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Grève des scénaristes : pas de sortie de crise en vue, l'AMPTP refuse (une fois encore) de négocier avec la WGA

Grève des scénaristes : pas de sortie de crise en vue, l'AMPTP refuse (une fois encore) de négocier avec la WGA

NewsCinéma

La grève des scénariste s'apprête à battre un nouveau record de longueur. Lors de la précédente levée de bouclier des auteurs spécialistes du milieu du cinéma et de la télévision (en 2008), les studios avaient attendu quatre mois avant de baisser les armes. 

Au sortir d'une première grande révolution industrielle à l'échelle d'Hollywood - à savoir, la prise de pouvoir des plateformes de SVOD - et à l'aube d'un progrès commandé par les financiers pour réduire le personnel nécessaire à la production de projets - via l'arrivée des intelligences artificielles dans les pipelines créatifs et organisationnels - l'alliance des producteurs (AMPTP) ne compte cette fois pas céder aux revendications de la guilde des scénaristes (WGA). Ou pas suffisamment pour amorcer une sortie de crise.

Le progrès imposé, de gré ou de force

Il y a une dizaine de jours, les espoirs de tomber sur un accord semblaient encore permis. L'AMPTP avait alors décidé de contacter les représentants de la WGA avec la promesse d'une offre sérieuse. Le syndicat des auteurs, pour éviter de déplacer la négociation sur la base d'un concours d'opinions, en prenant le public à partie, avait décidé d'étudier les conditions de cette offre en interne, à l'abri des coups de projecteurs, des effets de manche et des déclarations par presse interposée. De son côté, l'AMPTP aura trouvé intelligent de laisser fuiter dans la presse le détail de cette offre... qui évoque, bien évidemment, le sujet des intelligences artificielles.

Pour résumer la situation en des termes clairs, voici ce que les producteurs avaient mis sur la table, avec les revendications de la WGA pour point de comparaisons :

Une hausse générale des revenus sur le long terme pour les scénaristes sur les droits d'auteur par rapport aux sommes qui sont versées actuellement. 

  • Les studios proposent 5% pour la première année, 4% pour la deuxième et 3,5% pour la troisième. La WGA, au début des négociations, en avril dernier, avait de son côté demandé une hausse de 6% pour la première année, 5% pour la seconde, 5% pour la troisième. Comprenez, donc, que si les scénaristes touchent une certaine somme à long terme, l'augmentation en question porte sur la revalorisation de ces royalties en droits d'auteur à l'échelle des trois premières années, où les sommes sont naturellement plus importantes. Les montants avancés par l'AMPTP cadrent avec ce qui avait été proposé à la guilde des réalisateurs (DGA), qui avaient de leur côté cédé, sans discussions.
 
  • Pour les résiduels à l'international, le Hollywood Reporter estime pouvoir chiffrer ce montant avec une sorte de moyenne : un scénariste qui aurait touché 72.067 dollars sur trois ans en droits d'auteur sur la diffusion mondiale d'une production avant l'accord gagnerait, après l'application de ces hausses, 87.546 dollars. Cette donnée du public "international" (i.e. : tout ce qui se trouve en dehors des Etats-Unis) représente un enjeu crucial dans les négociations menées par la WGA. En effet, avant l'explosion du streaming à l'international, les accords de branche concernaient surtout les droits d'auteur captés sur l'audimat généré par le public nord américain. Or, depuis la crise COVID, l'international représente une part énorme de la diffusion en streaming. Avec cette offre, l'AMPTP conserve donc le gros des gains, mais en partage une partie avec les scénaristes - et de ce point de vue, le syndicat estime la part de ce partage largement en dessous de la réalité économique du marché.
 
