HomeBrèvesNewsReviewsPreviewsDossiersPodcastsInterviewsWebTVchroniques
ConnexionInscription
Daredevil : Born Again : une résurrection qui manque d'apothéose pour le Diable de Hell's Kitchen

Daredevil : Born Again : une résurrection qui manque d'apothéose pour le Diable de Hell's Kitchen

ReviewSeries tv
On a aimé
• La meilleure série de Marvel Studios sur Disney+
• Un propos politique frontal
• Le casting secondaire séduisant
• Une vraie remise en question chez Marvel Studios
• Le statut d'exception de Daredevil
• Charlie Cox et Vincent D'Onofrio
On a moins aimé
• Un gros ventre mou en milieu de saison
• Encore trop propre et automatique dans la forme
• L'impression de deviner les coutures dans le montage
• Peut mieux faire ?
Notre note

Si l'on voulait appliquer un genre de parabole curieuse, en considérant que les super-héros sont des gosses dans une salle de classe et que l'éditeur ou le studio représentent tous deux leur enseignant, leur formateur, celui qui doit se charger de l'avenir, alors on pourrait facilement identifier les chouchous du prof' sans trop de difficultés. Les têtes de classe, les délégués. Celles et ceux dont les parents savent qu'ils n'ont pas trop à se faire de souci : en cours, ça bosse, et même si on pourra toujours pointer du doigt une casserole ou deux sur le carnet scolaire, personne ne va réellement s'inquiéter de les voir dégringoler vers l'échec quand approche la date des examens. Chez DC Comics, on a Batman. Et chez Marvel, on a Daredevil.

Et même sans avoir besoin de rentrer dans le jeu des comparaisons entre ces célèbres deux têtes cornues de l'imaginaire des super-héros, fédérées par une même figure paternelle (avec un chapeau et une dégaine de provocateur) et une période faste de grande réinvention survenue à la même période, les faits sont là. Capables d'agglomérer certains des plus grands talents de l'industrie des comics, Batman comme Daredevil ont été à l'origine de plusieurs révolutions dans la chronologie de la BD aux Etats-Unis. Lorsqu'il a fallu repenser les codes de fiction au moment du Bronze Age, Daredevil était déjà là. Lorsqu'il a fallu lancer Marvel Knights pour offrir une perspective plus adulte et autonome à certains personnages du catalogue local, Daredvil était encore là. Et lorsqu'il a fallu considérer la perspective de remettre en question ses propres présupposés en amont de la période Marvel Now!, Daredevil était toujours, toujours, toujours là. Définition alpha de ce que les médias spécialisés aiment qualifier de "joyau de la couronne", le personnage profite d'une certaine protection au sein de son appareil productif.

Et il est presque amusant, pour les fans de comics, de voir que cette protection s'applique aussi à l'échelle des adaptation. En mettant de côté le tristement célèbre film de Mark Steven Johnson, les faits sont là : Daredevil était encore la meilleure série du pôle des productions Marvel Television sur Netflix jusqu'à sa conclusion, malgré quelques petites baisses de forme occasionnelles, en comparaison de ses cousines du coin. Chez Marvel Studios (ou "Marvel Television 2.0"), le bilan est le même. Si Kevin Feige s'était posé la question de relancer le héros, en reprenant sa routine de feuilletons lancés sans capitainerie autonome, avant la grève des scénaristes et des comédiens... ce sera bien la série Daredevil : Born Again qui signera sans le vouloir l'amorce d'une prise de conscience générale en interne autour de cette problématique des points de vue. Au moment de dresser un bilan de ce qui avait d'ores et déjà tourné par la première équipe en charge de cette production, Feige et son nouveau bras droit, Brad Winderbaum, en seront arrivés à la même conclusion : il était possible de faire mieux.

