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Interview : au coeur d'A Vicious Circle, avec Mattson Tomlin & Lee Bermejo

Interview : au coeur d'A Vicious Circle, avec Mattson Tomlin & Lee Bermejo

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Seconde partie de notre long diptyque d'entretiens avec Mattson Tomlin. Le scénariste s'était déjà prêté au jeu de l'interview à nos côtés pour nous parler d'écriture au cinéma et pour la bande dessinée, et cette fois-ci la discussion s'est faite à trois, en compagnie également de Lee Bermejo, afin d'aborder plus précisément leur projet en creator-owned, A Vicious Circle, sorti en ce début d'année chez Urban Comics.

Un projet qui au départ nous avait été révélé (en première mondiale !) dans nos colonnes il y a maintenant trois ans, et à présent que deux des trois tomes sont sortis, il est grand temps de discuter de cette création originale, sur laquelle Lee Bermejo a souhaité se challenger au maximum pour changer de style visuel sur de nombreuses planches. Comment la collaboration s'est-elle passée ? Quelles ont été leurs influences et les messages à faire passer ? Tout ça et bien plus, ce sera à retrouver dans cette interview également disponible en podcast via First Print. Nous remercions à nouveau Antoine Boudet qui s'est occupé de la retranscription.


Je suis très heureux de vous recevoir. Lee Bermejo, vous êtes de retour dans notre podcast ! Mattson, bon retour également, car nous avons déjà réalisé une interview, mais cette fois-ci, nous allons parler de Vicious Circle.

Mattson : Ça fait tellement longtemps…

Oui, trois jours. N'en parlez pas. *rires*

Je pense que vous êtes un peu fatigué, je ne vais pas vous prendre trop de temps, d’autant que je pense que nous avons déjà parlé un peu de cela, il y a deux ans, lorsque vous avez annoncé que vous travailliez avec Mattson Tomlin dans ce même micro. Pouvez-vous nous dire comment vous vous êtes rencontrés ?

Lee : L'ai-je annoncé dans le podcast ? Vraiment ?

Oui, c'était une exclusivité. À l'époque, vous n’aviez pas dévoilé pas le titre, mais vous m’avez simplement dit « Je vais faire un projet indépendant avec Mattson » et j'étais tellement excité, que j'avais dû faire ma meilleure poker face. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Je crois que c'était sur Instagram ou… ?

Instagram. C'est moderne. C'est une relation moderne, pour des temps modernes. Jim Lee a posté quelque chose où Mattson était tagué…

L’audition de Robert Pattinson dans ce costume baigné de lumière rouge. La première photo du film.

J'ai commencé à suivre Mattson après ça et il publie en stories des plans fixes de films et il choisit des plans très intéressants qui sont atypiques. J'ai donc particulièrement apprécié et nous avons commencé à discuter sur Instagram, ce qui a conduit à une discussion sur Skype où je crois que je lui ai demandé s'il était intéressé par l'écriture de bandes dessinées ou si cela l’intéressait. Il a répondu par l'affirmative, ce qui nous a permis de commencer à discuter.

Connaissiez-vous le travail de Lee Bermejo avant qu'il ne vous contacte sur Instagram ?

Bien sûr. C’est une légende.

Qu'est-ce qui vous a plu dans son travail ? Quelle est sa première bande dessinée que vous avez lue ?

Je pense que la première a probablement été Joker. Je crois. Je sais qu'il y a un type avec qui je suis allé à l'école et qui, à l'université, avait des dessins du Joker sur son mur. Je me souviens d'avoir lu cette bande dessinée à l'université et d'avoir pensé qu'il s'agissait d'une version tellement cool, sale et dangereuse du Joker que je me sentais vraiment à l'aise. Les œuvres de Lee me semblent toujours dangereuses et ont une patine crasseuse qui les rendent très réalistes. Donc oui, je connaissais Lee depuis des années et des années et j'étais un grand fan de lui. Le fait qu'il m'ait contacté, que je me sois retrouvé sur Skype et que j'aie commencé à passer du temps avec lui, juste en tant que fan, m'a semblé être un événement extraordinaire, qui s'est très vite transformé en une très très belle amitié.


Et étiez-vous déjà à la recherche d'un nouveau projet en bande dessinée ? Ou est-ce que le besoin d'écrire quelque chose de nouveau est venu de Lee ?

