Gros succès de l'an passé en VO chez IDW, qui s'est confirmé en ce début 2025 avec sa sortie VF chez Ankama, le titre horrifique Beneath the Trees : Where Nobody Sees ne passe décidément pas inaperçu grâce à ses allures de croisement bizarre entre Dexter et Petit Ours Brun. La maison d'édition française avait d'ailleurs bien accompagné l'arrivée de cet album en début d'année, avec une venue de son auteur Patrick Horvath pour une tournée de dédicaces en France, en passant par le FIBD. Ni une ni deux, nous avons profité de son passage pour kidnapper l'artiste avec nos micros et lui poser tout un tas de questions.
De ses débuts dans le cinéma à son arrivée plus tardive dans la bande dessinée, des idées et concepts de Beneath the Trees à ses influences dans le registre de l'horreur, Horvath a répondu sans fard et non sans humour à l'ensemble de nos questions, au terme d'une interview passionnante que vous pouvez aussi apprécier en anglais et à l'audio au format podcast via First Print. N'hésitez pas à soutenir notre travail en partageant l'interview, quel que soit le format !
Nous remercions chaleureusement Clément Boitrelle qui s'est occupé de la traduction et retranscription de l'interview.
Bienvenue Patrick Horvath au micro de notre podcast ! Commençons par une question très large, celle que nous posons à tous nos nouveaux invités : qui êtes-vous Patrick Horvath ? Nous vous connaissons de nom, mais que pouvez-vous nous dire sur vous et votre rapport au comics et au dessin en général ?
Je suis donc Patrick Horvath, je suis un artiste au sens large. En tout cas quand je déclare mes impôts j’ai le statut d’artiste ! Plus globalement, je suis réalisateur et dessinateur. J’écris et je dessine des comics. Je vis à Los Angeles. J’officie principalement, voire presque uniquement, dans le registre de l’horreur. Ce n’est d’ailleurs pas forcément volontaire mais c’est dans ce genre que je me suis retrouvé. En tout cas c’est cette communauté qui est la plus réceptive à mon travail, je continue donc d’œuvrer dans ce registre même si j’aimerais travailler dans d’autres univers. Pourquoi avoir choisi les comics ? J’ai découvert les comics durant mon adolescence. Image Comics venait tout juste d’être créé dans les années 90 et la bulle spéculative battait son plein. Les lecteurs cherchaient donc à collectionner certains comics pour pouvoir spéculer sur leur rareté, ce qui semble un peu idiot quand on y pense…
Comme les fameuses couvertures holographiques ?
Tout à fait. Je ne comprenais pas ni n’étais forcément intéressé par cet aspect à l’époque mais il y avait une telle effervescence. J’avais lu quelques comics Marvel ou DC, mais il y eut d’un seul coup tant de nouveaux titres qui apparaissaient, et tous si différents ! J’adorais ça ! Il n’y avait pas de règles prédéfinies et les comics pouvaient être plus extrêmes ! C’est donc ce genre d’album que je collectionnais quand j’avais treize ou quatorze ans. Je m’y suis intéressé durant mes années lycée avant d’arrêter. C’est à ce moment que j’ai voulu me lancer dans le cinéma. Je suis donc allé à l’université pour l’étudier. J’ai grandi au milieu des Etats-Unis, dans la ville de Burlington dans l’Iowa. Si aucun membre de votre famille ne travaille dans l’industrie du cinéma, c’est très dur d’y rentrer ! Je n’avais pas grand-chose d’autres à faire que de manger, dormir et penser cinéma ! J’ai commencé à dessiner dès l’âge de quatre ans, et mon dernier cours un tant soit peu artistique remontait au lycée, je me suis donc dédié exclusivement au cinéma et j’ai arrêté le dessin. Je me suis consacré entièrement à la réalisation. Mon université était très axée sur la théorie avec un peu de pratique. Ils nous ont appris à faire fonctionner le matériel, les caméras, les lumières… J’ai appris le montage. Tout ça pendant les années 90. J’ai été amené à réaliser un film de fin d’études. Pas très intéressant techniquement mais l’important était avant tout l’histoire. Il fallait être capable de défendre sa vision et ses choix en termes d’intrigue. Avec le recul, j’ai le sentiment que ce cursus m’a plutôt bien préparé à aborder les questions de narration. Après ça j’ai réalisé mon premier film à Chicago, que quasiment personne n’a vu !
Est-ce qu’on peut le voir quelque part ?
Pas du tout ! C’est un long métrage qui dure 70 minutes ! Je me souviens avoir acheté deux caméra Bolex sur Ebay et dépensé le peu d’argent que j’avais en pellicule ! Juste ce qu’il fallait pour tourner un film de 70 minutes avec une petite équipe. J’ai d’ailleurs beaucoup appris. Mais je pense qu’à peine cinquante personnes l’ont vu ! Enfin bref…
Était-ce un film d’horreur ?
