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Morbius : Sans surprise, la tentative de Sony de capitaliser sur les memes se solde par un échec

Morbius : Sans surprise, la tentative de Sony de capitaliser sur les memes se solde par un échec

chronique
Cela fait maintenant quelques années que Sony Pictures, et son Sony's Spider-Man Universe, tablent sur l'appétit du public pour les productions de basse catégorie pour se remplir les poches. Le studio ne fait presque plus semblant. Au hasard, la sortie de l'édition vidéo/blu-ray du premier film Venom de Ruben Fleischer avait par exemple motivé une récupération humoristique inattendue des commentaires de certains.es spectateurs.ices sur le scénario : le projet était alors présenté comme un genre de comédie romantique, dans une vidéo de promo' tout à fait officielle. 
 
Cette métamorphose, actionnée par le public, était en réalité une tentative de capitaliser sur l'ample quantité de gags ou d'interprétations farfelues apparues sur les réseaux sociaux dans les semaines qui avaient suivi la sortie du film. Poussait alors l'idée que l'adaptation du personnage de Venom dissimulait, dans le maillage relationnel de ses deux protagonistes, une allégorie du couple gay. L'interprétation, plus ou moins sérieuse en fonction des avis, donnera lieu à des prises de paroles et à quelques fan-arts variés. Plus tard, cet esprit de réappropriation amusée motivera la création d'une communauté sur la plateforme de réseau social Tumblr, régulièrement alimentée sur cet angle précis : la relation amoureuse fantasmée d'Eddie Brock et de son Symbiote adulescent, souvent dans les codes du répertoire yaoi ("boys' love", un genre de fiction porté sur la représentation de l'amour masculin). Le croiriez-vous ? L'existence de cette communauté avait, une fois de plus, motivé une récupération de la part de Sony Pictures à l'occasion du second volet de cette série de films, Venom : Let There Be Carnage.
 
Un article du site Polygon, qui s'était penché sur le cas de ce regroupement de fans astucieux.ses, évoque notamment le commentaire d'une internaute baptisée Victoria. Enthousiaste, après avoir découvert l'essai de Ruben Fleischer sur le personnage de Venom, celle-ci avait alors imaginé une scène de vie quotidienne entre Eddie et son double extra-terrestre, dans laquelle le symbiote préparerait un petit-déjeuner au héros, sur un morceau de musique léger, censé représenter l'évolution de leur relation. Coïncidence ou inspiration manifeste, Let There Be Carnage proposera une scène comparable tournée dans un sens plus comique, et posée sur le morceau Let's Call the Whole Thing Off, une ballade romantique sortie du film Shall We Dance (1937) interprétée par Fred Astaire et Ginger Rogers.
 

 
Ce clin d'oeil appuyé à l'intelligence collective des internautes ne représentera que l'un des nombreux exemples dispersés dans le scénario du second film Venom, dont les contours épouseront largement l'interprétation du couple gay commandée avec humour par les communautés cinéphiles depuis les réseaux sociaux. Jusqu'à une scène de coming out en forme de récompense adressée à cette part du public, qui suggérait après le premier volet d'insérer un propos LGBT+ dans la dynamique occupant les deux personnages centraux. En somme, Sony aurait suivi les directives d'un public à cheval entre le cinéma bis et le registre yaoi, ou plus généralement, interprété au premier degré la créativité du web et cette habitude générale de transformer en memes les curiosités des productions du bas de catalogue. 
 
Il ne serait même pas faux d'imaginer que le studio aurait décidé de bâtir l'ensemble de son business model pour le Sony's Spider-Man Universe sur cette capacité à rebondir après l'accueil critique et public du premier film Venom. Les données concordantes ne manquent pas : plusieurs journalistes spécialisés dans l'étude du septième art avaient en effet affirmé, après la sortie de Let There Be Carnage, que les exécutifs auraient parfaitement compris l'intérêt de jouer sur la corde du "nanard" volontaire pour offrir au public un plaisir coupable, idiot et volontairement grossier, en s'épargnant ainsi la gageure de créer un enjeu réel pour se cantonner à un rôle de simple amuseur de foule prêt à pousser le ridicule plus loin. En somme, une application concrète de la logique "plus c'est gros, plus ça passe" plaquée à une franchise de cinéma de divertissement grand public, qui fait généralement grincer des dents dans cette capacité à manoeuvrer un cynisme publicitaire assumé, sans se préoccuper de la qualité des produits mis sur le marché.
 