Devil's Advocate


 
Cette prise de conscience participera à la légende globale autour de Daredevil, un héros pour lequel on consent un degré d'effort supplémentaire, en comprenant certainement que cette propriété intellectuelle reste trop importante pour être traitée avec la paresse habituelle des adaptations de comics ordinaires. Un nouveau commandant a donc été nommé aux machines, Dario Scardapane, vétéran de la période des séries Netflix passé par la série Punisher, et trois nouveaux épisodes ont été commandés pour muscler cette première saison. De la même façon, de nombreuses séquences, de nombreuses nouvelles scènes ont été tournées dans l'idée de reprendre le montage des six épisodes tournés précédemment. Le résultat de ce travail de chirurgie a été diffusé lors de ces quelques dernières semaine sur la plateforme Disney+, et se pose alors la question fatidique, obligatoire : d'accord, c'est mieux. Mais est-ce que c'est bien ?
 
La série Daredevil : Born Again reprend globalement là où Netflix s'était arrêté. Wilson Fisk a dû quitter la ville par peur de devoir renoncer à son mariage. Matt Murdock, Franklin Nelson et Karen Page ont poursuivi leurs activités d'avocats vengeurs au service des laissés pour compte de la ville de New York. 
 
Mais au moment où cette petite famille recomposée semble avoir trouvé une forme d'équilibre, l'impensable se produit : Bullseye déboule, assassine Foggy, et lorsque Daredevil manque finalement de tuer le super-vilain par vengeance, notre héros comprend qu'il n'est plus capable de porter le masque et de revendiquer cet avatar de justice sans l'appui et le soutien de son meilleur ami de toujours. Une année plus tard, le Kingpin est de retour et se présente à la Mairie de New York, une élection qu'il remporte facilement. Matt Murdock est redevenu avocat et entame même une nouvelle romance inattendue. Karen n'est plus là. Vanessa Fisk ne ressent même proximité avec son époux depuis que celui-ci a décidé de renoncer à ses activités criminelles. Les justiciers urbains se multiplient. L'orage gronde. Bienvenue dans Born Again.
 

 
D'entrée de jeu, on remarque dans les interstices les bourgeons d'un discours social sur ce nouvel état des lieux. La série assume de donner la parole aux habitants de New York sous la forme d'un documentaire sous la forme d'un micro-trottoir, pour saisir l'esprit du peuple, la position de l'électorat sur la politique moderne, le sentiment d'insécurité... ou la gentrification du quartier de Hell's Kitchen, également évoquée. D'ailleurs, Matt Murdock a abandonné son ancien quartier au profit d'une intrigue qui s'étend plus généralement à toute la ville de New York. Ce n'est pas un accident : dans le présent, Hell's Kitchen a considérablement évolué et ne cadre plus vraiment avec la réalité sociale décrite par Frank Miller au moment de son propre Born Again dans les années quatre-vingt. En définitive, la série regarde plutôt du côté des volumes de Charles Soule et Chip Zdarsky en poussant la comparaison entre l'élection de Wilson Fisk et celle de Donald Trump, pour dénoncer cette prise de pouvoir des autoritaristes et des populistes corrompus. 
 
Une parabole qui passe par toute une série de détails plus ou moins subtils. Certaines déclarations sont citées dans le texte, la campagne électorale reprend les casquettes rouges des MAGA (troquées contre des casquettes bleues floquées du logo "Fisk Can Fix It"), la politique du spectacle, le soutien adressé aux policiers répressifs, l'instauration d'une autorité plus violente, etc. Des idées qui étaient déjà présentes à l'époque de l'histoire Mayor Fisk (2017) en comics, globalement pensée comme le miroir de la première élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Les premiers épisodes installent cette impression de parabole gênante, presque suffocante, vis-à-vis de la réalité politique moderne des démocraties occidentales. Dans ce contexte, on comprend que Matt Murdock sert d'avatar direct aux réactions engendrées par ce genre d'élections : si le personnage commence par accorder le bénéfice du doute, il réalise rapidement que la situation devient de plus en plus préoccupante, au point de s'engager dans une action militante individuelle. 
 