Non non… Après ça j’ai emménagé à Los Angeles. A l’époque, je ne dessinais que pour réaliser mes storyboards. Ce n’était pas très bon, très rudimentaire. J’ai réalisé deux autres films indépendants dont un que j’ai produit avec un associé. Mais après ce deuxième métrage, je me suis rendu compte que le dessin me manquait. J’ai donc repris le dessin. C’était un moyen simple de rester créatif : vous avez une idée, vous la dessinez et voilà ! Ça ne prend pas un an comme pour réaliser un film ! [rires] J’ai ensuite repris l’aquarelle, je me suis pas mal entraîné pour m’améliorer. C’est à cette même époque où je me suis dit que si je le voulais, je pourrais sans doute me lancer dans le comics. Ce serait beaucoup plus facile pour raconter des histoires… Vous savez, réaliser un film prend énormément de temps : presque un an et demi si les choses vont vite. Et c’est sans compter le temps qu’il faut pour le produire, trouver les financements… A l’échelle de mes productions de l’époque cela pouvait prendre jusqu’à cinq ans ! Ce que j’avais en tête c’était de dessiner des comics entre deux films pour pouvoir nourrir mes deux passions. Nous sommes donc en 2011 ou 2012… J’ai commencé à réfléchir à plusieurs idées avec un autre auteur pour les proposer à droite à gauche. Mais bon, personne ne me connaissait dans l’industrie. Aucun de ces projets n’aboutirent. Cependant, depuis 2013 je publiais quotidiennement des dessins sur les réseaux sociaux, que ce soit sur Instagram ou Twitter, et ce pour continuer à m’entraîner.
Un jour, l’auteur de Ice Cream Man, W. Maxwell Prince, m’a contacté et m’a demandé si je souhaitais réaliser une couverture pour un numéro. On parle d’une couverture qui sera publiée, j’ai évidemment accepté ! Faire cette couverture m’a amené à travailler sur Haha!, avec un script rédigé par Prince spécifiquement pour moi, pour tirer parti de mes forces en termes de dessin. Il adorait ma manière de dessiner des objets flottants, mes clowns. Il m’a proposé l’histoire que j’ai immédiatement accepté, j’étais très honoré. C’est également à cette époque que j’ai travaillé sur Free for All. Ce projet m’a permis de montrer ce à quoi mes dessins ressemblaient dans une narration séquentielle. J’ai pu y exercer mon écriture aussi. Ce projet était surtout un exemple, quelque chose à montrer. C’est pour ça qu’il a moitié moins de pages qu’un roman graphique classique.
C’était un genre de portfolio ?
Tout à fait. C’est donc vers cette époque que l’idée de Beneath The Trees est arrivée. En 2015, j’ai écrit et réalisé un segment pour l’anthologie horrifique Southbound [666 Road en français]. Paul Davidson qui travaillait pour la société qui s’est chargée de la distribution du film, The Orchard, s’est plus tard retrouvé à travailler chez IDW au sein de leur département audiovisuel.
A l’époque où IDW essayait de développer des projets pour la télévision ?
C’est ça. Ensemble, nous avons essayé de monter un projet à publier chez Top Shelf, la section roman graphique d’IDW. Malheureusement, cela ne s’est jamais fait. Cependant, Paul avait montré mon travail à Mark Doyle qui s’occupait à l’époque de la publication des créations originales chez IDW. Paul m’a alors demandé si je voulais entrer en contact avec Mark, j’ai évidemment dit oui. J’avais plusieurs projets sous le bras et Beneath the Trees était l’un d’entre eux. Dès que je leur ai présenté l’histoire, ils furent partants. Voilà comment cela s’est passé, je n’avais rien anticipé !
Avez-vous gardé un œil sur le marché des comics durant vos études de cinéma ? Etiez-vous au courant des évolutions ? Vous arrivez sur le marché à une époque où l’horreur semble de retour, surtout chez les indépendants. Avez-vous lu certains auteurs en vogue dans les années 2010 ?
Non, je ne suis pas très au courant de ce qui s’est fait durant cette époque. J’ai vraiment redécouvert les comics vers 2016. J’ai surtout rattrapé mon retard en lisant certains artistes indépendants comme Charles Burns, Daniel Clowes, Chris Ware et même Jean Giraud. Je lisais vraiment tout ce que je pouvais pour voir ce qui se faisait. J’ai vite réalisé que c’était ce genre de travaux qui résonnait le plus chez moi. Je n’ai rien contre les récits de super héros, ce n’était juste pas le type d’histoires qui m’intéressait. Ceci dit, en lisant d’autres auteurs indépendants, je me rendais compte qu’eux aussi allaient travailler chez DC ou Marvel et c’est ce qui m’a lentement attiré vers ce type de comics. Disons que c’est surtout en 2016 que je me suis mis à étudier le marché. Concernant l’horreur, je pense qu’il s’agit purement de la chance. Il se trouve que c’est ce que je sais faire. Et vous savez, le genre horrifique est indémodable. C’est un genre universel. Je pense que l’horreur peut très facilement toucher un large public et ce dans le monde entier. Et il se trouve que c’est dans ce registre que j’œuvre. C’est cette universalité qui fait que je travaille beaucoup dans l’horreur. Vous pouvez également être très expérimental si vous le souhaitez. Avec l’horreur, vous pouvez faire ce que vous voulez, les spectateurs sont très indulgents et ça c’est formidable. Prenez La Nuit des Morts Vivants, c’est l’exemple parfait de ce que peut représenter le genre horrifique. Le film n’est pas ouvertement politique, mais l’est quand même, vous ne pouvez pas contredire ça ! Mais Romero, à de nombreuses reprises, a déclaré que rien dans le film n’était intentionnel. Pourtant, à l’époque où ils réalisaient le film, Martin Luther King fut assassiné. Et ils ont compris dans quel contexte leur métrage s’inscrivait. Vous voyez ce que je veux dire ? Pour moi cet élément est évident. Et vous voyez, vous pouvez aborder ce que vous voulez, que ce soient des sujets de société ou culturels dans un film d’horreur, il sera bizarrement bien accueilli.
Il me semble avoir lu dans une interview que Free for All était plus ou moins une réponse de votre part au contexte socio-politique et ses changements aux Etats-Unis…
C’est exact.
