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Kraven, Madame Web : le PDG de Sony Pictures préfère blâmer ''les critiques'' pour l'échec des films plutôt que de se remettre en question

Kraven, Madame Web : le PDG de Sony Pictures préfère blâmer ''les critiques'' pour l'échec des films plutôt que de se remettre en question

chronique

Au sortir de l'année 2024, l'heure est venue pour tout le monde de faire le bilan des douze mois écoulés. Concernant Sony Pictures et leurs films de super-héros, ce serait un euphémisme de dire que le bilan en question n'est pas bon. Le studio a en effet pour lui d'avoir le double record des plus gros échecs au box-office de l'année pour les adaptations de comics, avec Madame Web (sorti en février) et Kraven The Hunter (sorti il y a une semaine, et pour qui le sort en est déjà jeté). Pourtant, la concurrence était au pied levé avec la catastrophe (surprise, à vrai dire) de Joker : Folie à Deux

Sony Pictures a décidé de cesser de développer son univers "partagé" de super-vilains de Spider-Man (et personnages affiliés), baptisé ici le Spiderless-verse compte tenue de l'absence notoire de Spider-Man (directe ou indirecte : dans Madame Web, le bébé du couple Parker n'était jamais nommé...) dans chacune des propositions. C'est à dire qu'il ne faut plus espérer de film sur des personnages iconiques et bien connus du grand public comme Hypno-Hustler ou El Muerto. Dans la foulée, le PDG du studio, Tony Vinciquerra, s'est exprimé au Los Angeles Times sur les récents échecs des films de ce que eux appellent le Sony's Spider-Man Universe (notez l'ironie). Et pour lui, ce n'est pas la méthode du studio, ou la qualité des films qui est responsable. Non : pour l'intéressé, tout est de la faute "de la critique". 

Mais Venom, alors ?

Dans la discussion donnée au LA TimesTony Vinciquerra explique qu'il "ne comprend toujours pas" les résultats de Kraven The Hunter au box-office, reconnaissant qu'il s'agit "probablement du plus mauvais lancement [qu'ils ont] eu" depuis ses huit ans à son poste de PDG de Sony Pictures, car selon lui, "le film n'est pas un mauvais film". Une opinion qui bien entendu, n'appartient qu'à celui qui la formule, mais Vinciquerra va plus loin dans son argumentaire, en reprenant l'exemple de Madame Web, qui selon lui, n'était aussi pas un mauvais film. 

"Revenons sur Madame Web un moment. Ce film a contre-performé au cinéma parce que la presse l'a simplement crucifié. Ce n'était pas un mauvais film, et ça a bien marché sur Netflix. Pour je ne sais quelle raison, la presse a décidé qu'elle ne voulait pas que nous fassions ces films sur Kraven et Madame Web, et les critiques les ont simplement détruit. Ils l'ont aussi fait avec Venom, mais le public a adoré Venom et en ont fait un énorme succès. Ce ne sont pas de mauvais films. Ils ont juste été détruits par les critiques de la presse, pour je ne sais quelle raison."

Encore une fois : Tony Vinciquerra est tout à fait libre de penser réellement que la presse et "les critiques" sont responsables de l'échec de Madame Web et de Kraven, et il serait vain de rétorquer que la réelle raison serait que les films sont mauvais. C'est en effet ce que nos propres critiques expriment dans nos colonnes (et celles d'un paquet d'autres médias), mais les exemples sont assez nombreux pour démontrer que ce n'est pas parce qu'une critique est mauvaise qu'une oeuvre ne va pas rencontrer le succès. Mieux encore : il est amusant de noter que Vinciquerra met le doigt sur deux choses cruciales dans son propre discours - mais qu'il est a priori trop buté sur son argumentaire pour voir sa propre contradiction.

D'une part, le fait de prendre en exemple Venom qui va plutôt dans le sens que "les critiques" n'ont pas le pouvoir magique d'empêcher le succès d'un film au box-office ou de le "détruire". Celles et ceux qui nous lisent savent bien que nous avons nous même donné de très mauvaises "notes" à des films qui ont été de véritables cartons (Venom, évidemment, ou Aquaman), quand des oeuvres que nous avons beaucoup appréciées (Spider-Man : Into the Spider-verseBirds of PreyThe Suicide Squad) se sont plantées. C'est ainsi : les critiques ont un rôle de conseil et participent au débat public et à l'historique du succès ou non d'un film, mais n'ont en réalité pas vraiment d'impact en tant que tel sur l'envie du public (comprendre, au sens le plus large du terme) de voir le film en question. Et surtout : sur l'envie de se déplacer dans les salles de cinéma

Parce que l'autre indice de Vinciquerra, c'est de dire "Madame Web a bien marché sur Netflix", sans se poser la question évidente : si le film a bien fonctionné sur une plateforme, pourquoi ce même public a jugé bon d'attendre plutôt que d'aller le voir en salle ? Cet argument démontre plutôt que les gens ont eux-même estimé que Madame Web n'est pas un film qui mérite de se déplacer (avec tout ce que ça implique aussi en termes de budget), mais qu'on préfère regarder chez soi, avec un abonnement qui englobe tout un tas d'autres productions. 

