Compte tenu de l'opacité moderne autour de l'audimat sur les plateformes de vidéo-à-la-demande, il est parfois difficile de se faire une idée précise de ce qui constitue un succès dans cette nouvelle réalité du streaming comme seule boussole de référence. Malgré les efforts de quelques observateurs tiers, les audiences restent un sujet sensible. Surtout pour ce marché particulier du divertissement : pendant de longues années, les groupes ont accepté d'investir (à perte) sur les services de VOD pour conquérir rapidement les précieuses part de marché de Netflix. Dans le présent, les chiffres ont donc un certain poids symbolique, puisque les actionnaires n'entendent plus financer éternellement des productions exclusivement pensées pour occuper tel ou tel terrain. Nous sommes entrés dans une nouvelle période... celle des financiers qui espèrent enfin voir un retour sur leur investissement.
Daredevil : Born Again... ?
Compte tenu de cette pression exceptionnelle, les groupes ont donc tout intérêt à présenter le moindre lancement comme une franche réussite. Quitte à revendiquer des positions absurdes, ou difficiles à vérifier. Dernier exemple en date : Disney+ a revendiqué 7,5 millions de téléspectateurs pour les deux premiers épisodes de la série Daredevil : Born Again. Une mesure enregistrée sur les cinq premiers jours de diffusion. Et la rédaction de Deadline, qui a repris les éléments de communication du groupe à son compte, présente cette somme cumulée de spectateurs comme "le plus gros lancement de 2025" pour la plateforme. Alors : effectivement, c'est bien possible, mais ceci étant dit, est-ce que cette donnée permet à elle toute seule d'assurer les arrières de Brad Winderbaum et Kevin Feige ?
C'est là que ça se complique. Pourquoi ? Parce qu'à l'origine même de cette opacité (devenue une norme généralisée) autour des chiffres des plateformes de streaming... se trouve justement le point d'épicentre. Netflix n'a jamais réellement communiqué sur l'audience des séries Defenders à l'époque de son partenariat avec Marvel Television. On peut facilement se dire que celles-ci ont bien fonctionné, dans la mesure où l'ensemble des cinq produits concernés (Daredevil, Jessica Jones, Iron Fist, Luke Cage, Punisher) ont eu droit à plusieurs saisons... mais d'un autre côté, dans la mesure où tous ces feuilletons reposaient sur une logique de partenariat commercial (un accord de production : Netflix et Marvel Television partageaient les frais de production, ce qui veut dire donc dire que le risque financier était moins grand pour les deux parties avec des budgets de production répartis entre les partenaires), la comparaison ne tient pas forcément. Ou pour le dire plus clairement : avant, ils étaient deux pour payer la facture, et aujourd'hui, Marvel Studios doit assurer seule le coût de production de Daredevil : Born Again.
Et c'est sans doute dans cette équation que se trouve la vérité. Sans même considérer des variables contraires : peut-être que Daredevil fonctionnait mieux sur Netflix, parce que la plateforme était la seule sur le marché à l'époque, ou peut-être parce que la marque Marvel Studios était simplement plus puissant à cette période des faits. Ou encore, peut-être que Daredevil fonctionnait moins bien sur Netflix, mais peu importe, puisque d'une part, deux partenaires se partageaient l'addition, mais aussi parce que, à l'époque, le géant de la VOD n'hésitait pas à balancer des valises de pognon par la fenêtre pour s'assurer des exclusivités régulières dans sa folle course aux dépenses sans lendemain. Bref, il est tout simplement impossible de prendre les premières séries du groupe "Defenders" comme point de comparaison... et ça tombe bien, puisque nous n'avons pas de données officielles comme élément de mesure de toutes façons.
Mais alors. Et pour le reste des données comparatives ? Pour citer l'exemple le plus évident : dans l'univers de la licence Star Wars, la série The Acolyte s'était lancée avec 11 millions de téléspectateurs sur ses cinq premiers jours. Et pourtant, le groupe n'a pas hésité lorsqu'il a fallu prendre la décision d'annuler cette production originale, contre l'avis de nombreux(ses) fans. Bien sûr, cette annulation peut aussi se comprendre dans un contexte plus global et avec des nuances précises : la série s'était attirée les foudres des conservateurs, le budget de production était certainement plus élevé que celui de Daredevil : Born Again, les querelles de clocher au sein de l'organigramme interne de Lucasfilm ont probablement pu jouer leur rôle avec la prise de pouvoir de Dave Filoni sur la partie créative. Mais, bon. Une fois qu'on a dit tout ça, 11, ça reste plus que 7,5. Les chiffres ont ceci d'enquiquinant dans les budgets comptables : ils sont têtus.
Et encore une fois, cette donnée pourrait se lire dans le sens inverse : on sait que
Warner Bros. et le réseau
HBO étaient très satisfaits d'avoir rassemblé 5 millions de téléspectateurs au moment du pilote
de la série The Penguin. Bien sûr, il ne s'agissait que d'un pilote, et pas de deux épisodes, mais l'idée reste la même.
Daredevil : Born Again a sans doute plus à voir avec
The Penguin, avec sa logique de production en décors réels, son tournage en centre urbain, sa mécanique de super-héros économes en effets spéciaux et en fonds verts. Peut-être donc que
Kevin Feige,
Brad Winderbaum et
Bob Iger seront satisfait de ces 7,5 millions, surtout si l'audimat général reste fidèle à la série d'ici les prochains épisodes. C'est un peu ça que l'on recherche généralement quand on est le propriétaire d'une plateforme de streaming : donner aux gens une bonne raison de ne pas se désabonner, et de payer tous les mois pour avoir accès aux exclusivités.
Dans les faits, ceci étant, la marque Marvel Studios n'a pas forcément obtenu le succès surprise qu'elle espérait pour le début de cette année. Ni avec Captain America : Brave New World, ni avec Votre Fidèle Serviteur Spider-Man, et pas non plus avec Daredevil : Born Again, même si la tendance reste globalement positive du point de vue des critiques pour ces deux dernières productions. Bref : les chiffres du streaming, c'est compliqué, mais l'essentiel reste surtout de se concentrer sur la qualité pour espérer redresser le navire.