J'ai toujours voulu écrire des bandes dessinées. Les bandes dessinées ont été mon premier amour, avant le cinéma. Lorsque j'ai percé à Hollywood et que j'ai commencé à travailler régulièrement comme scénariste, chaque fois que je me trouvais dans une entreprise de bandes dessinées - j'ai notamment rencontré plusieurs fois Boom Studios lorsque j'adaptais le livre Memetic de James Tynon IV pour en faire un film, il y a des années et des années - je disais toujours « Hey, est-ce que je pourrais venir et proposer une bande dessinée ? » Je n'ai jamais vraiment eu de succès dans ce domaine. Mais c'était quelque chose que je voulais vraiment, vraiment faire. Et puis tout est arrivé en même temps. Batman The Imposter et Vicious Circle. Lorsque Lee et moi avons eu notre premier Skype, c'était en janvier 2020. Et je...

Il y a quatre ans, donc.

Et je venais de rencontrer Jim Lee en décembre 2019 pour parler de la possibilité de faire un livre sur Batman. Tout s'est donc passé en même temps.

Qui a eu l'idée du pitch en premier ?

Mattson avait, je crois, deux ou trois high-concepts. Il avait quelques idées et je me souviens qu'il a parlé d'assassins voyageant dans le temps qui, une fois qu'ils ont tué quelqu'un, sont involontairement propulsés dans le temps. Et je me suis dit « Ça ! Ça a l'air cool ! » Mon cerveau s'est immédiatement mis à réfléchir à toutes les possibilités. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose de très poétique dans le fait que des tueurs déchirent l'espace-temps lorsqu'ils font ce qu'ils sont censés faire. J'ai donc pensé que c'était un excellent concept.

Mais comment passe-t-on du concept au scénario de bande dessinée en trois parties ? L'histoire a-t-elle toujours été envisagée en trois parties ?

Yep. Je suis encore novice en matière de bandes dessinées, et le format dans lequel je peux me plonger et savoir vraiment ce que je fais est celui-là. C'est le même format que celui de Batman The Imposter. Il s'agit de trois numéros d'environ 50 pages. Pour moi, c'est un peu la taille d'un film. Il est structuré de la même manière : début, milieu, fin. Il n'y a jamais eu de version en cinq ou six numéros. Il n'a jamais été question d'un seul numéro. Il n'y a jamais eu de version en série régulière. Il a toujours été question d'une histoire auto-contenue et je pense que ce qui était vraiment important pour nous deux, c'est qu'il y ait une fin définitive.

Comment avez-vous créé les personnages principaux ? Je ne sais pas si vous avez donné des informations à Lee et s'il a dû concevoir les personnages ou si cela vous est venu simplement à l'esprit ?

Mattson a eu l'idée de Shawn Thacker, un homme noir qui est... Mattson a dit plusieurs fois que le concept d'un homme noir voyageant dans le temps crée un danger immédiat. Il y a plus de dramaturgie parce que certaines périodes n'auraient pas été incroyablement accueillantes... Nous savions qu'il y aurait ces deux personnages qui représenteraient en quelque sorte le Yin et le Yang de l'histoire. Nous sommes donc partis de là. Nous avons eu quelques discussions, mais vraiment... Je pense que le point fort de Mattson dans le processus scénaristique était cette idée très forte d'un début, d'un milieu et d'une fin, une sorte de structure en trois actes. C'est pour cette raison que le scénario semblait parfait pour trois numéros.

Vous avez mentionné que le fait d'être un homme noir peut être dangereux pour ce personnage en fonction de l'époque à laquelle il se trouve. Je suppose donc que vous avez également dû choisir les périodes que vous vouliez explorer, en particulier celles où le fait d'être un homme noir peut être plus dangereux…

Je pense que pour nous, il y avait vraiment une dimension qui est entièrement liée au contraste au niveau des sauts dans le temps. Il fallait s'assurer de ne jamais vouloir passer de 1960 à 1965 parce que c’est trop similaire. En sachant qu'il n'y a qu'une seule chance de faire ce premier saut, il n'y a qu'une seule chance de faire ce saut à Neo Tokyo, donc on voulait que ça soit intense. Et pour moi, en réfléchissant à la manière dont nous allions commencer cette histoire, j'ai eu l'impression que la situer dans le présent ne serait pas assez intense. Nous avons Internet, nous avons toutes sortes de modes différentes et toutes sortes de... Je voulais puiser d’une certaine manière dans une forme de nostalgie. 

