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"J'ai horreur de vivre aujourd'hui dans un mauvais roman de SF" : rencontre avec Bryan Talbot autour des Carnets de Stamford Hawksmoor

"J'ai horreur de vivre aujourd'hui dans un mauvais roman de SF" : rencontre avec Bryan Talbot autour des Carnets de Stamford Hawksmoor

InterviewDelirium

Auteur on ne peut plus francophile, Bryan Talbot faisait son retour en librairie en cette période de rentrée avec la sortie de l'excellent Les Carnets de Stamford Hawksmoor, la préquelle attendue de la série Grandville. Publiée en cinq tomes aux éditions Délirium, la saga s'offre un nouvel appendice avec les aventures de celui qui a formé son héros, l'inspecteur Lebrock. Autre époque, autre allure, et un changement de mise en couleurs pour un travail à l'aquarelle et une tonalité sépiaé du plus bel effet, ces Carnets de Stamford Hawksmoor méritaient bien qu'on s'y penche en détails avec Bryan Talbot, un an après avoir déjà discuté du projet.

C'est donc avec plaisir que nous avons retrouvé l'auteur lors de son dernier passage en France, afin de discuter au fond de son travail - dans une interview que vous pouvez aussi retrouver à l'audio et en anglais via First Print

Tous nos remerciements à Clément Boitrelle pour la retranscription et la traduction de cet entretien.


Bonjour Bryan. Nous nous retrouvons donc cette fois-ci pour parler des Carnets de Stamford Hawksmoor. Il s’agit d’un prequel à Grandville.

Oui. [en français dans l’entretien]

Vous avez créé Grandville il y a maintenant vingt ans il me semble, imaginiez-vous à l’époque que des années après vous seriez encore en train de créer des récits au sein de cet univers ?

Oh non ! Vous savez le premier récit était une « histoire complète » [en français dans l’entretien]. Il s’agissait d’un one-shot. Une fois la première histoire achevée, je m’étais attaché aux personnages et le contexte me plaisait. J’ai donc voulu continuer à écrire pour cette série. C’est ainsi que le deuxième récit a vu le jour. Une fois le script du deuxième rédigé, j’avais déjà des idées pour le troisième, quatrième et cinquième récit ! J’ai donc posé des pistes dès le deuxième volume qui achemineraient vers les récits suivants.

Concernant cette préquelle… Je crois que c’est en 2017 que j’ai terminé le travail sur le cinquième et dernier volume de Grandville. J’étais très satisfait de ce récit, qui est sans doute le meilleur de tous. Il m’a permis de finir en beauté : beaucoup d’intrigues trouvèrent leur conclusion… C’était donc la fin de Grandville pour moi, je ne savais pas trop ce que je pouvais faire d’autres dans cet univers. J’ai par la suite travaillé sur deux ou trois autres albums : j’ai travaillé sur le dernier volume de Luther Arkwright, j’ai illustré l’un des ouvrages de Mary, Armed With Madness… Il s’agit d’une biographie de Leonora Carrington, la dernière surréaliste. J’ai travaillé sur autre chose mais je n’arrive pas à me souvenir quoi… J’ai évidemment travaillé sur ma biographie aux côtés de J.D Harlock. Tandis que je planchais sur cette biographie il y a quatre ans environ, une idée m’est venue… Stamford Hawksmoor, le mentor de Lebrock, apparaît dans le cinquième volume quand Lebrock mentionne ses années en tant qu’assistant à ses côtés, mais nous ne le rencontrons alors qu’il est déjà vieux. Je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler Hawksmoor plus jeune. A quoi ressemblerait son quotidien, à quoi ressemblerait l’univers de Grandville sous l’occupation française ? C’est ainsi que l’envie m’est venue de travailler sur cette nouvelle histoire. J’ai mentionné l’idée à J.D Harlock qui l’a trouvée géniale. J’en ai également fait part à deux ou trois autres personnes qui m’ont aussi partagé leur enthousiasme. Je me suis donc penché un peu plus sérieusement sur le sujet.

