Annonce évidente propulsée par la popularité de la Legion de Noah Hawley, le retour de David Haller en kiosques était une question de temps ou de bon sens - les logiques fantastiques des marketings croisés, une routine. On applaudit d'emblée Marvel de ne pas avoir imposé le joli visage de Dan Stevens à son homologue de papier, encore que, la technique du duplicata n'est plus exactement au goût du jour. C'est donc un fils Xavier à l'habituel coupe en brosse qui se présente au lecteur, et en reposant le numéro, difficile d'estimer les raisons précises de cette relance. Même l'adaptation ne poussait pas pour avoir la version "classique" du héros, si tant est que celle-ci existe, et si tant qu'on puisse parler de héros.
Cadencée pour une mini en cinq, la nouvelle série Legion est écrite par Peter Milligan - ça se voit, parce que ça n'a pas vraiment de sens - et dessinée par Wilfredo Torres - ça se voit également, parce que c'est joli. Le numéro est une étrange plongée dans le n'importe quoi, décousu, déconstruit, dans l'envie d'une parution trippy ou curieuse. Ce contraste d'un dessin léger et coloré sur un scénario aux variations étranges appelle un élément de réponse théorique à la série, comme si Marvel essayait de faire du Young Animal, énième plagiat manqué et aux angles arrondis des débuts de Vertigo Comics, servie avec paresse et sans générosité.
Si vous ne connaissez pas David Haller, faisons les présentations. Abritant en lui une armée de personnalités dissociées, Legion se décrit volontiers comme un fou - c'est même le leitmotiv du personnage. A l'image de la Scarlet Witch d'une certaine période, l'idée qui l'accompagne veut que ce personnage instable est le jeu d'un pouvoir puissant - modifier les règles du réel à son envie, de quoi légitimement douter de sa propre personnalité. Le fils de Charles Xavier est dans ce premier numéro en cavale après s'être échappé de l'hôpital psychiatrique.
Rattrapé par ses démons, Haller devient la victime de son propre antagonisme, quand l'une de ses nombreuses personnalités se manifeste pour prendre le contrôle. Le personnage est donc à la fois le héros et le méchant de ses aventures (c'est rare, et donc, c'est bien), une sorte de trope à la Split, photocopié tel quel sans énormément de recherches. Le but avoué de Legion est ici de se soigner, parcourir le pays pour trouver une psychanalyste talentueuse et s'échapper enfin de la prison bondée qu'est devenu son esprit.
Introduction rapide, style imperméable : Milligan ne se soucie pas d'être accessible et grossit le trait sur la simplification des enjeux. Son héros sait qu'il est fou, le contexte schizophrène est vécu comme une blague - on est exactement sur un style Gerard Way, avec le même hommage aux codes de dessin d'un autre temps. L'auteur prend pour modèle son héros de Shade the Changing Man, dans l'aspect déconnecté et quasi observateur d'une action qui évolue au détriment de ses choix - fous, évidemment. Le trait de Torres est plutôt agréable à l'oeil vu sous l'angle d'une vieille série de fanzine ou d'hommage à un trait rétro' volontairement simpliste. De son côté Milligan ne régale pas.
Le numéro posé, on aurait tendance à saluer la démarche. Une mini en cinq, écrite sous l'angle d'une déconstruction de codes - le personnage est fou, donc autant lui faire une série à son image. Problème, derrière le psyché' apparent, Milligan est en fait assez sage, voire pingre dans la façon dont il utilise son jouet. Voilà un demi-Dieu schizophrène capable de changer le réel, une série sur la psychiatrie et les troubles mentaux entre les mains d'un des pères de Vertigo - le pitch se vend tout seul aux amateurs d'étrangetés. Pourtant la série est creuse au regard de son potentiel, et on pourrait en profiter pour aller plus loin.
Prenez Young Animal. Derrière les burritos cosmiques et le sexe oral entre aliens, s'était assez vite posée la question de la gratuité loufoque, cette suspension de l'espace où un amoureux du trippy appuie le trait jusqu'à le rendre forcé. Le comics a longtemps évolué avec la drogue comme principal compagnon de route, et tandis que le cinéma était limité par le budget ou que la littérature dépendait trop de ce que le lecteur pouvait visualiser, c'est en BD que s'est exprimé l'imagination tangible de dizaines d'artistes des années 1960 à notre ère moderne. On peut citer des centaines de créations nées d'une authentique envie de folie, libératrice par endroits, juste curieuse et artistiquement chargée à d'autres.
Proposer ici une série sur un fou et la confier à Milligan est l'opportunité de voir l'auteur matérialiser en mots et en cases ce que lui imagine de la folie. En l'occurrence, il y est avare, pauvre en images marquantes, l'essai de style n'y est pas et la série sent la commande. L'envie de remplir un emplacement dans un kiosque, et à supposer qu'il y ait un fandom des comics Legion, satisfaire un public en lui donnant à manger ce qu'il aime. Mais l'ensemble est à peine satisfaisant, et pose l'énième question du pourquoi. A force de voir la bibliothèques des collectionneurs se remplir de titres moyens, commandés par l'intérêt d'adaptations qui finissent par devenir meilleures que ce qu'on en fait en papier - un comble, voire un danger - on n'a plus envie de pardonner.