J’aimerais avoir votre avis à ce sujet mais également, dans Beneath the Trees, il semble y avoir un sous-texte au sujet des communautés et de l’opposition entre Amérique rurale et urbaine. Était-ce une volonté de votre part ou n’étiez-vous juste intéressé que par la violence et la brutalité d’une petite oursonne mignonne ?
[rires]
Concernant la première partie de votre question. Free for All était clairement une réponse de ma part à la situation des Etats-Unis et du monde en 2016. C’est encore plus le cas aujourd’hui d’ailleurs… Mais c’est amusant car je répète à l’envie que l’horreur est indémodable, mais c’est aussi le cas pour les inégalités de répartition des richesses… Ça l’a toujours été ! [rires] Mais de ma frustration à l’époque, j’ai imaginé cette réponse satirique aux inégalités de revenus ! Au sujet de Beneath the Trees, j’ai juxtaposé la ville et la ruralité pour deux raisons : la première, je voulais vraiment faire contraster la violence de l’histoire avec une communauté idyllique, presque insouciante du monde qui l’entoure. Je ne sais pas si vous connaissez l’auteur de livres pour enfants Richard Scarry. Il a réalisé une série de livres avec des animaux anthropomorphes qui vivent dans une petite ville appelée Busy Town. Tous les personnages sont très mignons, tout le monde a son petit travail quotidien : vous avez la bibliothécaire, le policier, le facteur etc. Vous voyez ? Aussi je me suis demandé ce que cela donnerait si vous preniez cette petite utopie et que vous y ajoutiez un serial killer. Puis je me suis demandé s’il y en avait deux ?! Et si le second donnait du fil à retordre au premier ? Avoir ce décor dans lequel laisser l’horreur se déployer me semblait quasi blasphématoire ! Mais en même temps, le contraste serait si flagrant que l’impact de l’histoire n’en serait que plus fort. Voilà pourquoi j’ai choisi ce décor. En ce qui concerne le personnage de Samantha, elle est très méthodique. Aussi, sa solution pour faire ce qu’elle doit faire en toute discrétion, est d’aller en ville. Plus j’y pensais, plus j’étais convaincu de situer l’histoire dans les années 80, et je veux dire dans le New York des années 80, sauf qu’ici la ville s’appelle Centerville. Des choses horribles se déroulent tous les jours dans cette ville, donc qu’est-ce qu’une personne qui disparait de temps en temps ? Et vous voyez, cette histoire de contraste n’est finalement pas si éloignée de ma propre enfance. Des choses terribles se sont déroulées là où j’ai grandi mais certainement pas du même calibre que ce qui pouvait se passer en ville. Par exemple, au début des années 2000 je vivais à Chicago. Une femme qui vivait dans mon quartier était juge. Un jour, quelqu’un qu’elle avait reconnu coupable lors d’un procès engagea une personne pour l’assassiner. Au final, elle ne fut pas tuée mais c’est sa famille qui fut massacrée… C’était terrible. Je me souviens rentrer à la maison et voir de la rubalise dans tous les sens, des journalistes en direct devant notre immeuble ! Je me souviens me dire « Ouah, je suis en train de vivre un évènement comme on n’en voit que dans les grosses villes ! ». Vous voyez, c’est le genre de choses qui se passent dans les grosses métropoles. Pas tous les jours mais vous voyez l’idée. Dans la bourgade où j’ai grandi, ce genre d’évènement m’aurait semblé très éloigné.
Une question sans doute évidente de notre part. On a vraiment l’impression d’avoir entre les mains une bande dessinée pour enfants que ce soit via les dessins ou les aquarelles, ce qui contraste vraiment avec le degré de violence de l’histoire. Ce n’est pas un comics d’horreur mais un comics vraiment très violent, avec des scènes très graphiques. Comment avez-vous réussi à trouver l’équilibre entre un style enfantin et une atmosphère plus adulte ?
Cela a été assez intuitif je dirais. Je ne m’étais pas fixé de limite ou bien des proportions à respecter. La manière dont l’horreur devait se déployer pour être suffisamment impactante m’a semblée plutôt naturelle. On parle d’une violence plutôt réaliste…
Ce n’est pas une violence grotesque. C’est très sanglant, mais pas grandiloquant. Dans un film comme Terrifier, la violence exagérée vous empêche de prendre du recul sur le récit.
Exactement, c’est un bon exemple. Je ne verse pas dans l’horreur d’exploitation. Je n’ai rien contre ce genre de films, mais ce n’est pas mon truc vous voyez, je n’envisage pas l’horreur sous cet angle. Dans Beneath the Trees, je voulais que la violence se rapproche le plus de ce qui pourrait se passer dans la réalité. La grande majorité des éléments sanglants sont très anatomiques. J’ai d’ailleurs fait pas mal de recherches pour savoir où se situaient précisément les organes dans le corps humain comme à quoi ressemblerait un vrai cerveau… Mais rassurez-vous je n’ai tué personne pour mes références ! [rires] J’ai entre autres été visiter l’exposition Body Worlds, je ne sais pas si vous connaissez. Vous pouvez y voir pleins d’exemples. Même si ce ne fut pas forcément ma première approche, je voulais que la violence soit dérangeante. La plupart des scènes gores sont faites de manière à révéler au fur et à mesure la portée de ce qui vient de se passer. Je ne montre d’ailleurs pas énormément la violence de l’instant, je me concentre plus sur l’après. Que se passe-t-il après l’acte de tuer. Cette approche est donc à l’opposé d’une violence beaucoup plus grotesque comme dans le comics Red Room. Encore une fois, je n’ai rien contre cet album, mais avec Beneath the Trees je voulais une violence beaucoup plus terre à terre et brute.