"Venom : Let There Be Carnage se traverse comme une hallucination de tous les extrêmes, écrite, filmée et montée comme une gigantesque plaisanterie - une télénovela occupe tout l'écran pour une blague à la fin, histoire d'enfoncer le clou. Un peu comme si le Magicien d'Oz des producteurs avait retiré tout le superflu pour assembler le blockbuster parfait : des blagues, du bruit, des effets spéciaux, des acteurs connus, et rien d'autre." (Ecran Large)
 
De la même façon, les têtes pensantes de Sony Pictures ont également compris comment jouer avec les attentes du public vis-à-vis des liens supposés entre le SMU et l'univers de Marvel Studios, en poussant dans les campagnes de promo' officielles ou officieuses l'envie d'une connexion marquée entre le Spider-Man de Tom Holland et les personnages loués par le studio à Marvel Entertainment. La scène post-générique de Venom : Let There Be Carnage avait ainsi été volontairement lâchée sur les réseaux sociaux avant même la sortie du film, via une multiplication d'avant-premières publiques où aucun contrôle des images n'avait été opéré. La campagne de promo' de Morbius se sera en grande partie basée sur la présence du Vautour, malgré un temps d'écran largement insuffisant pour justifier cette place importante dans les contenus publicitaires. 

No Morbin' Time to Die

Après le succès de Venom - 856 millions de dollars à l'international - et Venom : Let There Be Carnage - 506 millions, une somme plus faible pour un film privé de sortie en Chine et tombé pendant la timide reprise de la fréquentation post-pandémique - le cynisme commercial de Sony Pictures semblait donc avoir porté ses fruits. Au point d'empiler une somme conséquente - 1,9 milliards de dollars - avec la sortie du film Spider-Man : No Way Home, un feu d'artifice en forme d'énorme cadeau cette fois adressé à d'autres communautés, notamment dans les couches du web des fan arts qui imaginaient depuis de longues années la rencontre au cinéma des trois Spider-Man de chaque génération, Tobey MaguireAndrew Garfield et Tom Holland. La matérialisation de ce croisement espéré et quémandé par un public en recherche de nouveautés répondait, aussi, à l'envie de jouer sur la carte nostalgique après s'être enfin entendus avec Marvel Studios pour un partage plus souple des personnages. Plus tard, l'adaptation de Morbius, décalée à plusieurs reprises, ne rencontrera pas le même succès.
 
Le film ne parviendra à glaner qu'un modeste score de 162 millions de dollars au box office, dont 73 millions aux Etats-Unis et 90 millions à l'international. En plus d'un énième échec critique et d'une appréciation cette fois plutôt unanime de la part du public : tout le monde s'accordera à trouver le résultat tantôt mauvais, tantôt dispensable, pour les quelques uns qui auront pris le temps de se déplacer en salles. La faible fréquentation des séances de Morbius, doublée d'un emballage aussi paresseux que d'habitude, inspirera une fois de plus la créativité des plaisantins du web, avec des gags qui appuieront sur le ridicule avoué de certaines scènes (la danse de Matt Smith, une vedette), sur l'imagerie de cinémas déserts ou sur l'ensemble généralement tartignole de cette lecture poussiéreuse et datée du cinéma des super-héros. Mais à échec important, réaction proportionnelle : loin de ressembler à la communauté Tumblr de Venom, la vautre de Morbius participera à fabriquer un effet boule de neige où chaque blague engendra sa propre arborescence de détournements et de parodies.
 

