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Spawn #350 et l'expansion du Spawn Universe : la grande interview avec Todd McFarlane !!

Spawn #350 et l'expansion du Spawn Universe : la grande interview avec Todd McFarlane !!

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Ce n'est quand même pas bien banal, il faut le reconnaître, de pouvoir recevoir à quelques mois d'intervalle un aussi grand créateur que Todd McFarlane. Le papa de Spawn est pourtant bel et bien de retour dans nos colonnes en ce début d'année 2024 ! En cause : l'arrivée prochaine de Spawn #350 et la sortie sur les prochains mois d'une dizaine de titres qui avaient été annoncés depuis la New York Comic Con de l'an passé. 
 
Nous avons donc l'immense plaisir de vous proposer cette longue discussion (une bonne heure) avec Mc Farlane où il sera surtout question de processus créatif et de gestion éditoriale. Mais vous le constaterez, Todd McFarlane peut faire des digressions assez incroyables, et on vous met également en ligne la version audio de cette interview afin que vous puissiez en profiter si vous êtes parfaitement anglophone. On vous rappellera l'importance des partages au vu de la rareté de ce type d'évènement pour un média français, en vous souhaitant une bonne lecture, et/ou une bonne écoute !
 
 
Remerciements à Shannon Bailey, Bonnie Shouse ainsi que Corentin pour la traduction/retranscription de cette interview !



 
AK : C'est un plaisir de vous avoir à nouveau avec nous, Todd McFarlane. Nous avions déjà discuté il y a quatre mois, en octobre si vous vous en souvenez...

TM  : Oui !
 
AK : Et c'est très sympathique de votre part de prendre le temps de parler avec un simple journaliste français qui aime écrire sur les comics. Il me semble que vous avez d'ailleurs multiplié les prises de parole récemment... Une envie personnelle de passer plus de temps à faire la promotion de votre travail, de vos univers ?

TM : Je pense qu'il faut être capable de choisir le moment et le lieu, quand on essaye d'attirer l'attention des médias. Tu vois ? Si on va les voir constamment, en espérant qu'ils vont être enthousiastes à chaque fois, je pense que ça aura plutôt un effet négatif. Moi, ce que j'essaye de faire, c'est d'avoir quelque chose d'intéressant à raconter quand je prends contact. Et ça peut prendre six mois à un an avant que j'ai de nouveau un truc qui mérite qu'on en parle. Là, il y a Spawn #350, les trente ans de la compagnie de jouets... Ce sont des choses qui me montent à la tête et qui ont besoin de hurler un peu. 
 
AK : J'étais impressionné, d'ailleurs, parce qu'il n'y a pas tant que ça de créateurs qui sollicitent volontairement les échanges avec la presse. Même lorsqu'ils ont quelque chose à défendre. 

TM : Pour leur défense, tout le monde n'occupe pas la même position que moi. J'ai cette chance. A travers les entreprises que je gère (ndlr : Todd McFarlane Productions, McFarlane Toys), j'emploie beaucoup de gens. Et pendant que moi je dessine et que j'écris, il y a ces gens autour de moi qui font en sorte que certaines choses se mettent en place. En toute honnêteté, je ne pense pas que que les créateurs dont tu parles ne "veulent pas" faire des interviews, mais ils n'ont pas forcément le temps, ils doivent d'abord avancer sur leurs propres projets. Ils travaillent ! S'ils avaient une équipe pour les aider, ils auraient plus de temps. Et moi j'ai le privilège d'avoir une bonne équipe qui peut m'aider à gravir la colline à chaque fois qu'on lance quelque chose.
 
AK : Très bien. Donc, nous approchons de la date de sortie de Spawn #350. Nous en avions parlé la dernière fois, mais c'était encore assez lointain. Le communiqué de presse évoque un événement déterminant, à la fois pour la série en elle-même, mais aussi pour l'ensemble du "Spawn Universe". On parle d'un élément de scénario installé depuis deux cent numéros...

TM : Deux cent cinquante ! Lors de la sortie de Spawn #100, le trône de l'Enfer était laissé vacant. Et il l'est resté depuis tout ce temps. Je me suis approché du sujet de temps à autres. Mais ce n'est que très récemment que quelqu'un dans cet univers a réalisé que si l'on s'assied sur ce trône, si on s'approprie ses capacités, alors on est en mesure de multiplier ses propres pouvoirs. Une fois que cette information a été donnée, certaines figures de la série ont réalisé que... s'ils ne sont qu'à cette distance du degré de pouvoir de leur ennemi (ndlr : Todd McFarlane fait un geste avec les mains), et que je peux doubler, ou tripler cette somme de puissance (ndlr : le geste avec les mains mime une amplification), alors je deviens le grand patron (ndlr : Todd McFarlane frappe dans ses mains). On aura la réponse dans Spawn #350. On va enfin savoir qui va s'asseoir sur le trône.
 