Vous n’aviez donc aucune idée du passif d’Hawksmoor lors de sa création dans les pages de Grandville ?

C’est tout à fait ça. Le récit Les Carnets de Stamford Hawksmoor se déroule au crépuscule de l’occupation française de la Grande Bretagne. Les Français s’apprêtent à quitter le territoire anglais.

Vous expliquiez avoir mentionné vos idées à votre collaborateur, mais à quel moment avez-vous trouvé la bonne histoire pour ce personnage ? Car c’est une chose d’avoir les idées, mais c’en est une autre de trouver le temps pour développer le bon récit.

Oh complètement ! J’ai passé une bonne année à y réfléchir. J’ai l’habitude de travailler jusqu’à huit heures du soir, c’est l’heure à laquelle je m’arrête de dessiner. Nous dînons vers neuf heures. Aussi, je consacre cette petite heure de libre à l’écriture pour différents projets. J’ai donc travaillé pendant un an à élaborer des cartes mentales, trouver de nouvelles idées et construire un récit.

Voici un de mes points de départ : je me suis souvenu d’une idée que j’avais eu pour une scène d’ouverture dans les années 80. C’est à l’époque où je réalisais une tournée de dédicaces dans tout le Royaume Uni pour Luther Arkwright. La tournée a dû durer trois mois environ et tous les week-ends je dédicaçais dans des endroits différents. C’était la première fois par exemple que je visitais le Suffolk. Les paysages sont très plats dans cette région et je me souviens que le train nous faisait traverser champs après champs. J’ai en tête un matin où il faisait très froid et où il y avait une légère brume au-dessus des champs. J’ai alors imaginé un type traversant ces champs et qui d’un coup sort un walkman de sa poche, c’était la mode à l’époque. Il enfile ses écouteurs, il écoute un peu sa musique. Puis il dégaine le fusil qu’il portait sur son dos et se tire une balle. Je me suis dit que ce serait une super idée pour un début d’histoire. Je me suis souvenu de cette idée et j’ai donc voulu m’en servir pour entamer une histoire dans l’univers de Grandville. Tout ce qu’il me fallait c’était rendre la scène un peu plus « rétro » : au lieu d’un walkman, c’est un phonographe à cylindre et le type est en costume d’époque.

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C’est assez fascinant de voir qu’une idée vieille de plus de vingt ans termine dans un album aujourd’hui… D’autant qu’entretemps vous ne vous en êtes jamais servi !

Non c’est vrai ! Je crois bien que je voulais placer cette scène à chaque fois mais je n’ai jamais trouvé la bonne occasion ! Vous savez, parfois vous avez ces super idées mais qui sont difficiles à faire rentrer dans votre récit sans que cela paraisse forcé.

Comme vous vous êtes replongé dans le monde de Grandville, a-t-il été difficile de travailler ce récit tout en ayant en tête tous les éléments que vous avez établi auparavant en termes d’univers et de cohérence ? Je pense par exemple aux personnages déjà existants.

Oh non tout cela m’est venu plutôt naturellement, en plus nous sommes vingt ans avant les évènements de Grandville. Dans l’album vous découvrez ainsi comment est-ce que Stamford rencontre Quimby Quill, quels sont ses débuts à Scotland Yard… Dans Grandville, lors d’une des scènes de flashbacks, on découvre que Stamford a à ses côtés cet assistant particulièrement stupide, Stoatson qui deviendra plus tard le chef de la police. Dans les Carnets de Stamford Hawksmoor, on apprend que son père est un bon ami de Stamford. Il demande d’ailleurs à ce dernier s’il voudra bien prendre son fils sous son aile quand il entrera dans les forces de police, car c’est le rêve de Stoatson.  Stamford accepte. Et vous voyez, ce sont ce genre de petites références qui enrichissent énormément l’univers de Grandville.

C’est également le cas d’un des criminels de ce récit qui finira par devenir l’un des antagonistes principaux d’un des albums de Grandville.

