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Interview : comics, Batman & cinéma, les challenges de l'écriture avec Mattson Tomlin

Interview : comics, Batman & cinéma, les challenges de l'écriture avec Mattson Tomlin

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Le scénariste Mattson Tomlin est certainement une étoile montante au milieu du cinéma et dans la sphère de la bande dessinée. Son nom est apparu auprès des lecteurs pour sa participation au script du premier The Batman de Matt Reeves, dont il s'occupe de co-écrire le second volet. Remarqué avec sa mini-série Batman : Imposter, Tomlin s'essaye aussi au creator-owned avec A Vicious Circle. Ce qui le passionne dans l'ensemble de ses activités, c'est l'écriture, quel que soit le format. Même si, installé dans une petite salle au FIBD, il nous avoue qu'il préfère par dessus tout la bande dessinée - les comics, donc. 

Puisque Mattson Tomlin nous a fait le plaisir de venir en France avec Urban Comics en ce début d'année, l'occasion était trop belle pour ne pas tenter de faire coup double. Vous retrouverez donc ici une première interview avec le scénariste, dans laquelle on reviendra sur le parcours de Mattson et son approche de l'écriture en fonction de ses projets. Nous le retrouverons dans un second temps avec Lee Bermejo pour traiter du cas particulier d'A Vicious Circle. Deux rencontres que nous sommes fiers de vous proposer, et qui nous l'espérons, vous plairons. Si l'anglais et l'audio ne vous font pas peur, sachez que vous pouvez aussi écouter cette discussion en podcast via First Print. Nous remercions à nouveau Antoine Boudet pour la retranscription de cette (longue) interview.


On est ravis de vous recevoir, Mattson Tomlin. Merci de nous consacrer un peu de votre temps.

Merci de m'avoir invité. Je suis vraiment désolée de ne pas parler français.

On ne peut pas avoir toutes les qualités du monde, donc ce n'est pas grave si votre seul défaut est de ne pas parler français ! Je commence toujours par la question la plus basique du monde : qui êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter un peu ?

« Qui es-tu ? » n'est pas une question basique. C'est la question la plus difficile ! Qui suis-je…? Je suis scénariste. Je vis à Los Angeles. J'écris surtout des films. J'ai écrit un film pour Netflix avec Jamie Foxx, intitulé Project Power, qui est sorti en 2020. J'ai écrit un film intitulé Little Fish avec Olivia Cook et Jack O'Connell. J'ai écrit et réalisé un film intitulé Mother Android avec Chloë Grace Moretz et j'ai récemment travaillé avec Matt Reeves sur The Batman Part 2. J'ai grandi sur la côte est des États-Unis et je voulais faire des films depuis que j'étais tout petit. J'ai fréquenté plusieurs écoles de cinéma, j'ai travaillé très dur et tous mes rêves se sont réalisés. Je vis donc ma meilleure vie à travailler sur des choses vraiment cool.

Savez-vous, quand vous étiez plus jeune, pourquoi vous vouliez tant faire du cinéma ?

C'est venu par vagues. Mais dès l'âge de 7-8 ans, je savais que je voulais faire des films. Puis, à l'âge de 12 ans, j'ai vu un film intitulé Stand By Me et j'ai vécu ce que j'aime appeler mon « été Stand By Me ». C’était un été où tous mes amis commençaient à grandir et à s'intéresser aux filles et au sport. Il n'était plus question de nous déguiser et de jouer dans les bois en prétendant que nous étions des chevaliers ou des super-héros. C'était vraiment triste pour moi, parce que je ne voulais pas grandir. Je voulais continuer à jouer. Et ce que j'ai réalisé, c'est que s'il y avait une caméra autour de ça, ça devenait un projet et tous ceux qui étaient si impatients de grandir, c'est comme s'ils remettaient les costumes et le maquillage et continuaient à jouer. Pour moi, ce n'est pas tant que j'ai vu un film et que je me suis dit « oh, j'aime ça, maintenant je veux faire des films », c'est surtout que je voulais continuer de jouer.

Vous avez donc décidé très jeune de faire des études pour devenir cinéaste. Est-ce difficile d'entrer dans ce genre d’école ?

Ce n'est pas si difficile d'entrer dans ces écoles. Vous constituez un dossier, ils veulent voir que vous avez fait des films, et lorsque vous entrez à l'université, ce sont généralement les films que vous avez faits avec vos amis qui sont pris en compte. J'ai fait une école supérieure, je suis allé à l'American Film Institute, et c'était beaucoup plus difficile d'y entrer. Mais non, l'école de cinéma, c'est comme n'importe quelle autre école. Il faut avoir un corpus de réalisations et on vous laisse entrer. Je pense que ce qui est beaucoup plus difficile, c'est de devenir un professionnel à Hollywood. Et la raison pour laquelle c'est plus difficile, c'est que : à la différence d'un médecin ou d'un avocat, où il y a un chemin tout tracé et vous allez à l'école pendant un certain nombre d'années, puis vous obtenez un emploi et vous gravissez les échelons, à Hollywood, personne n'a la même histoire sur la façon dont il a percé et fait carrière. L'histoire de chacun est complètement différente et le seul point commun est qu'ils ont travaillé très, très dur et qu'ils ont eu beaucoup, beaucoup de chance. C'est donc un vrai bordel.


Et vous, quelle est votre histoire ?

J'ai obtenu mon diplôme à l'American Film Institute en 2014 et je me suis orienté vers la réalisation. J'avais envie de devenir metteur en scène. Ce que j'ai appris très vite, c'est que lorsque vous voulez être réalisateur, personne dans le monde ne veut que vous le soyez parce que la réalisation implique beaucoup d'argent. Vous savez, faire un film coûte cher. Cela représente des millions de dollars et il faut obtenir la permission d'autres personnes. Et j'ai essayé de faire un film. Je voulais réaliser un petit film indépendant que je pourrais ensuite présenter à Sundance, c'était un peu mon rêve, mais ça n'a pas marché. J'ai essayé de lancer d'autres projets : ça n'a pas marché. Un de mes professeurs à l'AFI m'a donné un très bon conseil. Il disait toujours que si vous vouliez un emploi à Hollywood, vous devez écrire votre propre chemin pour devenir scénariste parce que l'écriture est la seule chose qui soit gratuite. Elle n'implique la permission de personne. Cela n'implique rien d’autre. N'importe qui peut s'asseoir à n'importe quel moment et écrire un film. Qu'il soit ou non capable de l'écrire correctement, c'est une toute autre affaire. Mais rien n'empêche quiconque de s'asseoir et d'écrire. J'ai donc pris un tournant et j'ai commencé à écrire, et au début, mon écriture était plutôt médiocre. Mais...

Comment définiriez-vous le terme "médiocre" ? En termes de qualité ou…?

