionnement, donc, les éditeurs souscrivent à un service payant pour suivre le marché, parce que vous collectez les données des points de vente ? Donc en fait, il faut souscrire. Et après, l'autre question, c'est : qui a accès à ces données-là également ? 

Les distributeurs, les éditeurs, les institutions et les médias. Et ça, en fait, ça marche à différents niveaux, puisque les distributeurs et les éditeurs, de par leur implication financière et technique, ont accès à tout ou partie de nos données. Vous pouvez souscrire à un rapport trimestriel qui correspond à vos besoins, par exemple. D'autres éditeurs vont demander à avoir les données le mardi, le jeudi, et tous les mois avec une vision consolidée et argumentée de la part de nos analystes. Il y a certains aussi auteurs qui nous sollicitent également pour pouvoir suivre leurs propres ventes. 

On peut solliciter du point de vue d'une référence EAN ? 

D'un EAN ou de ce qui est produit par une personne, quel que soit l'éditeur, ça aussi c'est important. Nous avons également des institutions qui achètent les données, comme les ministères, les syndicats du livre, etc. Et puis, vis-à-vis des médias, c'est une relation qui est assez différente. Puisque, chez GFK, on considère que ça fait aussi partie de la bonne santé d'un marché de pouvoir proposer la vision la plus transparente possible d'une dynamique à un moment T. Et même d'un univers, en l'occurrence, comme celui de la bande-dessinée et des comics. Et pour le coup, avec les médias, on est sur une relation de partenariat. 

De votre côté, il me semble que c'est surtout avec Livre Hebdo que ce partenariat a été opéré ?  

Oui, sur la BD, et pour tous les segments, c'est surtout Livres Hebdo

Livres Hebdo n'est pas le seul, puisqu'on travaille également avec DBD, avec Le Point, avec vous-même, ou encore avec Le Monde, qui nous sollicite régulièrement pour obtenir des données. Généralement, on trouve une manière ou une autre de répondre à une enquête, en fonction des besoins de l'enquête. 

Alors, l'autre question, maintenant, pour s'orienter vers ce marché spécialisé : on a fait un point un peu plus général, mais parlons maintenant de la bande-dessinée. Comment ça fonctionne et sur quel principe de segmentation ? C'est vraiment la question centrale, avec les différences de traitement, BD, comics, manga, etc.

De notre côté, on voit que le comics est curieusement catégorisé - certains titres qui sont pourtant produits aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ne sont pas classés comme des "comics" proprement dits. Notamment pour les titres jeunesse, comme Garfield, Calvin et Hobbes, etc. Il y a parfois des romans graphiques qui sortent chez des éditeurs de BD franco-belge, que ce soit Gallimard, Monsieur Toussaint Louverture, comme Moi ce que j'aime, c'est les Monstres par exemple. Coment ça marche, la segmentation ? Qui décide ? Est-ce que c'est l'éditeur qui vous demande ? Est-ce que c'est vous qui analysez le titre et lui attribuez une catégorie ?

Un peu tout ça à la fois. Ce qui est important à comprendre, c'est que pour nous, finalement, c'est plus la réception des données qui compte. On ne va pas traiter chaque titre un par un, par exemple - comme on l'a vu tout à l'heure, chaque semaine transporte ses milliers de nouveautés. Et même pour la BD, on va avoir beaucoup, beaucoup de nouveaux titres à intervalles hebdomadaires. Par contre, il existe ce principe de partenariats. Nous, on récupère auprès de partenaires, de sociétés avec qui on travaille, des glossaires de classement. De la même manière que l'on récupère les données, on va aussi récupérer ces glossaires qui vont nous indiquer, pour tel ou tel EAN, un certain nombre d'informations. 

L'EAN, c'est le code-barre. Et ce code-barre nous indiquer le titre, l'éditeur et la collection. Donc un certain nombre de formats possibles, un certain nombre d'informations utiles, que l'on va intégrer chaque semaine dans notre base de travail. Et le glossaire principal sur lequel on s'appuie, c'est le glossaire d'Electre, qui est associé à Livres Hebdo, dont on a discuté tout à l'heure d'ailleurs. Et ce sont eux, finalement, les experts qui vont nous dire si tel ouvrage est à répertorier comme une BD (de genre, d'humour, une BD historique, etc) ou si c'est du comics, du manga, et les sous-catégories associées, comme les shonen, etc. 