Le lecteur est plongé dans une époque, que Lee a judicieusement représenté en noir et blanc pour lui donner un aspect photographique. Il y a donc une forme de nostalgie dans laquelle nous sommes instantanément plongés. Ce n'est pas maintenant, donc il y a une sorte de fantaisie de ce qu'était le passé, et puis il y a ce contraste car ce n'est pas maintenant non plus, c'est la fantaisie d'un futur très lointain. Une partie de ce travail consiste à former le lecteur en très peu de temps. Dans les 15/20 premières pages, nous vous présentons les règles du livre et nous allons vous tenir la main pour vous apprendre à le lire parce que ce n'est pas conventionnel. Personne n'a jamais eu cette idée auparavant et il faut donc apprendre les règles.

D’autant plus que jouer avec le temps est toujours dangereux pour les lecteurs. Parce que si vous avez des règles, il est assez facile de se perdre entre ces règles, car normalement, si vous tuez quelqu'un, cela a un effet sur l'ensemble de la ligne temporelle. Je veux dire, à la fin du bouquin, vos héros sont à l'âge des dinosaures — je suppose que vous avez lu Ray Bradbury — et donc, si vous marchez sur un papillon à cette époque, vous allez perturber tout l’avenir. Mais vous ne semblez pas trop attaché à des règles très strictes, si je ne me trompe pas.

Oui, je pense que ni l'un ni l'autre ne voulait s'embourber dans ces histoires à la con de voyage dans le temps. Ce n'est pas vraiment le but, le but est bien plus émotionnel. Il s'agit bien plus de la vengeance et de la quête de ces personnages. Et donc, surtout pour le premier livre, je pense qu'au fur et à mesure que nous avançons, beaucoup de ces questions vont être pertinentes et nous allons nous intéresser davantage aux ramifications de ce que nous faisons, mais nous n'avons certainement pas voulu les mettre en avant.


Lee, c'est une performance assez spectaculaire que vous accomplissez avec cette BD. En off à l’époque, vous m'aviez dit que vous alliez beaucoup changer de style. Je me demande toujours comment vous vous y prenez pour passer du noir et blanc photo-réaliste à un style plus proche du style classique comic-book. Comment avez-vous appréhendé ce changement ?

Il m'a semblé naturel que, si vous faites un ouvrage sur le voyage dans le temps, vous avez besoin d'un langage visuel qui aide le lecteur à mieux comprendre la narration. C'est donc un raccourci, d'une certaine manière. Il est plus facile d'avoir une réaction vraiment puissante du lecteur lorsque vous sautez dans le temps. C'est un peu comme si les personnages éprouvaient le genre de choc en se disant aussi « Mais où suis-je maintenant ? » Il y avait donc une fonction narrative qui était vraiment importante. Ce n'est pas changer de style pour changer de style, ce qui est toujours quelque chose que je trouve très regrettable. J'ai commencé en étant très désinvolte à ce sujet, pensant que cela allait être facile.

J'ai déjà cité cet exemple mais lors de nos premières conversations, alors que nous parlions d'aller au Jurassique et de dessiner des dinosaures, je me souviens lui avoir dit « je vais juste dessiner à la Frank Frazetta. » Quand j'y repense maintenant, c'est hilarant parce que... je ne peux pas faire ça. C'était une réflexion tellement ridicule. Mais l'intention était la bonne. Ce n'était pas de l'arrogance. Il était question de réfléchir aux styles artistiques que j'aime et de trouver un moyen d'utiliser certains d'entre eux pour les différentes séquences. Mais lorsqu'il a fallu passer à l'acte, j'ai eu un moment de panique parce que j'avais intégré dans ma tête l'idée que ce serait comme si des artistes différents avaient réalisé le bouquin. Et je me suis énervé tout seul parce qu'en fin de compte, ce n'était pas aussi différent qu'il n'y paraissait. En fin de compte, ça a mieux fonctionné pour le lecteur. Il y a une différence, les personnages changent, mais j'espère que ce n'est pas au point de les déstabiliser...

Nous pouvons toujours voir vos traits derrière les changements de style. Mais en termes de technique, était-ce vraiment différent pour vous de travailler avec... Je ne sais pas quels outils vous utilisez.

