HomeBrèvesNewsReviewsPreviewsDossiersPodcastsInterviewsWebTVchroniques
ConnexionInscription
Édito #93 : Batman - White Knight, Captain Hydra, pourquoi inverser les rôles ?

Édito #93 : Batman - White Knight, Captain Hydra, pourquoi inverser les rôles ?

Chronique

L'irone du sort aura voulu que je vous parle du procédé d'inversion des rôles cette semaine, alors qu'AlexLeCoq prend mon relais sur SyFantasy et que je suis de retour sur Comicsblog pour vous causer d'un concept qui revenait sur le devant de la scène vendredi avec l'annonce - en grandes pompes - du Batman très personnel de Sean Gordon Murphy, White Knight. Le hasard fait bien les choses, mais assez bavardé, passons dans le vif du sujet.

Pour peu que vous soyez familiers avec les fictions les plus sérialisées, comme les shows télévisés et bien sûr les comics ou encore les univers partagés qui se développent tant bien que mal au cinéma, vous le savez déjà, mais l'idée d'inverser les rôles est une technique qui a fait ses preuves dans le milieu de l'écriture, qu'on la considère comme fainéante ou non. Pas étonnant, quelque part, puisqu'on dit souvent que c'est le conflit qui crée l'histoire, et qu'inverser les rôles génère systématiquement une, voire plusieurs tensions. Prenez le gentil, faites-en le méchant. Prenez le chasseur, faites-en le chassé. Etc. Une approche aussi simple qu'efficace, qui a fait le bonheur des networks les plus avides et des scénaristes les moins inspirés depuis bien des années déjà.


Mais savoir que le procédé n'est pas nouveau ne nous explique pas pourquoi on le voit fleurir ces derniers temps du côté des comics, en témoignent les exemples de "Captain Amerhydra" dont vous avez sans doute entendu parler suite à la polémique qu'il a suscité, ou du nouveau Batman de Sean Gordon Murphy, moins controversé mais tout aussi discuté sur les réseaux sociaux ce week-end. Si les deux illustrations sont spectaculaires, puisqu'elles ne mettent en scène un Joker dans le rôle du gentil et un Captain America en agent double nazi, elles ne doivent pas nous faire oublier que cette fameuse inversion n'est pas si nouvelle que ça dans le monde des comic books, qui a toujours pris un malin plaisir à diviser les gentils (Civil War) ou à regrouper les méchants (Suicide Squad), pour ne citer que deux exemples qui j'espère vous feront comprendre que les rôles sont aussi souvent redistribués que des cartes à jouer du cotés des univers super-héroïques.

Simplement, j'imagine que les comic books, qui vont doucement mais sûrement vers leur centenaire, commencent à accuser le coup des années et à se répéter. Ce qui pousse naturellement les auteurs à opter pour des inversions toujours plus épiques ou farfelues - celles que leurs prédécesseurs n'ont jamais osé écrire, finalement. Ajoutez à tout ça l'aspect cyclique du média, qui plus que tous les autres, est connu pour ses réinterprétations archi-nombreuses d'une même histoire, et vous obtenez des rôles qui s'inversent presque constamment, jusqu'à forger la norme - quitte à devenir le méchant de l'histoire, combien de fois Tony Stark peut-il être en désaccord avec l'un de ses compagnons, par exemple. Bref, les comics se suivent et se ressemblent, et après un quasi-siècle d'histoire, seuls les renversements de situation les plus spectaculaires semblent encore capables de surprendre. Ou du moins, de créer de l'engagement.


Moralité, nous voici face à un Captain America qui a renié ses valeurs même les plus chères, et à un Joker qui devrait unifier les citoyens de Gotham face à un Batman aux actions très controversées. Mais ces inversions ne s'expliquent pas seulement par l'histoire des comics, elles peuvent aussi être justifiées par l'histoire avec un grand H, la nôtre, une réalité qui a tendance à dépasser purement et simplement la fiction. Pensions-nous un jour voir les Etats-Unis manger dans la main de la Russie à l'initiative d'un président ignare ? Quelque part, notre époque ne fait qu'inverser les rôles : les gens éduqués suscitent la méfiance, les esprits se ferment devant la science et la pire des stars de la télé-réalité est à la tête de la première puissance mondiale. Comme si l'ordre établi, dans un dernier carré, tentait une folle percée, avant l'émergence d'un monde meilleur - ou pire, selon vos convictions et votre optimisme du jour. 

