Suite et fin prévisible pour ce bref petit feuilleton. La maison Marvel s'est arrangée en dehors des tribunaux avec la Steve Ditko Estate, organe responsable de gestion du patrimoine associé à l'œuvre du dessinateur vedette. Le procès a donc été annulé. Le groupe Marvel au sens large conserve donc la propriété intellectuelle des personnages de Spider-Man et Doctor Strange, et scelle dans la foulée cette petite séquence amorcée il y a deux ans, lorsqu'une poignée de créateurs (ou de sociétés de gestion) avaient fait valoir leurs droits en vertu de la législation américaine sur le droit d'auteur.
The House Always Wins
La petite cohorte de vétérans (représentés à titre individuel ou par leurs héritiers respectifs) comptait sur une provision inscrite dans le texte de loi du Copyright Act. Cet article de la législation fédérale prévoit, aux Etats-Unis, que certaines créations réalisées sous contrat à la demande d'un employeur puissent être récupérées par le créateur originel au terme d'une longue période de carence. Ceci concerne aussi les œuvres inscrites dans les normes du salariat, pour le cinéma, la musique, et les comics. Or, justement, si le Copyright Act reste un texte assez ancien (avec une première version promulguée en 1909), un amendement passé plus récemment (en 1976) s'applique aux piges réalisées entre les années cinquante, soixante et soixante-dix. En l'occurrence, celui-ci aurait pu s'appliquer aux personnages créés par les scénaristes et dessinateurs de Marvel dans le cadre des emplois en "work-for-hire".
Pour éviter d'entrer dans le détail, vous pouvez retrouver
à cette adresse un article détaillé sur le fonctionnement de la provision en question. Puisque cette règle a eu tendance à apparaître à plusieurs reprises dans l'actualité de ces dernières années, dans la mesure où le temps qui passe a pu permettre à certains artistes sous contrat de faire valoir leurs droits au terme de la fameuse période de carence. Et notamment, les frères
Jim et
John Thomas : scénaristes du premier film
Predator pour le compte de la
20th Century Fox, ceux-ci ont fait partie des premiers à tenter leur chance, pour présenter un cas d'école capable de résumer les litiges du présent. Après avoir déposé officiellement leur demande pour récupérer les droits de la créature auprès des organes officiels, les deux auteurs avaient... été attaqués en justice par le groupe
Disney (qui avait, entre temps, racheté les studios
Fox pour quelques milliards de dollars).
L'objectif de ce procès était alors de faire peur aux scénaristes, et de les pousser à accepter un gros chèque contre la promesse de ne plus chercher à réclamer l'usufruit des droits du Predator. Les Thomas avaient accepté de solder l'affaire, en dehors des tribunaux.
La même chose s'est passé à l'échelle de l'industrie des comics cette année : lorsque Gene Colan, Steve Ditko, Don Heck, Larry Lieber et Don Rico, par la voix de leurs représentants, ont à leur tour formulé une demande officielle pour récupérer les droits de leurs créations, le groupe Marvel a distribué, au coup par coup, les menaces de procès envers ces grands noms de l'histoire du super-héros américain. Tous avaient alors accepté de s'arranger avec la maison d'édition, à l'exception de la Steve Ditko Estate. Mais, à son tour, celle-ci a fini par accepter les conditions du groupe.
Le Hollywood Reporter explique que les deux parties se sont entendues, et que le dépôt de plainte de Marvel a été levé dans la foulée. Ce qui signifie donc que les héritiers de Steve Ditko se sont entendus avec l'entreprise pour renoncer à leur demande de restitution des droits de Spider-Man et Doctor Strange, en échange d'un chèque. D'un gros chèque, probablement, dans la mesure où l'homme araignée représente à lui seul un enjeu économique difficile conséquent. Cette décision s'entend dans un certain contexte : Marvel et Disney ont plusieurs millions de dollars à débourser en avocats, et les moyens de faire traîner une action en justice sur plusieurs longues années... dans un pays où la législation sur le droit d'auteur a généralement été à la faveur des grands groupes et des employeurs, au détriment des artistes et des salariés. Dès le mois de juin, les représentants de Colan, Heck, Lieber et Rico avaient déjà accepté les conditions de la Maison des Idées, pour éviter le procès.
Le montant des sommes (vraisemblablement) versées aux uns et aux autres n'a évidemment pas été communiqué, et reste protégé par le secret des contrats. Sur le papier, rien de surprenant à l'horizon, dans la mesure où la fameuse clause de provision dans le Copyright Act n'a pas servi à grand chose, pour le moment, sinon à générer ce genre de petits bonus tardifs pour les salariés des grands studios et des maisons d'édition. Puisque personne n'a les moyens d'entretenir un procès sur le long terme avec un conglomérat de la taille de Disney, les auteurs peuvent se contenter d'un chèque toujours bon à prendre, faute de mieux.
Marvel peut donc dormir tranquille : le mantra des comics en "work-for-hire" ne sera pas contesté de si tôt, à moins d'une nouvelle évolution dans les textes de loi.