 
La réplique "It's Morbin' Time", une invention apparue sur Twitter que le personnage principal ne prononce pas réellement dans le film, deviendra un cri de ralliement dans cette sphère auto-alimentée, et le point de départ de tout un langage parodique autour du film de Daniel Espinosa. Certains s'amuseront à imaginer des scènes qui n'existent pas, comme pour ridiculiser l'importance du vampire à l'échelle des autres franchises de héros costumés, tandis que d'autres évoqueront l'oasis d'un messianique "Morbius Sweep" qui voudrait que le long-métrage connaisse un succès tardif, voire secret, et qui prendrait tout le monde par surprise. Cette bulle créative carburant au foutage de gueule durera pendant un temps, avec les habituelles déclinaisons de déclinaisons, en suivant le cycle de mutation des memes momentanés. 
 
Les dernières souches finiront par ne plus avoir grand chose à voir avec le sujet original, finitude naturelle des grandes marrades populaires de cette catégorie. Pacôme Thiellement devrait en faire un épisode d'Infernet, tiens.
 

 

 

 
Aux dernières nouvelles, Morbius était devenu une tendance sur la plateforme Twich, où le film était diffusé dans son intégralité et en boucle. A l'origine de l'initiative, le compte Kujou_TV expliquera ne pas redouter de sanction particulière suite à cette curieuse séquence de piratage dans les règles : "Je vois les choses comme ça : je ne vais pas me faire bannir pour regarder Morbius en ligne, parce que personne n'en a rien à foutre de ce film. Ils veulent que les gens le piratent, puisque personne ne va payer pour le voir."

Morbius Sweep ?

En suivant leur raisonnement habituel de capitalisation sur le ridicule venu des réseaux sociaux, Sony Pictures s'est donc imaginé que la popularité involontaire de Morbius chez les blagueurs pourrait servir de parachute de secours à l'échec du projet. Le studio annonçait il y a quelques jours que le film de Daniel Espinosa allait avoir droit à une sortie exceptionnelle sur le weekend du 3 au 5 juin déployée sur un parc de 1037 salles de cinéma à travers les Etats-Unis (quand le film n'était plus disponible que dans 83 salles ce jeudi), en espérant que les nombreux détournements auraient valeur de campagne marketing, et que le public s'était finalement attaché à l'existence d'une oeuvre qui les avait, malgré elle, bien fait marrer. Le résultat n'a malheureusement pas été à la hauteur des espérances (relatives ?) de Sony Pictures, qui ne s'en sera pas sorti par la récupération du rire gêné cette fois ci.
 
Avec plus de 1000 salles à sa disposition, Morbius attaquera le début de ce weekend - qui se compte par tranches de trois jours dès le vendredi aux Etats-Unis, jour de la semaine qui correspond aux sorties de nouveaux film - sur un nouvel échec avec 85.000 dollars. Sur l'ensemble de cette tentative de résurrection, le projet n'aura ramassé que 300.000 dollars, pour une moyenne de 298 dollars de revenu par salle de cinéma, le score le plus bas de cette semaine dans le top vingt des films exploités sur le réseau traditionnel. A titre de comparaison, le projet était parvenu à glaner près de 100.000 dollars par jour au milieu du mois de mai, avec seulement 313 salles à sa disposition et plus d'un mois d'exploitation sous la ceinture. Morbius plafonne donc toujours sur son faible ensemble 73 millions de dollars au box office domestique (i.e. : aux Etats-Unis), et on imagine que Sony Pictures, qui devra en plus partager ce maigre gain avec la distribution et assumer les frais fixes des envois de copies et des taxes, n'aura au final pas gagné grand chose dans l'opération. En dehors d'une énième démonstration de cynisme ou de ridicule. Pour le dire clairement, les fans (si tant est que ceux-ci aient jamais existé) n'ont manifestement pas mordu à l'hameçon.
 
A la décharge du studio, le fait est que les dernières ramifications des memes "Morbin' Time" en étaient arrivés à réclamer une suite. Une sorte de tour complet de la moquerie, de la part d'internautes si amusés par l'échec du projet que l'envie de continuer la fête finira par prendre des formes étonnantes. A l'origine, un faux article de CNN fabriqué pour les réseaux sociaux indiquant qu'un Morbius 2 aurait été validé pour une sortie en 2024, pour une diffusion sur les canaux de VOD Paramount+ et Disney+, pour une raison ou une autre. Si personne n'a eu l'air de réellement tomber dans le panneau, la communauté des blagueurs put reprendre de plus belle avec un nouvel os à ronger. 
 
