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Luke Cage : City of Fire a été annulée par Marvel par peur des réactions de l'extrême-droite américaine

Luke Cage : City of Fire a été annulée par Marvel par peur des réactions de l'extrême-droite américaine

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Dans le métier, à force d'années de pratique, certains réflexes, certaines habitudes finissent par rentrer. Le rédacteur avisé sait par avance quelles actualités vont faire réagir, ou sous quelles formes. En l'occurrence, il est assez probable que des gens qui ne s'intéressent que de très loin aux comics Marvel s'intéresseront à cette actualité, déploieront l'arsenal rhétorique habituel ("c'est quoi l'extrême-droite ? Tous ceux qui n'adhèrent pas à la doxa bien pensante, à la pensée unique ? Haha, émoji hilare, bravade du libre penseur face aux wokistes déchaînés, blablabla"), et demain, le monde n'aura pas changé. Si bien qu'on est obligés de se cogner ce genre de paragraphes en préambule, histoire d'éviter à un article somme toute modeste d'être détourné de son objectif initial. C'est malheureux.

Luke Cage face à George Floyd 

Le scénariste Ho Che Anderson était de passage récemment par la rédaction du site CBR pour une entrevue, au sujet de ses actualités du moment. Le sujet de la mini-série Luke Cage : City of Fire s'est glissé dans la conversation, pour évoquer l'annulation de ce titre disparu du jour au lendemain sans la moindre trace d'une explication officielle. Au départ, le projet avait été présenté comme une évocation du thème de la violence policière à l'encontre des noirs américains dans la ville de New York, gouvernée par le Maire Wilson Fisk. Auteur ouvertement engagé sur cette thématique de l'inégalité ethnique aux Etats-Unis, Anderson s'était déjà chargé d'une biographie du Docteur Martin Luther King en bande-dessinée, pour les éditions Fantagraphics.
 
Lors de son échange avec la rédaction de CBR, le scénariste commence par évoquer en détails le déroulé de ce à quoi aurait pu ressembler la série City of Fire. Le titre se serait intéressé à la mort de George Floyd, un homme afro-américain de 46 ans tué par un agent de police lors d'une interpellation à Minneapolis, dans le Minnesota, le 25 mai 2020. La stupeur du public face à cette brutale démonstration de violence policière, jugée comme un homicide devant les tribunaux, avait à l'époque remis sur le devant de la scène la sempiternelle question des comportements racistes au sein des forces de l'ordre aux Etats-Unis, avant de s'étendre à un débat plus général sur le racisme au sein des sociétés occidentales.
 
"Marvel m'a approché, dans l'idée de faire une histoire courte, et j'ai eu envie d'aller vers Luke Cage. Cinq pages étaient prévues. En gros, il s'agissait de voir ce qui se passerait si la mère de George Floyd engageait Luke Cage pour protéger Derek Chauvin, le meurtrier de son fils. C'était l'accroche du projet.

J'ai écrit cette histoire. On a eu quelques échanges et quelques modifications à apporter, mais on a fini par trouver la bonne façon de faire, et j'étais assez impatient de la voir sortir. C'était mon premier travail pour Marvel après 28 ans dans le métier, ou quelque chose comme ça. Et puis, un jour, j'ai reçu un email. 'On aimerait beaucoup se voir pour discuter.' Je me suis dit 'ah merde, je me suis mis dans le pétrin ?' Mais en réalité, lorsque l'on a fini par se voir, ils m'ont dit 'écoute, il y a beaucoup de choses qui se passent pour une simple histoire de cinq pages. Est-ce que ça te dirait d'en faire un one-shot ou une mini-série ?' Je ne leur ai même pas laissé le temps de finir la phrase pour accepter. J'ai écrit un pitch - c'était la même histoire, qu'est-ce qui se passerait si la mère de George Floyd engageait Luke Cage pour protéger Derek Chauvin - avec l'idée de faire durer le scénario sur trois numéros.

On aurait parlé de violence policière, d'usage excessif de la force, et leur capacité ou leur envie générale de tuer à vue, mais dans un style plutôt... Enfin, je ne veux pas dire 'gentil', mais ce n'était pas non plus une histoire qui se résume à 'prenez ça dans vos tronches, sales flics, début et fin de l'histoire, point.' J'avais au contraire envie d'explorer ce sujet avec toutes ses nuances."

En définitive, l'éditorial proposera à Anderson de basculer l'histoire dans un environnement fédéralisé - l'idée était d'utiliser les personnages de Daredevil et Elektra en accord avec la série régulière de Chip Zdarsky et Marco Checchetto sur le Diable de Hell's Kitchen. L'une et l'autre devaient bien apparaître dans City of Fire aux côtés de Luke Cage, en témoignent certaines couvertures prévues pour la mini-série, et les commentaires du scénariste qui explique s'être basé sur les designs de Checchetto pour son interprétation d'Elektra. Le synopsis avait même été ajouté aux tie-ins de l'événement Devil's Reign de Zdarsky, Marvel semblait tenir à l'idée de canoniser le projet et de ne pas le cantonner à une sortie isolée ou une lecture d'auteur à part des parutions publiées dans l'univers principal.
 
Malgré ces premiers gages de confiance, celui-ci a finalement été annulé en dernière minute par la maison d'édition. Anderson rapporte ce qui lui a été dit à l'époque, et son interprétation personnelle de la situation.
 