Tout l'argument de cette première saison passe par une lente déconstruction des certitudes du héros suite à cet événement, en embarquant d'autres discours en chemin. Si Matt Murdock est généralement présenté comme un avocat vertueux, porté par une foi inviolable dans le bon fonctionnement du système et des institutions, celui-ci réalise en cours de route que quelque chose ne marche plus dans cet impeccable système de valeurs. L'avocat réalise que la justice est plus sévère en fonction des profils, et qu'il n'est pas capable d'aider celles et ceux qui en auraient besoin en utilisant la loi comme seul rempart concret. Et puis, celui-ci va se frotter à la problématique de la violence policière et de l'impunité des agents de la force publique, un sujet qui représente une énorme part de cette première saison. En l'occurrence, Marvel Television reprend à son compte une donnée du monde réel : les policiers qui s'emparent du symbole du Punisher, devenu le sigle d'une adhésion volontaire aux principes d'un certaine idéologie, pour la pratique répressive de la force, mais aussi pour s'affilier aux convictions de plusieurs mouvements d'extrême-droite aux Etats-Unis. En définitive, Murdock va rapidement comprendre que quelque chose s'est rompu.
 

 
Incapable de croire dans cette nouvelle version du "système", le héros va devoir endosser le costume et le masque pour redevenir celui qu'il était autrefois et opérer à nouveau en dehors de la loi. De ce point de vue, Daredevil : Born Again est certainement la série la plus politique de Marvel Studios. Ou tout du moins, la plus frontale : celle qui ne s'embarrasse pas d'une allégorie pour pointer du doigt les sujets qu'elle évoque. Et sur les conclusions que le héros va tirer de cette évocation de données empruntées au monde réel, il s'agit même certainement de la production la plus radicale du groupe, tous formats confondus, aux côtés de la série animée X-Men '97. Avec une bonne tête d'avance. C'est un reproche que l'on a souvent pu faire aux aventures des justiciers sous la présidence de Kevin Feige : chez Marvel Studios, on peut caresser l'idée d'une action militante, on peut évoquer l'existence de problèmes réels, mais il est généralement important de boucler sur une bonne note qui ne chamboule pas les convictions fondamentales. 
 
Pour prendre l'exemple le plus évident : dans le film de Ryan Coogler, si le Black Panther partage une partie des convictions de Killmonger sur le racisme organisé, sur la façon dont le Wakanda a toujours refusé de venir en aide aux autres nations de l'Afrique pour profiter égoïstement du Vibranium, sans partager son savoir avec le reste du monde... il faudra tout de même que le spectateur sorte de la salle en comprenant qui est le gentil, et qui est le méchant. De la même façon, la série The Falcon & the Winter Soldier avait opté pour une solution du même genre : des adversaires avec des convictions politiques louables... mais que l'on doit nécessairement renvoyer au statut de terroristes pour éviter de brouiller les frontières conventionnelles du bien et du mal.  Et c'est cette envie de ménager la chèvre et le chou, de tâtonner sur un discours social potentiellement intéressant, avant de laisser au public le constat d'un propos extrêmement modéré, extrêmement manichéen, que l'ont pointe généralement du doigt comme une limite concrète et manifeste dans le mode opératoire de Kevin Feige. Surtout face à un monde politique qui bouge de plus en plus vite et dans des directions de moins en moins attendues.
 
En l'occurrence, voir un groupe de cette taille autoriser une telle réflexion, que l'on partage ou non les convictions développées par les scénaristes, assure d'un premier bilan évident : Marvel Television s'est enfin affranchi de certaines de ces limites. On peut critiquer la méthode, la structure, ou même terminer rapidement la comparaison avec le monde réel (Fisk ne ressemble pas réellement à Trump, et si les scénaristes ont visiblement envie de le castrer, l'idée qui sous-tend la série passe surtout par l'envie de rendre aux deux antagonistes leur part de noirceur comme une réflexion sur la sauvagerie inhérente aux humains en période de crise) mais pour parler exclusivement de production, de ce que l'on s'autorise lorsque l'on travaille chez Disney, le bilan reste intéressant au sein du modèle MCU. De ce point de vue, la série passe pour suffisamment courageuse pour mériter un coup d'œil, en tant que feuilleton développé par un conglomérat généralement plus timide. Et cette perspective s'applique dans le fond et la forme : Born Again est aussi la première série qui s'assume sur la violence graphique et verbale, même s'il reste encore quelques kilomètres d'escalade avant de pouvoir enfin caresser les sommets du genre. 
 