26 Janvier 2018
javauxCorentin, je pense que nous sommes tous les deux des passionnés et donc que les réactions sont vives et reconnaît comme toi avoir été maladroit.
26 Janvier 2018
CorentinOh c'est gentil de t'inquiéter Javaux, j'apprécie.
Après, je n'ai pas l'impression d'avoir réagi excessivement, je trouve ça juste amusant que t'ais pris la peine de me reprocher quelque chose que je ne pense même pas. D'ailleurs, ça fonctionne dans les deux sens, quand on fait un paragraphe incriminant au lieu de dialoguer, faut pas te sentir offensé si on te répond.
J'ai bien sur des limites dans mon style, et si ce n'était pas clair, mea culpa, mais ça me paraît pas anormal de répondre quand on se fait critiquer, ou critiquer à tort. On n'est pas obligés d'en faire un truc personnel non plus tu sais ^^
26 Janvier 2018
javauxCorentin quand on a un style d’ecritur aussi tranché et basé sur des petites phrases provocatrice faut pas se sentir offensé quand un lecteur est en désaccord ou quand il critique ton article. Tu es professionnel maintenant ça va pas être possible pour toi pendant longtemps d’agresser les lecteurs qui te font une remarque, mais bon les lecteurs jugeront de la qualité de l’article et de tes commentaires...
26 Janvier 2018
CorentinEt puisqu'on est déjà dans le HS, @Javaux, voilà un avis très obsolète sur ce que je sous-entends par la "gratuité loufoque" de YA, et pourquoi on peut aimer, même avec des réserves :
https://www.dcplanet.fr/189043-review-vo-doom-patrol-1
26 Janvier 2018
Corentin@Arkham38 : dans ce cas là, autant directement me poser la question. Je ne peux pas mettre des "mais j'aime bien les gars hein, no souce" entre parenthèses à chaque fois que j'emploie un nom propre, ça casserait le rythme de lecture.
Donc faut que chacun y mette du sien.
Et en l'occurrence, ce qu'il y a après la virgule englobe ce numéro de Legion, pas Young Animal (parce que je ne fais pas une review de Young Animal, je compare les deux, parce que c'est du psyché dans les deux cas). Si je dis "Kelly Thompson fait du Bendis, nouvelle couche d'humour fade et mal rythmé", c'est pas Bendis que j'incrimine, c'est le fait de "faire du Bendis", de choper une formule établie.
Et au fait, j'aime bien Kelly Thompson sur Hawkeye. Je précise, du coup ^^
26 Janvier 2018
War MonarchComme il avait déjà été dit, avec Corentin, faut pas déconner.
26 Janvier 2018
arkham38Je pense que c'est la phrase " ... comme si Marvel essayait de faire du Young Animal, énième plagiat manqué et aux angles arrondis des débuts de Vertigo Comics, servie avec paresse et sans générosité." qui peut prêter à confusion. Ça peut laisser à penser que tu considère Young Animal comme un "énième plagiat manqué et aux angles arrondis des débuts de Vertigo Comics". Mais, en première lecture, ça ne m'avait pas choqué.
26 Janvier 2018
julC...pas d accord: Le Jura c est la plaie!
26 Janvier 2018
CorentinC'est normal que tu ne comprennes pas, vu que je ne crache effectivement pas sur Young Animal. C'est juste un angle de réflexion sur ce numéro ici, et le psychédélique qui peut être bien fait ou non.
Maintenant, je peux aimer Young Animal et trouver que Way force parfois le trait psyché', ça s'appelle juste avoir un avis nuancé.
De même que "Milligan fait du pure Milligan, on aime ou pas", c'est un petit peu plus compliqué que ça à vrai dire. Un auteur peut avoir ses tics ou son style, et quand même avoir des hauts et des bas. De même qu'il y a du bon et du mauvais Milligan. New Romancer, c'est du mauvais Milligan, The Names c'est du bon Milligan.
Bref, tu te serais sans doute épargné cinq minutes en prenant un peu de recul, mais j'suppose qu'à notre époque, il faut effectivement expliquer la moindre tournure pour éviter de choquer l'avis de qui que ce soit. Du coup, je précise aussi que je n'ai rien contre les gens qui ne partent pas en vacance dans le Jura.
25 Janvier 2018
javauxJe ne comprend pas l’intérêt de cracher sur Young Animal dans une critique de Légion. Milligan fait du pure Milligan , on aime ou pas cela n’a rien avoir avec ce que fait DC. Au contraire de l’auteur de l’article on peut considérer que Young Animal est le projet comics le plus intéressant de ces dernières années en approchant une forme d’esprit proche du pré-Vertigo tout en s’adaptant à notre époque .Bien sûr il faut aimer le psychédélique et peu de monde appréciera vraiment..Doom Patrol est un bon exemple de la réussite de Young Animal : le titre s’appuie énormément sur les tubs précédents mais en même temps crée quelque chose de vraiment nouveaux ( beaucoup de nouveaux personnages, une narration très différente de Morrison etc...)