C'est juste que mon écriture n'était pas mature. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'était un film. Je ne comprenais pas vraiment ce qui faisait une bonne scène, les véritables mécanismes techniques, les choses qui devraient être invisibles. S'ils n'y sont pas, le film ne fonctionne pas. Et la seule chose que j'avais pour moi, c'est que j'aimais vraiment le processus d'écriture. Vous savez, beaucoup de scénaristes que je connais aujourd'hui décrivent l'écriture en disant : « L'écriture, c'est l'enfer. C'est l'agonie. Je déteste m'asseoir et écrire. » Je sais qu'il y a un dicton pour les écrivains : « Je n'aime pas écrire, j'aime avoir déjà écrit. » Moi, j'adore écrire. J'aime vraiment être dedans et rêver. J'avais donc cet atout en main. J'ai donc commencé à écrire beaucoup et j'ai commencé à écrire 8 à 10 scénarios par an, ce qui n'est pas rien. Et tous ces scénarios n'étaient pas bons, la plupart étaient mauvais. Mais vous continuez à le faire, encore et encore, et vous terminez quelque chose, vous le regardez et vous vous dites « Qu'est-ce qui est bien là-dedans ? Qu'est-ce qui n'est pas bon ? Peut-on l'améliorer ? » Et j'ai commencé à apprendre et à m'entraîner. C'est un peu comme la course à pied. C'est comme si vous n'aviez jamais couru auparavant et que vous essayiez de courir un kilomètre : ça va être très difficile pour vous. Mais si vous continuez à vous entraîner tous les jours, bientôt, faire un kilomètre sera très facile et vous pourrez alors commencer à travailler sur 5 kilomètres, 10 kilomètres... C'est un peu comme ça que j'ai commencé à progresser, à tel point que même aujourd'hui, il m'arrive d'écrire un mauvais scénario, mais mon taux de réussite moyen s'est beaucoup amélioré jusqu’à que, en 2015/2016, mon écriture commence à attirer l'attention et puis…

Parce que vous soumettiez les scripts ?

Je les soumettais à des concours, oui. Puis j'ai vécu à Hollywood et l'une des choses qui m'est apparue clairement, c'est que les gens sont tellement impatients de présenter leur scénario à la personne importante qui va réaliser tous leurs rêves. J'ai vite compris que ce n'était pas vraiment comme ça que les choses fonctionnaient. Je n'ai pas besoin de la personne importante ni de la personne qui travaille pour elle. J'ai besoin des assistants. J'ai besoin des gens de mon âge, qui travaillent dans les bureaux, au téléphone, et qui essaient de grimper de la même manière que moi. Je connaissais donc beaucoup d'assistants. J'ai commencé à envoyer des scénarios à des amis à moi qui travaillaient à Hollywood en tant qu'assistants, et ils ont commencé à me dire : « Le scénario est bon. Le scénario est bon. Tu deviens un meilleur scénariste. » Et puis ils essaient aussi de monter en grade et ils commencent à partager les scripts autour d'eux parce qu'ils veulent avoir l'air intelligent. C'est en grande partie grâce à cela que j'ai réussi à percer, en attirant l'attention, parce que j'ai rencontré d'autres jeunes gens qui essayaient de percer à Hollywood. Et c'est comme si vous vous éleviez les uns les autres. C'est comme ça que ça devrait fonctionner dans une industrie saine.


Ensuite, il y a eu quelques années, 2 ou 3 ans, pendant lesquelles j'ai gagné un peu d'argent. Pas beaucoup, mais assez pour vivre et assez pour sentir que « oh il y a un momentum, je peux ressentir que ça peut arriver et que ça pourrait commencer à être un manière de vivre » mais c'est difficile d'obtenir quelques milliers de dollars et de devoir les dépenser sur plusieurs mois. Vous savez, vivre seulement de paies ponctuelles. Puis j'ai commencé à faire des ventes plus importantes et j'ai vendu une série télévisée qui, bien sûr, n'a pas été réalisée, mais qui m'a rapporté beaucoup d'argent. Un an plus tard, j'ai vendu le scénario original de Power, qui est devenu Project Power. J'ai gagné suffisamment d'argent pour changer ma vie et me libérer de mes dettes étudiantes. Pour ce film, tout le processus a été si rapide qu'il a fallu environ 8 mois pour passer de l'écriture à la vente, ce qui est sans précédent. Et ensuite, de la vente à la réalisation, il s'est écoulé moins d'un an, ce qui est également sans précédent. Il s'est donc écoulé un peu plus de deux ans entre l'idée que j'avais en tête et le film terminé, ce qui n'arrive jamais pour un film de cette taille. C'est ainsi que j'ai commencé à devenir un vrai professionnel.

Oui, il semble que ce soit le tournant de votre carrière. Mais quand vous écrivez et que le scénario est acheté par une grande entité comme Netflix, est-ce qu'ils commandent de réécrire des scènes ou des choses comme ça ? Ou est-ce qu'ils l'ont juste acheté et pour vous c’est fini, rien de plus à écrire ?

Non, dans ce cas-là, il y a eu des réécritures considérables. Le film qui a été réalisé est très différent de celui que j'ai vendu et...

N'est-ce pas frustrant ?

Oui ! Oui, c'est frustrant. C'est difficile. Parfois c'est pour le meilleur, parfois c'est pour le pire. Dans le cas de Project Power, le film représente beaucoup pour moi, c'est le premier film que j'ai écrit. Il est très différent de ce que j'essayais de faire à l'origine. Mais c'est en partie parce que les réalisateurs, Henry Joost et Ariel Schulman, avaient une vision différente. Ce sont des gens qui sont... plutôt capricieux. Ils aiment vraiment faire des films pour le grand public, ils veulent que les gens apprécient leurs films. Et mon scénario était beaucoup, beaucoup plus sombre. Une partie du processus a donc consisté à rendre ce film plus amusant. Cela signifie-t-il qu'il est mauvais ? Non, c'est juste différent et donc...

Vous ne pouvez pas dire que c'est un mauvais film, j’imagine *rires*

*rires* C'est juste différent. C'est juste différent.

Je ne voulais pas vous faire dire quelque chose que vous ne voulez pas dire. Lorsque vous écrivez des scénarios, techniquement, vous commencez par l'intrigue ou par les personnages ? Quelles sont les choses les plus importantes à mettre en place en premier lieu ?

