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Dieu Crée, l'Homme Détruit : un récit d'une pertinence actuelle redoutable

Dieu Crée, l'Homme Détruit : un récit d'une pertinence actuelle redoutable

ReviewPanini
On a aimé• Une histoire forte, sans besoin de super-vilain
• Un message assumé, soutenu, sans concession
• Une lecture vouée à rester intemporelle
• L'approche cinématographique de Brent Anderson
On a moins aimé• Quelques tics de narration "à l'ancienne" qui prennent un peu de l'âge
Notre note

En ce début d'année, Panini Comics version France a la bonne idée de proposer une réédition de ce que l'on considère aujourd'hui comme l'un des chefs d'oeuvre de Marvel. Le graphic novel God Loves, Man Kills (Dieu Crée, l'Homme Détruit par chez nous) de Chris Claremont s'en revient après plus de quinze ans depuis sa dernière édition, et l'on se plaira à découvrir ou redécouvrir ce titre culte, marqueur de l'histoire des comics à plusieurs occasions. (quand Marvel est occupé à lui donner un curieux remake, par l'équipe créative originelle).

Quand Dieu Crée, L'Homme Détruit sort initialement en 1982, cela fait déjà quelques années que l'illustre Chris Claremont fait des merveilles sur le titre X-Men (la saga du Dark Phoenix, notamment, a déjà vu le jour). L'industrie des comics commence petit à petit à se métamorphoser au cours des années 80, la publication périodique des single issues commençant à laisser plus de place aux albums/collections, et ce qu'on appellera par la suite le graphic novel. Marvel, sous la direction de Jim Shooter, veut notamment faire de la place à ce type de format jusqu'alors très rare, avec une collection Marvel Graphic Novel, au format agrandi, et qui contiendra des récits complets fait par les meilleurs artisans de l'époque. C'est là dedans qu'on retrouve l'important Death of Captain Marvel, le premier représentant de cette ligne, et qu'arrive plus tard ce projet de Chris Claremont et Brent Anderson.


L'historique de publication est désormais connu, notamment du fait des bouleversements dans sa genèse. Claremont devait en effet travailler avec Neal Adams au départ. Ce dernier, en signe de protestation contre les conditions de son contrat de travail (rappelons que l'illustrateur a été une figure des plus importantes dans la lutte pour les droits des artistes et contre les abus des éditeurs), quitte rapidement le projet. Il illustre malgré tout quelques premières planches, qui sont incluses en fin d'édition - une façon de comparer l'entrée en matière, très différente de ce que le récit est devenu par la suite. On aimerait à ce titre plus de notes, de commentaires, voire une postface actualisée de Claremont - puisque le discours de ce dernier écrit en 2003 reste toujours plus vrai que jamais - on y reviendra.

Pour les nouveaux venus, voici le point de départ. En Amérique, le révérend William Stryker, mû par une haine profonde envers l'espèce mutante, a créé une milice privée pour éradiquer tout mutant sur Terre, et met en place un plan profondément diabolique pour éliminer ces derniers en se servant du Cerebro de Charles Xavier. Face à cette menace d'une ampleur maléfique, les X-Men vont devoir user de toutes leurs forces, quitte à faire appel à Magneto - puisqu'ici, pas de super-vilains à proprement parler. La menace est humaine, mais son absence de capacités surnaturelles ne la rend pas moins dangereuse, bien au contraire. 

Depuis leur création, les X-Men ont été une métaphore pour parler de la différence de l'autre, qu'il s'agisse de couleur de peau, de sexualité, de religion ou toute autre caractéristique qui éloigne du moule calibré de l'américain moyen (et par extension, de l'homme blanc occidental). Avec Dieu Crée, L'Homme Détruit, Chris Claremont appuie ce discours sans détours, et sans rechigner à mettre l'être humain face à ce qu'il a de plus odieux. Stryker est un monstre, un vrai, bien plus terrifiant que ceux qu'il veut voir disparaître. Claremont utilise le spectre du fanatisme religieux pour caractériser son méchant, un argument pour expliquer ce qui n'est autre que du racisme, la milice des Purificateurs de ce dernier se rendant coupable des actes les plus ignominieux, en témoigne la scène d'ouverture, un moment de brutalité dont Marvel saura se souvenir.


Claremont ne se montre pas moralisateur dans le texte ou dans ses (nombreux) dialogues, mais le discours reste clair et sans équivoque. Dans les évènements, il ne sera pas difficile de voir par métaphore n'importe quel discours de haine prononcé envers une catégorie de personnes "différentes" de celui qui le profère. A tel point, qu'encore en 2020, il est difficile de lire God Loves, Man Kills sans penser à l'actualité - et se demander dans quel monde vivent ceux qui affirment que les comics n'étaient pas politiques "avant". Claremont dépeint un vrai monstre avec Stryker, un méchant terrifiant qui arriverait presque à son but d'ailleurs. C'est sans compter un certain optimisme de l'auteur, tant du côté de l'humanité, que du côté des mutants, persuadé que la haine peut réussir à s'éteindre quand on y met les moyens.

Malgré les décennie, la narration de Claremont a bien vieilli, tout comme les dialogues. On sait que le scénariste aime faire causer ses héros, et c'est autant pour mettre en avant les thématiques fortes de l'ouvrage, que pour développer ses héros, parler de leurs tracas, de leurs craintes, et de leurs convictions. Avec quelques répliques particulièrement bien senties (impliquant le n-word notamment). La construction narrative de Brent Anderson conserve elle aussi toute sa force. On reconnaît une façon de dessiner assez propre aux années '80 et à la façon de faire des comics de cette décennie. Mais God Loves Man Kills traverse les âges aussi sur le plan graphique. Malgré quelques ellipses visuelles, le travail a une approche par moment cinématographique, et Anderson sait comment surprendre son lecteur en travaillant sur les plans de ses cases, ce qui apparaît à l'image ou ce qui en est caché, pour venir aux yeux du lecteur au dernier moment.

En ce début d'année, on accueille chaleureusement cette nouvelle édition de Dieu Crée, L'Homme Détruit, qui commençait à devenir introuvable. Panini Comics permet ainsi aux nouveaux lecteurs de mettre la main sur un classique, un indétrônable des X-Men. Une histoire qui parle de racisme, de la haine de l'autre, mais invite aussi à la tolérance et à barrer la route à l'extrémisme (religieux) - un message affirmé et sans détours, pour un comicbook vieux de bientôt 40 ans, et toujours actuel si ce n'est plus. De quoi rappeler l'importance et la force qu'ont les comics qui, au-delà de leurs histoires, peuvent faire circuler des idées fortes. Quand c'est fait avec la maestria de Claremont et Anderson, on ne peut qu'adorer.

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Arno Kikoo
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