"Les premières pages présentaient un flic qui tirait sur un mec désarmé. Donc je savais que l'histoire allait en offenser certains, mais j'avais l'impression que Marvel me soutenait. Ils avaient l'air d'être partants. Alors, quand ils m'ont finalement contacté pour me proposer une conversation sur Zoom une semaine plus tard, j'ai eu le sentiment que quelque chose clochait.

Pour vous la faire courte, on s'est assis, et ils m'ont dit 'on va annuler le titre. Nous craignons que ce sujet soit un peu trop risqué pour toi. On ne veut pas que tu te fasses attaquer par les dingues de l'extrême-droite.' Je leur ai répondu 'les gars, je suis capable de me défendre. Laissez les parler. Je ne suis pas inquiet à ce sujet. Vous n'êtes pas obligés d'annuler le projet.' Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé chez eux. A mon avis, il y avait probablement autre chose, et leur hiérarchie a fini par devoir intervenir pour sanctionner - 'non, cette histoire va affecter notre fond de commerce, on ne peut pas la publier.' C'est en tout cas ce que je suspecte. Bien sûr, personne n'est venu me dire ça directement. Et puis, tout ça est arrivé en parallèle du procès de Kyle Rittenhouse, et des conclusions qui avaient été tirées de celui-ci. Marvel avait peur de la réaction des amoureux de Kyle Rittenhouse de ce monde, donc ils ont préféré opter pour la solution de sûreté."

Anderson précise plus haut dans l'interview que cette annulation ne l'a pas empêché de garder de bonnes relations de travail avec Marvel, et l'éditeur Wil Moss en particulier. Le scénariste a même prévu de travailler à nouveau pour le compte de la Maison des Idées - notamment pour un nouveau projet consacré au personnage de Blade. Mais, après avoir amèrement encaissé la décision de l'enseigne, celui-ci a fini par se faire une raison quant au champ des thématiques susceptibles d'être couvertes dans les comics de super-héros publiés à cette échelle.
 
"Je sais que je ne pourrai jamais travailler pour Marvel si je propose autre chose que 'le vilain de la semaine va essayer de conquérir le monde.' Je pensais que nous avions la possibilité de sortir une histoire pertinente sur des sujets du réel. Le fait qu'ils étaient été si prompts à annuler le titre me fait dire sans la moindre équivoque que ce n'est, simplement, pas ce qu'ils recherchent. Ils veulent du sans risques. Donc s'ils m'engagent à nouveau, c'est ça que je leur donnerai. Des histoires sans risques."

Le cas de Ho Che Anderson évoque bien entendu une affaire tout à fait similaire de l'autre côté de la clôture. Chez DC Comics, il y a huit ans, Tom King et l'artiste Trevor Von Eeden avaient tenté de se baser sur l'assassinat d'un jeune noir américain, Michael Brown, pour instituer cette même mécanique de contestation de la violence policière dans un comics de super-héros. Il s'agissait alors d'un titre mêlant les personnages de Black Lightning et de Superman. Le héros afro devait se faire abattre par un agent de police lors de sa patrouille, et Clark Kent, cette fois représenté comme un journaliste plus que comme un justicier en costume, aurait alors mené l'enquête pour reconstituer les faits et comprendre précisément ce qui s'était passé lors de l'assassinat de son collègue. 
 
Le titre avait, à son tour, été annulé en cours de route. Tué dans l'oeuf pour un motif vraisemblablement comparable : en mainstream, les super-héros peuvent encourager la diversité via des protocoles de mise en avant de certaines figures fictionnelles, mais le vrai sujet du racisme dans la police américaine doit se cantonner aux BDs publiées sur le marché indépendant.
 
Cet amer constat, associé aux pressions exercées par le lectorat conservateur ou la presse et les élus d'extrême-droite aux Etats-Unis (connue pour appeler au boycott rapide et organisé des produits jugés "anti-américains", y compris dans le cas de sujets de niche dont le rayonnement se cantonne à des sphères restreintes - souvenez-vous du scandale Second Coming dans un champ idéologique un peu plus éloigné encore du réel, ou même plus récemment des "M&Ms wokes" ou du système d'économie d'électricité "woke" des derniers modèles de Xbox), aura effectivement tendance à inciter les éditeurs à se tenir loin de ces problématiques. Encore que, le constat a pu être nuancé au fil de ces dernières années. Dans Dark Knight 3 : The Master Race ou dans Dark Knight : The Golden Child, le grand Frank Miller, qui profite d'un espace de liberté plus conséquent, a pu évoquer le sujet des violences policières racistes, ou de l'utilisation de la police par le pouvoir sur un plan plus général. Jeff Lemire a également eu l'occasion de s'approcher du sujet via la mini-série The Question : Deaths of Vic Sage dans le DC Black Label.
 
D'autres allégories sur la réalité politique des Etats-Unis du présent ont été distillées à droite et à gauche (Rorschach, Punisher) mais la mini-série Luke Cage : City of Fire a malheureusement tout l'air d'une sorte de norme appliquée en interne au sein de la Maison des Idées, et de ces maisons d'édition destinées à cibler le grand public. 
 
"Je ne suis pas contre le modèle des histories qui s'arrêtent au vilain de la semaine. C'est un genre très marrant. J'aimerais juste croire que la possibilité de proposer une histoire un peu plus percutante existe. Mais je pense que pour ça, il faut appartenir au club fermé des superstars ou de ceux dont on est sûrs qu'ils rapportent beaucoup d'argent avant de pouvoir obtenir cette liberté. Et je n'en suis pas encore là."
 
Corentin
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