C'est cette donnée que l'on récupère pour l'intégrer dans notre base et la compiler. Ensuite, on a quand même un travail de vérification qui est important, parce qu'on peut avoir des incohérences entre les sources. On peut avoir des séries qui ne sont pas forcément très bien uniformisées. C'est vrai qu'on ne s'en rend pas forcément compte quand on va consulter la fiche d'un ouvrage sur tel ou tel site, mais on va vraiment avoir des différences en fonction des sources de travail. Or, pour nous, il est vraiment important qu'on garde cette cohérence par rapport aux ouvrages en eux-mêmes, et par rapport à l'historique que l'on va avoir dans notre base. Si on a un certain nombre d'ouvrages d'un auteur qui ont été catégorisés comme du comics, par exemple, il est important que (sauf si l'artiste en question a changé de style, bien sûr) que son travail reste rangé dans le même registre. 

Et puis tout à l'heure, Laurent le disait, certaines remarques nous viennent des acteurs du marché. Avoir un glossaire, c'est fondamental pour avoir cette lisibilité et cette forme d'objectivité. Pour comprendre pourquoi GFK classe un ouvrage dans telle et telle catégorie. Mais bien sûr, il y a aussi un dialogue qui existe avec les différents acteurs du marché pour faire évoluer cette nomenclature. Et effectivement, on reçoit régulièrement des sollicitations, de la part des distributeurs et des éditeurs, pour...

...affiner le classement. 

Mais on ne répond pas forcément oui à la moindre requête. L'objectif, en fait, c'est de se nourrir de ces remarques, de ces suggestions. Et je sais qu'il y a certains segments que l'on a fait évoluer récemment, en jeunesse par exemple. Je pense aussi à la romance : pour certains libraires, pour certains éditeurs, ou même pour certains lecteurs, ce genre là correspond à une nouvelle case. Donc, oui, on a ajouté ce critère, mais sans casser l'historique du glossaire Electre. Parce que, encore une fois, il est nécessaire d'avoir un élément central, pérenne et lisible dans le temps. C'est une exigence du métier de panéliste : garder ce rôle de garant pour une vision à long terme. C'est particulièrement importante quand vient le moment de consolider des lectures du marché sur 10 ans, 15 ans, 20 ans. 

Et je parle au passé, mais c'est aussi valable (c'est mêle surtout valable) pour les analyses futures. Donc on va enrichir, ajouter des couches, faire évoluer certaines ou resegmenter une case qui était unique et indivisible jusqu'ici pour la séparer en deux sous-catégories. Mais ce qui est important aussi à expliquer, c'est que cette décision n'est pas anodine. Quand on fait évoluer la nomenclature, en tout cas chez GFK, on s'astreint à retravailler l'historique. On parlait de milliers de nouveautés par semaine. Vous imaginez le travail que c'est ? En plus de devoir restituer les analyses chaque semaine de ce qui est vendu actuellement, on s'oblige à retraiter les catégorisations antérieures, pour que tout ce qui sort aujourd'hui reste comparable aux sorties passées. Donc les évolutions de nomenclature existent. On en discute entre nous avec les éditeurs, mais c'est quelque chose de fastidieux et qu'il ne faut pas prendre à la légère. 

Donc finalement, au moment de catégorie une sortie "comics" ou "manga", ça repose surtout sur le répertoire que l'éditeur que l'éditeur indique sur Electre, qui vous sert ensuite de bible pour votre travail. Votre rôle n'est pas de dire "comics, pas comics", "BD, pas BD", "manga, pas manga". 

Alors, effectivement, on va vraiment avoir certains titres pour lesquels on n'a pas d'informations. Ou en tout cas, pour lesquels l'information ne nous est pas parvenue. Donc là, pour le coup, on est vraiment obligés d'aller regarder. On va essayer de creuser l'identité de tel ou tel titre à ce moment. Et dans certains cas, on peut être d'accord, parce que notre segmentation est faite d'une certaine manière, avec le glossaire ou avec l'éditeur. Si l'éditeur nous dit directement "on aimerait que ce titre soit classifié dans tel ou tel segment", on se retrouve dans une position où on va avoir un avis à donner. On doit très souvent trancher sur certains titres. 

Parfois, effectivement, on se positionne tous les quatre pour se dire : dans quelle catégorie toi tu le classerais, en relation avec tel ou tel type d'ouvrage ? C'est vrai que c'est parfois assez fastidieux, mais c'est quand même très intéressant et très passionnant aussi. C'est l'intérêt de notre métier. C'est pour ça qu'on fait ça aussi. 

