Depuis la mort de Stan Lee, les vautours rôdent. Producteurs, chaînes de télé', marchands de jouets, une large panoplie d'entrepreneurs aux dents longues venus capitaliser sur le départ du géant se passent le relais depuis près de quatre ans, avec l'aval de la société POW! Entertainment. Cette structure, fondée par Stan Lee dans ses dernières années de carrière, gère au quotidien le portefeuille d'actifs du créateur des Quatre Fantastiques. Les projets validés par POW! depuis sa mort ont tout d'un étonnant gloubiboulga : des NFTs, par exemple, de personnages de Stan Lee promulgués par le compte officiel du bonhomme sur les réseaux sociaux. Ou des films, basés en théorie sur des synopsis proposés par le scénariste de son vivant, mais on dont on peine à retrouver l'origine tangible.
Et puis, il y a Marvel
En résumé, si la vie de Stan Lee était une tragédie en plusieurs volumes, POW! Entertainment occuperait la case de l'héritier illégitime, celui qui massacre l'héritage du vieux roi après avoir récupéré les clés du royaume. Sauf que, bien évidemment, dans ce cas de figure très précis, il n'est pas du tout idiot de penser que Stan Lee lui-même n'aurait pas été opposé à ce que certaines de ces récupérations post-mortem soient mises en route : longtemps avant de prendre son congé, le scénariste avait déjà largement transformé son nom de plume en une marque à part entière, accolé à toute une série de curiosités très loin de correspondre au génie et à l'utilité symbolique de ses créations chez Marvel, à l'époque de son duo avec Jack Kirby. Des programmes de télé-réalité, des cartoons de qualité variable, des séries télévisées sur lesquelles il se contentait de signer en haut de la copie, etc.
En somme, POW! Entertainment se contenterait de suivre la feuille de route imposée par son ancien président fondateur. Mais, le constat demeure : faire les poches d'un mort, peu importe les circonstances, on a tendance à être contre. En particulier devant la manifestation de certaines de ces entreprises, particulièrement déplaisantes. Au hasard, voyez la dernière : POW!, avec l'autre société de Stan Lee, Genius Brand International, a signé avec Disney pour céder à la compagnie (et donc au groupe Marvel en règle générale) les droits sur le nom Stan Lee, ainsi que sur l'apparence physique du bonhomme. Le montant de ce rachat n'a pas été précisé.
Disney et Marvel Studios comptent utiliser cet accord, qui s'étalera sur plus de vingt ans de location de "droit à l'image", pour créer des copies synthétiques de l'ancien éditeur-en-chef des éditions Marvel. Sont prévues au programme des expériences de parcs à thème, des T-shirts, de futures apparitions dans les films de la compagnie, des interactions virtuelles en VR, etc. C'est en tout cas ce que laisse entendre le communiqué officiel de Andy Heyward, président directeur général de Genius Brand International.
"Cela nous assure que Stan, via la technologie d'imagerie numérique, les images d'archives d'autres formes d'utilisation, continuera à vivre dans les endroits les plus importants : les films de Marvel Studios et les parcs d'attraction de Disney."
Vous ne lisez pas de traviole, il s'agit bel et bien, selon toute vraisemblance, de créer des reproductions de
Stan Lee sur lesquelles
Disney et
Marvel auront une entière liberté d'exploitation.
Kevin Feige et ses équipes pourront par exemple utiliser la technologie des copies de synthèse dans de futurs films (
peut-être pour entretenir les fameux caméos d'autrefois) ou dériver la présence du mort dans les parcs de la franchise
Disneyworld et
Disneyland. Peut-être pour mettre le vieux bonhomme à lunettes dans des vidéos explicatives de manèges, ou simplement pour diffuser des archives de ses journées dans les bureaux de
Marvel lors d'éventuelles expositions sur l'histoire de la maison d'édition. Peut-être aussi pour avoir un
cast member déguisé en
Stan Lee qui arpenterait le parc, ferait des coucous aux gamins et taperait la pose avec les touristes en scandant son fameux cri de guerre "
excelsior". Tout ceci est possible et fixé par contrat : les têtes pensantes de
Disney ont le loisir de faire comme bon leur semble, avec l'usufruit légal de l'image de
Stan Lee, de ses apparitions en vidéo et de ses enregistrements audio'. Elle a quel goût, la bile qui vous remonte du bide ? Acide, non ?
Nuançons tout de même : le Hollywood Reporter cite quelques sources proches du dossier pour mesurer la possibilité de voir réapparaître les caméos de Stan Lee sous la forme d'un fantôme synthétique (à l'image de ce qui avait été fait avec l'acteur Peter Cushing pour Star Wars : Rogue One - ou l'émission nécrophile de Thierry Ardisson, si ça vous aide à vous faire une idée). Apparemment, le projet serait un peu différent, et la présence du bonhomme passerait par d'autres biais encore à définir, mais l'article cite bien de futures apparitions à la télévision et au cinéma. Plus clairement encore, il est d'ores et déjà garanti que cet accord sera appliqué par Disney pour utiliser l'image et l'apparence physique de Stan Lee dans leurs parcs d'attraction, leur programme de croisières maritimes, ainsi que pour le merchandising exclusif aux parcs à thèmes. Une figurine ou une peluche Stan Lee ne sont, par exemple, pas à exclure. Les jeux vidéos et la réalité virtuelle sont aussi cités explicitement.
"Le public adorait Stan Lee et si la chose est faite avec classe et avec goût, et surtout dans le respect de qui il était, les gens seront contents. C'était une personnalité formidable et longtemps après que vous et moi ne seront plus de ce monde, il continuera à incarner l'essence même de Marvel."
Traduction, ne vous attendez pas à ce que le visage de Stan Lee disparaisse de sitôt, si l'entreprise a les moyens de lui assurer une existence quelconque par le biais des technologies modernes. A croire que le bonhomme aurait vocation à devenir une sorte de mascotte géante, un Ronald McDonald exclusif aux éditions Marvel. Forcément, en refusant de mettre en avant les artistes du présent (pour éviter que ceux-ci ne rouspètent sur leurs conditions salariale) on a tendance à manquer de figures humaines à présenter au spectateur pour incarner l'esprit d'entreprise. En résumé, les hommes meurent, mais les marques sont éternelles - et on ne doute pas que les contrats proposés aux vedettes par Marvel Studios intègrent déjà ce genre de clauses mortifères de droit à l'image en cas de décès pendant ou après un tournage. Le progrès, les copains.