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Quand DC Comics se retrouve en flagrant délit de queerbaiting sur un article qui dénonce cette pratique

Quand DC Comics se retrouve en flagrant délit de queerbaiting sur un article qui dénonce cette pratique

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Une nouvelle bourde à ajouter à un CV déjà bien chargé du côté de DC Comics. Alors que se déroule en ce moment le mois des fiertés, l'éditeur à deux lettres offrait une tribune à l'autrice Esper Quinn, pour qu'elle puisse parler de deux pratiques délétères pour les représentations (et les communautés) LGBT+ dans la pop-culture, et par extension le monde des comics : le queer coding et le queerbaiting. Problème, en voulant illustrer ladite tribune, DC Comics se retrouve pris en flagrant délit de ce qui est précisément reproché dans l'article. 

DC qui n'assume toujours pas la sexualité de ses anti-héroïnes les plus populaires

Dans la tribune que DC lui offre sur son site officiel, Esper Quinn explique donc ce que sont le queer coding et le queerbaiting, des thèmes qui ne vous sont peut-être pas étrangers si vous vous intéressez au sujet de la représentation à l'image. Le premier terme désigne une pratique venue très souvent de la part de créatifs pour parler de thématiques LGBT+ ou sous-entendre que des personnages font partie de cette communauté, sans que la question ne soit vraiment abordée. Très souvent, les responsables de ce genre de productions ont recours à cette pratique parce que l'éditorial ne le permettrait pas (ce qui était donc largement le cas dans l'histoire des comics jusqu'à l'abrogation du Comics Code Authority, et encore par après jusqu'à nos jours), ou parce que les conséquences éventuelles surplomberaient l'intérêt du commanditaire (de la part d'un public parfois homophobes, ou de pays entiers où l'homosexualité sous toutes ses formes est encore interdite et où la "promotion" de personnages LGBT+ est proscrite). 

Dans les exemples donnés, un(e) scénariste ou un(e) artiste peut donc utiliser une identité secrète, une relation "non conventionnelle" avec un autre personnage, un costume extravagant ou certaines attitudes/stéréotypes des communautés LGBT+ pour faire du queer coding. Esper Quinn explique qu'il s'agit en premier lieu d'une tactique de "survie" pour des équipes créatives qui souhaitent aborder ces thèmes sans pouvoir le faire explicitement.

Dans un autre genre, plus fallacieux, existe le queerbaiting, une technique qui est là pour faire croire à un public qu'une oeuvre va parler de thématiques ou de personnages LGBT+ sans jamais aller au bout de cette idée (ou de façon si fugace que le contenu sera à peine perceptible). De l'anglais "bait" qui signifie appât, il s'agit donc de vouloir s'attirer les faveurs commerciales d'une partie du public en lui faisant miroiter une représentation précise, sans que l'oeuvre en question ne cherche à atteindre cet objectif. Par exemple, quand Marvel Studios déclare qu'il y a "le premier personnage ouvertement gay du MCU" dans Avengers Endgame et qu'il s'agit en fait d'un inconnu (joué par l'un des frères Russo) dans une ligne qui lui offre 30 secondes de temps d'écran ? C'est du queerbaiting

Esper Quinn conclut alors sa tribune en expliquant que les méthodes du queer coding ou baiting se doivent d'être abrogées, car il n'y a pas de raisons que ces représentations et personnages ne puissent être explicites, tant pour la communauté que pour l'ensemble public - il s'agit simplement de normaliser dans les oeuvres culturelles ce qui est normal dans le monde réel. C'est alors qu'intervient le problème de DC Comics. Car à partir de cette conclusion, qui demande davantage de représentations explicites, l'éditeur illustre le passage avec une case de Chad Hardin tirée de Harley Quinn #25 de Amanda Conner et Jimmy Palmiotti.


La romance entre Harley Quinn et Poison Ivy, longtemps vendue comme un queercoding d'avant-garde dans la communauté particulièrement hétéronormée des super-héros, fait partie des routines les plus appréciées des fans. Le public masculin accepte (étonnamment) mieux ce cas particulier, qui n'aura jamais suscité les mêmes polémiques que d'autres coming out fictifs plus récents. DC Comics aura pourtant mis longtemps avant d'accepter de représenter l'amour des deux héroïnes de façon explicite. Et pour l'instant, ce n'est en réalité arrivé que dans des comics hors continuité (Injustice) ou dans la série d'animation, pas dans le canon, le "DC Proper", que vous retrouverez des exemples de situations ou d'embrassades claires et sans ambiguïtés. Vous remarquerez en outre que le dessin montre là un gros bisou sur la joue, assez curieux au vu de la main d'Ivy posée sur les fesses de Harley. La raison de ce curieux décalage de mâchoires est toute bête : ce dessin était à la base beaucoup plus explicite.

L'artiste Chad Hardin, en réponse à la tribune d'Esper Quinn, a en effet posté le dessin original qu'il avait soumis à DC, lequel représentait bien un vrai baiser entre Harley et Ivy (la position des mains n'a, elle, pas changé). Hardin ajoute de son commentaire qu'il sera "plus facile de demander pardon que la permission", laissant indiquer que l'éditorial de DC Comics n'avait pas souhaité valider la scène telle quelle. Le fait d'illustrer un appel à la fin du queerbaiting avec un dessin qui a explicitement été modifié pour "atténuer" un moment d'homosexualité féminine a quelque chose d'amèrement cocasse, voire d'assez agaçant au vu des autres polémiques de l'éditeur sur la question de la sexualité de ses personnages. Là-encore, d'aucuns s'amuseront à répondre que la variation ne change pas grand chose - en l'occurrence, il s'agit tout bêtement d'un cas de censure, qui va à l'encontre de la volonté des artistes.

Cela dit, il est à noter que la tribune se conclut par une note en caractères gras, qui affirme que les opinions exprimées ici ne sont que celles d'Esper Quinn et "pas nécessairement celles de DC Entertainment ou Warner Bros." - on sera moins surpris. En tentant l'habituel grand écart, pour correspondre aux attentes contemporaines d'un lectorat progressiste sans risquer de se fâcher avec sa frange réactionnaire, ou de froisser l'esprit puritain et largement opposé aux représentations de l'homosexualité dans des fictions "tout publics", DC échoue, comme souvent, à définir sa position. Oui au changement, mais sans aller trop vite et sans jamais bousculer l'opinion dominante : encore une fois, il serait temps de laisser aux équipes créatives le soin d'explorer les thématiques et les représentations qui leur plaisent. Toutes les thématiques. Et toutes les représentations.

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Arno Kikoo
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