Et il suffit de jeter un œil à la proximité entre les événements de Secret Empire et la réalité américaine ou l'actualité - à commencer par le mouvement Black Lives Matter - qui a inspiré Sean Gordon Murphy pour se convaincre du caractère très actuel de ce concept d'inversion des rôles, qui est peut-être d'autant plus populaire aujourd'hui que notre époque est caractérisée par une perte permanente de repères. Il convient néanmoins de se poser la question qui fâche : et si derrière toutes les justifications possibles et imaginables, l'inversion des rôles cachait une bonne grosse flemme ?


Sans vouloir manquer de respect aux auteurs derrière les exemples du jour, Nick Spencer et Sean Gordon Murphy, on peut en effet voir ce procédé comme une façon totalement artificielle de créer de la nouveauté dans le milieu des comic books. Outre toutes les controverses que la technique peut susciter, elle permet aussi de ne pas trop s’embarrasser des codes, valeurs et contexte posés par des années de publications. Idéal pour le scénariste qui n'a pas trop envie de s'imposer un cadre créatif. Et si tous les auteurs étaient honnêtes, l'idée permettrait sans doute une plus grande créativité et de meilleures histoires. Seul problème : notre expérience de lecture s'inscrit trop souvent en faux, et derrière des intentions créatives louables, les artistes se cachent trop souvent derrière leurs twists pour justifier les éléments les plus discutables de leurs écrits. Là où à l'inverse, leur créativité pourrait être décuplée par des contraintes, qu'elles soient narratives, historiques ou budgétaires, comme vous l’expliqueraient volontiers des spécialistes de l'écriture.

Malgré tout, il convient de rester optimiste et de se placer du côté des auteurs, qui sont le cœur de l'industrie depuis des décennies. Que les choix sont controversés ou non, spectaculaires ou discrets, subtils ou bourrins, ils font fonctionner une machine qu'on critique souvent pour son manque d'originalité ou son immobilisme. Quitte à laisser quelques histoires sur le carreau - le temps rendra toujours justice aux meilleures - autant célébrer la liberté de création, une initiative qui me paraît bien plus saine qu'un énième cri de douleur qui vient avant la blessure. Pourtant, les râles étaient encore nombreux ce week-end, alors que ce bon Sean Gordon Murphy présentait avec fierté son bébé, un Joker Punk qui ira dire ses quatre vérités à Batman et aux élites de Gotham. Un pitch qui s'annonce des plus personnels. Et n'oublions pas que quand les auteurs s'emparent d'un univers avec leurs tripes, ils nous offrent des œuvres cultes, comme Year One, The Dark Knight Returns, Year 100 ou encore The Killing Joke, s''il fallait rester dans le cadre du Bat-verse. Qui sait, notre patience ou notre bienveillance pourraient ainsi être récompensées !

Illustration de l'auteur
Republ33k
est sur twitter
à lire également
Illustration de l'article

Dustin Nguyen, Sean Murphy, Zoe Thorogood : les artistes en pleine fronde contre la rémunération ...

Actu VO
Ces dernières années, les débats autour de la rémunération des artistes sous contrat s'étaient surtout concentrés sur le partage de ...
Illustration de l'article

Frank Miller, Sean Murphy et Liam Sharp se prêtent au jeu des couvertures pour Absolute Batman

Actu VO
Pas besoin des pouvoirs du Doctor Manhattan pour prévoir ce futur : la sortie d'Abolute Batman #1 fera partie des grands moments de cette ...
Illustration de l'article

Sean Murphy : rencontre avec celui qui ressort Zorro ''d'entre les morts''

Dossier
Le dessinateur et auteur Sean Murphy était présent en France ce printemps pour le vernissage d'une exposition dédiée à son Zorro : ...
Illustration de l'article

The Last Driver : Sean Murphy nous annonce son prochain titre en creator-owned !