Et je pense que ce numéro sera une bonne porte d'entrée pour les acheteurs curieux. Pour plusieurs raisons : d'abord, parce que le numéro sera magnifique. Brett Booth et Carlo Barberi ont livré des pages superbes. Du gros niveau. Et la mise en couleurs est formidable, et Rory McConville a produit un très bon scénario. Le numéro fera quarante pages. Au prix de 4 dollars et 99 cents. D'accord ? Il y a énormément de comics ici aux Etats-Unis qui ne durent que vingt pages et qui sont vendus à ce prix là. Moi je vous en donne quarante (ndlr : Todd McFarlane fait un deux avec la main gauche et un quatre avec la main droite). Pour le même prix. Oubliez même le contenu, je vous en donne deux fois plus pour le même prix. Et ce sera de la grande qualité, ce sera un numéro anniversaire, et vous aurez la réponse à une question qui entoure la série depuis deux cent cinquante numéros... Et ! Lorsque vous aurez cette réponse (et vous l'aurez), celle-ci aura un impact conséquent sur toutes les séries que je publie à partir de ce point. Cette personne qui s'est assise sur le trône deviendra le catalyseur de l'ensemble de la planète. Je ne sais pas pour vous, mais pour 4 dollars 99 ? Moi je trouve qu'on peut faire pire que ça !
 
AK : Et le prix des prochains numéros sera maintenu à 2,99 dollars par la suite ?

TM : Oui !
 

 
AK : Donc ça, ça ne changera pas. Je me demandais, en terme de structure narrative, comment avez vous organisé la résolution de cet élément de scénario après toutes ces années de suspense ?

TM : Alors... tu vois, lorsque le numéro #301 est sorti, et que ça a été le moment où on a commencé à dépasser le record officiel... ça a aussi été le moment d'introduire une sorte de Big Bang dans la saga. Un genre de déchirure temporelle. Et tous ces personnages de différents moments de l'histoire, qui venaient du passé, du futur, se sont tous retrouvés sur Terre dans le présent au même moment. C'est ça qui a marqué le début du "Spawn Universe". Ce numéro est sorti en 2019, et en 2021, j'ai commencé à développer ce concept d'univers étendu, autour de King Spawn, Gusnlinger, The Scorched... Je jouais la montre avec un premier aperçu dans Spawn #301 en attendant de pouvoir avancer là-dessus. Et en commençant à présenter le principe sur certaines couvertures, les gens m'ont souvent posé des questions là-dessus. Je leur répondais qu'ils allaient devoir attendre un peu. "C'est quoi ce machin ? Pourquoi est-ce qu'il y a autant de personnages sur cette couverture ?" tu vas voir, attends.
 
Ensuite, on est passés à l'étape suivante, à savoir, comment introduire les nouvelles séries. De mon point de vue, c'était l'introduction de beaucoup de nouvelles têtes en une seule fois... et je ne voulais pas que le nouveau projet se présente comme un simple team-up. Je ne voulais pas transformer ça en un équivalent des Avengers chez Spawn. Je pense que le héros marche mieux en solitaire. Or, pendant qu'on planchait sur les nouvelles séries, j'avais aussi expliqué aux scénaristes que les vilains avaient besoin d'une petite mise à jour eux aussi. Il fallait leur donner un but, un objectif plus important. Je leur ai donc expliqué que, bon, si ces gars sont aussi assoiffés de pouvoir, il leur fallait une ambition plus conséquente que simple "battre et vaincre Spawn". Et justement : on a ce trône. Ils ont l'opportunité de devenir les nouveaux rois d'une dimension toute entière. S'ils atteignent ce statut, si leurs pouvoirs sont démultipliés, ils pourront même partir en guerre contre les armées du Paradis. On s'en fout de la Terre. La Terre, c'est du gâteau. S'ils arrivent à battre le Paradis, ils deviennent carrément les maîtres de tout l'univers.
 
Alors... l'idée est partie de cet objectif premier, et en cours de route, on s'est simplement mis d'accord pour en faire le point culminant qui allait nous mener vers Spawn #350. Parce que je pense que c'est important d'avoir un momentum précis pour les numéros "anniversaire". 
 
AK : Vous aviez aussi évoqué, via le communiqué de presse, l'idée de faire de Spawn #351 une porte d'entrée idéale pour les nouveaux lecteurs. Et la réciproque s'applique aussi pour les trois autres séries une fois que Spawn #350 sera sorti. Mais justement, la dernière fois, vous m'aviez expliqué que la numérotation n'était pas vraiment importante pour créer des passerelles. Que le retour au numéro #1 était une tactique usée, factice, inefficace. Ma question est donc : comment convaincre le lectorat de monter à bord, comment est-ce qu'on installe l'idée de cette porte d'entrée ?

TM : D'abord, j'aurais à te répondre que la porte s'ouvre surtout avec le numéro #350. Ca commence avec cette histoire anniversaire et... Oh-ho. Est-ce que tu entends le bruit du jardinier dehors ? Ca dérange ?
 
AK : Non, pas de problème.

TM : Super. Je peux me déplacer sinon, dis moi si c'est trop fort. Donc... Spawn #350 va fournir l'élément de réponse, la chute, à une histoire vieille de deux cent cinquante numéros. Mais vous n'avez pas besoin d'avoir lu tout ça au préalable ! Il vous suffit de lire le numéro #350, et tout ce dont vous avez besoin, c'est de comprendre ce simple concept : le trône était vide, et quelqu'un va s'asseoir dessus. Au terme d'une longue attente. Donc vous n'avez besoin que d'un seul numéro. Ou les trois-cent cinquante si vous voulez, mais ce ne sera pas forcément la peine d'avoir lu le reste. Une fois que vous aurez eu la réponse... et vous aurez cette réponse... vous êtes à table et vous vous dites "Waouh ! Je n'ai besoin que d'un numéro pour en comprendre des centaines d'autres !" Et cette réponse est la conclusion à cette question. Mais à l'exact même moment, c'est un recommencement, parce que la personne qui prend ce pouvoir va avoir une influence sur tout ce qui se passe ensuite, à partir de là.
 