Le Diable est dans les Détails


 
Difficile de savoir avec précision ce qui était déjà là au départ, avant la reprise de la série par les équipes de Dario Scardapane, et ce qui a été rajouté ensuite. La consigne qui avait été donnée au scénariste se résume apparemment en des termes très simples : il fallait que Daredevil : Born Again soit plus adulte et plus violente. En l'occurrence, la série aligne son lot d'exécutions sommaires, avec quelques bagarres, et le choix d'un antagoniste de milieu de saison susceptible de porter ce propos. En revanche, c'est malheureux mais le comparatif marche dans l'autre sens : si on peut facilement dire du bien de la série en la regardant sous le prisme des Moon Knight, des Secret Invasion ou même des films de Marvel Studios, on aurait tout de même du mal à dire que celle-ci assume une ambiance et une atmosphère aussi noire que la première saison de Daredevil à l'époque de Netflix. Voire même de la première partie de la seconde saison au moment de la première apparition du Punisher.
 
Pourquoi ? Parce que les efforts sont là mais que la tonalité manque. Sans la consigne de baser l'intrigue dans la version standardisée du Hell's Kitchen des ghettos et des gangs, Daredevil : Born Again ressemble plutôt à une série policière de première partie de soirée pour une bonne partie des épisodes présents. Fouillez vos souvenirs et rappelez vous de cette première saison à l'époque : un Daredevil qui combat les trafiquants d'êtres humains sur les docks de New York, qui se retrouve piégé et blessé avec un mafieux russe dans un bâtiment abandonné, cet hôpital surchargé où les mafieux manquent de s'échanger des coups de couteaux, ce journaliste pugnace en imperméable qui bat le bitume à la recherche de petites affaires de corruption immobilière. Dans le choix des palettes de couleur, de l'esprit suffocant, haletant, du sentiment d'urgence, en somme, d'une série de genre qui regardait du côté des polars du Nouvel Hollywood, la première série Daredevil s'était lancée cette consigne de viser plus haut. 
 

 
En comparaison, Born Again semble s'être passablement gentrifiée dans la forme : moins de personnages proprement civils, au bas de l'échelle, moins de fatalité sur la réalité des conditions de vie des populations pauvres, un éclairage qui préfère les nuances de bleu ou de blanc, et une problématique de société qui se regarde d'en haut, depuis le bureau du maire ou le cabinet d'un avocat désormais loin de son statut de vengeur des plus petits. Même l'appartement de Matt Murdock a changé pour refléter cette condition, pour devenir un espace creux, sans forme de vie ou de tonalité définie. 
 
Bien sûr, on pourra répondre que c'est fait exprès. Que l'avocat qui a renoncé à sa part de noirceur occupe désormais un espace plus blanc, plus propre. Une situation à laquelle il doit renoncer en cours de route pour retrouver son combat légitime. Et le dernier plan de la série évoque peut-être justement ce retour au sentiment d'urgence, de la même façon que ce dernier épisode (globalement réussi) veut convoquer cette impression d'une jungle urbaine en proie au chaos. 
 
Sauf que, l'évolution graphique ne se retrouve pas forcément en chemin, comme si la série restait cantonnée dans un format limité sur la mise en scène, ou que la grande révolution des idées n'avait pas encore accouché d'une révolution des styles. Les moments de mise en scène signifiants cherchent surtout à mettre en accord la forme au fond, lorsque le montage superpose la vie de Murdock à celle de Fisk, comme symboliser le parallélisme de ces deux frères ennemis (lorsque l'un perd pied dans sa relation de couple au moment où l'autre la reconstruit par exemple). Et paradoxalement, on aurait pu s'attendre à ce que Born Again joue sur ses propres forces : l'épisode du procès de White Tiger passe pour l'un des meilleurs de la saison, et on ressent d'ailleurs la présence de Brian Bendis dans les consultants de la série, mais celui-ci n'enclenche pas d'autres exercices du même genre sur le versant judiciaire pur et dur. De la même façon que quand Murdock protège un témoin des représailles de police, on pense pouvoir enfin retrouver cette impression d'urgence... mais qui s'estompe ensuite au profit de scènes plus civiles, communes, avec beaucoup moins d'accélérations ou de sentiment de pression.
 
