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Doctor Strange, la critique

Doctor Strange, la critique

ReviewCinéma
On a aimé• La mise en scène de la magie
• Une 3D enfin utile
• Cumberbatch, l'arrogant né
• Des séquences dingues
On a moins aimé• Beaucoup d'exposition
• Un vilain encore dispensable
• L'impression de seulement effleurer le sujet
Notre note

- CRITIQUE GARANTIE SANS SPOILERS - 

Ce n'est plus un secret pour personne, et même le grand public s'est emparé du terme, Marvel Studios construit ses films en "phases". La deuxième devait s'achever avec Avengers : Age of Ultron, et se termina finalement sur Ant-Man. La troisième devait commencer avec Captain America : Civil War, mais officieusement, elle débute avec Doctor Strange, second long-métrage de l'écurie Kevin Feige pour cette année. Une origin story signée Scott Derrickson (Sinister, l'Exorcisme d'Emilie Rose) qui arrive plus de huit ans après Iron Man, ce qui implique au moins autant de qualités que de défauts.

En effet, depuis près de dix ans maintenant, la méthode Marvel Studios a fait ses preuves et a finalement éduqué le grand public en matière de super-héros. Les plus jeunes, les plus vieux, les fans, les néophytes, tous commencent à théoriser sur le moindre détail, le moindre indice laissé dans le champ. On a également pris l'habitude de voir évoluer des personnages qui tirent maintenant derrière eux un bagage conséquent, accumulé sur plusieurs films. C'était d'ailleurs à mon sens l'une des forces de Civil War, qui malgré son affrontement édulcoré, proposait des arcs narratifs prenants. Avec Doctor Strange, on tire un trait sur cette construction, et on repart, si je puis dire, à zéro. Le film de Scott Derrickson est avant tout une origin story pur jus, qui passe en revue la genèse de Stephen Strange et l'emmène à nouveau en voyage (du héros). Un pari quelque part osé, en 2016, où le public commence à se lasser de ces genèses en tout genre. 

Mais nous savons tous que la réécriture régulière des origines de nos super-héros favoris est aussi l'un des exercices les plus addictifs qui soit, aussi, lorsqu'elle est bien racontée, une  origin story parvient toujours à séduire (coucou le récent Batman de Telltale), par la simplicité de sa structure et la limpidité de son propos. Et c'est  effectivement le cas de Doctor Strange. Épuré à l'extrême, le film ne dure qu'une heure et quarante-cinq minutes, et passe ainsi en revue, aussi simplement qu'efficacement, tous les éléments centraux de la mythologie de Strange. Et il est facile de comprendre pourquoi, puisque le film va se permettre quelques séquences tout à fait hallucinantes et en tout cas spectaculaires, qui élargissent une nouvelle fois le spectre des divertissements offerts par le studio. N'usurpant pas sa réputation d'Inception dopé au LSD, le film épouse ainsi l'héritage laissé par Steve Ditko et de nombreux autres auteurs ayant défilé sur les planches du personnage, qui ne perd rien de sa superbe bizarrerie. D'aucuns diront que la puissance de Marvel Studios lui permet désormais de tout faire, je dirai plutôt que derrière sa folie visuelle boostée par les nouveaux moyens financiers alloués par le studio avec sa Phase 3, le film a l'humilité de raconter une histoire d'origine simple et bien rythmée. Et l'une n'était pas possible sans l'autre.

Le film est court, certes, mais cette durée est finalement un parfait compromis : Kevin Feige est tout à fait conscient des limites derrière la structure d'une origin story, surtout en 2016 et après treize métrage sous la bannière de son entreprise. Aux côtés du réalisateur Scott Derrickson et des scénaristes Jon Spaihts, Thomas Dean Donnelly et Joshua Oppenheimer, il choisit donc de condenser ces origines dans un film habilement raconté, qui utilise de nombreuses ellipses sans faire peser la temporalité sur le cerveau du spectateur. L'intrigue est donc déroulée avec une fluidité assez dingue, mais qui cache tout de même quelques défauts. Tout d'abord, un recours à l'exposition qui, si elle peut paraître indispensable au grand public, dans un premier temps, est tellement marteléee qu'elle finit par être contre-productive. On aura ainsi l'impression, parfois, que la magie évoquée par les personnages vit uniquement dans leurs trop nombreuses discussions, et non par elle-même. Associez à cela la durée du film, et vous obtenez également une note finale en demi-teinte, qui donne l'impression que Marvel Studios n'a fait qu'effleurer l'univers magique qu'il met ici en scène. Mais pour être honnête avec vous, j'ai quelques réserves sur cette conclusion, car j'imagine que les lecteurs de comics trouveront les explications trop nombreuses et peu subtiles, quand des spectateurs moins versés dans l'aspect magique de la maison des idée apprécieront ces appuis.

En ce sens, on sent que Marvel Studios a bien bossé en amont, mais que la réflexion des équipes de Doctor Strange ne pourra échapper au spectateur averti, qui verra, partout ou presque, des compromis : une exposition un peu lourde qui permet de se jeter à fond dans le fol univers du personnage, par exemple. Et bien sûr, une énième origin story, mais réduite au strict minimum, ce qui conduit certains dialogues à sonner faux, entre autres. Et puisqu'on parle des lignes prononcées, revenons sur le casting. Malgré des moyens décuplés, Marvel Studios n'échappe pas à ses torts et si la présence d'acteurs de premier choix permet aux personnages, même les plus faibles (dont Christine Palmer, incarnée par Rachel McAdams) de tenir un minimum la route, on retrouve des défauts trop récurrents : des protagonistes féminins limites, sauvé(e)s in extremis par une Tilda Swinton en forme (on comprend vraiment pourquoi une femme a hérité du rôle de l'Ancien) ou encore un méchant trop dispensable, endossé par un Mads Mikkelsen en automatique, pour ne citer que deux problèmes. D'autres critiques mentionneront également l'humour, mais qu'on se rassure, malgré la présence du génial Dan Harmon au générique, Doctor Strange s'avère assez digeste de ce côté-là, même si j'aurais tendance à qualifier au moins un gag du film comme intrusif : que vous l'aimiez ou non, vous tenez en tous cas votre nouvelle "vanne du métro" : soyez prêts.