La vérité est que c'est différent à chaque fois. J'aimerais pouvoir dire « voici mon processus et comment vous passez d’une idée à un film. » Si je pouvais suivre ce processus à chaque fois, ce serait beaucoup plus facile. Mais la vérité, c'est que les idées sont mouvantes. Ce professeur de l'AFI qui m’a dit « vous devez écrire votre propre voie pour devenir scénariste », il avait une autre phrase qui m'a vraiment marqué : il m’a dit que l'art, la réalisation et l’écriture, « c'est sculpter de la putain de vapeur. » C'est vraiment délicat. C'est vraiment fragile. L'art, l'émotion et la canalisation de quelque chose que vous ressentez en quelque chose que les gens peuvent tenir dans leurs mains ou regarder sur un écran et qui se traduit par le processus artistique de sa création : c'est fragile. Ça peut se briser très facilement. Il faut en prendre soin. Pour cette raison, j'ai découvert qu'il n'y a pas de chemin tout tracé, jamais. Parfois, un peu.

Maintenant, je réponds enfin à la question après ce long laïus. Parfois, j'ai un personnage qui ressent une émotion et je ne sais pas ce qui lui arrive, mais le personnage est si fort dans ma tête que c'est presque comme si je m'asseyais avec lui et que je l'écoutais, que je le suivais et qu'il m'expliquait ce qui se passait. Il y a d'autres fois où j'ai commencé par la prémisse. Project Power a commencé par la prémisse. L'idée de départ était qu'il existe cette petite pilule, une drogue illégale qui, lorsqu'on la prend, défonce et donne un super-pouvoir pendant 5 minutes. Le problème, c'est qu'on ne sait pas quel pouvoir on va obtenir, que tout le monde a un pouvoir différent et qu'il y a 75 % de chances que ce pouvoir nous tue. À partir de là, je me suis dit : « OK, comment cela changerait-il le monde ? Et qui sont les personnages qui pourraient en faire partie ? » L'idée est venue en premier, puis les personnages se sont rajoutés. C'est donc à chaque fois un peu différent. D'un côté, ça rend les choses passionnantes parce que je dois toujours évoluer, apprendre et trouver de nouvelles idées pour les mettre sur une page. D'un autre côté, c'est terrifiant parce qu'à chaque fois je me dis « Oh mon Dieu, je n'ai aucune idée de ce que je fais et je dois tout réapprendre comme si je ne l'avais jamais fait. »

Est-il fréquent que vous soumettiez des scénarios qui sont achetés sans pour autant donner lieu à une série ou à un film ? J'ai vraiment l'impression que l'industrie dépense beaucoup d'argent pour des scénarios qui ne sont pas réalisés.

Ce n'est pas à Hollywood qu'il faut chercher un modèle d'efficacité. Je veux dire, c'est un fait. Faire des films est difficile. C'est vraiment, vraiment difficile. C'est en partie la raison pour laquelle j'aime les bandes dessinées, et je suis sûr que nous y reviendrons plus tard, mais faire un film implique, minimum, 200 personnes. Minimum ! Cela implique une énorme quantité d'argent et il faut que tout le monde soit sur la même longueur d'onde. En général, il n'est pas possible de mettre 200 personnes d'accord. L'espoir est donc de pouvoir tous aller dans la même direction. Et vous savez, nous sommes aussi à une époque où les gens vont de moins en moins au cinéma et où le streaming a vraiment changé les habitudes de visionnage. Nous avons eu une bonne année, avec des films comme Oppenheimer et Barbie. Mais il y a aussi beaucoup de films. Les gens se déplacent-ils encore pour voir des films de super-héros ? On peut dire oui, on peut dire non…

Alors… ça dépend beaucoup, en ce moment.

Oui, tout à fait. Maintenant, ça dépend vraiment. Les gens viennent-ils pour des films originaux ? Ça dépend vraiment. Il semble que si vous faites un film d'horreur, les gens iront le voir. Mais où sont les comédies romantiques ? Je regardais un film de 2002 avec Julia Roberts intitulé Le Sourire de Mona Lisa. Je n'avais jamais vu ce film auparavant, je l'ai regardé récemment et il est génial. C'est un drame très solide de 2002 et je regardais ce film en me disant qu'il ne serait pas produit aujourd'hui. Il n'y a aucun film similaire au Sourire de Mona Lisa qui sort en salle en ce moment. Et si ce film était réalisé aujourd'hui, ce serait une mini-série de 10 heures sur Netflix. C'est ce qu'il faudrait faire. Il n'est pourtant pas nécessaire que ce soit 10 heures. Je suis très heureux de regarder un film de deux heures. Bref, c'est une longue façon de dire que nous vivons une période délicate, mais il y a aussi la difficulté de faire des films, la difficulté d'Hollywood, c'est qu'il y a un conflit entre l'art et le commerce. Les gens qui paient pour les films veulent savoir qu'ils ne vont pas seulement récupérer leur argent, mais qu'ils vont en gagner de plus en plus. Quant aux artistes, ils essaient d'être des artistes et l'argent est moins important. Il y a donc deux camps qui s'affrontent en permanence et qui ne sont pas toujours d'accord. C'est pourquoi, bien souvent, vous pouvez vendre quelque chose, mais cela ne sera pas réalisé parce que tout le monde ne se dit pas que ça peut être de l'art et que ça peut également rapporter de l’argent.

Et avez-vous quelque chose à apprendre de la frustration que nous avons mentionnée juste avant, celle du script non utilisé ou utilisé pour quelque chose de différent ? Est-ce que c'est quelque chose que vous avez appris péniblement à accepter ? Aujourd'hui, si vous soumettez un scénario, vous ne prêterez peut-être pas autant d'attention qu'auparavant au fait qu'il ait été transformé d'une autre manière.

C'est délicat. Je veux dire, il faut faire attention. Il faut faire attention parce que c'est de l'art. Je pense que pour réussir dans ce que je fais, je dois vraiment y mettre tout mon cœur. Lorsque vous mettez votre cœur dans quelque chose, vous vous y attachez. Et si vous cessez de vous y investir, ce n'est plus que de la merde, ce n'est plus que du contenu. Et je n'essaie pas de faire du « contenu ».

C'est une horrible façon de faire. C'est un mot vraiment horrible, oui.

Et ce n'est pas ce que j'essaie de faire. Je connais des scénaristes qui ont 20 ans de plus que moi, qui ont travaillé pratiquement depuis que je suis né, qui ont gagné de l'argent, envoyé leurs enfants à l'école et vécu une vie bien remplie, et qui n'ont jamais réussi à faire un film. Il y a tellement de scénaristes qui travaillent et qui vendent, mais c'est difficile de franchir le seuil pour que le film se fasse. J'ai appris très tôt une leçon : je ne peux pas mettre tous mes œufs dans le même panier. Je ne peux pas mettre tous mes espoirs dans un ou deux projets. Ce que j'ai dit tout à l'heure, si j'écris dix scénarios par an... Je suis encore un peu comme ça, où je peux mettre mon cœur dans beaucoup de choses différentes. Et si quelque chose ne marche pas, je suis blessé, je suis contrarié, j'aimerais que le film se fasse, mais j'ai neuf autres projets auxquels je dois penser et que j'essaie également de faire aboutir. C’est pour ça que mon taux de réussite est beaucoup plus élevé. C'est comme à Las Vegas : vous n'iriez jamais à Las Vegas avec vos économies pour les miser sur un seul jeu. Il y a beaucoup de gens qui vont à Hollywood et qui font cela. Ils ont un seul scénario ou une seule idée et ils pensent que cette idée est la bonne. Et si cette idée ne fonctionne pas, ils sont ruinés. Et devinez quoi ? Ça ne marche pas et ils sont ruinés. Et moi, j'ai réalisé que non, il faut faire beaucoup de paris.