Ce projet est le plus grand défi que j'aie jamais eu à relever pour une bande dessinée, à tous points de vue. Lorsque Mattson et moi avons commencé à discuter, je sentais un peu comme si je faisais du surplace. Je veux quelque chose qui me pousse, qui me fasse évoluer, et ce que Mattson m'a proposé est en quelque sorte la version ultime de cela. Je n'ai jamais rien fait d'aussi émotionnel que ce livre. Je n'ai jamais rien fait qui nécessite autant de recherches que ce livre. Je n'ai jamais poussé les changements de style aussi loin. Je n'ai jamais eu à être aussi exigeant sur un projet que celui-ci parce que le scénario est très... Il a un rythme qui est très particulier et très spécifique et on ne peut pas faire n’importe quoi. Il faut le suivre jusqu'à un certain point. Il faut que ça marche de la façon dont le scénario marche. Donc oui, c’était un énorme, énorme, énorme défi à tous points de vue.

Quel type de recherche avez-vous dû faire, ne serait-ce qu'en termes de périodes temporelles ?

Mattson en a fait aussi, parce que dans le scénario, il incluait des liens vers certaines informations pour me donner une idée des possibilités et des choses plus spécifiques comme des images qui pourraient m’aider.

Dans la première séquence située à la Nouvelle-Orléans en 1960, Shawn entre dans un bar et fait un pari sur le résultat politique d'un vote qui est sur le point d'avoir lieu. Il s'agit d'un vrai vote sur la ségrégation dans le Sud. Il y avait des manifestations à l'époque et j'ai trouvé de superbes photos de ce à quoi ressemblaient ces manifestations. Je les ai mises en hyperliens dans le scénario et j'ai dit "voilà ce qu'il est en train de traverser ! "Cela a donné à Lee quelque chose de très concret sur les populations, les bâtiments. Je pense que certaines de ces photos ont influencé l'atmosphère de ce premier chapitre. Lorsque Sean traverse la Nouvelle-Orléans en voiture, il y a une petite fille qui crache ou quelque chose comme ça...

C'est un événement réel. C'est un véritable souvenir. Je l'ai donc dessiné en me basant sur la photo, mais c'est quelque chose de réel qui s'est produit. Pour en revenir au réalisme de la première séquence, je pense que c'est ce qu'il fallait pour que les gens se sentent vraiment à l'aise dans ce monde.

Et je suppose que pour les autres époques, vous n'avez pas eu besoin de faire autant de recherches puisque pour le futur cyberpunk et autres, vous n’aviez que les influences des films, des jeux vidéo, de l'animation.

[Ensemble] Ouais.

Combien de temps faut-il pour que chaque époque soit parfaite ? Et comment savez-vous que vous avez réussi ?

Je ne sais pas vraiment, mais il faut… *réfléchis* Nous avons commencé à en parler en février ou mars 2020, puis j'ai commencé à dessiner des pages en février 2021.

Donc un an pour le pitcher et...

...le développer. Il travaillait sur un film, qu'il a fini par tourner, et sur d'autres projets. Je travaillais aussi sur d'autres choses. Et puis nous sommes arrivés à un moment où nous pouvions enfin lancer le projet. Il a donc fallu trois ans pour en arriver là et il me reste encore quatre ou cinq mois. Donc trois ans et demi pour faire 150 pages, plus ou moins.

Nous avons parlé de la façon dont vous mettez des liens dans les scripts, mais en termes d'écriture, est-ce que ce sont des scripts vraiment détaillés ou est-ce que vous mettez juste la trame générale et vous laissez Lee faire tout le rythme en termes de découpage et de comment les choses vont se traduire sur la planche ?

Case 1 : Nous sommes dans l'obscurité totale.

Case 2 : En zoomant un peu, on voit une petite lueur. On dirait une sphère. Que voyons-nous ?

Case 3 : Nous voyons que nous faisons un zoom arrière sur un globe oculaire.

Et ainsi de suite…


Si vous connaissez le scénario par cœur, vous pouvez le réciter ?

Oui, on pourrait le jouer ! *rires*

En fait, ce podcast va être un livre audio ! *rires*

C'était un très bon mélange entre un scénario complet et des informations dont j'ai besoin sans être ultra spécifique. Il est entendu que le scénario doit être honoré et respecté comme il se doit, parce qu'il y a certaines choses qui, à mon avis, sont inamovibles et super importantes dans ce que l'histoire reflète. Et il y a d'autres endroits où l'on peut ajouter une planche, combiner des cases... Il y a des endroits comme ça, mais pour l'essentiel, c'est le script parfait, dans le sens où il se situe entre le trop et le pas assez.

