L'illustre auteur, dessinateur et spécialiste de l'histoire des comics Art Spiegelman s'est, tout récemment, heurté aux velléités de dépolitisation du super-héros prônée par l'éditorial de Marvel depuis peu. Dans l'essor moderne des personnages costumés, la Folio Society, une maison d'édition britannique reconnue et fondée en 1947, aura pris contact avec l'artiste pour réaliser la préface d'un ouvrage documentaire, "Marvel : The Golden Age 1939-1949", prévu pour le mois de septembre.
Spiegelman y détaille le contexte de la création des premiers super-héros et la place du combat contre le fascisme dans les travaux de jeunes auteurs, très fréquemment,
issus des quartiers juifs de New York. Les prises de position de
Jery Siegel,
Joe Shuster,
Joe Simon et
Jack Kirby,
avant même que n'éclate la Seconde Guerre Mondiale, y sont développées par l'auteur. Figure de proue de la BD underground dans les années 1970, l'oeuvre de
Spiegelman, et son extraordinaire
Maus tout particulièrement, s'intéresse de près à l'imagerie fasciste, et à la dangerosité des modes de gouvernances totalitaires. La famille de l'artiste aura, en outre, survécu aux camps de la mort pendant l'occupation de la Pologne par le IIIème Reich.
Dans sa longue préface,
Spiegelman tire un parallèle entre le
Red Skull et
Donald Trump, au détour d'une formule avertissant le présent du danger populiste et de la résurgence de l'intolérance aux quatre coins du globe. L'auteur y qualifie l'actuel président des Etats-Unis d'
Orange Skull,
une blague déjà tentée par Chip Zdarsky avec The Thing il n'y a pas si longtemps. Dans les deux cas,
Marvel aura choisi de censurer les artistes.
"Auschwitz et Hiroshima auraient finalement eu plus de sens, si l'un et l'autre de ces deux événements s'était déroulé dans le monde de fiction que des comics que dans le notre, réel. Dans le monde moderne, le maléfique adversaire de Captain America, le Red Skull, est bien vivant, et sur tous les écrans, un Orange Skull terrorise l'Amérique. Le fascisme international s'est à nouveau répandu sur le monde (incroyable de voir à quel point, nous, humains, pouvons oublier à ce point - pensez bien à étudier ces comics, les enfants !) et les ruines de la crise économique de 2008 nous ont mené à un point où la planète toute entière semble au bord du gouffre."
Cette citation, intervenant dans les dernières lignes de la préface proposée par Spiegelman, aura été refusée, tout bêtement, par Marvel, sous le prétexte de rester "apolitique". Après avoir demandé à ce que la référence à l'Orange Skull soit retirée, l'auteur aura préféré annuler sa participation à l'ouvrage plutôt que de transiger avec l'éditeur, et sa peur de choquer son lectorat d'extrême droite. Le site d'information The Guardian aura de son côté décidé de publier la préface de Spiegelman sans changer une seule ligne, pour corriger cet étrange cas de censure contre un chef d'état hautement controversé. Nous vous invitons à la consulter, via le lien source de cet article.
La
Folio Society aura finalement décidé de se tourner vers
Roy Thomas pour rédiger une nouvelle préface, tandis que
Spiegelman ajoutait à son propre texte des précisions en direction du lectorat, concernant notamment
le fameux Ike Perlmutter. Comme souvent dans ce type de situations, le débat de la responsabilité éditoriale se pose : à défaut de vouloir choisir un camp ou un bord politique à défendre,
Marvel, sous l'argument de ne pas prendre parti, au détour d'une analyse sur les comics ouvertement politisés de l'âge d'or, dresse un nouvel état des lieux alarmant des prérogatives locales.
Vendre à tout le monde, en ne vexant personne, se limiter à divertir, quitte à avilir le rôle de ces parangons de justice et d'idéaux supposément optimistes que sont censés représenter les héros de comics. A voir si là part la plus à droite du lectorat a attendu cette affaire pour ranger Art Spiegelman dans la catégorie des SJW.
"J'ai rendu cet essai à l'écrit en juin dernier, grosso modo, la même chose que ce vous avez pu lire plus haut. Un éditeur de la Folio Society, se confondant en excuses, m'a informé Marvel, à la co-publication du livre, entendait rester apolitique et n'autorisait pas qu'une de ses parutions puisse tenir ce genre de propos. On m'a demandé de changer ou d'enlever la référence au Red Skull, ou bien cette préface ne pourrait pas être publiée. Je ne me suis pas senti particulièrement politisé dans cette phrase, comparativement à bon nombre de mes amis ou contemporains, mais lorsque l'on m'a demandé de tuer une déclaration relativement anodine à propose d'un "Orange Skull", j'ai réalisé qu'il était peut-être irresponsable de rire de la menace bien réelle avec laquelle nous vivons au quotidien. J'ai donc décidé de retirer ma préface.
Cette semaine, une histoire plutôt révélatrice sur le sujet s'est manifesté dans l'actualité. J'ai appris que le milliardaire Isaac, "Ike", Perlmutter, ancien président de Marvel toujours en place à un poste important était un ami de longue date de Donald Trump, conseillé non officiel et membre du cercle des proches du Président. J'ai appris que lui et sa femme avaient, l'un et l'autre, donné 360 000 dollars (le maximum possible pour ce type de donations) au fond pour la campagne de réélection de l'Orange Skull, "Trump Victory Joint Fundraising Committee" pour 2020. Il m'a fallu apprendre, une fois encore, que tout est politique... Comme Captain America en collant une à la mâchoire d'Hitler."