D'accord, passons un peu aux bandes dessinées, nous avons mentionné tout à l'heure le Projet Power avec des super-pouvoirs. C'est donc une partie importante de la culture américaine, et plus particulièrement des super-héros et des comic-books. Êtes-vous un fan de bandes dessinées, de super-héros ? Avez-vous lu des ouvrages qui vous ont inspiré pour Project Power ?

Il y avait juste l’idée. J'ai écrit Project Power à un moment où je ne travaillais pas sur quelque chose comme Batman et où j'essayais encore d'avoir une carrière. Et j'aime les super-pouvoirs. J'aime les super-héros. J'aime les bandes dessinées. J'ai appris à lire grâce aux bandes dessinées. Les bandes dessinées sont mon premier amour. Elles passent avant le cinéma. Et je pense qu'il y avait une part de moi qui se disait « eh bien, j'aimerais que Marvel m'appelle, j'aimerais que DC m’appelle. » Comment pouvais-je attirer leur attention ? Que pouvais-je faire ? Il me semblait donc dangereux d'essayer d'écrire une histoire de super-héros originale. Ces histoires ne sont pas vraiment produites. Et lorsqu'elles le sont, elles ne fonctionnent souvent pas vraiment parce que le public aime leur iconographie. Ils veulent voir Spider-Man, ils veulent voir Batman. Et donc, si vous inventez quelque chose à partir de rien, vous vous demandez : « Mais qu'est-ce que c'est ? Pourquoi est-ce que je regarde ça ? » Je savais donc que je ne pouvais pas faire un film de super-héros, mais que je pouvais faire un film sur les super-pouvoirs.

Les influences de Project Power ont été surtout Collateral et Training Day. Je me suis dit : « Ce serait cool de prendre comme modèle ces films et d'y intégrer des super-pouvoirs. » C'est un peu ridicule à dire, mais c'est un peu l'idée qui m'a fait avancer. Mais c'est venu de l'amour d'un certain type de thriller et de l'idée que « OK, et si vous y ajoutiez un petit côté comic-book ? » Parce que c'était quelque chose que l'on ne voyait pas à l'époque. Cela nous a donc semblé frais et nouveau.

Quelles sont vos bandes dessinées préférées ?

Mon étoile polaire, que je relis en permanence, c'est la série du début des années 2000 que Brian Michael Bendis et Alex Maleev ont consacrée à Daredevil. Honnêtement, j'y reviens peut-être une fois par an parce qu'il y a quelque chose dans cette série qui me donne l’impression… Je la lisais en tant qu'enfant à l'époque, mais quand même...

Vous étiez trop jeune pour ça.

C'était...

Ce n’était pas indiqué M pour Mature sur la couverture ?

Je ne crois pas, parce que ce n’était pas trop sexuel, ce n’était pas trop violent, tous les gros mots étaient floutés. Mais c’était adulte à une époque où Ultimate Spider-Man et Ultimate X-Men étaient lancés en même temps — d’ailleurs, Brian Michael Bendis a fait tout cela en même temps... c'est assez incroyable, quand même. Ce titre Daredevil était juste... tellement plus adulte émotionnellement. C'est ce qui m'a fait dire en le lisant : « Je ne savais pas que les bandes dessinées pouvaient faire ça. » C'est un peu la même chose que lorsque vous regardez une sitcom quand vous êtes enfant et que vous découvrez HBO et que vous vous dites « je ne savais pas que la télévision pouvait faire ça. Je ne savais pas que c'était autorisé. »

De Modern Family à Oz.

Exactement. C'est exactement ça ! C'est vraiment, vraiment, vraiment très important pour moi, parce que… C'est Daredevil, il a les costumes, il saute du haut des immeubles, il y a tous ces trucs géniaux. Mais en fin de compte, c'est tellement centré sur la douleur de Matt Murdoch et ses relations, ses petites amies, son chagrin d'amour. Quand tout cela devient plus captivant que le fait que Daredevil va se battre contre quelqu'un, cela m'a vraiment fait dire « oh, whoa, je veux faire ça. Je ressens des sentiments à ce moment précis et je veux faire en sorte que les gens ressentent aussi ce genre de sentiments. » C'est pourquoi je reviens constamment à cette série.

Vous avez mentionné The Batman juste avant, que vous travaillez sur The Batman Part 2, mais je crois que DC, lorsqu'ils ont fait la promotion de Batman Imposter, ont dit que vous étiez également co-scénariste du premier film The Batman. Pouvez-vous nous parler un peu de la façon dont vous avez participé à ce projet ?

Bien sûr. J'ai écrit et finalement réalisé un film intitulé Mother Android. Lorsque j'ai préparé ce film, je savais que j'avais besoin d'un producteur et je voulais que ce producteur soit un cinéaste. Je voulais que le producteur soit un réalisateur, quelqu'un qui avait réalisé des films que je respectais vraiment et qui pourrait être une sorte de mentor pour moi. La liste des personnes avec lesquelles je voulais travailler est courte. Matt Reeves était tout en haut de cette liste. J'ai envoyé le scénario à la société de Matt et à ses cadres de la Company 6 dans l'Idaho. Ils l'ont lu et c'est ainsi que j'ai rencontré Matt Reeves pour la première fois : il m'a dit qu'il aimait mon scénario, qu'il voulait me conseiller et qu'il produirait mon film. J'étais donc déjà dans la sphère de Matt alors que lui et moi travaillions sur mon film.

Ensuite, il travaillait sur The Batman depuis un certain temps, depuis un an et demi environ. Il travaillait avec son co-scénariste Peter Craig et il est arrivé à un point où il avait presque terminé et avait besoin d'aide pour le troisième acte. Je suis donc arrivé très tard dans le processus, et lui et moi avons passé environ six mois à travailler ensemble pour construire un troisième acte pour le film. J'étais donc présent à la fin et, en raison de la façon dont les crédits du générique fonctionnent à Hollywood, je n'ai finalement pas été crédité sur le film. Et c'est un peu à part, ce qui à l'époque était douloureux, mais seulement parce que j'ai travaillé sur ce truc et j'aimerais voir mon nom là-haut. Mais, en fin de compte, les gens qui avaient besoin de savoir savaient ce que j'avais fait sur ce film. Matt et moi avons eu une très, très belle expérience de travail ensemble, ce qui l'a incité à me demander de revenir pour le deuxième film. Et maintenant, nous y sommes.