Est-ce que vous avez une idée de l'impact que peut avoir cette segmentation, le classement d'une BD dans une case précise, par rapport à son positionnement dans les librairies ? 

Alors par rapport à la manière dont il va être dans la librairie, ce n'est pas ce qu'on décide nous qui va inciter un libraire, ou la Fnac, ou une autre enseigne, à le classer différemment. Ils ont leur propre manière de voir les choses. C'est plus lié au contenu de l'ouvrage et à la manière un peu éditoriale de gérer les rayonnages. Nous, l'information que l'on récupère, est surtout plus proche de ce que pensent les éditeurs, peut-être, mais n'indique pas la manière dont les titres sont mis en rayon. Mais on essaye justement de manier les deux réalités, d'être un petit peu entre les deux. Dans certains cas, on peut se dire : l'information que nous a donné l'éditeur ne correspond pas à notre segmentation, ne correspond pas pas ce qu'on voit en rayon. On peut ne pas être d'accord avec ça et trancher au profit de ce la réalité des rangements en rayon. 

Après, sans vouloir donner dans la provoc', il ne faut pas attribuer plus de pouvoir à GFK que ce ce que l'on a en réalité. Notre métier, c'est d'analyser les tendances de marché. et en aucun cas de faire la pluie et le beau temps. On est là pour, encore une fois, étudier toute la dynamique et la créativité d'un univers. Et dans le monde de l'édition, on est servi. En revanche, ce n'est pas le rôle de GFK de dicte à un libraire, à un éditeur, à un auteur comment ils doivent faire leur travail. Qu'ils viennent... s'inspirer des tendances du marché pour orienter une création ou une collection, pour être en résonance avec ce que les Françaises et les Français achètent et aiment lire en ce moment, oui, ça c'est un fait. Et c'est, on va dire, plutôt logique. 

Mais l'objectif de GFK n'est en aucun cas de codifier ou d'uniformiser les différentes façons de faire. D'autant plus sur un marché ultra créatif comme celui de la BD et des comics, qui reste gouverné par les passionnés, les coups de cœur, les titres qui vont être mis en avant au bouche à oreille, les libraires qui vont mettre en avant une couverture plutôt qu'une autre pour son impact graphique, sans se poser la question de la nomenclature GFK. 

Et par rapport au segment comics, il me semble qu'il n'y a que deux catégories, c'est super-héros et hors super-héros. Pourquoi ? 

Alors, l'origine exacte a été pensée au début du panel. Je crois qu'au départ, effectivement, cette distinction là n'existait même pas. Si je me rappelle bien, c'était vraiment longtemps avant que j'arrive, on avait vraiment une catégorie "comics" et c'est tout. Et au bout d'un moment, il a été décidé d'opérer une séparation entre super-héros et hors super-héros parce que justement, on avait commencé à observer cette montée du genre super-héros. Mais ça correspond aux demandes que l'on peut avoir sur certains segments, justement, pour affiner les choses. 

C'est ce que Magali a déjà pu dire auparavant, cette évolution passe par un travail réalisé auprès des différents acteurs du marché, pour voir si on prend le temps d'affiner la segmentation ou pas, voir si ça en vaut la peine ou non, est-ce que l'on voit de vraies nouvelles tendances émerger, etc. Ce n'est pas forcément évident, et peut-être qu'un jour, ça arrivera sur les comics aussi comme sur d'autres segments de la bande-dessinée. C'est tout à fait possible. 

En l'occurrence, les dynamiques qui ont été observées ont permis de mettre à jour certains changements de format. Ce n'est pas ça qui va nécessairement pousser à créer une nouvelle catégorie dans la segmentation, mais simplement de mieux ranger un album qui serait techniquement, parce qu'il vient des États-Unis, catégorisé "comics". J'ai des exemples très précis, notamment avec le grand format Urban que Urban Comics a lancé il y a maintenant deux ou trois ans, où un titre comme Le Dernier des Dieux va plutôt être répertorié "fantasy", parce que ça épouse les codes de cette catégorie avec les dragons, les nains, les gobelins. De son côté, un Decorum a plus sa place aux côtés des grandes BD de science-fiction. Je pense quand même que dans la segmentation, ces deux titres doivent encore être catégorisé comme des comics. En "hors super héros", et là intervient une scission entre la décision de la segmentation de GFK et la décision des enseignes, sur laquelle nous n'avons pas forcément d'impact réel.