Est-ce que le fait d’avoir choisi ces animaux anthropomorphes était un moyen pour vous d’adoucir en quelque sorte les évènements qui se déroulent sous nos yeux ? A l’inverse d’un personnage comme Dexter qui n’exécute que des mauvaises personnes, Samantha tue des personnes de manière aléatoire. Il serait très difficile d’avoir de l’empathie pour un personnage humain qui s’adonnerait à ce genre de méfaits, alors qu’avec une mignonne petite oursonne …
Je vous rejoins là-dessus. C’était un vrai défi pour moi d’avoir un personnage avec aussi peu de pitié que Samantha. Je voulais vraiment mettre en avant cette différence de traitement entre elle et Dexter ; nous n’avons aucune empathie pour elle. Je connais suffisamment bien la série Dexter pour savoir à quel type de victime il s’attaque et je voulais que la violence dont Samantha fait preuve soit problématique ; il n’y a pas de justification. Je ne pense pas avoir de souci avec les représentations de violence « légitime » mais je pense qu’elles doivent être questionnées. Pensez par exemple aux Chiens de Paille de Sam Peckinpah où toute cette débauche de violence doit vous mettre mal à l’aise. Aussi, si à la fin de l’album vous vous identifiez au personnage de Samantha, vous devriez être en mesure de comprendre que ce n’était pas le but ! Elle n’est pas du tout en mesure de ressentir des émotions ou de l’empathie : c’est objectivement un monstre. Ce serait d’ailleurs plutôt à Nigel de la stopper ! Certes il a tué quelques victimes, mais elle en a massacré des douzaines ! C’est plutôt elle le plus gros problème ! Mais j’avais à cœur de garder l’histoire très resserrée autour de son personnage et effectivement, le décor et les petits animaux mignons fonctionnent très bien pour souligner le propos. Et vous savez, c’est terrifiant un vrai ours ! [rires] Dans la culture populaire, les ours sont associés aux peluches, ils sont mignons alors qu’en réalité, il n’y a pas plus féroce !
C’est d’ailleurs quelque chose que vous représentez : elle croise de vrais ours durant l’histoire. Ce qui est plutôt intriguant car dans ce type de récit avec des animaux anthropomorphes, on ne voit pas vraiment la faune qui peuple ces univers. Quelle a-été votre idée derrière cette scène ? Vouliez-vous parler de la nature violente de l’humanité ? Qu’aviez-vous en tête avec ce passage ?
Encore une fois, tout vient de mon inspiration première : Richard Scarry. Dans Busy Town, il y a certes ces personnages sous les traits d’animaux, mais eux-mêmes ont des animaux de compagnie. Il y a une histoire en particulier, j’en ai déjà parlé plusieurs fois, je crois qu’elle s’intitule « What do People do all day ? » [Mais que font les gens chaque jour ?]. L’album parle des différents métiers des personnages. Sur la couverture, vous pouvez voir différentes échoppes et l’un des personnages tient une boucherie. C’est d’ailleurs un cochon qui y travaille ! Et vous pouvez voir des saucisses accrochées ! Mais alors, qu’est-ce qu’ils mangent ?! Bon sang mais ça veut dire quoi ?! [rires] Cette couverture m’a beaucoup inspirée et c’est pour ça qu’il me fallait aussi une boucherie. Plus j’y pensais, plus je me disais qu’il me fallait de vrais animaux. Personne dans le village n’est au courant de ce que Samantha fait, sauf les animaux sauvages. C’est comme une compréhension implicite, il n’y a qu’eux qui peuvent percevoir qui nous sommes vraiment. Seule la Nature connaît notre vraie nature. Voilà pourquoi je voulais que Samantha se retrouve face à face avec des ours. Aussi, j’ai trouvé intéressant de la représenter, dans les bois, en train de faire quelque chose de vraiment contre nature. Tandis qu’en face, vous avez cet ours qui passe ses journées à tuer sans distinction des êtres vivants pour sa survie, vous voyez ? La nature est sans pitié. Cette scène me paraissait tellement géniale que je ne pouvais pas ne pas la dessiner ! Et pour le lecteur, c’est un moyen de détricoter un peu tout ça pour tenter de comprendre ce qui la pousse à agir ainsi, a-t-elle déjà pensé aux raisons qui la motivent vraiment ? C’est aussi pour cela qu’elle les rencontre dans la grotte et dans les bois. Pour autant, je ne veux pas être trop explicite : c’est aussi au lecteur de se faire sa propre idée. Voilà le buffet, à vous de prendre ce que vous voulez ! [rires]
On ressent d’ailleurs un sentiment étrange à la fin du récit car tout au long de l’histoire, on est du côté de Samantha. On souhaite vraiment qu’elle neutralise l’autre tueur mais c’est surtout pour qu’elle puisse continuer ses atrocités tranquillement !
C’est exactement ça ! [rires]
Plus généralement, il y a une fascination pour les serial-killers via des séries télé ou des documentaires. Il y a sans doute quelque chose de très sombre en nous qui fait que l’on fantasme ces figures. Comment expliquez-vous cette fascination et était-ce quelque chose que vous vouliez aborder dans l’album ?