Donc vous aurez dans le même numéro la fin et le début de quelque chose. Spawn #351 et les autres séries du groupe marchent plus comme une sorte de suite naturelle à cet événement (ndlr : Todd McFarlane mime le mouvement d'une suite naturelle). Si vous remarquez une différence dans ces différents titres, vous saurez immédiatement que c'est parce qu'il s'est passé quelque chose dans Spawn #350. Vous pouvez monter à bord et suivre la suite des événements, en sachant d'où tout ça part. "Pourquoi les choses se passent comme ça ? Oh, à cause du numéro #350, ça marche, je comprends."
 
Ca n'a rien de fondamentalement différent de commencer par le numéro #301. Si vous avez acheté le numéro #300 et le numéro #301, vous savez pourquoi il existe autant de personnages dans le Spawn Universe dorénavant. L'histoire vous explique bien pourquoi le Medieval Spawn ou le Gunslinger Spawn se baladent dans le présent. Vous comprenez, et il vous a suffit de lire une paire de deux numéros. Boum. A cause de la déchirure temporelle. Ce sera pareil pour le #350.
 

 
AK : J'imagine que vous devez organiser des réunions avec les autres scénaristes, pour vous mettre d'accord sur la direction à donner à l'univers, sur les événements à venir. Et dans le même temps, vous devez aussi leur laisser la liberté de créer leurs propres histoires. Est-ce que cet équilibre est difficile à manoeuvrer ? Même s'il y a déjà eu des exemples de ce genre de choses dans vos différentes séries par le passé, on a l'impression que le degré de variation n'a jamais été aussi important.

TM : Je dirais que... Le plus difficile, c'est d'essayer de préserver les éléments les plus importants de la mythologie. Maintenant, une fois qu'on a dit ça, j'essaye aussi de faire en sorte que les scénaristes ne soient pas esclaves du passé, de tout ce qui a déjà été écrit. D'accord ? Je ne veux pas qu'ils se disent "Todd a fait ce truc là il y a dix ans, donc il faut qu'on se tienne à ce qu'il a établi", ce n'est pas ce que je recherche dans leur travail. 
 
AK : D'autant que ce passé représente un certain volume de travail, dans le cas de Spawn. Avec trois cent cinquante numéros à considérer...

TM : Bien sûr ! Et mon boulot, c'est d'abord d'écouter les idées des auteurs. De comprendre ce qu'ils veulent. Parce que c'est à eux d'inventer leurs propres histoires. Et dans un second temps, parce que je suis en quelque sorte le grand cartographe de cet univers, mon travail ne va pas tant être de leur dire "tu ne peux pas faire ça" ou "ça ne s'intègre pas dans le canon", mais plutôt de trouver une façon d'intégrer leurs plans d'une façon à ce que tout fonctionner. Et de les encourager ensuite.
 
Je vais te donner un exemple : quelqu'un a eu l'idée de prendre un personnage, et de le marier avec un autre personnage, parce qu'il avait cette idée qui fonctionnait pas mal. C'était intéressant, c'était même plutôt bon. Le problème, c'est que l'un des deux était déjà marié. Il ne s'en rendait pas compte parce qu'il n'avait simplement pas lu l'ensemble des tomes déjà sortis. Mais dans ce cas là, ça coinçait. Alors, je lui ai dit qu'il fallait faire en sorte d'écrire un divorce au préalable... ou alors, un décès. En gros, débrouille toi pour "démarier" le personnage en question. Et à partir de là, tu peux faire ce que tu veux. 
 
J'aimais cette idée, j'aimais ce plan de bataille, à partir du moment où on contourne cet obstacle en chemin. Et ensuite, je lui ai aussi présenté un autre cas de figure : et si ce mariage avait lieu, mais avec un personnage différent ? Et si on prenait cet autre personnage, est-ce que ton plan pourrait encore s'appliquer ? (ndlr : Todd McFarlane réalise une gestuelle complexe pour signifier qui est marié et qui ne l'est pas avec ses doigts). Partant de là, j'ai laissé l'auteur choisir un autre élément dans le catalogue pour faire en sorte que tout ça se mette en place convenablement. Dans tous les cas, on allait faire cette histoire, mais il fallait organiser ça de manière à ce que ça reste cohérent dans l'historique. Et comment on ne peut pas être marié avec deux personnes à la fois, donc... Voilà. C'est un exemple tout bête, mais c'est le genre de choses auxquelles je me confronte de temps en temps. Ou alors parfois, je dis "Hey, ce que tu fais là, avec ses super-pouvoirs... En fait, il ne peut pas faire ça." Ou "Elle ne peut pas faire ça. Je peux te donner les numéros en question mais... Grosso modo, il va falloir que tu greffes un élément qui explique comment elle a appris ce nouveau pouvoir." D'accord ?
 
Encore une fois, l'idée est que chacun fait ce qu'il veut, du moment que la continuité reste en bon état. Pas plus !
 
AK : Et toute cette chronologie, vous arrivez à la garder en tête, ou est-ce que vous avez une bible de l'univers par écrit ?

