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Marvel Comics #1000 : cavalier noir et album souvenir pour les quatre-vingt ans de Marvel

Marvel Comics #1000 : cavalier noir et album souvenir pour les quatre-vingt ans de Marvel

ReviewMarvel
On a aimé• Le segment de l'Eternity Mask, pas mauvais
• De beaux petits hommage par ci par là
• Références méta' à n'en plus pouvoir
• Avoir réuni autant d'artistes et de scénaristes de talent
On a moins aimé• Même si on n'en fait pas grand chose au final
• Un entre deux raté entre fête d’anniversaire et prologue de crossover
• Célèbre plus la marque Marvel que son univers
• Tout est super génial
Notre note

Dans les comics, la numérotation aura longtemps été un sujet sensible. Après avoir assumé le fonctionnement sériel et le suivi chronologique des numéros pendant des décennies, les éditeurs se seront émerveillés en comprenant qu'à l'image d'une série télévisée, le pilote était souvent l'épisode qui réalisait les meilleures audiences. En captant l'attention des curieux et des intéressés potentiels, avant l'érosion ou l'écrémage de ceux qui se convertiront ou non en spectateurs fidèles dans la durée.
 
Plus tard, les éditeurs auront aussi compris que l'on peut créer de l'événement avec des publications anniversaires. Avec des chiffres ronds, tels que Detective Comics #1000 ou Spider-Man #700, et se seront donc arrangés pour entasser à la pelle les différents volumes des périodes de relaunch pour correspondre à cette envie d'événementialiser leurs publications. Pendant Marvel Legacy, après des années à revenir systématiquement aux numéros #1, on a ainsi vu fleurir des Spider-Man #800, Captain America #700, Daredevil #600, etc, avant de tout bazarder pour reproposer chacun de ses titres vers une nouvelle entrée symbolique floquée d'un inoffensif #1. 
 
Mercredi dernier, Marvel inaugurait une nouvelle tactique pour pousser le concept encore plus loin. En revenant sur la fameuse première publication de Timely, Marvel Comics #1, l'éditeur profite de son anniversaire pour faire passer la pilule d'un millième numéro artificiel, pour rameuter les curieux et proposer un très large appel d'offre aux grands auteurs et artistes de l'industrie. Qui auront, on l'imagine, été grassement payés pour réaliser, chacun, une page unique dans un numéro de 80 pages vendu à dix dollars l'unité. Avec la pelletée de variantes qui vont bien et une ample séance d'auto-congratulation  générale - après tout, y a pas de raison que DC et leur numéro Rebirth soient les seuls à avoir le droit de se marrer.


Marvel Comics #1000 est à la croisée des intentions. L'idée semble être de rendre hommage à toute l'histoire de Marvel, et de raconter l'histoire d'une sorte de chaînon manquant entre Marvel Comics #1 et aujourd'hui, en entrecoupant une trame de fond servie par Al Ewing de petits épisodes consacrés à tel ou tel personnage, en suivant une frise chronologique qui passe par toutes les grandes périodes de Marvel dans le monde réel. 
 
Cette envie de couper en deux est probablement l'élément décevant de ce numéro : voir de tels artistes et de tels auteurs cloisonnés dans de si petites histoires donne le sentiment d'un immense gâchis, quand on en voit certains se cogner aux bords d'un si petit espace pour raconter quoi que ce soit. Après avoir découvert l'équipe créative, massive, on aurait pu espérer que Marvel Comics #1000 serait un cadavre exquis. 

Une histoire écrite à plusieurs mains et supervisée par Ewing, ce qui aurait pu être un projet, au moins, plus ambitieux que cet album souvenir très auto-promotionnel. Voire un hommage au fonctionnement de l'écriture de comics, pensée pour passer de mains en mains, et chaque auteur récupère un personnage ou un groupe après l'oeuvre d'un autre. Dans le cas présent, Marvel se contente de remonter la temporalité en trouvant quelque chose d'important, de drôle ou d'utile à dire sur chaque année des quatre-vingt à traiter. On croit au départ que les allées et retours entre présent et passé vont nourrir un propos sur la trame de fond, l'Eternity Mask qui se serait caché dans les interstices de l'univers Marvel depuis ses débuts, mais ce n'est pas le cas. Très vite, les planches isolées assument d'être de petites histoires sans lendemain, et la mécanique du temps à la Jason Aaron ou Alan Moore sur cette histoire que l'on aurait oublié de nous raconter, ne se mêle plus au reste de l'univers.