Laissez-moi répondre en plusieurs temps. Tout d’abord, il y a quelque chose de très captivant dans ces documentaires : je pense que le public de ces productions les consomment pour savoir comment tout s’est vraiment passé. C’est sans doute une question d’instinct de survie : si je comprends comment tout cela s’est déroulé, cela ne m’arrivera pas. Plus généralement il y a aussi une curiosité morbide ; jusqu’où les gens peuvent aller ? J’ai lu pas mal de livres à ce sujet pour mes recherches. Des livres sur les serial-killers dans l’histoire et les actes horribles qu’ils ont commis… C’était très déprimant, je ne le recommande pas car cela m’a plombé le moral pendant quelques mois ! Je pense cependant qu’il est nécessaire de comprendre certains aspects. Dans un second temps, Samantha a une approche très fonctionnelle. Il y a quelque chose de très satisfaisant dans son approche efficace et pragmatique. Certes le décor et l’action sont très morbides, mais observer quelqu’un se débrouiller de manière aussi méticuleuse et calculée, c’est passionnant en soi ! Une autre problématique pour moi a été de comment réussir à captiver le lecteur quand mon protagoniste est une serial-killer ? J’ai donc voulu lui faire vivre une crise quasi existentielle : l’existence secrète qu’elle mène est complètement chamboulée par les exactions de Nigel. Quelqu’un d’autre s’adonne aux mêmes atrocités et cette personne connaît sa véritable identité. Tout ça est très problématique pour elle, toute son existence se dérobe sous ses pieds car elle a toujours été persuadée d’avoir deux coups d’avance sur le reste du monde. Je pense que l’on peut s’identifier à ça : on s’imagine avoir nos vies en main, et du jour au lendemain, tout se retrouve chamboulé, et on doit se débrouiller avec tout ça. En tout cas, c’est ma tentative pour réussir à s’identifier sur le plan émotionnel avec un pareil personnage ! [rires]
Il y a justement une exposition actuellement à Paris sur l’histoire des ours en peluche qui raconte comment, dès l’époque préhistorique, cet animal était un super prédateur pour les humains et comment, au fil des siècles, il a été remplacé par le lion et même relégué au second plan avec par exemple les ours dans les cirques. Vouliez-vous revenir aux racines de ce que représentent vraiment les ours en tant qu’espèce animale ? Vous auriez pu choisir par exemple un lapin, une souris ou même un chien pour souligner le décalage entre ce que ces animaux représentent et la réalité des exactions commises par Samantha. Pourquoi un ours spécifiquement ?
En fait, tout vient d’une illustration que j’ai réalisée en 2017. On pouvait y voir une ourse aux traits humains redescendre une colline avec une hache sur l’épaule. Ça a été mon inspiration majeure. Je pense avoir choisi la figure de l’ours car j’avais sans doute déjà compris la dualité de cet animal : un être tout à fait adorable mais également capable d’être extrêmement violent. Mais j’adore votre idée de redonner à l’ours sa figure cauchemardesque ! [rires] Je garderai ça en tête ! En tout cas voilà ce que je me suis dit à l’époque, et si c’était ce petit animal mignon qui terrifie la ville ! Cela dit, pour rejoindre votre observation, c’est également pour ça que Nigel est une souris. Je voulais jouer sur les stéréotypes liés aux animaux. Je voulais cet animal plutôt docile qui doit cependant redoubler d’efforts pour atteindre ses buts, quels qu’ils soient… Il y aurait beaucoup à dire sur ce personnage et la relation qu’il s’imagine avoir avec Samantha…
Vous avez étudié le cinéma. Il serait évidemment très difficile d’adapter votre histoire en long métrage de par votre approche graphique notamment. Mais en voyant les valeurs de plans et la mise en scène des planches, je me demandais si vous aviez été influencé par une série comme Twin Peaks et sa manière de représenter les petites villes américaines, d’autant que son créateur nous a récemment quitté. Aviez-vous des références particulières pour représenter la ville lors de la réalisation de l’album ?
Vous savez, comme beaucoup d’autres j’ai été biberonné par l’influence artistique de David Lynch. Prenez par exemple Blue Velvet : derrière la façade parfaite d’une petite bourgade vous avez cette réalité beaucoup plus sinistre. J’ai évidemment eu tout ça en tête, peut-être pas forcément consciemment, mais en tout cas c’est l’exemple parfait de ce que je voulais représenter. L’idée qu’il y a potentiellement des Franck, le personnage du film, partout. Chaque ville, peu importe son aspect idyllique, cache une part sombre. Concernant les angles de vue ou la mise en page, je ne pense pas pouvoir mettre le doigt sur un artiste ou un réalisateur particulier qui m’aurait directement inspiré… Je pense qu’ils m’ont tous inspiré en même temps ! [rires] Vous savez, je suis un grand cinéphile et il ne serait pas réaliste de ma part de dire que je n’avais pas en tête tout ce que j’ai vu auparavant. Tout a tellement infusé dans mon esprit que je ne serais pas capable de mettre le doigt sur un exemple et vous dire à qui ou quoi cela fait référence ! Je suis en revanche capable de vous dire ce à quoi cela me fait penser mais je n’avais pas spécifiquement pour objectif de rendre hommage à tel ou tel réalisateur.
En termes de structure narrative, nous découvrons assez vite qui est le mystérieux serial killer. Le rythme est assez soutenu car l’album ne fait que 6 chapitres. Nous avons le mystère au début puis très vite la confrontation entre Samantha et Nigel. Avez-vous eu du mal à trouver l’équilibre entre ces deux parties ? Vous auriez pu par exemple entretenir le mystère plus longtemps, au risque cela dit de devoir expédier la confrontation. Comment vous-en êtes-vous sorti ?
Il s’agit de mon premier album de publié. Chaque numéro devait faire vingt-deux pages, voilà l’impératif avec lequel je devais travailler.