TM : Le gros des informations, je les ai en tête oui. Mais c'est vrai que parfois, quelqu'un va me parler d'un truc que j'ai écrit et dont je ne me souvenais plus du tout ! "Hein quoi ? J'ai fait ça, moi ?" (rires) De mon point de vue, les détails restent moins importants que les concepts dans les histoires. C'est ça qui doit rester notre priorité commune. Les concepts, par exemple, c'est la relation parallèle entre l'Enfer et le Paradis, qui représente exactement la même chose en réalité. Chez Spawn, il n'y a pas cette idée du bien et du mal. On peut avoir une histoire qui, une fois que tout est dit et qu'il est temps de conclure, présente un personnage de l'Enfer comme une figure positive. Et où un personnage du Paradis est une figure négative. Ces deux idées sont interchangeables de mon point de vue. La théorie de l'Enfer et du Paradis, pour te simplifier le truc, c'est quelque chose que j'ai dit par le passé : les deux boîtes ont la même logique, mais l'une des deux a simplement un meilleur département marketing.
 
Ensuite, si on dresse une sorte de liste, ça reste deux factions avec les mêmes objectifs (ndlr : Todd McFarlane mime une liste avec ses mains). Dieu au Paradis et Satan en Enfer. L'un et l'autre veulent dominer leurs ennemis. Check, check. Devenir les leaders incontestés du temps et de l'univers. Check, check. Je veux que les habitants de la Terre ploient le genou sur ma volonté. Check, check. D'accord ? Et pour accomplir ces objectifs, je vais créer mon armée, avec les anges d'un côté et les démons de l'autre, et tenter d'influencer les humains pour qu'ils adhèrent à ma version des faits. Check, check. Quand on dresse cette liste, pour moi, ça revient à dire qu'ils représentent la même chose. Deux factions pour la domination. La mission de Spawn a toujours été... et je tiens à dire que je ne suis pas religieux tu sais, tout ça m'est complètement étranger. Donc Spawn reflète mes convictions, en quelque sorte. Il n'adhère ni à l'Enfer, ni au Paradis, il ne veut appartenir à aucun des deux camps. Ou à rien de tout ça. Barrez vous de la Terre, foutez la paix aux humains, et laissez nous vivre nos vies tranquilles. Bons, mauvais ou sans opinion. Oui, nous avons des failles, et nous ferons des erreurs, mais nous les ferons sans vous. Nous n'avons pas besoin d'être enclavés dans toutes ces énormes conneries qui se passent en haut ou en bas.
 
Et donc, Spawn ne favorise pas un camp par rapport à un autre. D'ailleurs, ma version du "Paradis" n'est pas un environnement pur ou parfait, à aucun moment. J'aurais envie de dire que la Bible n'est rien d'autre que le travail d'un escroc. Et c'est ce que je montre dans mes comics : pour moi, le Paradis n'a rien à voir avec le portrait qui en est fait dans la Bible, c'est juste du marketing. Ca fait partie de l'argumentaire commercial. Tu vois. Et on adhère à ça. On a cette tendance à tomber dans le jugement... alors qu'on est les premiers à dire qu'il ne faut pas "juger un livre à sa couverture", comme nos parents nous l'ont enseigné. Alors qu'on fait ça tout le temps ! Chaque jour de notre vie. Je ne sais même pas pourquoi nos mères se sont emmerdées à nous dire ça - surtout que ce sont les premières à poser un jugement ! (rires) 
 
Donc voilà la théorie. Il y a l'Enfer, il y a le Paradis, et il y a un élément en plus. Qui surplombe tout ça. Et j'ai commencé à introduire cette donnée : c'est Mère Nature (ndlr "Mother Nature"). Mère Nature est plus forte que les deux autres factions. Et elle a ces deux fils, Abel et Caïn, qui s'affrontent pour le contrôle de cette boule bleue qu'on appelle la Terre depuis des millénaires... Et qu'est-ce qui arrive quand une mère doit empêcher ses deux enfants de se battre ? Elle confisque la baballe, pour leur apprendre à partager. Alors partant de là, qu'est-ce qui se passe si on décide de descendre dans les entrailles de la Terre... et qu'on réalise que la planète a déjà été détruite trois fois par le passé ? Et qu'à chaque fois, c'était parce que Mère Nature confisquait la balle à ses deux fils pour les punir ? Quelle forme ça prend ? Je vais te le dire. L'air devient irrespirable, l'eau n'est plus potable. La Terre ne peut plus soutenir la moindre forme de vie. Tout s'arrête, tout disparaît. Et comment il n'y a plus rien qui vaille la peine de vouloir la boule bleue, alors Abel et Caïn n'ont plus de raison de se battre. Il n'y a plus d'humains, il n'y a plus rien. Et les deux fils, qu'on décide de les appeler Abel et Caïn, l'Enfer et le Paradis, Dieu et Satan, pour moi, ce ne sont que des enfants. Et ils n'attendent qu'une chose. De voir la vie réapparaître. Refleurir. Au bout de plusieurs millions d'années... 
 
Et dans l'intervalle, ils vont se battre pour être les premiers à remettre la main sur la boule quand la vie commencera à réapparaître. Arno. Essayons de faire quelque chose. Si je te dis : Dieu et Satan ont décidé de former leurs équipes, en s'appropriant l'ensemble des créatures de la Terre. A ton avis, dans quel camp va se retrouver le règle animal ?
 
Le mignon petit lapin ? 
 
AK : Il devrait aller dans le camp du Paradis ?

TM : D'accord. Le rat ?
 
AK : Le rat va en enfer évidemment.

TM : La vipère ?
 
AK : L'enfer.

TM : Ok, faisons encore plus simple : la coccinelle ?
 
AK : Les gens ont une vision négative des insectes en général, donc je dirais l'Enfer.