Sur le milieu de saison, la technique est même assez accablante. Alourdie par un épisode de huis clos lors d'un braquage de banque à la Saint-Patrick (probablement le moment le moins intéressant de toute la série, et l'occasion d'une passe décisive manquée à l'adresse de Ms. Marvel) et un énorme gâchis autour du personnage de Muse (un vilain avec du potentiel, mais que l'on bâcle en allant trop vite, et en bâclant une révélation qui aurait pu être largement mieux traitée compte tenu de l'aspect terrifiant de ce personnage), on plisse les yeux et on se demande si l'on ne voit pas les coutures, les imperfections dans cette série raffistolée par une seconde équipe en mission pour ajouter du sang et des morts dans un produit qui misait sur une autre formule. Comme si quelqu'un avait voulu faire une série "procedural" avec un épisode et un sujet différent chaque semaine, et que quelqu'un d'autre était repassé derrière pour faire une série noire, pour adultes, en insérant de nouvelles couleurs sans parvenir à maîtriser parfaitement le dosage.
 
Au global, les chorégraphies des combats n'impressionnent pas, et on a même le sentiment que certaines chorégraphies (celle du premier épisode notamment) auraient été plus réussies dans l'avalanche d'effets numériques, ou sans l'impression d'éclairages descendus qui brouillent la vision et la lisibilité des scènes. Le combat contre Muse est aussi un énorme raté, saccagé par le montage, l'évolution du personnage de Heather Glenn une catastrophe accidentelle que l'on a bien du mal à saisir, et si la série parvient généralement à raviver quelques lueurs d'espoir lorsqu'elle se reconnecte à son propos fondamental - la résurrection de Daredevil et du Kingpin des centres de Matt Murdock et Wilson Fisk - on peine à isoler un grand moment de mise en scène dans une série qui se contente de faire le boulot, correctement, proprement... mais sans folie. Et c'est dommage, dans la mesure où celle-ci profite d'un casting de grande qualité et d'un propos qui offre de réelles perspectives entre des mains plus compétentes pour l'exercice du "noir" en fiction.

Daredevil : Reborn ?


 
Maintenant, l'impression sera différente en fonction des attentes de chacun. Celles et ceux qui n'espéraient plus grand chose de Marvel Studios seront probablement heureux de ce sursaut inattendu, de cette charge plus adulte et qui assume un véritable coup de poing dans les habitudes de la compagnie. En revanche, celles et ceux qui consomment des productions plus variées pourront toujours se dire que les équipes de FX ou HBO n'ont pas de soucis à se faire dans l'immédiat. Même à l'échelle des adaptations de comics, une série comme The Penguin pouvait défendre des qualités dans la forme ou le propos, une caméra qui servait mieux les prestations impeccables de ses interprètes, et une envie de s'amuser largement supérieure (malgré le même problème de ventre mou, mais cette fois, en début de saison). On peut même trouver intéressant de comparer ces deux séries, équitablement nées de la grève des scénaristes. Comme deux produits bicéphales lancés sur des impératifs communs : aller chercher le super-héros dans la violence et le social, l'un dans le ghetto, l'autre à la mairie.
 
En revanche, une chose est sûre : Daredevil : Born Again place une grande vitesse à ses propres petits-cousins de chez Marvel sur la plateforme Disney+. De la même façon, les actrices et les acteurs sont toujours capables de porter le produit, même dans ses mauvais moments. On apprécie de retrouver Charlie Cox dans le rôle de Matt Murdock, une performance qui colle à la peau du comédien comme son impeccable costume rouge. C'est la loi des bons acteurs chez les super-héros : le comédien embrasse toutes les subtilités du personnage depuis la voix jusqu'à la gestuelle, et se fond avec élégance dans cette identité comme s'il n'avait jamais abandonné le rôle. Même bilan pour Vincent D'Onofrio et sa diction saccadée, capable d'incarner la castration d'un Kingpin en plein échec marital, incapable de comprendre ou d'incarner son propre déséquilibre émotionnel dans cette quête de rédemption mensongère, mais surtout merveilleux lorsqu'il retrouve sa vraie nature profonde d'assassin bestial et tonitruant. 
 