Les maisons d’édition accordent parfois quelques pages supplémentaires, mais cela représente une charge de travail en plus, pour le même salaire d’ailleurs.
A dire vrai, je ne savais pas trop comment gérer le rythme de mon intrigue. Pour moi, c’était un peu comme à un rodéo et mon but c’était de rester en selle ! Voilà l’histoire que j’aimerais raconter, voilà mes contraintes, voyons comment je peux me débrouiller dans le temps imparti ! J’avais donc des deadlines, mon script devait être fait à temps, je devais respecter ce format de vingt-deux pages : voilà l’histoire que je peux raconter. On m’a accordé un numéro supplémentaire que ce que j’avais prévu à l’origine : j’envisageais cinq chapitres, IDW m’en a accordé un sixième pour pouvoir faire respirer un peu plus mon récit. Ce numéro est par la suite devenu le chapitre trois, avec Mélody la bouchère et ce qu’elle trafique chez elle avec la poupée à l’effigie de son défunt mari… Enfin bref…
C’était très dérangeant… Très touchant mais surtout dérangeant !
C’est dérangeant mais en même profondément humain… C’est une personne en deuil…
Personne ne gère le deuil de la même manière ! [rires]
Tout le monde est unique ! Enfin bref ! Certains lecteurs ont trouvé que la fin est un peu précipitée. J’aurais aimé avoir un peu plus de temps mais pour être franc, je suis plutôt content du rythme de mon récit. Arrivé à la fin de l’histoire, je ne voulais pas d’une impressionnante confrontation. Samantha ne fonctionne pas comme ça et cela aurait été un peu bête de terminer de manière trop grandiloquente. Elle est très pragmatique et Nigel n’anticipe pas autant qu’elle, il est même assez agaçant ! La manière dont l’histoire se conclue m’a donc semblée plutôt logique. En tout cas, cela a représenté un vrai challenge mais dans le même temps, j’apprécie travailler avec des paramètres très restreints.
Par exemple, un des films que j’ai réalisés, je l’ai co-écrit et réalisé avec un ami. Le film s’intitule Entrance. Connaissez-vous les frères Dardenne ? J’adore leurs films. L’été où nous avons commencé à travailler sur ce film, Halloween 2 de Rob Zombie venait de sortir. Si vous connaissez les frères Dardenne, il n’y a pas de musique dans leurs films, hormis quand elle est intra diégétique comme une chanson à la radio. Il n’y a pas de coupe dans le montage. La caméra tourne sans s’arrêter pour filmer une scène. Et la plupart du temps, vous avez un personnage central qui a une crise existentielle. Vous l’observez se tourmenter jusqu’à ce qu’il/elle prenne les choses en main. Tous leurs films se ressemblent sur ce point, ils opèrent avec des paramètres très limités. On a donc décidé de faire un slasher à la sauce frères Dardenne ! On avait un tout petit budget, quelque chose comme douze mille dollars. On a été distribué par IFC Midnight et Stephen King a même plutôt bien aimé ! On avait mis le doigt sur quelque chose et je pense que si le film a fonctionné, c’est parce que l’on s’est tenu à ces paramètres. Aussi, quand le film commence à tomber dans l’horreur, aucun plan n’est coupé. En tant que spectateur, vous vous retrouvez forcé de voir ce qui se passe et je pense que c’est ça qui a attiré les gens. Evidemment certains ont détesté, d’autres ont adoré. Le film a beaucoup divisé mais au moins nous avons eu une réponse forte. En tant qu’artiste, avoir des paramètres limités est très bénéfique pour moi.
Vous semblez avoir encore quelques idées sous le coude. IDW a d’ailleurs annoncé qu’il y aurait une suite ?
Tout à fait.
Avant d’aborder tout ça, on peut dire de votre parcours qu’il a tout d’une success story ?
En effet oui ! [rires]
L’album a fait un carton aux Etats-Unis, Hunter Gorrinson a déclaré vouloir très vite publier Free for All, Ankama a publié l’album en France assez rapidement compte tenu des délais que peuvent mettre les comics pour traverser l’Atlantique. L’édition est d’ailleurs très chouette. Quel est votre regard sur votre première incursion dans ce drôle de marché ?
C’est assez étourdissant, mais dans le bon sens ! Je suis ravi du succès que l’album rencontre. C’est quelque chose que vous ne pouvez qu’espérer ! Honnêtement, je m’attendais à des débuts plus timides. Traditionnellement aux Etats-Unis, c’est avec le premier numéro que vous avez le plus de ventes. Vous avez après un phénomène d’attrition. Si personne ne vous connait, vous aurez peut-être dix mille ventes avec le premier numéro, puis huit mille avec le deuxième, six mille pour le troisième et ainsi de suite. Le premier numéro de Beneath the Trees a été en rupture après seulement trois jours ! Il y a eu trois réimpressions du premier et du deuxième numéro, deux réimpressions pour le troisième. C’était fou ! Surtout pour un auteur inconnu ! Je comprenais que l’album était populaire mais je ne me rendais pas vraiment compte à quel point ! Honnêtement, j’essaie de ne pas trop y penser pour ne pas être trop obsédé à l’idée de devoir à nouveau absolument refaire quelque chose de populaire ou me contenter de reprendre les mêmes éléments qui ont fonctionné dans le premier album. Il y aura donc un deuxième tome. J’ai d’ailleurs eu pas mal de difficultés sur la première moitié de l’album pour la rendre aussi captivante que le premier sans me répéter. Je m’en suis sorti et j’ai très hâte de voir ce que cela va donner ! Cela a été difficile mais chouette à la fois ! [rires] J’ai pu quitter mon travail alimentaire pour me concentrer uniquement sur l’écriture et le dessin. Plusieurs maisons d’édition m’ont contacté pour collaborer. J’ai par exemple déjà pu réaliser une histoire courte pour une anthologie d’horreur chez DC qui vient d’ailleurs tout juste de sortir aux Etats-Unis. Il y a également une histoire pour Creepshow qui [est déjà sortie]. Tous ces petits projets sont très enthousiasmants, et maintenant tout repose sur ma disponibilité ! Je travaille sur la suite de Beneath the Trees, ce qui devrait m’occuper une bonne partie de l’année ! Nous verrons ce qu’il adviendra après mais j’aimerais aussi écrire pour des artistes, c’est quelque chose que je pourrais faire entre deux planches. Tout ça est assez incroyable !