Oui tout à fait, on peut vraiment observer une différence dans la manière dont une enseigne peut décider d'organiser son rayonnage. Si elle ne souhaite pas créer de "rayon comics", ele peut simplement disperser certains titres de la catégorie ailleurs. Les enseignes en question vont alors essayer de rester cohérents par rapport à ce qui se fait ailleurs aussi, et par rapport à ce que les consommateurs recherchent, en fonction de ses clients. Mais elles ne vont pas s'inspirer du travail de GFK pour autant. Par contre, nous, c'est vrai qu'on essaye de représenter au mieux l'état du marché. Donc, peut être par rapport à ce que font les éditeurs, ou par rapport au travail des libraires, il va y avoir des nuances un petit peu partout, chaque enseigne aura sa réalité propre. On ne va pas présenter les choses exactement de la même manière. C'est comme chez nos propres clients éditeurs : on peut avoir des segments ou des collections qui sont vraiment présentées de manière différente.

C'est dans ce sens-là où, justement, vous évoquiez la notion de format. C'est un critère d'analyse qui est arrivé assez récemment chez GFK. On parle du roman graphique, qui lui, est un format à part entière. Tout en étant assez hybride : on peut ranger tellement de choses dedans. Vous imaginez la problématique que ça représente pour des analystes ? Ça doit rentrer dans une case. Mais toujours est-il que c'est de notre côté, et surtout pour nos clients et pour les partenaires qui regardent nos analyses, ça permet effectivement d'exprimer ce sentiment de variété. Il y a le format poche, le format classique, le format roman graphique et le format collector. L'objectif est de produire une granularité, une finesse d'analyse autre que le genre proprement dit et le traitement graphique de chaque titre.

Comment vous les distinguez justement ? Pour le collector, par exemple, comment est-ce que vous réussissez à l'identifier ? C'est parce que l'éditeur l'intitule comme ça ? 

Souvent, cette information nous est transmise, mais pas toujours. Ça peut être par rapport au fait qu'on voit justement arriver deux versions différentes d'un même ouvrage. Par exemple, pour la bande-dessinée, c'est assez explicite : on peut voir la version standard, accolée à une version plus chère, plus rare. On peut le voir au niveau du prix, au niveau du format. En fait c'est souvent ça qui fait la différence : le prix. Mais souvent, ça reste quand même assez compliqué à suivre et on peut avoir des trous dans cette catégorie. Généralement, quand on veut l'analyser, on est obligé de le faire manuellement. En tant que consultant, pour le coup, on se dit : ok, on va analyser le format collector, en revenant à la base, on va s'intéresser aux plus grosses ventes de la manière la plus exhaustive possible, en fonction du temps disponible. Et on va essayer de voir quels titres sont des collecteurs et essayer de les identifier et d'en tirer des données sur les différentes évolutions des volumes de vente. 

Donc ça, c'est le côté artisanal de l'exercice : lorsque l'on parle des millions de flux compilés avec toute la data science inhérente à notre métier, il y a aussi toute une partie fait-main, où on va tout recodifier titre après titre pour approfondir la lecture de cette partie du secteur. Et on parle du collector en comics, mais vous voyez, chaque année j'ai aussi des demandes sur les livres qui ont attrait à politique. Dès qu'il y a une échéance électorale, cette notion de profession de foi politique, qui n'existe pas dans les nomenclatures du glossaire, c'est de la codification manuelle dont on doit s'occuper en plus du reste. On parlait du genre "New Romance" tout à l'heure. 

La New Romance, c'est un très bon exemple. 

C'est de la codification manuelle parce que ça ne correspond à aucune case automatique. Donc, il y a une part d'artisanat que l'on fait évoluer, et qui est encore perfectible. 

Le processus est de plus en plus automatisé, mais ça commence souvent par le fait de définir un périmètre en manuel. C'est vraiment le cas pour la New Romance. Et par un travail en direct avec les éditeurs, qui vont nous dire : de notre point de vue, tel titre, c'est plutôt ça, ou alors, c'est plutôt ça. Et au fur et à mesure, on identifie des collections, des séries, un certain nombre de choses. Et on va finalement finir par automatiser ce calcul et par l'intégrer. Non seulement dans nos analyses, mais aussi dans les chiffres que l'on transmet à nos clients et à nos partenaires. 