En ce qui me concerne, mon objectif est de lui donner tous les outils dont il a besoin pour ne jamais se sentir perdu. Il faut donc être très précis. S’il y a un moment très émouvant, je vais le décrire comme jamais je ne le fais pour un scénario de film. Je décrirai l'expression du personnage, ce qu'il pense, pour essayer de lui communiquer tout ce qu'il a dans le cœur. Au début de chaque scénario, j'ai un petit paragraphe que j'insère à la toute première page et qui dit : « Bon, voilà le scénario et voilà l'histoire. Si tu vois une meilleure interprétation, si tu as quelque chose de plus excitant que ce que j'ai écrit, fais-le ! Ce sera toujours mieux que des mots sur une page et, en fin de compte, c'est toi qui dois réussir le travail artistique. Je ne pense donc pas qu'il faille s'en tenir au mot près et traiter le script comme s’il était biblique, mais plutôt le voir comme quelque chose pour t’aider parce que tu as beaucoup de travail à faire et que c'est l’Everest.

Je suppose que vous avez eu des échanges sur le moment où vous tournez la page et si quelque chose n'allait pas, vous deviez peut-être redessiner des choses ? Ou bien le processus s'est déroulé sans problèmes ?

Chaque projet comporte des éléments qui doivent être ajustés en cours de route. Il y a un cas particulier dans le deuxième tome, où j'ai oublié certains plans. Thacker avait déchiré sa chemise d'une certaine manière et j'ai dû ajuster ces cases. Il y a eu d'autres moments où j'ai re-dessiné un visage ou autre chose. Il y a eu des moments comme ça. Mais c'est le cas pour tous les projets. Nous avons du temps, alors nous voulons nous assurer que le projet est aussi réussi que possible. Parfois, cela signifie que certaines choses à la fin du livre doivent être, humm, juste un peu édulcorées.

Il me semble que A Vicious Circle a un aspect visuel assez cinématographique, notamment en ce qui concerne le rythme du découpage. Étant donné que vous écrivez également des scénarios pour le cinéma, aviez-vous l'intention d'avoir quelque chose qui puisse être adapté pour un autre média ? Même si l'adaptation de ce type de récit au cinéma coûterait très cher.

Non, c'est plutôt le contraire. Je pense que c'est une œuvre cinématographique parce que c'est une histoire épique par sa portée, son échelle, et les émotions que vivent les personnages. Je le prends comme un compliment. Mais en même temps, je ne me suis pas mis à faire de la bande dessinée dans le seul but de labourer de la propriété intellectuelle et de me créer une sorte de chaîne de production. Si un film est réalisé à partir de cette BD : OK super. Mais ce qui m'excite le plus, personnellement, c'est d'avoir un livre dont je suis extrêmement fier, qui porte mon nom et celui de l'un de mes amis les plus proches, et de pouvoir dire que nous avons fait quelque chose de vraiment spécial qui a touché les gens. Il ne s'agit pas de savoir si l'on peut en faire un film.

C'était incroyable parce qu'en ce moment, on voit beaucoup de livres dont on peut dire qu'ils sont des livres de présentation. Ce sont des livres que les gens font et ils cherchent à les faire adapter. Je me souviens des premières conversations que nous avons eues. Il était important pour nous deux que ce livre soit une bande dessinée et que nous embrassions ce que représente la bande dessinée dans ce livre. On ne peut pas faire ça dans un film. On peut le faire d'une autre manière, en changeant de style, mais c'est de la bande dessinée. Il s'agit de jouer avec ce support. J'ai trouvé formidable que quelqu'un qui vient du cinéma mais qui a une telle passion pour les bandes dessinées ait embrassé cette idée. Il s'agissait de voir ce projet se concrétiser sous la forme d'un album et de faire en sorte que ce soit ce que la bande dessinée fait de mieux. Alors oui, j'ai vraiment apprécié l'attitude qui consiste à faire passer la bande dessinée en premier.

Et c'est aussi un livre très spécial en termes de format, car même s'il s'agit d'un numéro de 50 pages, les pages sont de bien plus grandes que les pages traditionnellement utilisées, aux USA. D’autant plus que le format français est encore plus grand et...