Et sur le nouveau, vous serez crédité.

Espérons-le.

Car votre nom n'était pas connu du grand public, mais Hollywood Reporter ou Variety savaient déjà que vous étiez en train de participer à ce film. Pourriez-vous nous expliquer, à nous qui ne sommes pas dans l'industrie cinématographique, pourquoi il faut tant de temps pour réécrire le troisième acte d'un film ?

*rires*

Je comprends que c'est une superproduction, que c'est un film Batman, qu'il y a Warner et tout ça, mais vraiment ? Six mois, c'est énorme pour le troisième acte d'un scénario.

Parce que Matt Reeves vise la grandeur et qu'il est très difficile de faire un grand film. Regardez le premier Batman : c'est une histoire policière, et une histoire policière qui fonctionne vraiment. C'est l'un des types de récits les plus complexes que l'on puisse faire. Vous savez, c'est comme calibrer une montre. Toutes les pièces doivent s'emboîter les unes dans les autres. Et comme il s'agit de Batman, Batman ne peut pas avoir l'air stupide. C'est le plus grand détective du monde. En cours de route, vous obtenez un indice, Batman obtient un indice et le public obtient un indice. Et à chaque fois qu'il reçoit un indice, il doit y avoir une théorie sur ce qui se passe. Cette théorie doit avoir un sens à ce moment-là et le public doit se dire que oui, c'est logique, c'est probablement ce qui se passe, et Batman doit faire de même. Et chaque fois que vous obtenez un nouvel indice, la théorie change. Et toutes les théories en cours de route doivent correspondre à ce qui se passe réellement. C'est donc une histoire qui se superpose à une autre, qui se superpose à une autre, qui se superpose à une autre. C'est donc très complexe. Et parfois, l'écriture prend beaucoup de temps. J'ai écrit des scénarios en une semaine ou deux, mais il y en a d'autres sur lesquels j'ai travaillé pendant des années. Il s'agit donc aussi de savoir ce que le film exige de vous. Et dans le cas de Batman, il exige la perfection. Les gens tiennent vraiment à Batman. Vous êtes l'une des personnes impliquées dans le film, vous voulez que ce soit le meilleur. La barre est donc très haute. Alors on prend son temps et on essaie de faire quelque chose de bien, d'y apporter beaucoup de soin.

Je suppose aussi que vous avez peut-être des réunions avec les producteurs et que vous avez parfois dû réécrire des scènes parce que la production avait besoin de faire des scènes d'une autre manière. Dans ce cas, était-ce vraiment juste vous deux et...?

Oui, c'est une sorte de... une sorte de...

Je ne veux pas vous obliger à rompre un accord de confidentialité, bien sûr !

Oui. Non. Je veux dire : c'est juste un mélange de toutes ces choses. Vous êtes toujours en train de vous battre avec le budget. Vous pourriez faire un film pour 500 millions de dollars que cela ne suffirait toujours pas. Vous avez toujours besoin de plus d'argent et vous devez toujours le faire pour moins, donc vous êtes toujours en train de lutter contre ça. Mais non, je veux dire que dans le cas du premier film Batman, il s'agissait simplement de le terminer, de le rendre agréable et de le rendre juste. Et de trouver cette fin. Ce n'est pas qu'elle était insaisissable, mais elle était complexe. Et je pense que ce film est complexe à des niveaux que les gens ont parfois du mal à voir.

Vous savez, l'une des scènes les plus difficiles que j'ai écrites dans ce premier film est celle où Batman et Gordon entrent dans l'appartement du Riddler après son arrestation. Ils parcourent les registres, ils lisent et il y a tellement de détails. Ils entrent et nous lisons les registres et nous regardons tous les appareils et les bombes. Et puis « oh, il y a une autre note » et on pense que c'est un rat, mais ce n'est pas un rat mec, c’est une chauve-souris là-dedans. Il y a tellement de choses. C'est une longue scène. C'est une scène de 7-8 pages et la plupart des scènes font deux pages. Il y a donc une certaine densité. Et puis Batman entre là-dedans et vous voyez ce mur de coupures de journaux et de photos et Batman qui regarde en pensant « Oh non, il a découvert qui je suis ! » Tout cela doit être transmis visuellement, mais intérieurement. Batman ne se tourne pas vers Gordon pour lui dire « il a découvert qui je suis. »

Ce serait un très mauvais scénario.

Il y a les mauvais scénarios, il y a les bons scénarios, et il y a les grands scénarios. Dans ce cas, c'est teeeeellement dense. Mais quand vous regardez le film, personne ne devrait se dire « wow, c'est tellement dense, comment ont-ils obtenu tous ces détails ? » Ils regardent simplement le film, découvrent les détails et, je l'espère, l'adorent. Car c'est là toute la magie des films. C'est que ça doit avoir l'air facile, même si c'est l'une des scènes les plus difficiles à laquelle j'ai participé, et qu'elle me donne encore des cauchemars quand j'y pense.

Je suppose qu'il est possible d'avoir trop d'exposition ou trop d'informations dans les dialogues, ce qui serait de la paresse dans l’écriture.

Batman, vous savez, c'est un personnage compliqué à écrire. Il est exigeant parce que…

Il ne parle pas beaucoup.

Il ne peut pas. Si Batman commence à trop parler, vous aurez des problèmes. Vous ne voulez pas qu'il monologue. Il faut faire très attention à ce qu'il dit et à la façon dont il le dit. Et ce sont aussi des réalités amusantes pour Batman, où il faut faire attention. Lorsque Matt décrit le fait d'être sur le plateau et de devoir éclairer ce costume de la bonne façon pour s'assurer qu'il a toujours l'air cool, il dit que c'est ridicule. C'est une chose ridicule. Si vous le mettez sous un éclairage fluorescent, comme celui sous lequel nous sommes assis en ce moment, ça aura l'air bizarre. Il y a aussi une version de ça pour certaines scènes, où il faut toujours se rappeler « OK, Batman ne peut pas dire ça et il ne peut pas…" Par exemple : Batman ne peut pas s'asseoir sur une chaise. Ce serait bizarre que Batman s'assoie sur une chaise. Et c'est très spécifique. Lorsque vous écrivez un film normal, vous pouvez faire en sorte qu'un type s'assoie sur une chaise. Tout se passera bien.


La pauvre vie de Batman... qui ne peut pas s'asseoir sur une chaise. *rires* Mais pouvez-vous nous dire comment vous êtes passé de The Batman à Batman Imposter ? Je ne sais pas si vous aviez déjà été contacté par DC avant de rejoindre le projet de Matt Reeves ou si c'était plus... ?

