Peu de temps après avoir eu vent de l'affaire Art Spiegelman, censuré par Marvel pour avoir comparé Donald Trump au Red Skull dans la préface d'un bouquin sur l'origine des premiers super-héros de la maison, le Hollywood Reporter détaille un autre cas du même genre. Au mois de juillet, les détaillants de l'industrie avaient reçu une preview du numéro spécial Marvel Comics #1000, intégrant un essai du scénariste Mark Waid sur le personnage de Captain America. Le texte accompagnait une illustration du personnage, réalisée par John Cassaday et Laura Martin, et revenant sur l'époque des premiers sériels de 1944.
Waid y détaillait sa vision des imperfections du modèle social des Etats-Unis, et le mensonge du rêve américain, dans un ensemble qui incitait le peuple à reprendre le pouvoir. Le Hollywood Reporter nous a fait l'amabilité d'incorporer les mots du scénariste dans leur article, les voici donc traduits :
"Le système n'est pas juste. Nous avons traité certains des nôtres d'une façon abominable. Pire encore, nous avons perpétué le mythe qui veut que n'importe quel Américain est capable d'accomplir ce qu'il veut, de devenir ce qu'il veut, avec un peu de travail et beaucoup de volonté. Mais ce n'est pas toujours vrai. Ce pays n'est plus celui des opportunités aujourd'hui. Cet idéal de l'Amérique n'a pas toujours été partagé équitablement. Alors que sans lui, nous ne sommes plus rien.
Les rouages de l'Amérique sont très imparfaits, mais ils sont notre seul moyen de remédier aux inégalités, à une échelle qui voudrait encore dire quelque chose. Oui, ça représente beaucoup de travail, oui, ce sera fatiguant. Mais l'histoire nous a prouvé que nous pouvons, briques par briques, corriger le système quand suffisamment de gens sont en colère. Quand suffisamment de gens descendent dans les rues et forcent le pouvoir à les écouter. Quand suffisamment d'entre nous descendent dans la rue et réclament que l'injustice prenne fin."
Dans la version qui accompagnera le Marve Comics #1000, le texte de Waid a été retiré, et l'on aura demandé au scénariste d'adoucir son discours - ou, on imagine, de ne pas inciter le public à prendre d'assaut les rues ou à faire la révolution. Entre les lignes de l'auteur, généralement aligné à gauche sur l'échiquier politique, on devine un coup de gueule très explicite contre le pouvoir en place, encore que, contrairement à Spiegelman, celui-ci préfère inciter le peuple à se responsabiliser plutôt que de s'en prendre à une figure particulière.
Voici le texte, modifié, qui s'intéresse de plus près au personnage de Captain America, et la façon dont le personnage incarne les valeurs des Etats-Unis :
"C'est un véritable engagement de vouloir se battre tous les jours pour la justice, pour l'acceptation et pour l'égalité, et pour les droits de chaque être humain dans ce pays. Quand il est au meilleur de ce qu'il peut donner, ce pays est capable d'être bon, et peuplé de gens qui savent que ces valeurs - et pas la haine, la foi aveugle ou l'exclusion - sont les vraies valeurs du patriotisme."
Paradoxalement, la seconde version semble finalement plus directe dans ses intentions et le public visé. THR aura tenté de contacter Marvel pour obtenir quelques éclaircissements relatifs à ces deux textes - à défaut d'avoir droit à un communiqué officiel de la maison mère, une source en interne rappelle que les previews envoyées aux libraires sont toujours ouvertes à des changements de dernière minute, et que le passage aurait été "incliné" pour mieux correspondre au sujet du numéro.
Après Spiegelman et Waid, on en viendrait à se demander combien de corrections de genre Marvel compte apporter à ses parutions futures. Difficile d'imaginer pouvoir museler l'ensemble de son écurie de scénaristes au vu des divers changements politiques et sociaux de ces derniers mois ou années, ou la crainte de certains citoyens des Etats-Unis de voir leur pays aux mains d'idéaux dans lesquels ils ne se reconnaissent pas tous. En résumé, rien n'est politique, à l'exception des grands auteurs, des personnages, de l'histoire du médium et de son envie moderne de ne pas brusquer les fans à la droite de la droite - qui représentent, mine de rien, près de 50% du marché potentiel.