TM : Ah bon ? Je ne connais personne qui a déjà eu peur d'une coccinelle. Les gens vont même jusqu'à les laisser se promener sur eux (Todd McFarlane mime une coccinelle qui se promène sur quelqu'un avec ses doigts). 
 
AK : C'est vrai. D'ailleurs, en France, on surnomme les coccinelles "la bête au bon dieu".

TM : Voilà ! Alors la coccinelle va au Paradis, d'accord. Alors que si je te dis : le cafard.
 
AK : Celui-là est mauvais.

TM : Oui ! Mais si un cafard avait la capacité... de se peindre en rouge, et de mettre des petites tâches noires sur son dos... peut-être que les gens le traiteraient comme une coccinelle ? Le cafard ne sait pas que c'est un cafard, il n'a aucun impact là-dessus, il est juste né comme ça. Et pourtant, depuis sa naissance, les gens lui disent "je déteste les gars comme toi." Alors que lui n'a pas eu la possibilité de choisir. Et on fait ça avec tous les animaux. Et à long terme, on fait aussi ça avec les êtres humains.
 
Oh, et au fait, il faut que je te parle d'un autre élément de la mythologie Spawn. Le premier être humain qui est mort, dans ma version des faits, il a été au Paradis. Et la personne suivante... et je me fous de savoir qui c'était, ce qu'il avait fait et pourquoi, il a été directement en Enfer. Et ensuite ? La personne suivante, Paradis. La suivante, Enfer. Paradis. Enfer. Paradis. Enfer. Paradis. Enfer. Notre destinée est prédéterminée. Moi, je vais aller dans un endroit... qui sera juste l'exacte opposée de là où a été la personne qui est morte avant moi. C'est comme ça que ça marche. Si je passe après un mec qui a été en Enfer, j'irai au Paradis. Si je passe après un mec qui a été au paradis, j'irai en Enfer.
 
AK : Et peu importe de comment vous vous êtes comporté au cours de votre vie ?

TM : Rien ! Rien n'a la moindre emprise là-dessus. Et c'est pour ça que Mère Thérèsa est peut-être en Enfer, alors que Hitler et Gengis Khan sont peut-être au Paradis. C'est juste une affaire de circonstances. Donc qu'est-ce que ça signifie ? Ca signifie qu'à un certain moment de la chronologie, Satan va aller voir Dieu et lui dire... Ecoute... Moi, j'ai Mère Thérèsa. J'ai toutes ces petites vieilles qui vont à l'église. Elles sont super sympas, elles font du tricot et tout. Qu'est-ce que t'en dis ? Je t'en lâche une trentaine. Et en échange, toi, tu me donnes Attila le Hun. Et tu sais ce que Dieu va lui répondre ? Non. Non. Pourquoi ? Parce que tu te souviens de la liste de tout à l'heure ? Mon boulot à moi, Dieu, c'est de débarquer un jour, mon pote et de t'écraser la tronche. Et pour ça, je n'ai pas besoin de Mère Thérèsa. J'ai besoin qu'Attila le Hun soit dans mon équipe. Parce que pour la bataille finale, à la fin des temps ? J'ai besoin de gros balaises dans mon équipe.
 
Il me faut des guerriers, des mecs qui tuent, qui accompliront mes sombres desseins pour pouvoir te vaincre à n'importe quel prix. Alors tu peux te les garder, tous ces gens sympas qui ont juste eu la malchance de tomber chez toi après leur mort. Et moi je vais garder ceux que la loterie a envoyé chez moi. Encore une fois, c'est ce qui fait qu'ils sont aussi identiques. Et ce que tu fais avant n'a aucune espèce d'importance.
 
Oh et au fait Arno ! Juste pour que tu le saches : tout ce que je te dis, là, c'est même pas sujet à débat. La Bible chrétienne t'explique exactement la même chose. Dans les grandes lignes. Deux secondes avant ta mort, si tu acceptes Jésus comme ton sauveur, tu finis au Paradis. Peu importe ce que tu as foutu jusqu'ici dans ta vie. Peu importe ! Tu peux avoir tué, massacré, avoir été condamné à mort, mais si tu acceptes Jésus deux secondes avant de claquer, tu vas en haut. Ce qui veut bien dire que ça n'a aucun sens. Parce qu'à l'inverse, tu peux avoir passé ta vie dans le droit chemin, mais si deux secondes avant de claquer tu changes de route, tu termines en bas. C'est comme ça qu'ils font les règles. Dans leur bouquin. La Bible. Et c'est pas moi qui l'ai écrite ! Mais c'est dedans.
 
Donc non, ça n'a pas vraiment d'importance, le bien, le mal. Les gens pensent que c'est le cas, mais ce n'est pas le cas. La règle c'est juste de choisir deux secondes avant de mourir (ndlr : Todd McFarlane agite frénétiquement deux doigts devant la caméra pour signifier l'importance des deux secondes en question). Tu acceptes Jésus ou tu le refuses et ça détermine où tu vas, pas du tout ton comportement pendant tes quatre-vingt ans de vie. Tout ce que je fais moi, c'est pousser cette logique jusqu'à une certaine extrémité. Mais bref. C'est le genre de trucs marrants avec lesquels je m'amuse depuis trente ans dans les comics Spawn. Donc quand je discute avec les scénaristes, c'est le genre de conversations que j'ai avec eux. Voilà comment ça fonctionne, il y a cet élément, cet élément, etc.
 