Non, non ! Je les ai suppliés. Je les ai juste suppliés. Comme je l'ai dit, je suis arrivé sur le premier Batman en retard et ce fut une joie totale et une expérience que je n'échangerais pour rien au monde. J'avais tellement d'idées qui ne pouvaient pas s'appliquer au film. Comme je l'ai dit, je n'ai travaillé que sur le troisième acte. Ma contribution a donc été minimale, ce qui ne veut pas dire que je n'étais pas enthousiaste, ni que je n'étais pas en plein rêve. Je me suis simplement rendu compte que j'avais un déluge d'idées et que je n'avais nulle part où les mettre. On a fini l’écriture, Matt est parti faire le film et je suis resté là à me dire « je pense toujours à Batman. » J'ai donc appelé l'une des exécutifs chez DC, Chantal Nong, et je lui ai demandé si je pouvais rencontrer quelqu'un chez DC Comics parce que j'ai toujours aimé les bandes dessinées, j'ai toujours voulu faire une bande dessinée et j'avais toutes ces idées sur Batman sans savoir où les mettre. Je m'attendais vraiment à ce que l'on me dise « non » ou « voici un stagiaire qui sera ravi de vous parler », ce qui aurait été un rêve devenu réalité. Et au lieu de ça, elle m'a répondu « oh mais évidemment mais je vais t’arranger un rendez-vous avec Jim Lee ! »

Avec une telle simplicité. « C'est Jim. Bonjour Jim ! »

« Hé comment tu vas ? » Je lui ai parlé de mon travail sur le film et je lui ai expliqué ce que je voulais faire. J'ai dit : « Ecoutez, je ne veux pas faire de produit dérivé, vous savez, ça n'a rien à voir avec le film, si ce n'est qu'il y a un ton... "

Il y a un ton qui donne vraiment l'impression qu'il pourrait s'agir d'un spin off de The Batman.

Parce que mon Batman préféré — je sais que c'est controversé pour certains — est celui qui semble réel. C'est en partie la raison pour laquelle j'aime vraiment Batman Begins. Les 50 premières minutes de Batman Begins, quand il quitte le bar après s'être fait expulser, qu'il est sur la jetée et qu'il jette son arme à l'eau, puis qu'il monte sur un bateau pour la Chine... C'est un moment où l'on se dit : « Oh, ça semble réel, on a l'impression que ça pourrait arriver. » C'est une émotion très, très excitante. Alors quand j'ai été intégré au premier film Batman et que j'ai vu ce que Matt faisait, je me suis dit qu'il amenait ça à un tout autre niveau de « et si c'était réel? » Des gens ont déjà fait ça dans la bande dessinée, beaucoup avec Batman, ce n'est pas nouveau. Mais j'avais l'impression que, sur le plan narratif, il y avait des choses que je pouvais faire pour que ce soit vraiment différent et stimulant. Les deux choses les plus importantes, c'est que je voulais enlever Gordon et Alfred. Narrativement parlant, quand Batman est dans le pétrin, ce sont les deux gars qui le sauvent et le sortent du pétrin. Je me suis dit que si on les enlevait... Ouuuf... Ce serait dangereux pour lui. Alors, à quoi ça ressemble ? Ce serait juste un gars en colère, effrayant, débrouillard. Juste cette ambiance là…

En vérité, une grande partie de l'influence d'Imposter vient du fait que Matt et moi travaillions tard un soir, que j'ai quitté son bureau et que je marchais dans la rue à Los Angeles. Je regardais les bâtiments autour de moi et je me suis dis « OK, s'il y avait un crime en ce moment même, que ferait Batman ? » J'ai vraiment réfléchi qu’à travers un point de vue réaliste. Je regarde ces bâtiments et je me dis « il n'y a pas de grappin, on ne peut pas monter là-haut, ce n'est pas réel. » Je regarde autour de moi et je me rends compte que « non, ce serait plutôt des vols de voitures. » Si on rendait ça réaliste, ça ressemblerait à Grand Theft Auto, ça serait dangereux. D’où la première séquence de Batman Imposter avec le vol d'un magasin d'alcool, les gars qui braquent une voiture et Batman qui les poursuit en moto, puis un gros accident de voiture et un coup de couteau dans la jambe... Il y avait un tel niveau de brutalité que je me suis dit « OK, on a déjà vu des versions de ça avant, mais j'ai l'impression d'avoir pris le pouls de quelque chose qui est assez nerveux, hardcore et excitant pour moi. »

Qu'est-ce qui vous plaît tant dans la bande dessinée en tant que média ?

Hum... Il y a beaucoup de réponses différentes à cette question.

Vous pouvez développer.

OK. Je pense que la première réponse est que, comme je l'ai déjà dit, la réalisation d'un film implique au moins 200 personnes, alors que pour une bande dessinée, c'est à peu près 5. Il y a juste moins de monde. Les bandes dessinées sont beaucoup moins chères à réaliser que les films. C'est pourquoi les enjeux sont moins élevés, ce qui permet d'être beaucoup plus audacieux et de prendre des risques, car il y a moins de gens qui viennent foutre la merde dans ce que l'on essaie de faire. Du coup, quand je regarde mes bandes dessinées en tant que scénariste, j'ai vraiment l'impression que c'est ma voix et qu'il y a beaucoup moins de filtres. Elle n'a pas eu à passer par 200 personnes pour être diffusée. Elle a dû passer par quatre autres personnes. Et il est beaucoup plus facile de mettre quatre personnes sur la même longueur d'onde que 200 personnes. 

Cela donne le sentiment d'être moins bridé, et c’est est plutôt merveilleux. Et puis, comme je disais, j'ai appris à lire dans les bandes dessinées. Et je trouve que la combinaison de la lecture et des images fait quelque chose à votre cerveau. C'est comme si vous regardiez un film, ça devient vivant. Tous ceux qui lisent des bandes dessinées connaissent ce sentiment, ce n'est pas tout à fait lire ni vraiment regarder un film, c'est quelque chose d'autre qui fait danser l'imagination d'une manière extraordinaire. Et j'aime aussi le fait que les bandes dessinées peuvent être tellement de choses. Vous voyez ? On parle beaucoup des bandes dessinées de super-héros, mais il y a tellement de types de BD. C’est un média qui se réinvente constamment de manière très, très excitante. Il y a donc beaucoup de raisons d'aimer la bande dessinée. Comment ne pas l'aimer ?


Je suis d'accord avec vous, sinon je ne serais pas là, évidemment. Il y avait aussi une idée très forte dans Batman Imposter qui est que Batman est opposé à une autre version de lui-même, mais avec une différence très significative : il tue. C'est aussi un point de vue très provocateur sur le personnage que Batman tue. Nous avons vu d'autres versions de Batman tuer dans les bandes dessinées. Qu'est-ce qui rend cette ligne de conduite si intéressante pour vous ?

