Peu de temps après le drame de George Floyd aux Etats-Unis, le débat sur le racisme institutionnel envers les noirs s'est, une fois de plus, présenté sur la place publique en suscitant diverses réactions d'un bout à l'autre du pays. Quoi que les personnages noirs aient une histoire particulière dans l'industrie des comics, les positions adoptées par les deux principales maisons d'édition en poste auront pu être jugées insuffisantes, en particulier vis-à-vis de certaines avancées récentes.
A l'heure actuelle, on n'a, par exemple, toujours aucune nouvelle
du projet The Other History of the DC Universe de
John Ridley, un contre-manifeste sur l'historique des super-héros noirs en décalage avec le mythe, conventionnel, des grandes figures caucasiennes de
DC Comics. Un signal qu'il aurait été intéressant d'envoyer, au moment où de nombreuses entreprises de divers secteurs d'activité cherchent à faire leur part du travail contre le racisme et les inégalités.
Ce projet n'est pourtant pas le seul de sa catégorie à avoir disparu des radars. Au sortir de ces dernières semaines, Rich Johnston de BleedingCool a secoué ses sources en interne pour mettre les mains sur les planches de script ou les dessins d'une série tuée dans l'oeuf. En 2015, l'artiste noir Trevor Von Eeden, co-créateur de Black Lightning, vétéran de DC Comcis embauché à l'âge de 16 ans (en 1975), était mandaté pour un crossover employant le justicier afro-américain et Superman, avec un Tom King déjà en pleine ascension au scénario. Il évoquait le projet dans une interview réalisée à l'époque par Comics Creator News, au détour de nombreux autres sujets.
Le script de King s'inspirait de l'assassinat récent du jeune homme noir Michael Brown, abattu à 18 ans de six balles par un officier de police alors. L'affaire avait à l'époque suscité de lourdes interrogations, les forces de l'ordre affirmant que le jeune homme se serait dirigé "de façon menaçante" sur l'agent qui tentait de l'interpeller, tandis que de nombreux témoins, dont un ami du garçon présent au moment des faits, expliquent de leur côté que Brown avait les mains en l'air et s'était immobilisé après avoir entendu la sommation. La mort du jeune homme avait à l'époque suscité de vives manifestations dans les villes de St. Louis et Ferguson (pour la suite de l'histoire, appliquez un décalque sensiblement identique à l'actualité des Etats-Unis, à la différence que le policier en question n'avait pas été inculpé). Selon Rich Johnston, Von Eeden revendique cette inspiration du meurtre de Michael Brown dans l'intrigue concoctée à l'époque. Pour cause, attendu que le procès qui s'ensuivit avait pour motif d'interroger les témoins de la scène, King avait baptisé son intrigue "Sources".
Le scénario suivait une scène d’interpellation sur un jeune noir des rues. Voyant que le policier s'apprête à abattre le suspect, Black Lightning en patrouille, s'interpose et reçoit une balle dans le corps. Son hospitalisation est suivie par une série de protestations, et Clark Kent mène de son côté un travail d'enquête auprès des différents témoins pour reconstituer la scène, comprendre la faute et assister en direct aux affrontements entre policiers et manifestants. Selon Johnston, le script, superbement écrit, serait encore d'actualité, pour peu que quelques noms (vraisemblablement vis-à-vis du pouvoir en place) soient mis à jour. Là-dessus, plusieurs sources sont à considérer quant aux raisons de l'annulation de la série.
Sur le principe, le script a simplement pu faire peur à
DC Comics, à l'aune de débats sur "la politique dans les comics" et la prise de pouvoir d'activistes d'extrême-droite sur les réseaux sociaux (faute de mieux), au fil de la fameuse campagne de dénigrement envers
Marvel sur le thème de la diversité. Ironiquement, le responsable du pôle éditorial consacré à
Superman était à l'époque piloté par
Eddie Berganza, qui aura depuis été licencié
pour des cas d'agressions sexuelles. Le bonhomme serait le premier responsable de cette annulation.
Johnson explique que le motif officiel serait d'ordre calendaire :
DC Comics avait commandé cette série pour servir de bouche-trou au cas où un autre titre aurait du retard, histoire d'avoir quelque chose pour combler. Depuis, différentes séries n'auront pas tenu leurs délais, sans déclencher d'annonce pour le
crossover Black Lightning/
Superman.
Rich Johnston se veut optimiste, en affirmant que l'éditeur aurait encore envie de publier la série, et serait encore assez proche de Von Eeden et de son travail. On croisera les doigts, le nom de Tom King étant encore plus important aujourd'hui qu'à l'époque, et le besoin de prises de positions plus affirmées réclamé par de nombreux lecteurs dans le spectre souvent immobile des super-héros.