Est-ce que vous avez eu à faire la même chose avec le Young Adult ? On sait que c'est un répertoire très riche mais aussi très difficile à situer. 

C'est la même chose oui. Parce que le problème du Young Adult, c'est qu'il est vraiment entre le roman adolescent et la littérature de l'imaginaire en général. Tout ce qui est fantasy, fantastique, il y a beaucoup de YA en littérature. 

Alors effectivement, on peut dire que c'est du bricolage, mais ça reste du bricolage extrêmement professionnel. Parce que nous avons une vraie obligation de transparence. C'est toute la difficulté du métier. Souvent, quand on se parle entre nous de la fameuse donnée GFK, on a tendance à se dire que ça doit être la donnée la plus lisible possible d'un point de vue extérieur. Sans avoir les codes nécessaire à l'interprétation de mécaniques complexes. Et c'est donc toute la particularité de notre métier, c'est qu'on doit donner une vision qui est immédiatement compréhensible par n'importe quel quidam.

Et c'est la raison pour laquelle on ne peut pas faire n'importe quoi avec la segmentation aussi. Dans les segments que l'on essaye de mettre en place et qui peuvent paraître rigides parfois, en fait, on va essayer de faire en sorte que ce soit le plus précis possible automatiquement. Via les glossaires, dont on a parlé, de manière à ce qu'on ait le moins de modifications manuelles à faire, à part dans des analyses qui concernent certaines présentations ou certaines interventions. Mais dans notre segmentation de base, on va vraiment essayer de mettre en place quelque chose d'automatique, parce que plus il y a d'interventions manuelles, finalement, plus il y a des risques d'oubli ou d'erreur. Ça, c'est quelque chose que l'on cherche à éviter le plus possible. Parce que notre métier réclame de la précision et de la justesse tout en étant le plus objectif possible. 

Donc il faut laisser une part à l'automatisation, mais une automatisation à laquelle on aura fait confiance.

Voilà, c'est ça. Mais d'un point de vue GFK, c'est de l'automatisation parce qu'on récupère de l'information de sources plus expertes que nous sur la partie "analyse de la codification", si vous voulez. Donc en l'occurrence, Electre, qui nous permet de codifier des milliers de titres chaque semaine. Et nous, après ça, on opère des vérifications pour voir si tout semble bien codifié s'il n'y a pas d'oublis quelque part. C'est une aide énorme pour nous aussi d'avoir des flux comme ça qui sont automatisés.

Ou en tout cas semi-automatisés. Avec le nombre de nouveautés à l'année, de toute façon, on imagine qu'il faudrait au moins 25 personnes pour obtenir le même résultat. Magali, vous disiez qu'il ne faut pas donner plus de pouvoir à GFK et que GFK ne fait pas la pluie et le beau temps. Néanmoins, on peut quand même dire que, notamment quand vous faites les synthèses, les analyses, ce sont des choses qui vont être très suivies. Et dans la façon de présenter les choses, parfois, il y a des messages que vous allez envoyer sur lesquels, je ne sais pas s'il faut faire attention, mais... vous êtes tout de même conscients que la lecture du marché aura impact réel pour les acteurs concernés.

Oui, et vous imaginez bien que l'exercice 2023 a requis beaucoup de précautions. Puisque, effectivement, l'activité le marché de la BD comme des comics en 2023 doit se lire en comparaison de précédentes années extrêmement fortes. Nous avons donc dû annoncer des chiffres négatifs. 

Néanmoins, on n'est pas du tout sur un effondrement du marché. Et c'est effectivement toute la difficulté de l'exercice : comme le disait Laurent tout à l'heure, il convient de rester objectif tout en énonçant des faits, et en prenant en compte l'impact de notre travail pour le grand public et les professionnels du secteur. Je pense qu'on peut parler de la conférence que nous avons fait au FIBD cette année justement : la difficulté, c'était de présenter des chiffres globalement négatifs. Et tout segment confondu, et sans devoir revenir sur la rengaine perpétuelle des chiffres "pré-pandémie", "post-pandémie", qui ne correspondent plus aux standards du marcé du livre aujourd'hui. 