Quelque chose que nous n’avons pas abordé et qui pourrait aussi expliquer le succès que rencontre l’album, c’est la couverture du premier numéro. Elle attire vraiment l’œil avec l’ours, le sac et le sang. Je me souviens de la première fois où je l’ai vue, je me suis dit qu’il fallait que je lise cet album ! Comment avez-vous trouvé l’idée pour cette couverture si percutante ?
J’avais une ou deux idées en tête, cette couverture est d’ailleurs la première idée que j’ai eue. Elle est très littérale : Samantha est sous les arbres [Beneath the Trees], on la voit trainer derrière elle un sac ensanglanté dans cette petite clairière. Quand on y pense, ce n’est absolument pas quelque chose que Samantha ferait ! Elle est bien plus prudente que ça ! Il me fallait quelque chose de suffisamment marquant et qui donne le ton. On ne voit pas son visage mais on comprend qu’il s’agit d’un ours. Il fallait également laisser place à suffisamment de mystère tout en attirant l’attention. On doit comprendre que c’est album violent, tout en reconnaissant les éléments des livres pour enfants. J’avais tous ces paramètres en tête. J’ai donc trouvé quelques idées, c’est toujours une bonne chose de proposer différentes versions. Je me suis alors tourné vers ma rédactrice chez IDW, Maggie Howell, pour savoir quelle couverture fonctionnerait la mieux. Elle a fait un travail incroyable. Jake Williams a également été mon assistant d’édition, il travaille d’ailleurs avec moi sur le deuxième album. Je n’avais jamais eu de rédacteur avant, et c’est génial ! Je peux comprendre que certains n’aiment pas trop ça, mais en ce qui me concerne j’ai eu de très bonnes relations avec Maggie. J’ai vraiment eu le sentiment d’être très chanceux car toute l’équipe a bien saisi le ton que je voulais donner à l’histoire. Je me souviens leur fournir tous les éléments de l’intrigue pour vraiment leur faire comprendre jusqu’où je voulais aller avec ce récit. Ils ont été partants dès le départ. J’étais donc dans un très bon environnement de travail. Ils ont compris pourquoi j’avais fait ce choix pour la couverture, nous étions vraiment en accord.
Je voulais justement vous interroger sur ce sujet mais vous y avez déjà répondu ! Je pensais justement à Mike Perkins qui, lors de son travail avec Ram V sur Swamp Thing, a eu quelques problèmes avec DC concernant les couvertures. Ces derniers ne sont visiblement pas aussi souples qu’IDW sur ce point. Vous nous avez parlé de vos différents projets horrifiques chez DC, chez Image. Voulez-vous être catalogué comme l’artiste qui ne fait que de l’horreur ? C’est quelque chose que vous avez évoqué au début de l’entretien…
Oui c’est vrai qu’hormis mon premier film, je n’ai fait que de l’horreur. Ce qui est amusant, c’est que je me suis retrouvé à travailler sur ce type d’histoires surtout parce que c’est un genre facilement abordable. Comme je vous disais, les amateurs d’horreur sont très indulgents. Vous pouvez donc proposer des films d’horreurs à petit budget, comme Entrance, et vous vous retrouvez sur le devant de la scène dans des festivals entre autres. La première de Southbound s’est déroulée au TIFF, un important festival à Toronto. Notre petit film à deux cent mille dollars s’est retrouvé à faire sa première aux côtés d’autres films plus importants. Ce que je veux dire aussi c’est que si votre idée de départ est correctement mise en scène, ça ne pourra que marcher ! Vous pouvez faire de l’expérimental par exemple. Le genre nous offre une très grande marge de manœuvre et vous pouvez donc en faire ce que vous voulez. Tous ces facteurs m’ont donc aiguillé vers le genre horrifique, d’autant que la réception du public est toujours aussi chaleureuse. J’imagine que tant que ça marche, je serais le spécialiste de l’horreur ! Vous savez, en tant que cinéphile, j’adore Ingmar Bergman (je suis d’ailleurs convaincu que David Lynch l’était aussi, ça crève les yeux !). Et pour moi, Bergman c’est aussi de l’horreur ! Si vous regardez l’Heure du Loup, le film est tourné comme un film d’horreur psychologique. Au même titre qu’A Travers le Miroir : vous observez cette femme dans une véritable tourmente psychologique… Ce qui ressemble à tous les autres films de Bergman en fait ! [rires] En tout cas, j’apprécie d’autres genres mais je parviens toujours à relier ça avec l’horreur. Je ne peux pas m’en empêcher… Tenez, regardez ce livre pour enfants avec un serial killer !