Effectivement… Je me suis douté que les lecteurs se diraient que Stamford ne peut pas capturer Mastock, car il est encore en cavale dans l’univers de Grandville. Il a donc fallu contourner ça.

On pourrait presque se dire que tout ça a été soigneusement préparé par vos soins, que depuis des années vous aviez un tel rebondissement en tête. Alors qu’en fait vous avez trouvé la solution pendant la réalisation de l’album.

Je voulais avant tout écrire une enquête à l’ancienne : tout au long de l’album nous suivons une investigation où une piste en mène à une autre… Un peu comme dans un Sherlock Holmes. Comme le récit se situe dans le passé, l’atmosphère y est différente que dans les albums Grandville. Dans ces derniers, on est plus dans une ambiance « Belle Epoque » en ce qui concerne les costumes… On est plus à la mode Edwardienne. Ici, nous nous rapprochons plus de la mode Victorienne. D’autant que l’histoire se passe à Londres. Tout se déroule avant l’arrivée du moteur à vapeur. On y aperçoit d’anciennes calèches à chevaux, on passe dans des rues brumeuses recouvertes de pavés, comme dans un récit de Sherlock Holmes. Pour souligner cette atmosphère, les couleurs ne sont pas faites par ordinateur comme dans Grandville. Tout est fait à l’aquarelle que je teinte ensuite en sépia numériquement, de sorte à donner un effet de vieilles photos.

Je voulais justement revenir sur votre approche artistique qui est par ailleurs stupéfiante ! Pouvez-vous élaborer un peu plus sur votre procédé pour la colorisation ?

Tout est d’abord fait en noir et blanc. Je trouve cela plus facile de réaliser des lavis avec le noir, cela vous permet d’avoir des teintes de gris. Puis j’ai juste à modifier la valeur des couleurs pour obtenir une teinte sépia.

Est-ce que cela a été difficile pour vous de revenir à une technique plus traditionnelle après avoir travaillé numériquement pendant des années ? J’imagine qu’avec l’aquarelle vous avez moins de liberté car vous devez jouer avec une seule couleur et ses nuances.

Tout à fait. Mais vous savez, j’ai déjà utilisé l’aquarelle dans mes précédents travaux. C’est le cas pour quelques-uns de mes premiers albums underground des années 70 que j’ai réalisés à l’aquarelle. C’est également le cas pour L'Histoire d'un vilain rat. En réalité, je n’ai jamais vraiment arrêté l’aquarelle.

Toujours concernant votre approche stylistique : vous expliquiez passer d’une atmosphère steampunk et Belle Epoque à quelque chose de plus Victorien. Avez-vous fait des recherches pour vous aider ?

Oh oui ! J’ai observé des dizaines et des dizaines de photos et d’illustrations représentant des rues, des costumes des années 1890, vu que c’est dans ces années que se déroulent le récit.

C’est quelque chose que vous faites pour tous vos albums. Pensez-vous passer autant de temps à faire des recherches que de dessiner vos albums ?

Non, c’est bien le dessin qui prend le plus de temps !

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L’album est une excellente enquête policière ! C’est un genre qui traverse tous les albums de Grandville mais vous avez toujours essayé d’adopter un style différent dans chaque récit. Le dernier volume par exemple s’apparente plus à une histoire d’Agatha Christie…

Lors de certains passages oui.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans les récits d’enquête ? Je parle à la fois dans leur lecture mais également dans votre façon de les concevoir.

J’aime beaucoup en lire, j’avoue ! Pour moi ce sont les histoires parfaites ! Il y a tout ce qu’il faut pour écrire une bonne histoire qui se suffit à elle-même. Je pense que cela remonte également à mon enfance. J’adorais les feuilletons policiers à la télévision. J’ai découvert Sherlock Holmes quand j’avais cinq ans grâce aux films de Basil Rathbone.

N’était-ce pas un peu tôt pour un enfant ?