C’est encore mieux !

Mais ma question est la suivante : parce qu'il ressemble vraiment à ce que nous avons sur le marché français, était-il prévu depuis le début pour une publication aux États-Unis ou était-ce quelque chose que vous aviez peut-être envisagé pour le marché européen d'abord ?

J'ai toujours aimé le format BD franco-blege. Je l'ai toujours aimé et je suis beaucoup d'artistes français. Je suis un grand fan de Larcenet et de Nicolas de Crécy... Je suis ce qui se passe ici sur le marché français. Mais je pense simplement que, pour mon travail et ce que je fais... Plus c'est grand, mieux c'est. Le format BD nous permet donc, je pense, de mieux apprécier les pages par rapport à l'édition américaine, parce qu'elles contiennent beaucoup de détails. Cette expérience de lecture, qui est déjà assez grande et épique, semble encore plus grande et encore plus épique.

Dans la version américaine, ce n'est pas un numéro 1 qui figure sur la couverture, c’est Livre 1. Je pense donc qu'il se démarque du format traditionnel du single issue. Je suppose que c'était un choix de se démarquer par rapport à toutes les séries que l'on trouve dans le domaine de la bande dessinée indépendante. Il est assez difficile aujourd'hui d'être vu dans ce domaine. Comment avez-vous abordé la question en termes de marketing ?

Lee et moi sommes en France depuis 9 jours et partout où nous allons, il m'entend dire « Je ne comprends rien au business de la bande dessinée. »

C’est vrai.

À ce stade, j'ai une compréhension assez fine de l'industrie cinématographique. J'ai l'impression de comprendre l'échiquier. Je sais comment faire certains coups, je sais comment obtenir des résultats. La bande dessinée, le commerce de la bande dessinée ? C'est vraiment un mystère pour moi. J'essaie d'apprendre, je suis ici pour apprendre, mais nous ne nous sommes pas assis pour commencer à nous demander « Comment commercialiser ce livre ? »


Ou bien comment le publier ? Vous auriez pu attendre un peu plus longtemps et publier directement ce livre sous la forme d'un grand roman graphique, par exemple. Mais vous n'avez pas opté pour cette solution.

Encore une fois, ce sont des questions qui sont au-dessus de mes compétences, parce que, lorsque vous me dites ça, je me dis : « Aurions-nous pu ? » Je pense qu'il a besoin d'être payé pour faire tout cela parce que ça prend des années et des années. Est-ce une option ? Probablement pas. Mais pour l'instant, j'essaie de comprendre comment fonctionne le secteur. Ce que j'entends sans cesse, c'est : « Fais ce que tu trouves cool et ce qui te passionne, et le reste viendra tout seul. » En ce qui me concerne en tout cas, le fait que ce livre ait l'allure qu'il a et qu'il soit reçu comme il l’est, c’est le fruit d'un travail aveugle.

Mais tout de même, l'un d'entre vous a dû contacter Boom et…

Nous l'avons fait tous les deux et, en fait, Matson avait déjà une relation avec Boom auparavant. Je ne connaissais personne là-bas. Je connaissais un peu Sierra. Mais Mattson avait travaillé avec eux sur des projets de films.

Memetic, dont vous parliez tout à l'heure...

J'ai adapté Memetic et cela a été un long processus de développement étalé sur trois ou quatre ans. J'ai donc travaillé en étroite collaboration avec les gens de la branche cinéma sur ce projet. BRZRKR n'avait pas encore commencé pour moi, mais... Ils savaient à quel point j'étais obsédé par Keanu…

Ah oui, parce que vous écrivez également le scénario de l'adaptation 

Oui, oui, absolument. J'étais donc dans leur sillage et il m'a été très facile de les appeler et de leur dire « Salut ! Lee Bermejo et moi travaillons sur quelque chose ensemble et nous pensons que Boom pourrait être… » Il a donc été facile d’organiser une réunion. Mais pour ce qui est de mon rôle dans cette réunion, j'étais tout simplement ravi d'être là et je n'avais aucune idée de ce qui se passait.

Vous n'avez pas eu votre mot à dire sur la manière dont cela allait être publié ?