Et ensuite, tu ajoutes les trucs comme les Dead Zones. Quatorze en tout. A chaque fois qu'un démon débarque sur Terre, le Paradis peut réorganiser leurs emplacements. Et vice versa. Donc, encore une fois, dis toi que tu joues aux échecs avec ton pire ennemi. Si tu as la possibilité de bouger un des pions à sa place, tu vas choisir une option qui va le mettre en mauvaise posture. Je vais pas mettre ton cavalier sur une case avantageuse, je vais le mettre là où ça te pose problème. Bon, avec le temps, ça a moins d'importance : ils peuvent aller où ils veulent plus vite, avec les avions. Mais il y a des milliers d'années, si je décidais de mettre un gars de l'autre côté de la planète, il n'arriverait jamais à l'endroit où Dieu et Satan avaient décidé de l'envoyer à la base. D'accord ? Dommage. Dommage mais c'est ton problème. 
 
Bref, voilà le genre de trucs qui me passent par la tête.
 
AK : Ca a l'air d'être un endroit chargé !

TM : Arno, je passe mon temps là-dessus depuis trente ans !
 

 
AK : Bien sûr, et j'imagine qu'il faut beaucoup réfléchir à son univers quand on arrive à le faire durer pendant aussi longtemps. Pour revenir la série, on a su que Brett Booth allait reprendre les dessins sur les prochains numéros, pour amener une tonalité plus ouvertement tournée vers l'esthétique des années quatre-vingt dix. Et dans cette perspective de créer cette fameuse porte d'entrée... (ndlr : Todd McFarlane montre quelque chose à Arno depuis son téléphone).

TM : Regarde.
 
AK : Ah, oui, je vois !

TM : Attends, je vais augmenter la luminosité...
 
AK : Oui oui je la vois !

TM : C'est Clown avec Violator. Actuellement, ce sont deux personnages différents, mais ils vont fusionner. Dans une scène super cool. Regarde la page complète.
 
AK : Une bestiole cool.

TM : Oui, une bestiole cool. Regarde ces superbes couleurs. C'est bien hein. Il y en a pour quarante pages comme ça. T'as vu ?
 
AK : Ce que j'essayais de vous dire, c'était donc, lorsque vous pensez amener de nouveaux lecteurs vers Spawn, est-ce que vous pensez à une génération de lecteurs plus jeunes, ou à des gens de mon âge, ou de quarante, cinquante ans, qui auraient peut-être laissé tomber les comics à certaine période et qui auraient peut-être envie de revenir en découvrant que les dessins sont restés pareils à ce qu'ils ont connu dans leur jeunesse ?

TM : Arno... Je m'en tape. (rires) J'accepte tout le monde, peu importe l'heure ou la provenance. Si vous appréciez ce qu'on essaye de faire, je ne vais pas vous juger. Je n'ai pas de cible démographique précise. Si vous avez huit ans, vous pouvez aimer ce comics. Tant que ça va à vos parents. Si vous avez soixante-dix huit ans et que c'est la première fois que vous achetez un comics, bienvenue à bord. D'accord ? Voilà ma réponse : j'accepte n'importe quel genre de lecteur. Prends les choses comme ça. A mesure qu'on avance, on va finir par faire le film Spawn. Et il faut admettre l'idée que 90% des gens qui iront voir ce film n'auront probablement jamais acheté le moindre comics Spawn de toute leur vie. Et peut-être même que 85% d'entre eux n'auront jamais entendu parler de Spawn, du personnage, de son nom. D'accord ?
 
Quelqu'un en Argentine, au Portugal, ou dans ton beau pays. Ils vont simplement se dire "tiens, chouette bande-annonce... le film est écrit par le scénariste du film Joker... c'est produit par le gars qui a produit Get Out, ou un autre des trucs que produit Jason Blum...". Ils vont se dire que l'acteur a joué dans tel ou tel machin, que le metteur en scène a tourné tel ou tel machin. C'est ça qui va les motiver à se déplacer en salle. Leur réflexion va se résumer à l'idée, à la bande-annonce, et aux gens qui ont travaillé sur le projet. "J'ai vu des films avec ces gars là, et (espérons le) c'étaient des bons trucs ! Oh, et le personnage a été créé par le gars qui a conçu le costume de Venom, et moi j'ai vu les deux films Venom au cinéma déjà." 
 
La majeure partie des gens qui vont aller voir le film vont penser comme ça. Maintenant, une fois que tu vois plus loin, une partie de ces gens va peut-être se demander d'où vient le personnage de Spawn. Ceux-là vont se dire "Oh, c'est un comics". Et ils vont découvrir qu'il existe, d'ici à ce que le film soit sorti, quatre bonnes centaines de numéros dédiés à ses aventures. Alors ils vont se dire "Quoi ? Hein, quoi ? Je peux acheter tous ces machins et en avoir encore plus entre deux sorties de films ?" (ndlr : Todd McFarlane mime un enfant dans une confiserie). Oui, bien sûr. C'est comme ça que ça a marché pour The Walking Dead. Robert Kirkman a vendu... des millions d'albums. Lorsque la série est sortie, parce que les gens étaient curieux de savoir à quoi ressemblait le matériau source.
 
AK : Mais Spawn est une série trois fois plus longue que The Walking Dead (rires). Et il y a d'autres choses importantes qui arrivent en 2024. Le Spawn Universe est encore en train de s'étendre, dix nouvelles séries vont arriver cette année. Est-ce que cette liste comprend des mini-séries, des séries régulières ? Ca fait tout de même beaucoup pour une année.

