Depuis quelques semaines, les majors du cinéma d'Hollywood ont pris position contre le modèle traditionnel de distribution en salles. L'ère est désormais aux services, avec l'assurance des rentrées d'argent systématiques via un principe d'abonnement inspiré par la réussite du modèle Netflix (ou dans d'autres secteurs, Spotify, le Playstation Plus, etc), pour s'affranchir du calcul habituel de partage des recettes, et se débarrasser enfin de la capricieuse divinité box office. Disney et AT&T ont lancé leurs propres offres de streaming dans cette optique.
Les nouveaux propriétaires du groupe
Warner ont toutefois décidé de donner un coup brusque d'accélérateur dernièrement : suite à la crise sanitaire, l'entreprise décidait de sortir l'ensemble de leurs films majeurs de l'an prochain
sur la plateforme HBO Max et dans les salles de cinéma, sans alerter les réalisateurs et réalisatrices concernées.
Sous le feu des critiques, le groupe de télécommunications doit à présenter assumer cette (curieuse) décision, qui risque bien de provoquer une fuite des talents vers des studios plus démocratiques.
Wonder Woman 2077
A sa façon, le film Wonder Woman 1984 sera devenu l'avatar original de cette nouvelle stratégie : à force d'être repoussé, le long-métrage finira par inaugurer ce système de double distribution, envoyé au casse-pipe dernièrement aux Etats-Unis en attendant la réouverture des salles européennes. Interrogée, Patty Jenkins se sera déclarée à plusieurs reprises contre cette tactique de distribution, incitant le public à découvrir le film en salles dans les endroits où cela était possible. Piégée par les décisions du groupe, la réalisatrice adopte depuis peu une attitude de "foutou pour foutu", admettant la particularité de cette année pour le cinéma tout en regrettant qu'une autre voie n'ait pas été envisagée.
Dans une interview accordée au New York Times, Jenkins explique à présent que son retour pour un troisième film Wonder Woman serait conditionné à un plan de sortie plus traditionnel. Farouchement opposée à la nouvelle politique en poste chez AT&T (pour rappel, la réalisatrice avait été engagée avant le rachat de Time Warner par le conglomérat), la réalisatrice reste solidement accrochée à cette condition.
"Nous verrons ce qui se passe. Je n'en sais rien, vraiment. Je sais que j'adorerais faire un troisième film si les conditions étaient réunies et qu'il serait encore possible de le sortir au cinéma d'ici là. Je ne pense pas que j'en aurais envie dans le cas contraire."
A son échelle, Patty Jenkins fait partie des quelques réalisatrices à avoir réussi un succès commercial de plus de 800 millions de dollars au box office - fait d'armée important, dans une ère où de nombreux studios tentent de conquérir un nouveau public en laissant à des réalisatrices les manettes de projets importants. Récemment, celle-ci était embauchée pour la mise en scène du film Star Wars : Rogue Squadron, et n'aurait effectivement pas à s'inquiéter d'un éventuel chômage si AT&T décidait de poursuivre dans la direction actuelle.
Par le passé, les équipes de Wonder Woman auront déjà tenté de lancer un appel à leur hiérarchie (au hasard, pour le licenciement de Brett Ratner et la fin du partenariat historique entre Warner Bros. et la société RatPac Dune du gars), avec plus ou moins de succès. Reste maintenant à voir si ces protestations de différents cinéastes en contrat avec le studio suffiront à inverser la tendance (qui, selon le réalisateur de l'incomparable chef d'oeuvre underground Babylon A.D., est inéluctable).