Bien heureusement, en tête, on retrouve un Benedict Cumberbatch plutôt impeccable. Non pas qu'il livre la meilleure performance de sa carrière, bien au contraire, il se contente simplement de jouer ce qu'il sait faire de mieux : l'arrogant sympathique. Mais parfois, le choix le plus évident reste le meilleur et Scott Derrickson nous le prouve en dirigeant un Cumby prévisible mais juste, bien aidé par le score assez attachant de Michael Giacchino. A ce propos d'ailleurs, le film pousse bien plus loin et parfois très violemment l'aspect arrogant de son personnage principal, qui s'avère bien plus détestable, par moments, qu'un Robert Downey Jr, pour citer le plus cabotin des Avengers. Cumberbatch devrait donc séduire un très large public sans sortir de son style habituel, un poil nuancé par un Mordo incarné par Chiwetel Ejiofor, qui se contente de faire le travail, mais qui pourrait bien nous réserver de belles surprises. Voilà pour le casting, qui contient également quelques têtes connues comme Benedict Wong et Scott Adkins, mais franchement trop peu présents pour être jugés.

Passons maintenant à la réalisation. Venu du genre horrifique (qu'il salue le temps d'un jump scare bien placé), Scott Derrickson se montre très à l'aise avec le genre super-héroïque, qu'il dépoussière avec une mise en scène de la magie assez originale. Comme il nous l'avait promis, il s'éloigne des éclairs de L'Empereur et des sorts de Saruman pour nous offrir un mélange de magie et de Kung-Fu, mais surtout, une 3D très immersive. On ressent, dès le premier plan, que le film a été conçu dès le départ pour la technologie et c'est assez rare pour être souligné : on vous encourage vraiment à le voir avec des lunettes sur le bout du nez, si ce n'est dans une salle IMAX, qui ne fera que renforcer l'aspect trippy des séquences réalisées par Industrial Light & Magic, tout simplement époustouflantes. De plus, ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de dire qu'un blockbuster nous offre des séquences proprement inédites à l'échelle d'Hollywood, et encore moins chez Marvel Studios, où les moyens étaient auparavant limités par certains producteurs tentaculaires. Et pourtant, Doctor Strange a fait battre mon cœur bien trop vite plus d'une fois. Reste à savoir si le film de Scott Derrickson saura résister à l'usure du temps. Rien n'est moins sûr, mais à l'heure où j'écris ces lignes Marvel Studios, je le crois, nous a offert le plus abouti de ses films, visuellement parlant.

Comme si son lien désormais direct avec Walt Disney Studios, dirigé par Alan Horn, lui offrait (enfin) les moyens dont Kevin Feige rêvait depuis huit ans. En ce sens, Doctor Strange est le vrai début de la troisième phase de Marvel Studios, et il n'est donc pas étonnant qu'il soit une origin story bien taillée. Les comparaisons avec Disney ne s'arrêtent d'ailleurs pas aux moyens puisque le film de Scott Derrickson, en filigrane, développe une jolie réflexion sur une idée toute simple : "peut-on faire le bien en transgressant les règles ?". Un concept que les détracteurs de Marvel Studios ne verront sans doute pas, trop occupés qu'ils sont à dénoncer un humour qui a  pourtant toujours fait partie de l'ADN de l'entreprise - même si on reconnaît qu'il est parfois de trop. Hélas pas assez incarnée par les personnages de Mordo et Kaecilius (Mads Mikkelsen), cette réflexion se limitera aux choix de Stephen Strange, qui ont au moins le mérite de ne pas mener le film vers un final purement guerrier et gravitant autour d'un laser bleu géant. Un progrès qu'il convient de ne pas passer sous silence.

En 2016 et pour son quatorzième (!) film, Marvel Studios nous propose une origin story. Un pari franchement audacieux qui ne se fait pas sans heurts : plutôt court, le film déroule une histoire solide doublée d'une jolie réflexion qui impressionne plus par sa mise en scène dopée à la magie que par ses personnages et ses acteurs, efficaces mais dans les canons habituels de l'écurie Feige. Ces compromis offrent toutefois à Scott Derrickson l'occasion de proposer un spectacle unique (n'ayons pas peur des mots) et d'imposer un nouvel acteur majeur du Marvel Cinematic Universe, dans le même temps. Qu'on se le dise, nous allons aux devants de films toujours mieux façonnés, et en attendant, Marvel Studios a eu le courage de banquer sur un film qui derrière sa forme classique, reste conceptuel, assez dingue, et souvent inédit. Une encourageante réussite à l'heure où tous les films de super-héros semblent fatigués, malgré leur réussite au box-office. En sera-t-il de même pour Doctor Strange ? Réponse dès demain soir dans vos salles obscures, avant d'y retourner l'année prochaine pour Spider-Man : Homecoming, Guardians of the Galaxy Volume 2 et Thor : Ragnarok, rien que ça.


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