TM : Un peu des deux, oui. Certains projets ont été pensés pour tenir en one-shot, d'autres en mini-séries, de trois, cinq ou six numéros. Et l'une d'elle sera une série régulière. Je n'ai pas forcément d'envie d'ajouter à la pile une nouvelle poignée de titres en mensuel, mais certaines histoires ont besoin d'être racontées. Alors j'essaye de trouver une équipe, une façon de faire qui ne va pas interférer avec les séries en continu. Il y aura un peu de tout. Je vais laisser les fans décider par eux mêmes ce qui leur plaît le plus dans le tas. L'objectif, c'est d'abord de couvrir un environnement plus vaste. D'abord, il va y avoir la nouvelle série Sam & Twitch, qui s'intéresse à ces deux flics que j'ai inventé dans le premier numéro de Spawn à l'époque. Et quand ils ne sont pas occupés à gérer une affaire qui a un lien avec la mythologie de l'Enfer ou du Paradis... ce sont des flics comme les autres. Des inspecteurs de police. Et des bons.
 
La série Sam & Twich sera donc forcément un polar. Pour toutes celles et ceux qui n'apprécient pas les comics de super-héros, c'est un titre à suivre, parce que le scénario s'inscrit dans une réalité bien plus tangible. Le ton est bien plus réaliste. Bon, peut-être que de temps en temps, ils viennent faire mumuse avec Spawn, mais j'avais envie de montrer ce qu'ils font le reste du temps - et même 98% du temps en vérité, leur quotidien de flics normaux. Et je crois que la série qui est prévue juste après, ce sera Rat City, qui se passe dans le futur...
 

 
AK : Et ce projet là part sur une esthétique très différente. C'est ça qui est assez impressionnant dans la variété des styles mis en avant : ce que va faire Ze Carlos n'a rien à voir avec ce que vont faire Szymon Kudranski, Liam Sharp...

TM : Sur un plan thématique, si je devais classer Rat City, je dirais que c'est de la SF.
 
AK : Est-ce que vous vous êtes inspirés de ce qui a été fait sur Spider-Man 2099 ou Batman Beyond ? C'est votre Spawn Beyond ?

TM : Oui, il y a un peu de ça. Et encore une fois, on est dans le futur, donc on peut commencer à créer de nouvelles règles dans la mythologie. Par exemple... On peut mesurer quel impact a eu Al Simmons dans le rôle de Spawn en regardant cent ans en avant. Quel effet il a eu sur le monde. Je ne sais pas, si on se dit que... l'existence de Hitler a changé le cours de l'histoire. D'accord ? Les gens avaient pris une direction à l'époque, il se trouve qu'on est revenus en arrière ensuite, mais il y a eu un impact réel. Sur la façon dont on voit les choses, sur la façon dont on se compote, et tout ça à cause de l'existence d'un seul homme. Et c'est cette question qu'on avait de poser : si on admet l'existence d'un personnage comme Al Simmons, si on se dit qu'il a été aussi valeureux que tout le monde le pense, qu'est-ce qui se passe après lui ? En bien ou en mal ? Qu'est-ce qui se passe cent, deux cent ans dans le futur ?
 
Tout le monde va s'emparer de cet héritage, et chacun va percevoir un message différent dans ce qu'il a fait. Si on repart sur l'exemple de Hitler, certains vont se dire "plus jamais ça". Et dans le même temps, il existe encore des suprémacistes blancs. Ces deux héritages coexistent, ces deux "branches" partent de la même chose. Donc sur le papier, la même chose devrait se produire pour des personnages de fiction comme Spawn. Cent ans plus tard, plusieurs factions vont exister pour interpréter ce qu'il a fait. Et à la fin de la journée, ça reste de la science-fiction.
 
On va aussi faire - tu me parlais de Liam Sharp - la série Dark Ages. Un bouquin plus sombre pour les fans de Game of Thrones
 
AK : Le titre ressemble aussi un peu à du Conan le Barbare.

TM : Oui, voilà. Donc on a un projet plus "historique". Et en face, avec Spawn Kills Every Spawn, c'est du Spawn rigolo. Et juste avec ces quatre titres (ndlr : Todd McFarlane fait un quatre avec les doigts pour énumérer les quatre titres), tu peux avoir 1) True Detective 2) de la science-fiction 3) un truc un peu plus comique 4) une fiction historique qui se déroule dans le passé. Je ne pense pas que qui que ce soit va acheter les quatre séries, mais je fournis des options différentes. Choisissez en une ou deux dans ce qui vous plaît et ce sera très bien. Parce que ce que je n'ai pas envie de faire, c'est de proposer la même chose, encore et encore et encore et encore. Si je voulais faire ça, il me suffirait de sortir du Spawn en bimensuel. A deux numéros par mois, si j'avais envie de produire plus de super-héros classique.
 
Remarque, on va aussi faire du super-héros classique. Avec de nouveaux justiciers, mais cette fois, ils n'auront aucun lien avec le Paradis ou l'Enfer. Ce seront simplement des super-héros. "Je me suis fait frapper par la foudre, olalah, des pouvoirs !" D'accord ? Et c'est toujours pareil : oui, bien sûr, ces personnages là vont croiser la route de Spawn, mais ils n'auront rien à voir avec lui. La mythologie du combat entre les anges et les démons n'aura pas de lien direct avec eux. Dans leur cas, il s'agira surtout de mettre un costume et d'essayer de faire le bien, de sauver des gens. Bien sûr, c'est plus facile à dire qu'à faire - on peut difficilement ignorer un truc aussi massif et qui existe depuis aussi longtemps. On peut tenter, mais si on met le pied dans la porte de cette guerre éternelle, les anges et les démons risquent de venir vous traquer ensuite.
 