 
Sur quels critères ces segments auront été choisis ? Lorsque l'on voit Dark Vador ou Conan apparaître dans les pages d'une anthologie censée s'intéresser à Marvel, ou une page qui va encore jouer sur la mort de Tony Stark dans Avengers : Endame pour 2008, difficile de ne pas deviner certaines intentions. Evidemment, pour un numéro qui risque de bien se vendre, l'éditeur ne pouvait pas faire l'économie de cette petite publicité pour ses autres séries. Et l'astuce permet aussi, par une coup de baguette magique révisionniste, d'inscrire l'idée que Conan et Star Wars ont toujours fait partie de la Maison des Idées, même pendant les longues périodes où cela n'était plus le cas. De la même façon que, dans un comics qui raconte l'histoire d'un éditeur, le fait de retrouver des clins d'oeils aux films a quelque chose de frustrant - pour une fois, on aurait pu se contenter de laisser la BD à la BD.
 
A se demander pourquoi les pages "2009 :  Disney rachète Marvel" ou "2019 : la Fox c'est nos potes maintenant" sont absentes du numéro. Après tout, on a bien foutu Mickey sur une des variantes, et censuré Mark Waid dans sa contribution à la page Captain America - sans insister lourdement sur ce dossier, déplorable, les premières pages du numéro sautent par-dessus l'engagement politique de Joe Simon et Jack Kirby au moment de la création du héros bannière. Là-encore, l'hommage est sélectif, et passe à plusieurs endroits à côté de l'Histoire quand Marvel se sera engagée concrètement sur certains sujets de société.
 
 
 
A la place, on retrouve finalement une galerie de petites histoires généralement assez identiques. Beaucoup de passages fonctionnent bien : un hommage à Stan Lee matérialisé dans la figure du Watcher, Christopher Priest qui répond à l'engouement soudain de Black Panther avec un certain cynisme, Blade qui joue avec son chat le dimanche. Les personnages de Miss America ou Amadeus Cho mis en avant, pour souligner l'engagement de certains auteurs, tandis que J. Scott Campbell va s'amuser avec sa légende et sa Mary Jane, ou qu'on continue s'installer la figure de Captain Marvel en répondant aux critiques sur son adaptation. 
 
Des pages qui ressemblent finalement à ce que les artistes comme Dan Hipp sortent parfois sur le web, gratuitement, ou à des back-ups léger et symbolistes sur le rôle des héros. Prises indépendamment, on trouve de vraies réussites. Dans un numéro de cette envergure ou de ce poids, en revanche, la lecture devient très répétitive et très promotionnelle, gorgé de cases de narration aux tournures laconiques ou laudatives, un ensemble qui se répète énormément en parlant d'espoir, de bonheur, de simplicité, de nostalgie, ou avec de simples gags vite oubliés. En étant un rien cyniques, on pourrait se poser la question de ces collections mémorielles dont DC Comics a aussi l'habitude : fêter un anniversaire en vendant pour très cher un fanservice qui ne prend aucun risque et ne construit rien de nouveau.
 
Certains dialogues entre passé et présents fonctionnent cependant, et on applaudira le trait des nombreux artistes convoqués pour l'occasion. Mais, sans être un réel guide de lecture ni un bouquin historique pour comprendre le fonctionnement de Marvel, le numéro échoue à faire quelque chose de vraiment différent de n'importe quelle publication anniversaire du même genre : vendre de bons souvenirs, applaudir son histoire et éviter de bouger les fondamentaux.


 
Le point fort de ce Marvel Comics #1000 reste cependant le segment d'Al Ewing, qui va recomposer, avec des éléments dispersés à droite et à gauche de cet univers de fiction, une sorte de masque symbolique jouant sur plusieurs niveaux. Dans le premier numéro historique de Timely, Marvel Comics #1, on retrouvait trois histoires présentant les trois premiers personnages de la compagnie dans le registre du super-héros, du héros à pouvoir ou du justicier. La première Torche Humaine, inventée par le professeur Horton, la première aventure de Namor et les origines d'un cowboy masqué baptisé The Masked Rider. Le numéro choisit de s'ouvrir symboliquement sur l'une des toutes premières pages imprimées par Timely, avec la visite de trois scientifiques au professeur Horton.
 
Ces trois figures octogénaires vont servir d'argument à Ewing pour bâtir sa petite histoire, en filigrane des décennies de parution d'autres super-héros. Dans le premier Marvel Comics #1, ils n'étaient que de simples savants envoyés par une certaine Scientists' Guild, et vont ici devenir une sorte de secte se passant de générations en générations le secret de l'Eternity Mask. Puisque le Masked Rider est plus ancien (logique, c'est un cowboy), il sert de pont entre le passé de l'univers Marvel et son présent avec les années quarante et la Guerre. Devenant ainsi l'alpha et l'oméga de ce monde, comme si le personnage avait ouvert le monde de Timely pour mieux le retrouver quatre-vingt années plus tard. 
 