Je pense que c'est en partie parce qu'il y avait une opportunité d'être méta et de faire des commentaires sur le personnage. Il y a des gens qui aiment vraiment un Batman super violent, qui assassine les gens. On dirait presque ce qu’ils aiment vraiment c'est le Punisher. Mais ce n'est pas Batman pour moi. C'était donc l'occasion de dire « OK, il va y avoir deux Batman et ils vont être en guerre l'un contre l'autre, et c'est ça l’histoire. » Mais c'est aussi l'histoire de Batman dans notre culture actuelle. Il y a donc quelque chose d'amusant là-dedans. Et puis, il y a une autre qualité méta... Il m'arrivait d'aller sur Twitter et...

Vous ne devriez pas faire ça.

Oui, oui, c'est une erreur. *rires* C'est une erreur, j'essaie de m'en sortir. Mais les gens postent toujours ces mèmes de Bruce Wayne qui préfère enfiler un costume de chauve-souris et frapper des sans-abri plutôt que d'aller en thérapie. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose de drôle là-dedans. Envoyons Bruce Wayne en thérapie. Prenons ces choses qui sont un peu dans la culture et poussons-les jusqu'au bout. Batman tue-t-il ? Batman ne tue-t-il pas ? L'un des fils conducteurs de Batman Imposter est l'ambiguïté qui règne pour les citoyens de Gotham à la fin de l'histoire, lorsqu'ils se demandent qui était l'imposteur et qui était Batman. Personne ne le sait, personne ne sera d'accord sur ce point. Si j'ai l'occasion de faire une suite à Batman Imposter, ce sera l'une des choses avec lesquelles je m'amuserai.

Les gens ne font plus confiance.

Nous ne sommes plus sur la même longueur d'onde. C'est le cas dans l'histoire et c'est aussi le cas dans le monde qui entoure les personnages. Nous ne sommes tout simplement pas sur la même longueur d'onde à propos de... Et d'ailleurs, je pense que c'est très bien, parce que c'est un personnage qui a plus de 80 ans et qui est ouvert à tant d'interprétations différentes. Mais vous voyez des gens vraiment en guerre parce qu'ils s'intéressent beaucoup au personnage. Alors on se demande « qu’est-ce qui fait que Batman est Batman et qu’est-ce qui fait office de point de rupture pour vous ? »

Et c'est peut-être aussi à cause de cette volonté d'être dans un monde plus réel que vous avez fait un Batman qui a vraiment des tunnels souterrains et qui vole des motos pour aller d'un point à un autre. On a vraiment l'impression qu'il est déjà fou de faire tant de choses dans cette ville juste pour pouvoir aller d'un point à un autre. Vous avez également mentionné que vous ne vouliez pas de Gordon ou d'Alfred, mais pourquoi avez-vous Leslie Thompkins comme personnage sur lequel il peut vraiment compter ?

J'avais l'impression qu'il fallait un personnage capable de le rappeler à l'ordre. Gordon ne le fait pas vraiment. Alfred le fait, mais d'une manière aimante. Et elle pourrait être ce personnage, parce que c'est un peu différent de ce à quoi les gens sont habitués. On a l'impression qu'il a besoin de rencontrer sa moitié. Il a besoin de rencontrer quelqu'un qui le fasse rentrer dans le rang pour un petit moment. Je ne sais pas, j'ai toujours aimé le personnage et je me suis toujours dit : « Pourquoi ne voit-on pas plus d'elle ? » J'ai l'impression qu'elle va et vient et donc, encore une fois, j'ai senti que c'était l'occasion de faire quelque chose de frais et d'un peu nouveau tout en prenant des choses que les gens connaissent et reconnaissent, mais qui ne sont pas si dépendantes de ça. Je pouvais réinventer Leslie et en faire quelque chose d'un peu différent sans que les gens me crient dessus. C'était très amusant. C'était très amusant de prendre le mème de Bruce Wayne qui devrait suivre une thérapie et de se dire « ok, voyons ce que ça donne. » Écrire ces scènes a été très amusant.

Disclaimer : la question après celle ci-dessous aborde un point de la fin de Batman : Imposter. On vous conseille de scroller si vous ne l'avez pas encore lu !

Ai-je raison de voir un commentaire sociétal dans Batman Imposter ? Parce que je pense que vous évoquez l'impact que Batman peut avoir sur l'économie de la ville ou même sur la politique sociale. Quel est votre point de vue sur ce personnage ? Devrions-nous avoir un vrai Batman ?

Certainement pas. On a l'impression que le personnage se ferait tuer très vite. Je veux dire que c'est ça le problème : on veut que ça ait l'air réel, mais ce n'est pas réel parce que si c'était réel, Batman se ferait tuer dès le premier soir ou il serait arrêté ou il y aurait beaucoup de gens blessés ou tués. C'est pourquoi je reviens à Bendis et Maleev et à Daredevil, où je pense que pour moi, il y a du réalisme et il faut se demander à quoi cela pourrait ressembler si c'était réel. Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est que ce soit émotionnellement réel.


A propos de la brutalité policière, il m'a semblé que vous aviez quelque chose à dire sur la police parce que, à la fin, nous apprenons que le faux Batman vient des forces de l’ordre et est débattu tout au long du livre le sujet de la brutalité policière. Cela fait certainement écho à ce qui s'est passé aux Etats-Unis, mais aussi en France. Avez-vous voulu prendre position sur ce sujet ?

Gotham est un ville vraiment corrompue, c'est un endroit malfamé. C'est la raison d'être de Batman. Je suis sûr que beaucoup de gens connaissent des flics… Il y a des gens que je connais qui sont flics et à qui je dis " ohh mec, tu ne devrais pas être flic " et puis il y a d'autres flics que je connais et où je me dis « c'est quelqu'un de bien. » C’est délicat parce que nous vivons une époque où nous sommes confrontés à beaucoup de fascisme et d'autoritarisme... À quoi sert la police en ce moment ? Est-elle une force au service du bien ? Selon l'endroit où l'on se trouve dans le monde, où l'on se trouve dans son pays, la réponse est peut-être oui, peut-être non. Je ne sais donc pas. Pour moi, l’idée était qu'il devait y avoir deux côtés à cela. D'un côté, il y a l'identité de l'imposteur, ce type, Hatcher, dont on sait ce qu'il fait. C'est comme s'il blâmait Batman pour la détérioration de la ville et qu'il nettoyait ses dégâts. Il est donc totalement légitime, il pense que c'est la loi et l'ordre qu'il faut défendre. Et pendant ce temps, il y a Blair Wong qui est détective, qui est compétente, qui suit son chemin et qui essaie de faire ce qu'il faut. Plutôt que de dépeindre la situation en disant « ohh comme les flics sont bons » ou « les flics sont mauvais », je pense qu'il faut se mettre dans la réalité, qui est : c'est juste un putain de bordel là-dehors et c'est difficile de peindre les choses en noir et blanc. Cela vous met rapidement dans le pétrin.

me Batman lui pose la question « penses-tu qu'il vaudrait mieux que je ne sois pas là ? Dans ce cas, j’arrêterais. » Mais elle ne répond pas à cette question parce qu'elle ne sait pas... Je veux dire, est-elle sûre que Batman est une mauvaise chose dans ce monde ?