Concernant l'audimat en lui-même, ou plutôt le calcul de l'audimat à l'échelle des plateformes :
 
  • Un souci de transparence sur les chiffres du streaming. Là-dessus, le débat est particulièrement houleux, dans la mesure où les diffuseurs, à l'inverse de l'industrie de la télévision traditionnelle ou de l'exploitation cinématographique, ne communiquent pas ouvertement l'audience de leurs productions (films, séries, documentaires, etc). Généralement, les diffuseurs préfèrent évoquer le nombre "d'heures vues" pour chaque contenu - un trompe l'oeil, dans la mesure où les royalties sont calculées sur la base de l'audimat, et pas sur le taux de complétion des produits mis en ligne. Pour le dire plus clairement : si, pour un film de trois heures, le public se désintéresse au bout d'une heure et demie, le calcul sera vraisemblablement différent pour le streaming et pour l'industrie du cinéma. Au cinéma, un spectateur est un spectateur, qui a payé sa place, et qui n'est pas remboursé s'il décide au bout d'une heure trente que le film ne l'intéresse pas. Pour la SVOD, cette préférence pour les "heures" traduit un différentiel aggravant pour les équipes en charge des productions et associées aux payes résiduelles (sans doute volontairement).
 
  • Cette opacité revendiquée sur les chiffres d'audience a donc tendance à se répercuter sur les résiduels - les parts d'intéressement qui sont mesurées par rapport au nombre de gens qui ont consulté tel ou tel contenu. Sur ce point précis, l'AMPTP refuse catégoriquement de publier les chiffres d'audience. Seule concession accordée à la WGA : transmettre au syndicat (et exclusivement au syndicat) une série de données confidentielles à intervalles réguliers sur les rapports trimestriels, et le nombre d'heures vues sur certains projets particuliers. L'offre des studios explique que le syndicat pourra ainsi "proposer de nouvelles solutions pour calculer les résiduels", en oubliant au passage que ces propositions ont déjà été formulées, et en ne précisant pas du tout quels contenus rentreront dans la définition de ces "projets particuliers." En somme, l'omerta sur les chiffres réels de l'audimat en streaming a vocation à se poursuivre, peut-être pour éviter aux diffuseurs de devoir rendre des comptes sur l'audimat aux spectateurs(ices), comme dans le cas où une série très consultée se retrouverait annulée par décision interne, ou par simple calcul d'entreprise. Netflix, si tu nous regardes.
 
Enfin, et vous pardonnerez la longueur de l'article, au sujet des intelligences artificielles :
 
  • Ce point essentiel est probablement le plus important - dans la mesure où l'AMPTP peut bien accepter d'augmenter les payes des scénaristes, si le projet à long terme consiste à se passer d'eux. Pourquoi ne pas augmenter les payes, après tout, puisque le monde de demain aura besoin de moins de main d'oeuvre de toutes façons ? 
 
  • Dans le cas où cette assertion passerait pour paranoïaque, ou un fantasme de technophobe éventuel, les studios ont le mérite d'être clairs sur le sujet : la proposition de l'AMPTP à la WGA mentionne bel et bien l'existence de scripts générés par intelligence artificielle, comme cela avait été évoqué par différentes antennes de presse lors de ces derniers mois. Les financiers expliquent dans leur proposition que des scénarios pré-créés pourront être utilisés comme base de travail, et confiés à un auteur (ou à une petite équipe) pour améliorer, faire évoluer ou modifier le travail des IAs génératives. 
 
  • Seules protections à l'horizon : l'AMPTP assure que ces scripts ne seront pas considérés comme du matériel "assigné", ce qui signifie donc que les scénaristes seront encore capables de réclamer certains droits d'auteurs. En revanche, si la WGA réclamait de son côté un bannissement général de la notion de scripts "source" par intelligence artificielle, autrement dit, d'attribuer la paternité ou la création d'un script à une IA au point de voir le scénariste renoncer à son statut d'auteur officiel, cette clause n'a visiblement pas été évoquée dans l'offre de l'AMPTP. Or, la différence est très importante, puisque si un scénariste n'est plus considéré comme "l'auteur" d'une histoire, l'exercice de certains droits, de certaines payes ou de certains résiduels n'aurait plus vocation à être appliqué. Dans cette optique, le salariat de scribe à la commande risque de se multiplier, avec des scénaristes engagés sur des piges réduites pour "humaniser" des scripts générés par les logiciels de l'IA.
 