 
 
 
Force est de constater que le département marketing de Sony Pictures, comme Jared Leto, avaient cette fois décidé de se mêler à la plaisanterie. L'acteur se sera fendu d'une vidéo dans laquelle il apparaît en train de feuilleter le script d'un faux film "Morbius 2 : It's Morbin' Time", écrit par un certain Bartholomeow Cubbins. Là-encore, un gag : le nom propre ne renvoie pas un scénariste authentique mais au personnage principal du roman pour enfants de Dr SeussThe 500 Hats of Bartholomew Cubbins. L'effort aurait pu passer pour charmant - dans l'idée d'assumer l'échec ou de montrer que les équipes elles-mêmes auraient compris l'ampleur du désastre, d'être devenus un motif de détournement systématique sans avoir construit de véritable base de fans - si la vidéo n'avait pas été postée en parallèle de la seconde période d'exploitation de Morbius au cinéma. 
 
Dans ce contexte, cette tentative d'auto-dérision passerait pour une énième manifestation du cynisme des équipes à l'origine du SMU, prêtes à tout pour arracher le prix d'un ticket de cinéma au public, quitte à se ridiculiser elles mêmes.
 
 
Suite à l'annonce de la nouvelle sortie en salle, la plupart des internautes, lorsqu'ils ne s'amusaient pas à sortir du placard leurs memes préférés, ont tenu à expliquer au studio que le public riait aux dépends du film, et pas en bonne camaraderie à propos de ses performances éventuelles. Le microcosme de l'humour dématérialisé, sur Twitter, Reddit ou 4chan, s'arrête à ce que les spectateurs.ices ont pris de bon dans l'échec de Morbius - à savoir, l'échec de Morbius
 
La triste performance commerciale de cette seconde sortie punit, donc, le cynisme et la paresse du studio ou, dans le meilleur des cas, explique simplement pourquoi il est impossible de monnayer un mouvement de foule incontrôlé, désorganisé et sans but précis, sinon de se poiler sans même interroger la matérialité du film en lui-même. Il sera intéressant de noter que Sony Pictures sera tout de même parvenu à établir une sorte de nouveau plafond dans l'exploitation nihiliste de leur propre franchise, comme une envie de pousser plus loin ce principe de poupées russes de l'échec, avec une dernière figurine au coeur de la dernière figurine. Aux dernières nouvelles, le web réagissait là-encore avec humour, en se posant la question de savoir si une génération de memes supplémentaires ne serait pas capable de motiver une troisième sortie pour une troisième plantade au film de Daniel Espinosa - le défi est lancé.
 
Pour conclure, la rédaction de Forbes dresse un bilan légitimement sévère de l'attitude de Sony Pictures. Avec une lecture plus générale sur l'état actuel du marché du cinéma, où la crise pandémique a durement fragilisé la fréquentation, et où le marché de la VOD grandit d'années en années jusqu'à capter le gros de l'attention du public, la faculté des studios à prendre pour argent comptant la sphère des réseaux sociaux inquiète. Selon le journaliste Scott Mendelson, le fait de prêter attention à cette catégorie de bruissements serait un réel danger, à l'heure où les sociétés de production naviguent à vue pour tenter de brosser les fans dans le sens du poil.
 
"Les moqueries en ligne et l'existence des 'memes' n'ont pas la moindre foutue importance pour mesurer l'intérêt du grand public. Il est grand temps que l'industrie cesse de traiter ces imbécilités comme autre chose qu'une comédie, certes amusante, mais complètement hors de propos. Sans même parler du fait de prêter attention à la complainte raciste qui peut s'abattre sur des produits tels que Ghostbusters, Star Wars, Marvel, Doctor Who, Percy Jackson, etc etc, en considérant que ces prises de parole représenteraient d'une quelconque façon le consensus général au sein du public. Reste seulement à espérer que Sony nous a simplement fait une petite blague."

Ou pour citer un pote : Sony, vous n'avez pas honte ?
 
Corentin
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