[rires] Je ne sais pas mais en tout cas j’adorais ces films ! J’adorais les scènes d’ouverture dans le brouillard, la musique, Nigel Bruce qui jouait Watson, même si cela ressemblait plus à une caricature de qui était Watson dans les romans. Mais je l’adorais plus jeune, c’était un peu mon tonton préféré ! C’est vers l’âge de onze ans que j’ai lu les premières histoires de Sherlock Holmes. Puis à seize ans j’ai découvert Raymond Chandler qui a écrit les romans de Philip Marlowe comme Adieu ma Belle ou Le Grand Sommeil. Des classiques américains.

Avez-vous un style préféré ?

Pas vraiment… N’importe quelle enquête policière me plaît. Il y a certains récits qui ne sont pas écrits comme de telles histoires, mais par essence ce sont des enquêtes policières. Je pense par exemple à The Crow Road de Iain Banks. C’est avant tout un roman dans lequel nous suivons une histoire familiale, mais il présente tout ça comme une enquête. L’histoire commence avec les obsèques de la grand-mère du jeune héros de dix-huit ans. Le roman commence d’ailleurs ainsi : « C’est aujourd’hui que ma grand-mère a explosé ! » [rires] Il y a un peu plus tard un flashback où cette même grand-mère explique à son petit-fils que son oncle Rory a disparu et qu’elle souhaite qu’il découvre la vérité sur cette disparition. C’est un peu comme dans un roman de détective ou quelqu’un demande : « Je veux que vous retrouviez untel… » vous voyez ? La suite du roman est une enquête pure et simple, qui mène fatalement à la grande révélation. Ce que je veux dire c’est que certaines histoires ne se présentent pas comme des récits policiers mais elles le sont in fine.

Comment écrire une bonne enquête policière ? Vous devez captiver le lecteur autour d’un mystère, d’autant qu’il s’agit là d’un gros album, il fait environ 180 pages. Sans compter les différentes sous-intrigues qui s’ajoutent pour former un seul récit. Comme vous-y êtes-vous pris ?

La structure du récit est essentielle car il faut savoir maîtriser le foreshadowing : vous devez semer quelques graines par-ci par-là qui gagneront en importance plus tard dans votre histoire. Rien n’est laissé au hasard, tout doit trouver son explication. Les révélations doivent être faites à des moments précis du récit. C’est vraiment ce qui me vient à l’esprit en premier lieu.

Et concrètement, comment procédez-vous ? Avez-vous un carnet comme Stamford ou bien accrochez-vous vos idées aux murs reliées par des fils rouges ?  

Non, j’ai pris l’habitude d’étaler mes idées sur de grandes feuilles de papier que je scotche entre elles. Je travaille scène par scène et je fais de nombreux brouillons. Une fois terminée, chaque feuille est recouverte de flèches et de notes ! Je procède ainsi jusqu’à avoir une structure de récit solide. J’ai bien évidemment de nombreux dossiers remplis de notes que je classe par ordre de chapitre.

Faites-vous relire vos scripts à votre épouse Mary par exemple ?  

Mary a toujours été ma lectrice numéro un ! A chaque fois que je termine un script, je lui soumets et elle le lit pour me donner son avis sur tel ou tel passage. J’ai également trois ou quatre amis à qui j’envoie mes scripts et qui me disent si cela leur plaît ou non.

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Vous aimez également fournir certains éléments à vos lecteurs qui prendront de l’importance plus tard dans l’histoire. Cependant vous aimez tricher il me semble parfois avec vos lecteurs en leur cachant des éléments. Je pense par exemple aux sons. Dans un passage de l’album, Stamford découvre l’implication d’un personnage grâce à son accent. C’est bien évidemment un élément qu’en tant que lecteur nous ne pouvons pas percevoir. Est-ce là votre marge de liberté en tant qu’auteur ?

Oui bien sûr il faut parfois cacher certains éléments. Stamford ne dévoile pas cette information de sorte qu’une fois révélée, c’est une surprise pour le lecteur. Cela ajoute un petit plus à son personnage.