Car si on en revient "aux critiques" et l'exemple de Venom, un indicateur tel que Rotten Tomatoes (un agrégateur de critiques et d'avis du public) montre que le premier film de la trilogie est celui qui a le pourcentage le plus bas - alors que pourtant, il a rencontré le plus gros succès au box-office. Et si les chiffres sont allés decrescendo à chaque nouvelle sortie, le "popcornmeter" (qui recense les notes des gens supposés avoir vus le film) est lui constant avec un score autour de 80%. Autrement dit, quoi qu'aient pu dire les critiques, 8 spectateurs sur 10 qui sont allés voir les Venom ont été satisfaits, à chaque fois. Pourtant, comme nous l'avons écrit, il est évident que si la part des spectateurs content est restée la même, il y a moins de monde qui s'est déplacé au cinéma. Cette envie de se déplacer au cinéma, on peut la relier à un autre facteur plutôt empirique, mais bien réel : l'intérêt porté à un film. 

Un autre indicateur sûrement plus pertinent que le score de Rotten Tomatoes peut alors être pris en compte : le Cinemascore, qui existe maintenant depuis quarante ans. Il s'agit d'un système de notation qui va de A+ à F et permet de jauger le ressenti du public sur les premiers jours de sortie d'un film - et qui donne aussi une idée de l'intérêt pour le film que le public éprouve. Et là, on constate pour l'exemple des Venom que ce score est passé de B+ à B- sur la trilogie. Pour Madame Web et Kraven The Hunter, ce même score est de C+ à C, respectivement.  Autrement dit, l'intérêt pour ces productions n'a été que décroissant.... comme les chiffres du box-office, au final. 

Il faudrait ensuite chercher à expliquer pourquoi Madame Web et Kraven ont été jaugés moins intéressants par le public - et comparé à Venom, il est notoirement connu que le symbiote a une popularité bien, bien plus grande que ses comparses, ne serait-ce que pour avoir déjà été adapté au cinéma auparavant. Mais comme pour toute chose, l'explication est multi-factorielle et le but de cet article n'est pas de faire un listing rationnel, au vu du nombre de facteurs à prendre en compte. Mais quand même au cas où : rappelons-nous du baiting honteux sur Spider-Man opéré avec Morbius. La stratégie d'avoir voulu capitaliser sur les moqueries du même Morbius pour le re-sortir en salles. L'absence de stratégies de communication pour Madame Web et Kraven, alors que pourtant les équipes savent visiblement comment faire avec Venom (quitte à jouer à fond dans le n'importe quoi). 

De la même façon, il n'est pas question de dire que "les critiques" n'auraient jamais eu d'impact sur l'échec de Kraven ou Madame Web, puisqu'elles font aussi partie d'un tout. Mais quand Tony Vinciquerra estime que seule la presse est responsable de ces fiascos, sans prendre en compte les données réelles qui permettent aussi de voir que le public s'est montré de moins en moins présent au rendez-vous, et sans chercher à comprendre pourquoi, il nous paraît important de rappeler quelques données. Des fois que Sony Pictures fasse un réel "reset" sur les propriétés Spider-Man au cinéma, il serait utile qu'ils se posent les bonnes questions avant de relancer un chantier de production. Peut-être, peut-être qu'il n'y a pas d'autres personnages liés à Spider-Man que Venom qui soit capable de porter un film solo sur ses épaules ? Peut-être que le succès du premier Venom a été mal interprété ? Peut-être que l'idée même de faire un univers partagé de personnages de Spider-Man, mais sans Spider-Man dedans, était une mauvaise idée au départ ? Peut-être qu'au bout de plusieurs années de bait avec le Spider-Man du MCU, sans jamais rien donner, le public s'est lassé ? Peut-être qu'avoir une vraie stratégie de communication peut aider à créer de l'intérêt chez le tout venant ? Allez savoir. Tony, lui, sûrement, il sait.

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Arno Kikoo
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