Au moment de dresser les perspectives de ce début d'année, la rédaction du Hollywood Reporter revient en détails, lors d'une chronique consacrée, à l'évolution des relations sino-américaines sur le plan du cinéma. L'occasion de revenir sur l'impact des nouvelles vagues (massives) de contaminations au COVID-19, un frein à la fréquentation des salles d'exploitation sur ce territoire durement frappé par la pandémie - mais surtout, d'évoquer l'actualité de la sempiternelle problématique du levier diplomatique appliqué par le régime. Les autorités chinoises se sont faites une spécialité des sanctions et interdictions d'entrée sur le territoire, pour toute une batterie de motifs, et sur toute une variété de sujets.
Un marché imprévisible
En 2022, seuls 12 longs-métrages en provenance d'Hollywood ont été autorisés à être exploités sur ce territoire. Une somme déjà inférieure aux 20 films autorisés en 2021, et aux plus de 30 films autorisés en 2019, un an avant la fermeture du circuit d'exploitation courant et des problématiques d'accès au pays au pic de la pandémie, en 2020. Le marché se resserre, et quantité d'observateurs ont déjà eu l'occasion d'analyser le phénomène : le pouvoir local mise sur la préférence nationale, en préférant parier sur les productions locales, contrôlées par les organes de contrôle et de régulation de la culture patriote, en cherchant dans le même temps à répondre aux décisions politiques venues des Etats-Unis au coup par coup.
Les relations diplomatiques fluctuent depuis quelques années entre la Chine et les grandes puissances de l'Ouest, sur fond de tension générale autour de différents sujets. Le COVID, Taïwan, les libertés individuelles, etc. Des problématiques sérieuses, et qui auront eu tendance à encourager le gouvernement chinois a fermer la porte aux idées et aux représentations occidentales -
et particulièrement au cinéma des super-héros.
Depuis
la sortie de Spider-Man : Far From Home,
Marvel Studios semble de son côté privé de cette ancienne terre de conquête, après avoir pourtant accepté de donner la patte à plusieurs reprises aux organes de censure locaux (via
Doctor Strange) ou à la création de produits quadrillés pour satisfaire le public chinois (via
Iron Man 3). Les sources interrogées par le
Hollywood Reporter, externes au groupe
Disney, estiment que le retour de
Bob Iger pourrait améliorer la situation. Le président historique de l'énorme conglomérait pourrait par exemple opter pour la contrition en se rendant sur place et en essayant de courtiser les huiles chinoises, dans l'idée de rouvrir progressivement le marché du cinéma aux productions de l'enseigne.
De fait, la Chine n'est pas complètement opposée à l'idée d'accueillir les produits de la marque Disney - Avatar : The Way of Water a par exemple été autorisé sur le territoire, avec l'approbation des spectateurs. Le film de James Cameron devrait, selon les estimations du moment, finir sa vie aux alentours de 220 millions de dollars sur ce seul territoire (avec 190 millions déjà empochés à date de rédaction). Un succès conséquent qui évoque les performances d'autres mastodontes de la grande époque, quand la Chine accueillait encore régulièrement certaines productions costumées de Marvel Studios ou Warner Bros./DC Films.
Le cas de cet autre conglomérat est encore plus particulier - le
Hollywood Reporter estime par exemple que le film
The Meg 2 : The Trench, une production sino-américaine, a toutes ses chances pour obtenir le précieux sésame d'une importation dans l'Empire du Milieu. Le
The Batman de
Matt Reeves a également été autorisé à pénétrer le territoire, pour un résultat somme tout décevant, durement minimisé par les contaminations au COVID-19 selon l'expertise générale. Dans le même temps,
Black Adam s'est de son côté retrouvé bloqué à la douane, et les prochains films de
DC Studios n'ont pas encore affiché de plan de sortie concret sur place.
Le Hollywood Reporter pointe une incohérence dans la stratégie des autorités chinoises : d'une part, le gouvernement encourage les géants de l'exploitation à ouvrir de nouvelles salles de cinéma, dans la mesure où celles-ci favoriseraient la fréquentation publique de lieux de commerce, comme les grands supermarchés. Mais d'autre part, les organes de censure continuent de sanctionner Hollywood en refusant l'accès au territoire à de grandes productions populaires susceptibles de convenir au goût du public local. Une situation de blocage qu'un vétéran de l'industrie regrette, sur un ton accablé.
"Les bureaucrates sont en train de tuer cette industrie, parce qu'ils ont peur que le gouvernement leur retire leurs mandats. Arrivera un moment où quelqu'un dans la hiérarchie finira par devoir accepter de laisser rentrer de nouveaux films, ou bien les salles de cinéma devront mettre la clé sous la porte. Parce que c'est ce qui va arriver. Je ne vois pas comment on pourra éviter des situations de banqueroutes massives si le box office ne revient pas à niveau."
De fait, le box office chinois s'est effondré de 36% en 2022, avec seulement deux productions locales dans le top 10 des entrées en salles sur l'année, contre trois l'année précédente. Une autre source bien placée explique à la rédaction de THR que le COVID a posé de sérieux problèmes à de nombreux longs-métrages en développement dans le pays, au point de freiner la quantité de films chinois prêts à l'emploi en 2023. Or, le gouvernement, et cette politique de préférence nationale, mise sur une part de marché de 55% pour les productions locales. Un objectif qui tiendrait de l'impossible, ou obligerait les salles de cinéma à subir de longues périodes d'avaries avec aucune nouveauté à proposer au public sur des périodes de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois.
Stanley Rosen, expert des relations diplomatiques entre la Chine et l'Occident, explique que le cinéma n'est pas une priorité pour le régime en cette période d'incertitudes. Jusqu'à récemment, la situation sanitaire, et les tensions survenues à l'aune du conflit avec Taïwan, auraient poussé les autorités locales à faire preuve de prudence en refusant de prendre des décisions susceptibles d'être sanctionnées à l'échelle du pays. Une crainte qui serait en passe de s'atténuer à présent que certains grands événements (le 20e congrès national du Parti Communiste Chinois et les cent ans du parti en 2021) sont dans le rétroviseur, et que la stabilité du régime semble suffisamment stabilisée pour autoriser certaines modulations.
Pour l'heure, Ant-Man & the Wasp : Quantumania n'a pas encore prévu de plan de sortie sur le territoire. Le Hollywood Reporter estime que Disney n'a plus que quelques semaines pour tenter d'obtenir une réponse favorable. Le cas échéant, si le film tombait à la date de sortie fixée pour l'international (le 15 février 2023), celui-ci risquerait de se heurter à un autre problème structurel : les festivités du Nouvel An Chinois (le 22 janvier 2023), que la plupart des épidémiologistes identifient comme un énorme pic de contaminations potentielles à l'aune des festivités prévues partout sur le territoire. Pas forcément la meilleure fenêtre de sortie, ni le produit le plus facile pour réamorcer la machine Marvel Studios sur place après plusieurs années sans nouvelles de l'évolution de ce petit univers de fiction.