Voilà pour le résumé - en n'oubliant pas au passage la question du temps de travail (les producteurs proposent un minimum de dix semaines pour la complétion d'un projet de série télévisée), ou de la quantité de salariés (les producteurs refusent catégoriquement l'idée d'imposer un minimum de salariés nécessaires à la complétion d'un projet de série télévisée). Là-encore, des champs de négociation essentiels, compte tenu de la façon dont les financiers ont refusé de prolonger le temps de travail ou d'étendre les équipes salariées au fil de ces dernières années, au point de mener à des cas de surmenage, à des scénaristes qui devaient travailler sur leur temps libre faute d'avoir le temps de finir une série en temps et en heure dans les conditions proposées, de devoir partir en tournage sans avoir l'ensemble des scripts terminés, etc.
 
Là-encore, sur ce point précis, l'objectif de réduction du personnel cadre avec une situation de crise : les grands studios se sont généralement endettés à coups de rachat, font face à une crise sérieuse sur le marché du streaming, et cherchent par tous les moyens à faire des économies. Dans ce cas de figure, la technologie des intelligences artificielles permettrait de réduire la quantité de scénaristes nécessaires (et donc, le nombre de salariés à payer en direct, ou sur le long terme avec les résiduels et les royalties), et la réduction des équipes de travail vise un objectif comparable. 

Quelques jours après le dépôt de cette offre de l'AMPTP, la WGA s'est adressée à ses membres via un communiqué. Celui-ci, visiblement assez lucide sur les attentes des producteurs et la mentalité dans laquelle sont menées ces négociations - dans la mesure où les grands studios n'ont pas hésité à communiquer ouvertement sur cette proposition, là où les scénaristes préféraient en discuter en interne au préalable - dresse un état des lieux assez morbide du bras de fer actuellement en cours.

"Lundi dernier, nous avons reçu une invitation pour rencontrer Bob Iger (président de Disney), Donna Langley (présidente d'Universal Pictures), Ted Sarandos (président de Netflix), David Zaslav (président de Warner Bros. Discovery), et Carol Lombardini (présidente de l'AMPTP). Cette invitation était accompagnée d'un message, qui nous expliquait qu'il était grand temps de mettre fin à la grève et que les grandes entreprises étaient enfin prêtes à trouver un accord. 

Nous avons accepté cette invitation et, de bonne foi, nous nous sommes vus, dans l'espérance que les grands studios étaient peut-être sérieusement prêts à remettre l'industrie en état de marche. Au lieu de cela, au 113e jour de cette grève - et pendant que les acteurs et actrices de la SAG-AFTRA ont rejoint le mouvement - nous avons été accueillis par un sermon sur la validité et l'intérêt de l'unique contre-offre qu'ils nous avaient présenté.

[Nous avons tenté de leur] expliquer à quel point cette proposition était limitée, comprenait toute une série d'omissions ou de failles qui n'étaient pas en mesure de protéger les scénaristes des dangers qui menacent la profession actuellement - dangers qui nous ont justement conduit à mener cette grève au départ. Nous leur avons dit que terminer une grève avait un prix, et que payer ce prix signifiait répondre à toutes - et pas seulement à une partie d'entre elles - les problématiques que les grands studios ont créé au sein des cette industrie. 

Mais l'objectif de cette rencontre n'était pas de signer un accord. L'objectif était de nous pousser à nous coucher, à baisser les armes, et c'est pour cela que, lorsque nous avons quitté cette rencontre, il n'a même pas fallu vingt minutes à l'AMPTP pour lâcher dans la presse le détail de leurs propositions. Ce qui était leur plan depuis le début. Pas de négocier, mais de nous coincer. Ce qui constitue leur unique stratégie - parier sur le fait que nous finirons par nous entre-déchirer."

Pour rappel, en juillet dernier, les membres de l'AMPTP avaient laissé entendre aux journalistes de Deadline qu'ils étaient prêts à attendre que les scénaristes "perdent leurs maisons" avant de revenir à la table des négociations avec la WGA. Dans l'idée de pouvoir imposer leurs conditions, sans difficultés. En parallèle, la tribune du Hollywood Reporter rapporte de nouvelles sources internes aux grands studios, pour affirmer que la balle était désormais "dans le camp des scénaristes."

La WGA devrait s'exprimer prochainement sur l'état des discussions, toujours en cours, et sans annonces de fin de grève pour le moment.

Source

Corentin
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