Pour être plus subjective à ce sujet : cela fait trois ans maintenant qu'on se compare à l'état des lieux d'avant la pandémie. Il faut sortir de cette logique et accepter de prendre les nouveaux référentiels du marché. Et le double challenge de cette conférence, pour ainsi dire,  c'est que nous avons passé 20 minutes pour résumer les tendances d'un marché qui reste extrêmement dynamique. Et en 20 minutes, en fait, on doit faire des choix. Donc effectivement... On a, par exemple, eu à cœur de ne pas enfoncer de portes ouvertes sur le manga. En disant que non, ce n'était pas juste un "effet passe-culture", mais que le manga était sur une dynamique extraordinaire malgré le repli effectif du marché sur cette année. Lequel peut s'expliquer en partie par la diversification du passe-culture réorienté vers d'autres biens culturels, et la réalité tangible : une fois qu'un lecteur a constitué sa collection de manga... c'est malheureux, mais il existe aussi une logique à l'idée d'un monde fini et qui n'est en expansion permanente et systématique sur les dynamiques de recrutement de nouveaux lecteurs. 

Ces tendances ne peuvent pas être exponentielles non plus sur dix. A partir du moment où tous les acheteurs potentiels ont été recrutés, il faut que les futurs lecteurs grandissent pour être recrutés à leur tour. Et puis pour revenir sur la dynamique des comics : vous avez réagi, d'autres acteurs du marché réagi au message communiqué à l'époque, et le constat a pu passer pour alarmiste sur la baisse générale du marché comics. Mais ce que l'on a expliqué par un impact très fort des opérations petit prix, qui constituaient, de mémoire, près de la moitié des ventes de l'année précédente, est un élément de contexte à considérer. Lorsque ces opérations ont été abandonnées cette année, le secteur a perdu ce rôle de moteur. Alors là, on est assis autour d'une table, on en discute, on prend le temps de la nuance. C'est vrai qu'en 20 minutes, quand on a un impératif de faire passer beaucoup de messages sur une seule conférence, c'est plus compliqué. 

C'est vrai que si on n'a pas assisté à la conférence et que l'on se repose seulement sur les slides tels quels... on peut s'arrêter sur le prix moyen du comics a augmenté de 28%, sur une baisse de 37% des volumes de vente. Et on peut dresser ce constat : les ventes baissent, les prix montent. Alors que dans les faits, beaucoup de détails à creuser. Comme le fait que, sur le marché du comics, tout a changé entre 2020 à 2023, ces collections à petit prix ont produit un effet de trompe l'œil sur le volume des ventes. Je comprends bien que c'est difficile pour vous de détailler ce genre de choses, surtout pour un secteur qui reste largement minoritaire en France.

C'est aussi pour ça que dans la présentation on a tenu à apporter aussi un autre éclairage sur le prix. Il était important de préciser cet impact des opérations petit prix, pour des titres à 5 euros, moins de 6 euros pour chaque exemplaire, pour mieux comprendre cette chute de 37%. Ca peut paraître brutal en première lecture. Et puis il y a un autre phénomène qu'on a trouvé intéressant, émergent, mais intéressant, c'est justement ce format, ce changement de format sur le marché des comics avec le développement de l'offre collector. Après, ça ne fait que six ans que je suis chez GFK, mais j'ai toujours évolué dans le marché des études et du chiffre en régie pub ou en start-up. Ce que j'ai retenu de cette expérience, c'est que l'on peut faire dire ce qu'on veut à un chiffre, quel qu'il soit. Et c'est là où GFK doit rester dans son rôle de garant de la lecture objective de l'information, pour lui donner un contexte et une perspective. Parce qu'on peut le prendre dans tous les sens et lui faire dire n'importe quoi.

En fait, on peut dire notamment que cette année, quand vous regardez le marché de la BD de manière générale, il est en décroissance, notamment à cause du manga. L'essentiel du recul sur le marché, on peut l'attribuer à la décroissance du manga. Mais si vous prenez un segment isolé, comme on l'a fait avec le comics, comme par exemple le marché de la BD jeunesse, ou de la BD patrimoniale, le fond, les anciens titres représentent 30% des ventes. Et ce secteur est en augmentation de 7% grâce aux sorties de la fin d'année (Astérix, Gaston Lagaffe). Mais si on met ces deux là de côté, en réalité, ce secteur là est aussi en perte d'une année sur l'autre. Donc en fait, si vous avez pour objectif de montrer que la BD jeunesse est en hausse, vous allez prendre le chiffre brut de base. Mais à l'inverse, si vous voulez dire qu'à l'exception de quelques phénomènes, les deux arbres qui cachent la forêt, le marché est en recul, vous allez utiliser un chiffre différent. Et dans les deux cas, la situation est même plus complexe que ça parce qu'on va toujours trouver une donnée pour dire que le marché est en recul ou en hausse selon le chiffre que l'on a bien envie de voir. 

