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L'accord signé entre l'AMPTP et la SAG-AFTRA ouvre la voie aux acteurs générés par intelligence artificielle

L'accord signé entre l'AMPTP et la SAG-AFTRA ouvre la voie aux acteurs générés par intelligence artificielle

NewsCinéma

Si la grève de la SAG-AFTRA s'est achevée il y a quelques jours, au terme d'un combat long de plusieurs mois, une partie des compensations obtenues par le syndicat ne suffira peut-être pas à atténuer l'inquiétude  des professionnels du métier face à la prolifération des technologies d'intelligence artificielle. Pour cause : après la victoire de la WGA face aux studios de l'AMPTP, les observateurs spécialisés pouvaient envisager une reprise des négociations apaisée entre les financiers et les représentants des comédiennes et des comédiens d'Hollywood. 

En définitive, cet optimisme passager n'aura pas duré longtemps, à mesure que les débats relatifs à l'intelligence artificielle, à l'apparition des "doubles de synthèse" générés par algorithme, auront fini par apparaître comme la grande obsession du moment au sein des principaux studios du cinéma et de la télévision américaine. Et si la SAG-AFTRA s'est empressée d'annoncer une victoire triomphale dès la signature de l'accord obtenu avec l'AMPTP, la réalité du contrat signé entre les deux parties a plutôt tendance à annoncer un changement conséquent (sinon préoccupant) dans la matérialité du métier de comédien d'ici les années à venir.

L'Invasion des Profanateurs de Sépulture

La régulation négociée sur le thème de l'intelligence artificielle a le mérite d'être claire : un document a été distribué récemment aux membres de la SAG-AFTRA pour distinguer les différents cas de figure qui se présagent à l'horizon des nouvelles normes qui régiront les accords de branche pour les trois prochaines années. Celui-ci émane directement du syndicat, et vise à expliquer comment les nouvelles mécaniques seront mises en place dans le cas de contrats proposés par les studios qui ouvriraient la porte à la génération de doubles virtuels. Autrement dit, de personnages créés par intelligence artificielle, générés par algorithme, en lieu et place d'un être humain concret et matériellement présent en plateau. 
 
Voici ce que prévoient ces nouvelles normes (les documents en question sont à retrouver plus bas), sans entrer dans le détail chiffré :
  • La clé de la négociation peut se résumer en un terme qui revient tout au long des réglementations officielles : le consentement. Les studios auront désormais l'obligation légale de solliciter l'accord officiel des comédiennes et comédiens pour la génération de doubles virtuels. Cette clause insiste sur le caractère contraignant de la provision établie, et sur le fait que la moindre utilisation d'un double virtuel pour de futurs projets (prenons un cas au hasard : chez Marvel Studios, si un personnage généré par algorithme devait apparaître dans plusieurs films ou séries télévisées, la société de production serait obligée d'obtenir l'accord du comédien reproduit à chaque utilisation). 
  • Ces clones numériques seront rémunérés, en suivant les réglementations d'usage des contrats type. Autrement dit, une performance générée par intelligence artificielle ouvrira la voie à une paye standardisée (et négociée en amont), et aux payes résiduelles en arriérés (i.e. : en cas de rediffusion, en cas de ventes de DVD, de location VOD, etc, toute cette catégorie de salaires versés après coup et qui correspondent à un intéressement chiffré sur l'exploitation d'une oeuvre). Et bien sûr, les doubles virtuels seront considérés comme des prestations calculées dans les pensions de retraite, de mutuelle santé, etc. En résumé, lorsqu'un acteur part à la retraite, par exemple, sa pension comprendra donc l'ensemble des rôles qu'il a effectivement réalisé physiquement, et l'ensemble des fois où son image a été générée par ordinateur pour le compte d'un studio.
En somme, des avancées face à la possibilité de voir certaines dérives se mettre en marche. Même si, là-encore, la question du rapport de force devra se poser au cas par cas (et un autre circuit de réflexion risque aussi de s'amorcer : si un acteur est récompensé par un prix d'interprétation, mais n'aurait réalisé que 90% de ses scènes contre 10% par double virtuel, quelle sera la logique à suivre à ce moment là ?). 
 