L'avenir nous le dira, nous verrons. J'espère avoir l'occasion d'écrire d'autres Blair Wong.

En termes de structure, vous avez réalisé une histoire en trois épisodes. Je ne sais pas si c'est grâce à vos compétences en matière d'écriture scénaristique que vous avez voulu faire comme un film en trois actes en termes de bande dessinée...

Oui, tout à fait. C'est ma première bande dessinée, donc apprendre à écrire une bande dessinée, tout en me disant que ça va être Batman et que les gens vont la lire et s'y intéresser vraiment et que je vais faire des choix importants à propos du personnage… Pour moi, il était important de ne pas essayer de réinventer la roue en ce qui concerne la structure. Le début, le milieu et la fin sont donc très simples. J'ai dit qu’il me fallait juste trois numéros et que je trouverai comment raconter ce que j'essaie de raconter. Mais acte un, acte deux, acte trois, oui, c’est exactement ça.

Dernière chose, également, à propos du choix de l'artiste. Vous avez été associé à Andrea Sorrentino. Était-ce le choix de l’éditeur ? Le vôtre ? Vous vous êtes renseigné sur les artistes disponibles ?

J'ai d'abord rencontré Jim Lee et ensuite...

J'aime beaucoup la façon dont vous pouvez dire que...

C'est juste... C'est toujours...

« Bonjour Jim ! Peux-tu aller me chercher un artiste s'il te plaît, Jim ? »

*rires* En allant à cette réunion avec lui, j'étais si nerveux. J'ai passé du temps avec des célébrités à Hollywood et tout, et à un moment vous arriviez à un point où vous êtes un peu au-dessus de tout ça. Je transpirais à l'idée de m'asseoir avec Jim Lee. C'était l'une de ces rencontres où j'étais vraiment nerveux. C'est l'un de mes héros. J'aime cet homme depuis que j'ai cinq ans. C'est intimidant. Alors non, ce n’était pas du tout en mode « hé ouais, je me suis assis avec Jim ! » J’en suis toujours un peu à me demander comment cela a bien pu se produire. Comment est-ce arrivé ? Après cette première rencontre, j'ai commencé à travailler avec un éditeur nommé Mark Doyle. Il n'est plus à DC, mais...

Un super éditeur !

Oui, Mark est génial. Et il a joué un rôle important dans l'élaboration de ce bouquin. J'ai décrit à Mark - je n'arrête pas d'y revenir - à quel point j'aimais Bendis et Maleev et leur Daredevil, et j'ai dit « tu sais, je veux que ça ressemble à ça, c'est mon étoile polaire, c'est ce que je vais faire. » L’art d'Alex est un peu grinçant, et j'ai passé beaucoup de temps à parler des visages et des yeux, des ombres et de l'impression d'être dans un roman noir, et Doyle s'est tout de suite dit « Andrea. Andrea Sorrentino. Allons le chercher. »

Vous n'étiez donc pas nécessairement familier de son travail ?

Non, je connaissais Andrea, mais c'était l'idée de Mark. À la seconde où il l'a dit, je me suis dit que c'était génial ! Encore une fois, c'est ma première bande dessinée, donc je ne sais pas comment tout cela fonctionne. Je ne sais pas qui nous pouvons ou ne pouvons pas avoir, qui va en avoir quelque chose à foutre. Alors non, j'ai eu teeeeeellement de chance de travailler avec Andrea parce que — je le dis tout le temps — c'est un magicien. Il me met tellement en valeur dans ce bouquin parce que...


Oui, c'est aussi une question que je me posais parce que je suppose, en suivant le travail d'Andrea depuis un certain temps, que vous n'écrivez pas tous les cases. Quand il essaie de faire une double page avec des symboles partout, vous ne les écrivez pas directement sur le script j’imagine ?

Ce qui est génial avec Andrea, c'est qu'il y a des pages où j’ai décrit chaque case et parfois Andrea l’a fait comme je l'ai écrit et c'est génial. Il y a des moments où j’ai décrit chaque planche et où Andrea en a fait une partie et a changé certaines choses. Les changements étaient tellement bons qu'ils ont rendu le tout 50 fois meilleur. Et puis, il y a aussi des moments où j’ai décrit quelque chose mais Andrea n'en fait rien et à la place il fait ce qu'il putain de veut. Il y a certaines de ces doubles pages où il est devenu complètement fou. Il n'y a pas d’autre moyen de le décrire. On dit juste « oui, merci ! » Je lui ai juste dit merci. Au moment où j'écrivais le troisième — parce que, vous savez, j'ai écrit le premier numéro, puis il l'a dessiné, j'ai appris comment il travaillait et quels étaient ses points forts, et ensuite j'ai juste voulu jouer sur ces points forts — j’ai essayé de vraiment exploiter ses qualités dans le scénario. Dans le troisième, il y a quelques doubles pages où j'ai arrêté d'essayer de décrire trop de choses et où j'ai préféré lui donner une idée de l’ambiance et je décrivais les informations essentielles que nous avions besoin de transmettre et c'est tout. Puis je lui disais « vas-y, j'ai hâte de voir ce que tu vas faire. »

Fais ta magie.

Oui, c'est ça.

Est-ce que je me trompe si je dis que vous travaillez peut-être sur une suite à Batman Imposter et qu'elle pourrait même être annoncée ou sortir à un moment donné ? Nous avons également plus de développements sur The Batman Part Two ?

Est-ce que vous vous trompez ?

Je me trompe ?

Vous vous trompez.

Peut-être.

Peut-être. Ce n'est pas pour tout de suite, mais... Ce n'est vraiment pas pour tout de suite, mais je parle tout le temps aux gars de DC Comics. Je suis très clair avec eux. Je veux vraiment revenir et faire une suite à Batman Imposter. Je veux vraiment continuer avec Andrea, avec Jordie Bellaire. Je veux que cette famille reste unie et j'adorerais poursuivre notre petit univers parallèle, mais je dois d'abord m'en tenir au film.

Très bien. Merci beaucoup, Mattson. Ce fut un réel plaisir de discuter avec vous. Et ce sera un autre plaisir de discuter plus tard avec Lee Bermejo à propos de Vicious Circle, parce que nous devons encore parler de ce monstre de bouquin. Merci beaucoup. À tout à l’heure.

Merci de m'avoir reçu.

Arno Kikoo
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