Le bilan est tout aussi positif pour Michael Gandolfini ou Nikki James, et on apprécie au passage de retrouver un Tony Dalton en meilleure forme que dans la série Hawkeye. Du côté de Margarita Levieva, le bilan est plus mitigé - mais ce n'est pas de sa faute, celle-ci doit simplement composer avec un texte passablement plus limité, plus idiot, caricatural. Subitement opposée à l'action des super-héros, tombée dans l'escarcelle des discours autoritaires du Kingpin, le personnage s'efface lentement malgré des débuts convaincants. Quant à Jon Bernthal, que dire. Toujours à l'aise dans ses manières, ses mimiques exagérées et son tempo bougon, le comédien lâche immédiatement les chevaux dès sa première apparition, comme à son habitude, incapable d'être autre chose qu'un personnage de cinéma radical et séduisant. Sa présence se justifie (naturelement) par l'envie de Marvel Studios de lui produire un spin-off dans la foulée, mais ce n'est pas grave : on n'a pas l'impression d'un personnage forcé, et maintenant que l'enseigne a mis les choses au clair sur le symbole du Punisher, comment ne pas se réjouir de retrouver Big Pun dans une aventure en solitaire ?
 

 
Et surtout : dans la mesure où Daredevil : Born Again a été rattrapée en vol, on peut surtout espérer que la prochaine saison osera proposer un ensemble plus compact et authentique, sans ces chutes de rythme ou ces quelques fautes notes certainement nées d'un processus créatif compliqué. Après tout, Marvel Studios n'en est qu'aux premiers pas de sa propre remise en question. Du côté des fans, on doit certainement considérer qu'il s'agit d'un processus itératif, que l'enseigne tente des choses et attend de voir jusqu'où elle peut s'autoriser à aller. Et compte tenu du pas de géant réalisé entre la série Echo et cette version de Born Again, les progrès sont déjà considérables. Reste maintenant à transformer l'essai.
 
La série Daredevil : Born Again doit se comprendre comme le résultat d'une équation compliquée. Coincées entre les nostalgiques de la période Netflix qui s'attendaient certainement à retrouver un résultat identique, entre les échecs de ces dernières années et les pudeurs naturels d'un groupe qui n'a jamais voulu aller trop loin dans l'effort politique ou les démonstrations de violence, les équipes de Marvel Studios ont, pour une fois, parié sur le risque. Et si le résultat n'est pas exactement parfait, on sort tout de même de ces neuf premiers épisodes sur un bilan globalement positif. Comme dans les comics, le personnage de Daredevil se présente comme l'avatar du changement, de l'ouverture des portes que l'on pensait définitivement fermées, et comme le prophète des temps nouveaux dans l'envie de proposer des super-héros plus adultes, plus complexes, plus engagés. Reste maintenant à tailler dans le gras et à s'entendre sur une direction artistique plus exigeante pour passer du prototype au produit fini. Tous les ingrédients sont là, avec de réelles qualités à défendre, un casting impeccable et un discours général à la hauteur des enjeux du présent. Maintenant, pour la consigne : il va falloir que le diable voie rouge. 
Illustration de l'auteur
Corentin
est sur twitter
à lire également
Illustration de l'article

Daredevil : Born Again : Disney+ revendique 7,5 millions de spectateurs pour le lancement de la ...

Brève
Compte tenu de l'opacité moderne autour de l'audimat sur les plateformes de vidéo-à-la-demande, il est parfois difficile de se faire ...
Illustration de l'article

Ecrans
Illustration de l'article

Ecrans
Illustration de l'article

Preview
Illustration de l'article

Ecrans
Commentaires (0)
Vous devez être connecté pour participer