Et surtout, ce qui est toujours délicat dans cet exercice de commentaire, c'est qu'on s'intéresse en priorité à une dynamique de vente. Et c'est ça qui est difficile à entrevoir, parce qu'on reste sur un marché qui est dominé par la notion de créativité. Et je pense que c'est ça qui est quelquefois... difficile à entendre. On a l'impression que GFK vient juger, sanctionner un travail créatif. Ce qui n'est pas du tout notre volonté ni notre rôle. Et je pense que ça peut aussi illustrer ou refléter quelques frustrations que d'aucuns appréhendent dans nos communiqués de presse sur le marché de l'édition. Parce que la BD, c'est de l'art, c'est éminemment émotionnel. Personne n'a envie de venir égratigner un objet qui nous communique de l'émotion. 

Nous, nous commentons des données très froides, parfois même déchirantes. Si on se limitait à une seule BD, et que cette BD-là avait fait moins de 500 exemplaires, ça ne veut pas dire, en tout cas de la part de GFK, que la BD n'est pas mauvaise. Ça veut juste dire, par contre, que... elle n'a pas fait plus que 500 exemplaires.

Et ce n'est pas parce qu'une bande dessinée ou un titre n'a fait que 500 exemplaires que ce n'est pas une réussite.

Pour certains éditeurs, sur un tirage de mille exemplaires, 500 ex. c'est une réussite.

Exactement. Ça dépend de l'éditeur, ça dépend de la mise en place, du nombre d'ouvrages qui on été mis en vente. C'est de l'ordre de la logique commerciale d'une maison d'édition. Et puis il faut considérer d'autres caractéristiques : l'expérience consommateur, savoir si l'acheteur a apprécié la lecture ou non, des éléments qui comptent, même pour un album qui n'a fait que 5 ventes finalement. 

Et lorsque vous dressez les grandes tendances du marché, ça se passe autour d'une grande réunion pour se dire, bon, on a tous ces éléments à prendre en considération. J'imagine que ça doit être le fruit de longues discussions aussi. 

Oui, de longues discussions. Moi, j'ai la chance de travailler dans ce milieu. Je suis dedans depuis six ans et je ne m'ennuie pas, je suis encore émerveillée tous les jours par le degré d'expertise des gens avec qui je travaille. Ils sont capables de venir expliquer jusqu'à deux chiffres après la virgule avec des dizaines d'années d'expérience à faire valoir. Donc, c'est vraiment fabuleux. Et en même temps, dans ce cadre-là, c'est aussi moi qui ai le stylo rouge, qui doit jouer ce rôle de... pas de censeure, mais... 

D'aiguilleur. 

D'aiguilleur, oui, ou d'angle éditorial. Ce n'est pas vraiment mon rôle non plus, parce qu'on doit rester dans une lecture objective du marché. Je dois m'assurer que l'on couvre toutes les familles, que l'on donne les éléments que l'on appelle les causales pour expliquer pourquoi telles vente fonctionne plus ou moins bien, expliquer le plus et le moins. L'aspect binaire des données. Sans même évoquer la problématique temporelle : c'est fait qu'effectivement, en 20 minutes, il faut bien choisir sur quel message on communique, sachant qu'on en dit déjà beaucoup en une seule conférence. L'objectif, c'est de laisser aussi des portes ouvertes et de générer des conversations, ne pas se focaliser essentiellement sur les éléments négatifs et donner à réfléchir sur d'autres formats. Le webtoon fait partie de ce genre d'ouvertures potentielles. Ce sont des sujets qui ne sont pas encore 100% audités chez GFK, mais que l'on suit avec attention, et sur lesquels on peut donner une forme d'avis en tant qu'observateurs du marché. 

Et puis ce qui est très satisfaisant, c'est qu'aujourd'hui ça déclenche des conversations pour venir analyser, triturer, comprendre, ouvrir le débat. Et en fait, c'est toute la richesse de l'exercice. 

Très bien. Merci encore pour votre temps, pour vos réponses à mes questions et j'espère que cet entretien permettra de mieux comprendre comment fonctionne GFK et avoir un regard plus compréhensible sur certains problématiques du marché de la bande dessinée !

Arno Kikoo
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