Dans des cas plus spécifiques - ou pour le dire plus clairement, dans la catégorie des mauvaises nouvelles - on remarque que :
  • Oui, un studio aura parfaitement le droit de générer un clone virtuel à partir d'une comédienne décédée ou d'un comédien décédé. Il faudra simplement que la société de production obtienne l'accord de ses héritiers, ou de ses ayant droits. La mort ne sera donc plus un problème pour les familles qui voudraient tirer un avantage économique de la disparition d'un proche célèbre.
  • Oui, les studios seront en pleine capacité légale de créer des acteurs ou des actrices qui n'existent pas du tout. Autrement dit, d'inventer un "interprète" qui n'existera que dans la machine, et qui ne serait pas basé sur une comédienne ou un comédien en particulier. La SAG-AFTRA a obtenu, en échange de ce glissement extrêmement dangereux (ou potentiellement catastrophique) pour l'avenir du métier, la promesse que l'AMPTP devra construire ces "robots" sans se baser sur le physique précis d'une personne en particulier, que la mécanique devra être encadrée, et que les producteurs devront s'engager pour minimiser le danger sur l'emploi humain dans la mesure du possible. Egalement, les "entraînements" de l'IA (i.e. : la construction d'une base de données qui permettra ensuite de générer des humains aléatoires) devra également être encadrée pour éviter les cas de figure problématiques. 
En l'occurrence, prenons encore un cas de figure précis : si un studio décidait, par exemple, d'acheter l'image de cent cinquante individus et de tricher avec l'algorithme pour obtenir un méli-mélo assez précis et se rapprocher du physique d'une vedette particulière, alors, la législation pourrait devenir complexe à démêler. Imaginons qu'un logiciel d'IA utilise le nez d'une personne qui ressemblerait au nez de Robert Downey Jr., le front d'une personne qui ressemblerait au front de Robert Downey Jr., les yeux d'une personne qui ressembleraient aux yeux de Robert Downey Jr.... alors, peut-être qu'avec cette logique d'entraînement, le studio en question pourrait générer un faux Robert Downey Jr. et expliquer dans un second temps que le modèle n'a pas été créé explicitement sur le physique de l'acteur, mais sur une autre base de données. Et ainsi, contourner la réglementation sur les doubles virtuels, qui impliquerait, dans le cas présent, de verser une paye à Robert Downey Jr. pour l'utilisation de son image. 
 
Ce cas de figure utilisé à titre d'exemple n'est que l'un des nombreux points de friction à envisager. Pourquoi pas imaginer une situation à la Hatsune Miku où un studio déciderait de pousser un comédien virtuel créé de toutes pièces en l'utilisant dans toute une série de productions, le temps de densifier l'attrait du public, jusqu'à avoir réussi à créer une star inventée de toutes pièces ? Voire même plus simplement, imposer à de jeunes aspirants comédiens qui se lancent dans le métier des contrats qui imposeraient le consentement pour la création de doubles virtuels ? Ou n'engager que des gens qui accepteraient ce type de contrats ? En l'état actuel des choses, seules les vedettes bénéficient d'un véritable pouvoir de pression sur les studios pour. Les débutantes et les débutants n'auront pas le choix que d'accepter ce qui leur est offert, pour pouvoir envisager d'aller quelque part au sein de l'industrie.
 
Enfin, en ce qui concerne les figurants :
  • La même notion de consentement s'applique, et la SAG-AFTRA aurait obtenu des studios que les figurants virtuels ne soient pas utilisés pour pallier à l'absence de figurants réels. En d'autres termes, le phénomène, déjà utilisé à l'heure actuelle, ne va visiblement pas évoluer.
  • En revanche... la section des compensations financières reste globalement floue. La réglementation précise que l'étape de création du double (i.e. : lorsqu'un figurant est scanné par ordinateur pour être ensuite reproduit à l'infini) sera rémunérée comme une journée de travail normale. Mais, si un studio devait utiliser l'image d'un figurant plusieurs fois, sur plusieurs productions... celui-ci ne serait apparemment pas rémunéré à chaque fois. En somme, l'AMPTP aurait obtenu une énorme avancée sur le terrain de la législation. Si l'on comprend le texte dans un certain sens, cela signifie bien qu'un studio aurait seulement besoin de payer une fois un figurant (le temps de le scanner) et pourrait ensuite utiliser le double virtuel à l'infini, sans avoir jamais besoin de verser une paye supplémentaire à l'être humain à l'origine du robot. Une source d'économies conséquente pour l'AMPTP, et potentiellement, le début de la fin pour tout un corps de métier.
Plusieurs voix à Hollywood se sont élevées contre les provisions de cette nouvelle feuille de route. Conscientes du danger que représentent ces évolutions, celles-ci ont énuméré les raisons pour lesquelles la réglementation n'offre pas de protection réelle face aux utilisations abusives des IAs dans le futur - la SAG-AFTRA aura cédé sur énormément de points en définitive, pour valider la possibilité de ressusciter les morts, de créer des acteurs qui n'existent pas, de remplacer efficacement les figurants au profits des robots, et pour permettre plus généralement aux studios d'imposer leurs conditions à la masse salariale dans l'accélération de ces technologies d'avenir. 
 
Si les accords de branche se veulent rassurants, en insistant sur le caractère du consentement, de l'encadrement et des compensations financières, le constat reste le même : le syndicat des actrices et des acteurs a ouvert la voie à une nouvelle concurrence sur le marché de l'art dramatique dans le cinéma et la télévision américaine. L'humain devra désormais côtoyer les robots sur les plateaux de tournage (ou plus exactement, en post-production), après avoir déjà assisté à la mort de toute une batterie de corps de métier au profit du fond vert et du tout-virtuel. Un glissement qui risque d'être diversement apprécié d'ici les années à venir, lorsque les médias spécialisés annonceront "le premier acteur généré intégralement par intelligence artificielle" dans une grosse production X ou Y. Reste seulement à attendre l'énième bond technologique qui permettra cette ultime transition.
 
 
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Corentin
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