C’est la même chose d’ailleurs si l’on s’intéresse au titre de l’album : Beneath the Trees Where Nobody Sees. Le titre vient d’une comptine pour enfant, The Teddy Bears Picnic. Je crois l’avoir entendu pour la première fois dans les années 90, mais elle date des années 20. Dans les années 90 aux Etats-Unis, vous pouviez l’entendre à la télévision dans une compilation de chansons pour enfants. Les paroles donnent quelque chose comme « Beneath the Trees where nobody sees, they hide and seek as long as they please, ’cause that’s the way the teddy bears have their picnic” [Sous les bois, où personne ne les voit / Ils joueront à cache cache autant qu’il leur plaira / car c’est comme ça que les petits ours prennent leur repas]. En entendant ça je me suis demandé ce qu’ils pouvaient bien fabriquer sous les bois ! Et dès cet instant, j’ai directement pensé à l’interprétation la plus sinistre possible ! Et c’est aussi pour ça, en 2017 quand j’ai fait la première illustration, il fallait que le personnage soit un ours, en référence à cette chanson ! Le titre est alors venu tout seul : Beneath the Trees Where Nobody Sees !
On est d’autant plus attiré par ce titre que l’on veut savoir ce qu’il se passe sous les arbres, vous attisez notre curiosité.
Absolument ! [rires]
Vous avez précédemment expliqué que vous aviez des idées pour la suite. Avez-vous envisagé un éventuel commentaire « méta » sur l’horreur, le genre du slasher ou la figure du serial killer, comme peuvent le faire les différentes sagas horrifiques actuelles ?
Non, j’estime que l’histoire doit rester directe. J’aime beaucoup les commentaires méta que l’on peut trouver dans différents projets, je les trouve souvent plutôt malins et drôles. Ce dispositif à de plus en plus de succès je trouve. Il y a sans doute eu un moment charnière avec la sortie de La Cabane dans les Bois. Scream a évidemment été le précurseur mais il y a eu un petit ventre mou après sa sortie. Mais cela a été beaucoup plus flagrant avec La Cabane dans les Bois et son message méta pas vraiment subtil ! Je ne veux pas passer pour un anticonformiste, mais je préfère toujours aller à contre-courant des tendances… Je trouve ça très courageux de faire ce que vous voulez faire avec le plus de sincérité possible. C’est sans doute pour ça que je vais rester un auteur plutôt sincère.
Ce sera notre dernière question. Vous avez probablement prévu de continuer à travailler dans le cinéma, mais nous aimerions vous poser cette question que l’on aime soumettre à nos invités : quelle est selon vous la force du comics par rapport aux autres médias ? Vous avez travaillé à la fois dans le cinéma et le comics, vous avez sans doute une approche inédite. Quand nous avons mentionné un peu plus tôt la difficulté que pourrait représenter une adaptation cinéma de Beneath the Trees, vous sembliez en désaccord ! Comment envisagez-vous votre carrière dans un avenir plus ou moins proche ? Que pouvez-vous faire dans le comics que vous ne pourriez pas faire au cinéma ?
Pour commencer, je n’ai jamais rencontré autant de succès avec mes films ! Concernant le futur, je vais continuer à travailler dans les comics. C’est un travail très satisfaisant car je peux tout faire tout seul. J’ai bien évidemment des deadlines mais comment y parvenir, c’est à moi seul d’en décider. J’apprécie beaucoup me sentir aux manettes du projet. Concernant le medium comics en lui-même, je n’ai aucune limite, surtout si on le compare au cinéma ou aux séries télé. La seule chose qui puisse me freiner, c’est ma propre imagination. Concrètement, je n'ai pas de budget à respecter, mon récit peut avoir l’ampleur que je veux. C’est le cas pour toutes les autres formes d’arts, mais avec le comics, c’est le lecteur qui comble les espaces entre chaque case. La magie des comics réside dans les gouttières ! C’est le lecteur qui apporte la dernière touche et qui permet à cette magie d’exister. Il y a donc ça mais si l’on rajoute aussi les différentes façons de représenter une action, la psychologie d’un personnage, tout ça est vraiment unique aux comics.
Aussi, le passage que j’ai le plus aimé réaliser se trouve dans le quatrième chapitre, c’est une séquence onirique. Samantha retrouve le pot de peinture qui ne devrait pas se trouver dans son magasin car elle l’avait précédemment enterré. Elle se retrouve ensuite à l’extérieur, dans cette espèce de parade où tous les habitants l’acclament et la félicitent d’avoir tué le canard. Je voulais représenter grâce à la mise en page le fait qu’elle égorge ce canard. Le nombre de cases n’allait pas, je n’avais pas assez de place, mais je me suis dit, et si j’utilisais la gouttière pour suggérer son acte meurtrier. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez faire au cinéma ! C’est un élément unique aux comics mais qui signifie tellement ! J’adore ça ! Et vous pouvez être tellement créatif, il n’y a pas de règles. Il y a évidemment les conventions attendues en termes de lecture pour que votre histoire soit compréhensible, mais cela vous laisse suffisamment de marge pour expérimenter. Concernant le cinéma, j’aimerais continuer à faire des films. Je suis très curieux à l’idée de réaliser un film d’animation. Je verrais bien cette histoire en animation !
Evidemment !
Je pense que cela aurait beaucoup de cachet en stop-motion pour apporter de la texture et évoquer une ambiance chaleureuse ! Mais pour ce qui est de l’avenir proche, je serais en train de travailler mes comics !
Nous les lirons évidemment ! Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré Patrick, ça a été un plaisir !
Merci à vous, j’ai vraiment apprécié cet entretien !