Actu VO
Tout juste remis de son travail sur Zorro : Man of the Dead - dont la sortie en VF chez Urban Comics est prévue pour le mois prochain -, ...
Commentaires (12)
Vous devez être connecté pour participer
Avatar de Tellak

22 Juillet 2017

Tellak

Super edito qui pousse la réflexion bien plus loin que l'univers du comic-book. Vraiment un régal à lire et qui donne de nombreuses pistes de réflexion... et qui ajoute encore plus de hype sur White Knight (pas lu Captain Hydra)

Avatar de CryForDawn

20 Juillet 2017

CryForDawn

Article un poil intello, mais hyper intéressant et surtout pertinent.
Merci. :)

Avatar de Tbecks7

14 Juillet 2017

Tbecks7

Cool édito' ! Et le parallèle avec l'actualité est bien pensé et illustré :)
Perso' je suis très chaud sur White Knight ; Sean Gordon Murphy aurait pu faire n'importe quel choix j'aurais été chaud !
Et puis sinon je pense que, dans les comics comme dans les autres médias (je pense d'abord au ciné), le manque d'originalité dans le concept de base n'empêche pas de proposer une certaine originalité dans son traitement et/ou un travail réussi, ce qui est finalement l'objectif :)

Avatar de OneMattShow

12 Juillet 2017

OneMattShow

Rendez nous Axis !

Avatar de moimeme

11 Juillet 2017

moimeme

Au final, on a juste un pitch pour Batman White Knight.
Le scénario devrait tourner autour d'une inversion des rôles, mais ça ne m'étonnerait pas qu'au final il n'y ai pas de réelle inversion, que le Joker soit toujours fou et que toute l'histoire soit uniquement un plan pour faire tomber Batman en disgrâce.
Car ça a déjà été fait souvent, et ça existe dans notre monde, les actions d'une personne (Batman ici) peuvent être considérées comme bonnes ou mauvaises en fonction du point de vue. Et que le Joker fasse croire à tout le monde qu'il est sain d'esprit, et qu'il ligue tout le monde contre Batman via les médias ce serait une blague assez ultime (même si classique).

Tout ça pour dire un simple "wait & see", mais je ne suis pas sûr que cette histoire dont nous n'avons qu'un pitch et quelques (superbes) planches serve vraiment ton édito Republ33k (de la même manière que le dernier Wookie Leaks à chaud et en panique sur le départ de Lord & Miller était selon moi trop précipité).

Avatar de Trololo

11 Juillet 2017

Trololo

"Par ailleurs, concernant la review de Batman #25, "promesses" est un point positif. C'est le fait qu'elles puissent ne pas être tenues qui est un point négatif. Ne me dit pas que tu n'as jamais lu un arc qui partait bien, sur un bon pitch, et qui vire vite au cauchemar ? Là aussi, une forme de prudence, rien de cynique ou nihiliste. "

Quelqu'un de vraiment cynique dirait que ça s'applique à vos sites aussi.

Ceci mis à part, ce procédé scénaristique "usé" me dérange beaucoup moins que les résurrections de personnages, personnellement.
D'autant qu'on a les else-world pour ça et ça ne gêne globalement pas les amoureux de la continuité qui pleurent dès qu'on touche un orteil de leur Batman ou Spiderman adoré. (A ce titre très bonne cuvée de larmes suite à Superior SM, merci à vous)
Après, du peu qu'on sait de ce Batman White Knight, rien ne dit que le Joker sera le "gentil", j'ose espérer que ça sera beaucoup plus nuancé que ça tout de même.

(Pas d'avis sur Cap Hydra, pas lu)

Avatar de Republ33k

11 Juillet 2017

Republ33k

@Ianodelond : je regrette que tu prennes les choses comme ça. Laisse-moi quand même te convaincre de plusieurs choses. Déjà, je crois que mon édito' se termine sur une note archi-positive qui se place du côté des auteurs. Donc niveau optimisme ça se place là. On a le droit de nuancer son propre en enthousiasme en trouvant des limites à tel ou tel sujet non ? Ca ne fait pas de moi quelqu'un de blasé, je crois.