Vous mentionniez également le contexte politique de l’album. Nous sommes à l’aube de l’indépendance de l’Angleterre. L’an dernier vous mentionniez le fait que cet album vous permettrait de parler du Brexit par le biais notamment du nationalisme. Dans l’album, ces fameux nationalistes souhaitent rendre son indépendance à la Grande Bretagne. Je ne suis pas tellement versé dans la politique mais j’ai du mal à percevoir le lien entre le Brexit et le récit : ici nous parlons d’un désir de quitter un empire colonial et non une alliance.

Evidemment je ne fais pas mention du Brexit car nous sommes dans une fiction mais je voulais surtout insister sur la séparation de deux pays. Comment l’influence française quitte la Grande Bretagne. Vous pouvez mettre ceci en lien avec le sentiment de tristesse qui a suivi le Brexit. Vous n’êtes pas sans savoir que cela a été un véritable désastre.

Je ne l’ai pas vécu personnellement…

Je ne sais plus le pourcentage de votants précis mais le vote s’est fait à deux pour cent près… Parmi ceux qui n’ont pas voté, bon nombre ont affirmé qu’ils n’étaient pas allé voter car ils étaient persuadé que nous resterions dans l’Union Européenne ! Les politiques qui ont mené la campagne pour quitter l’UE étaient des nationalistes. Dans Les Carnets de Stamford Hawksmoor, ce sont les mêmes nationalistes qui commettent des attentats et des atrocités pour forcer les français à quitter le territoire. Evidemment, le nationalisme utilisé pour véhiculer la haine est une mauvaise chose.

Pourriez-vous élaborer ?

Comme le souligne Stamford dans l’album, le patriotisme, aimer son pays, est tout aussi naturel qu’aimer sa propre mère. L’utiliser pour haïr, blesser ou juste rendre la vie plus compliquée à d’autres est bien évidemment inacceptable.

Vous semblez aborder également la notion de « cancel culture » sur une page concernant l’édification d’une statue de Napoléon. Dans l’album Stamford passe vite à autre chose, ce n’est donc pas un sujet qui mérite d'être "débattu" pour vous ?

C’est dingue quand on y pense… Si vous regardez la droite, tous les nationalistes qui hurlent à qui veut l’entendre que la cancel culture est la chose la plus horrible qui soit. Mais ce sont les premiers à le faire ! Regardez Trump aux Etats-Unis qui veut censurer des musées, des œuvres d’art. La cancel culture est acceptable quand ils le font ! [rires] Le terme même « cancel culture » est stupide…

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Ce qui est surprenant c’est que vous avez eu l’idée de cette scène il y a cinq ans, à l’époque où le débat public était centré sur le démantèlement ou non de certaines statues. Aujourd’hui nous avons effectivement un président américain qui essaie de censurer des musées. Pensez-vous que la réalité dépasse bien trop rapidement la fiction ?

Complètement, j’ai horreur de vivre actuellement dans un scénario de mauvais roman de science-fiction ! Si, il y a vingt ans de cela, vous aviez lu ce qui allait se passer avec Trump et son projet pour les Etats-Unis, vous ne l’auriez jamais cru ! Mais c’est pourtant bel et bien ce qui se passe !

Est-ce que cela vous donne de l’inspiration pour vos récits ? Que ce soit dans Grandville ou pour un autre univers.

Non pas tellement. Je n’ai pas l’impression que ce qu’il fait est suffisant pour avoir de nouvelles idées. Mais souvent, écrire une histoire me permet de réfléchir à ce qu’il se passe dans le monde et de potentiellement l’intégrer dans mon récit.

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L’an dernier vous évoquiez la possibilité, après votre travail sur Les Carnets de Stamford Hawksmoor, de travailler sur des récits courts qui mettraient en scène des enquêtes de Stamford. Est-ce toujours d’actualité ?

Tout à fait, j’en ai déjà rédigé deux.