L'hommage méta' évoque évidemment le travail des scénaristes anglais sur ce type de récupérations quasi-archéologiques des vieux super-héros, réactualisés, récupérés par le présent dans une posture plus complexe, tortueuse, et intégré dans un grand tout où leur existence première n'aurait été qu'un mensonge simplifié. A cet égard, le court passage de Neil Gaiman sur Miracleman joue sur la même corde : le héros lit Marvel Comics #1 et raconte sa propre origine, où Alan Moore avait eu l'idée de transformer ses premières aventures, publiées par L. Miller & Son, en une grande simulation inventée par un fan de comics. Pour être plus clair, dans Miracleman, toutes les histoire du personnage pendant l'âge d'or n'étaient que des mensonges, une mise en abyme la fiction. Trouver ce héros, avec cette thématique, commenter l'intrigue d'Ewing en plein milieu du numéro, évoque le boulot de Grant Morrison sur Multiversity et la façon dont les auteurs transforment la vérité historique du monde de l'édition en données à utiliser dans les histoires de fiction.


L'Eternity Mask pourrait aussi être lue comme un élément méta' à plusieurs niveaux. Le seul, et infime, pouvoir de ce masque serait de mettre son porteur à égalité avec celui qu'il trouve en face de lui. Un don d'Eternity qui symbolise la balance universelle sur le plan cosmique, et la possibilité, selon les scientifiques de l'Enclave, pour tout un chacun d'être, enfin, le héros de l'histoire. On pourrait analyser cette idée en partant du principe qu'Eternity représente le temps dans l'univers Marvel, ou la confluence des idées qui n'ont pas de début ni de fin, et que, ce masque, qui ne conférait pas de pouvoirs particuliers au Masked Rider dans les comics de 1939, serait simplement un analogue de l'identité secrète et de la possibilité pour tout un chacun de s'identifier aux héros masqués, sans visages. Que grâce à lui, le moindre paysan peut devenir aussi puissant que les personnages de Marvel et, par conséquent, avec ce masque représentant le symbole le plus primaire des super-héros, se terre une idée démocratique sur le partage de cette culture. "Les héros appartiennent à tout le monde" ou bien "ceux qui adhèrent aux super-héros gagnent un peu de leur pouvoir", pour schématiser.

Cela étant, la métaphore fonctionne finalement assez peu avec cette interjection d'Eternity entre les pages (peut-être en hommage au décès de Steve Ditko), qui complexifie le propos, de même que les pouvoirs du masque en question semblent plutôt vaporeux - pour le Thunderer ou le Masked Rider, les capacités ne sont pas du tout les mêmes. On appréciera cependant cet effort de l'enquête historique et mystique sur plusieurs générations, qui évoque, malheureusement, le boulot de Geoff Johns sur Doomsday Clock ou de plus anciens travaux dans la même veine. Les hommages à Timely sont cependant bien trouvés, et on apprécie de trouver un bout de réflexion sur les comics en tant que forme d'art ou sur les super-héros dans un bouquin pensé en grande partie pour vendre du papier à coup de fanservice pré-fabriqué.

Il est aussi très possible que l'effet retombe pour Marvel Comics #1001, autre bonne idée du département marketing, et qui aura toute licence pour gonfler ou vider le numéro de toute sa substance selon ses retombées potentielles. En théorie, la Maison des Idées annonce son prochain événement important avec cette conclusion, on est donc bel et bien sur un numéro de prologue besogneux comme il en existe tant, et surchargé d'éléments dispensables qui auraient pu évoluer dans une parution séparée. Mais l'auriez-vous achetée dix balles ? Voilà une bonne question.


Avec Marvel Comics #1000, l'éditeur rend hommage à son histoire, mais pas forcément comme on l'attendait. Avec le fil rouge de l'Eternity Mask, le numéro promettait de raconter l'histoire secrète d'un artefact qui pourrait potentiellement tout changer dans le futur de cet univers, en montrant, années par années, comment l'objet avait échappé aux regards de tous. En lieu et place, on trouve une histoire correcte imbriquée dans un défilé d'artistes et de courtes histoires, parfois agréables, parfois moins, dans une sorte de compromis entre l'album souvenir d'auto-célébration et l'amorce murmurée d'un futur événement important. Un entre deux pas forcément bien dosé, pas forcément efficace et pas forcément honnête avec l'histoire éditoriale qui nous est présentée - cela étant, on a envie d'être sévère parce que la ficelle est épaisse, mais avec un nom comme "Marvel Comics #1000", difficile d'objecter que l'on s'attendait à autre chose qu'un coup marketing désordonné. Avoir réussi à tirer de vraies bonnes choses de l'ensemble est une réussite (d'artiste), on s'en contentera donc.

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Corentin
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