Je voulais absolument le format BD. Je voulais trois volumes avec couverture rigide. C'est un peu comme ça que nous l'avons présenté. Je pense que c'est peut-être le premier ou le deuxième livre que Boom publie dans un format différent. Peut-être que Judas a été le premier, je ne suis pas sûr, mais tout le mérite revient à Boom d'avoir pris le risque d'utiliser ce format. Je sais que cela ne plaît pas à tout le monde, mais honnêtement, pour moi, c'était l'objectif. Notre objectif était ce format, cette couverture rigide, cette taille *montrant l'édition Urban* dont la version américaine est légèrement, légèrement plus petite.

N'est-il pas trop frustrant de constater que le format américain n'est peut-être pas celui que vous souhaitiez ?

Je déteste dire ça parce que ça ne s'applique pas à Boom... Mais j'utilise généralement cette comparaison : la version américaine est comme la version McDonald's et la version européenne - généralement la version française - a tendance à être comme la version étoilée Michelin. Je ne pense pas qu'un seul auteur américain puisse me contredire sur ce point. Tout le monde sait qu'en Europe, les éditions sont meilleures qu'aux États-Unis. Donc...

Alors, quand allez-vous travailler principalement pour le marché européen ?

J'en serais ravi. Nous verrons bien. C'est vraiment quelque chose que j'ai toujours voulu faire.

Dernière question : le deuxième livre est sorti aux États-Unis et nous l'attendons encore en France [nda : il est sorti, à présent], mais où en est le troisième ?

J'en suis à 26 pages du troisième tome, il me reste donc moins de la moitié à faire. Il devrait sortir au cours de l'été, je pense, aux Etats-Unis. Je ne sais pas quand.

Comme les deux premiers livres étaient assez proches en termes de sortie et que nous devons attendre un peu plus longtemps, est-il difficile d'équilibrer la quantité de travail ? D'essayer d'avoir peut-être le moins d'attente entre deux livres ?

Je n'y pense pas... J'essaie de ne pas trop y penser, parce que c'est une chose à laquelle c’est à Boom! de s’inquiéter. Ce sur quoi j'essaie de me concentrer, c'est... Je vais utiliser The Dark Knight Returns comme exemple. Le dernier chapitre de The Dark Knight Returns a été publié avec un an de retard. Il était extrêmement en retard, d'accord ? Et sur le marché américain, plus personne n'en parle. Tout le monde parle de The Dark Knight parce que c'est un grand succès. Il existe aujourd'hui en tant que volume et, à terme, notre histoire existera également en tant que volume et personne ne parlera du temps écoulé entre les numéros ou les livres, ou quoi que ce soit d'autre.

Vous pouvez être sûr que si j'avais été en vie à cette époque, j'aurais posé la même question à Frank Miller. Du genre « quand est-ce que ça va sortir ? » Ce n'est pas comme si... Je ne vous juge pas et je ne suis pas convaincu que vous devriez être plus rapide… C’est aussi quelque chose qu'il faut garder à l'esprit dans le processus de création, car une série de bandes dessinées peut souffrir d'une trop grande attente. Et parfois, lecteurs, nous oublions tous qu'il y a tellement de nouvelles bandes dessinées chaque mois…

Pour la défense de Lee, je me sens obligé d'intervenir. Aux États-Unis, il s'est écoulé environ huit ou neuf mois entre le premier et le deuxième livre. Ils ne sont donc pas sortis l'un après l'autre et le saut entre le deuxième et le troisième livre sera de 9 ou 10 mois. À l'échelle cosmique, c'est à peu près la même chose. Nous nous promenions aujourd'hui et quelqu'un lui a demandé s’il se reposait les week-ends. Et la réponse est : non. Il travaille sept jours sur sept sur ce livre. C'est un travail dur, dur, qui utilise tous les doigts, tous les orteils. *rires* Il est aussi rapide que possible et lorsque vous travaillez à un niveau aussi élevé que le sien, il vous faut du putain de temps. J'aimerais bien que quelqu'un d'autre atteigne son niveau et le fasse plus vite. Et s'il y parvient, félicitations !

Oui, je lui tirerais bien mon chapeau.

Je sais que vous devez encore terminer celui-là, mais pensez-vous déjà à retravailler ensemble dans un avenir proche ?

[Ensemble] Ohh oui.

D'accord. Vous ne l'annoncerez pas dans le podcast cette fois-ci, mais peut-être pour un autre…

C'est en préparation.

Très bien. Merci encore d'avoir répondu à mes questions !

Arno Kikoo
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