Une de plus que l’an dernier donc.

Je suis également au milieu de la rédaction d’une troisième. La première histoire s’est avérée être plus longue que prévu ! Elle fait environ soixante pages, je vais donc la séparer en deux parties.

Je crois me souvenir que l’idée derrière ce projet est de les publier en single issues ?

Exactement. La deuxième tient en vingt-cinq pages. Je pense que la troisième va également être plutôt longue…

Est-ce difficile de devoir rester concis ?

Oui, très ! Vous avez parfois des idées qui vous viennent et vous vous dites « oh je vais devoir développer ça plus tard ! ». Ma mission pour l’heure est de trouver un éditeur qui publie ce genre d’histoires ! En Grande Bretagne, l’éditeur qui publie Les Carnets de Stamford Hawksmoor et Grandville n’édite pas ce genre de format. Il ne publie que des albums au format « graphic novel ». Je ne vais pas tarder à solliciter certains éditeurs mais il n’y a pas d’urgence car je suis encore en train d’illustrer le prochain livre de Mary, qui est une biographie de Mary Wollstonecraft. C’est un peu l’Olympe de Gouges anglaise. C’est également la mère de Mary Shelley, l’autrice de Frankenstein. C’est une figure très intéressante.

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Je voulais également échanger quelques mots avec vous sur L'histoire d'un vilain rat, qui est sorti en début d’année en France. C’est également un album fantastique. J’ai lu dans la postface je crois que vous vous réjouissiez de ne pas avoir eu la même enfance que votre personnage principal. Je me demandais si vous aviez échangé avec des personnes qui ont subit des maltraitances pour rédiger votre histoire et ainsi représenter au mieux les émotions de votre personnage.

Oui bien sûr. J’ai d’abord effectué pas mal de recherches via des ouvrages qui traitaient de la psychologie des enfants victimes d’abus. Il y a une œuvre en particulier qui a été très importante. Cette dernière compilait chapitre après chapitre des retranscriptions d’échanges avec des victimes. J’ai ainsi pu les paraphraser et les faire témoigner via le personnage d’Helen. Elle parle pour eux, vous voyez ? Je me souviens qu’un an avant la sortie de l’album, j’avais dû mentionner dans une interview que je travaillais sur le sujet des enfants maltraités. Juste après, des amis que je connaissais depuis longtemps voire des lecteurs lors de conventions m’ont spontanément partagé leurs témoignages d’anciens enfants victimes d’abus. C’était très surprenant. Des amis de longues dates m’ont partagé en face à face leurs passés traumatiques.

Il s’agit sans doute d’un de vos récits les plus réalistes.

Complètement oui.

Nous trouvons quand même un élément fantastique par le biais du rat, qui meurt mais revient plus tard.

Il n’y a rien de bien magique derrière tout ça.

Il s’agit plus d’une représentation de l’esprit ?

Ce livre parle avant tout d’imagination.

Est-ce quelque chose que vous aviez en tête dès le début ou bien est-ce arrivé en cours de route ?

Je crois que c’est venu en cours de route.

Pensez-vous que l’imagination est l’un des meilleurs outils pour surmonter de telles épreuves ?

Oh oui, complètement.

Une dernière question : l’édition française possède une préface rédigée pour les quinze ans de l’album. Cela fait trente ans aujourd’hui depuis la première publication. Il semble que rien n’ait vraiment changé concernant cette problématique, en termes de représentation dans les comics mais également dans l’art plus généralement.

Je pense qu’il est plus facile de parler de ces sujets maintenant. A l’époque, ce genre de sujet n’était pas abordé dans les médias. Ils donnaient l’impression que ces problématiques se réglaient d’elles-mêmes… Aujourd’hui les plus jeunes sont davantage conscients que ce genre de choses peuvent arriver et que ce n’est pas juste le fruit de leur imagination.

Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé. C’est toujours un plaisir d’avoir ces entretiens avec vous.

Merci beaucoup.

Illustration de l'auteur
Arno Kikoo
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