Par ailleurs, concernant la review de Batman #25, "promesses" est un point positif. C'est le fait qu'elles puissent ne pas être tenues qui est un point négatif. Ne me dit pas que tu n'as jamais lu un arc qui partait bien, sur un bon pitch, et qui vire vite au cauchemar ? Là aussi, une forme de prudence, rien de cynique ou nihiliste.

Deux adjectifs qui me paraissent bien trop gros pour qualifier un édito' qui se veut assez enjoué sur l'annonce de White Knight et une Review d'un Batman #25 qui a pris 4.5 / 5 :]

@Tous : merci pour vos retours. Notamment ceux de Majorbob !

Avatar de Ian0delond

11 Juillet 2017

Ian0delond

Quand on atteint le point "inverser les rôles c'est fainéant" dans l'echelle de blazitude c'est que ca y est on peut fermer le site.

Dernierement quand je vois l'insatisfactication systématique qui commence à tenir du nihillisme je me demande pourquoi je paye un peu de soutien à ca.

Je ne me remet toujours pas du coup que "des promesses" soit un point négatif dans la première partie de The War of Joke and Riddles.


Je ne vous demande pas de perdre l'esprit critique. Mais on atteint des niveaux de cynisme et de négativité dès qu'on se met à rajouter dans le steak frite des Big Two des choses aussi osées que de la mayonnaise qui commencent à vous faire rentrer dans la catégorie "vieux cons".

Avatar de spectra

11 Juillet 2017

spectra

L'inversion est un procédé simple mais qui permet de considérablement étoffer un personnage. Tu as oublié d'en mentionner une importante avec la période superior Spider-Man qui fût pour moi un réel plaisir de lecture. J'aime les idoles déchues et le travail de reconstruction qui suit ( malheureusement et forcément). Et c'est à mon sens le point noir des "inversions", comment mener à bien le retour à la normale.

Avatar de Kid_Roy

10 Juillet 2017

Kid_Roy

Edito intéressant sur une thématique qui me questionne aussi. Autant pour le Batman de Murphy il est encore trop tôt pour juger, autant le Captain de Spencer est maintenant établi. Et si il est très simple d'y voir un simple retournement de l'esprit, la proposition de Spencer me semble plus fine que ça, via notamment ces scènes dans le passé, et les échanges constants avec le Leviathan. En détaillant son idéologie, de ses préceptes associé à une certaine subtilité, Spencer arrive à mixer les valeurs classiques de Steve, à cette vision là aussi classique de l'Hydra. À opposer au terrorisme débridé de Crâne Rouge. Et d'ailleurs, là où Murphy semble partir sur une inversion vilain / héros, Spencer ne fait pas ce choix.

Avatar de MajorBob

10 Juillet 2017

MajorBob

A noter une différence de taille : White Knight sera hors continuité, et peut donc partir d'une situation plus ambigüe de base (sur les origin story des deux personnages principaux). Et Batman est intéressant car extrémiste.

Quant à Secret Empire, il s'inscrit dans la continuité et surtout dans une construction longue (une série en cours depuis un an, qui faisait suite au rajeunissement de Steve après le long run de Rick "God" Remender) de Steve Rogers, et il y a une justification. Si cette dernière est légère (cube cosmique), elle sert en fait de point de départ à une réécriture en profondeur du personnage, qui souligne que son positionnement pouvait s'inscrire sur une ligne rouge, soulignant les dérives totalitaires potentielles tout en mettant en avant que les défenseurs de la liberté d'hier nous paraîtraient aujourd'hui certainement réac'.

Plus que des retournements facile, je dirais que ces "inversions" mettent en avant la complexe ambivalence des héros, comme TDK en son temps.

Avatar de Fett'sSon

10 Juillet 2017

Fett'sSon

Franchement, avec la personnalité de Murphy, on ne peut pas réduire son travail d'emblée à un scénario peu inspiré autour d'un inversement des rôles ! Là il nous vend un comics porteur de messages (d'espoir, peut-être, sans doute) sur notre monde actuel ! Punaise et rien que ça c'est à souligner ! Depuis combien de temps Batman ne nous a pas vraiment ramené à ce que nous sommes nous les lecteurs dans notre monde pétri de problèmes, où les comics semblent être un échappatoire à tous nos soucis ? Perso là de tête je pense qu'à "The Dark Knight - A true story"...