Donc il y aura forcément des moments où ces deux concepts vont se croiser, mais pour ceux qui veulent juste du super-héros autonome ? On fournira du super-héros autonome. Cool.
 
 
AK : Il y a aussi le projet No Home Here de Daniel Henriques et Jonathan Glapion, qui a peut-être l'air un peu plus sombre que les autres...

TM : Eux ont prévu d'utiliser des éléments plus importants de la mythologie Spawn, mais sous un angle plus adulte. Le dessin de Jonathan Glapion part sur quelque chose de très... évocateur. Ca m'a un peu rappelé la première fois que j'avais découvert les comics de Bill Sienkiewicz il y a longtemps - et à l'époque, j'étais soufflé, parce que je savais que je n'arriverais jamais à son niveau. Jonathan a un style qui se rapproche un peu de ça. C'est un dessin très étrange, très intéressant. Mais ça passe ou ça casse, tu vois ce que je veux dire ? C'est souvent comme ça quand on a quelque chose de franchement différent qui se présente. En ce qui me concerne, j'aurais tendance à dire que j'ai emprunté une voie plus tranquille avec mon style - en gros, je me suis approprié les super-héros et je les ai rendus un peu plus jolis. Et pour ça, j'ai toujours admiré ceux qui ont accepté de prendre des risques. Ceux qui ont essayé de changer la façon dont on comprend le dessin dans les comics de super-héros.
 
Ce projet là, je l'espère, sera intéressant pour celles et ceux qui n'ont pas peur du bizarre.
 

 
AK : Je voulais aussi qu'on parle un peu du film. Vous l'évoquiez plus haut, et justement, lors d'une interview récente, vous aviez expliqué que vous étiez prêt à laisser une "dernière chance à Hollywood", mais que si cette fois, le projet était encore retardé, vous alliez envisager d'autres solutions "alternatives" pour contourner le problème. Quel est votre état d'esprit à ce sujet ? La dernière fois, vous sembliez confiants dans la façon dont Blumhouse gérait la production...

TM : Je vais essayer de clarifier les choses là-dessus. Les gens qui s'occupent du film actuellement sont tous des professionnels. Ce sont des équipes de talent, elles ont fait leurs preuves, leurs carrières au sein de ce système. D'accord ? Et on va essayer de suivre leur façon de faire. C'est ce que tout le monde espère ! Tout le monde a envie de croire que le système fonctionne. 
 
Mais il aussi que je sois réaliste : nous vivons dans une période difficile pour Hollywood. Les choses sont sans dessus dessous. On a même l'impression d'entendre... ou même parfois de la voir, quand on a un simple échange sur Zoom... cette ambiance de panique générale. C'est la panique à Hollywood. Et la raison à ça, c'est que ces gens du cinéma ont développé des mécaniques... qui ne sont plus capables de subvenir à leurs propres besoins. Autrement dit, ils ne gagnent pas assez d'argent. 
 
AK : Vous faites allusion au système des plateformes de streaming, que les studios ont vu comme un El Dorado. Et en définitive, ça a vidé les caisses.

TM : Exactement. Et le problème pour une compagnie cotée en bourse - ce qui est le cas de l'ensemble des grands studios américains, ils ont des actions avec des actionnaires -  c'est que la valeur de l'action doit rester en hausse. C'est leur boulot. La meilleure façon de s'y prendre, c'est de multiplier les bénéfices. Mais alors à ce moment là, qu'est-ce qui se passe quand tu ne fais plus assez de profit ? Si l'action stagne ou qu'elle s'effondre ? Ce n'est pas l'objectif, on veut que l'action grimpe, forcément. Et je comprends très bien : c'est leur boulot. Mais personne là-bas - et je parle avec des tas de gens sur ce sujet, j'ai encore eu deux réunions importantes pas plus tard qu'hier - ne sait comment résoudre ce problème.
 
Alors. Ca signifie que dans cette période d'incertitude, comment en ce moment à Hollywood, il ne reste que deux catégories d'individus. Je vais simplifier à l'extrême, mais je pense qu'il n'existe que deux catégories d'individus. Et pas seulement à Hollywood, mais dans n'importe quelle période de crise. Il y a ceux qui vont se montrer conservateurs, jouer la sécurité... et il y a les gens BIZARRES qui vont plutôt se dire qu'on ne peut pas se permettre de jouer la sécurité. Qui pensent qu'on ne peut pas se fier aux méthodes du passé, qu'il faut prendre un risque, tenter quelque chose d'un peu dangereux. Et tu sais, les gens qui aiment le risque... dans le monde réel, ça représente finalement assez peu de personnes. A Hollywood, c'est pareil. 
 
Je ne sais pas. D'ici à ce qu'on en soit au stade de vendre le film... pour reprendre les mots d'un des scénaristes, celui qui a bossé sur Joker... mais ça va être un processus dangereux, ça va être risqué, ça ne va pas être garanti. Le script qu'ils ont concocté n'est pas sans risques. Est-ce que Hollywood, dans les temps actuels, aura envie de prendre le risque qui s'impose ? J'en sais rien. J'en sais rien ! Ca va dépendre de où on en sera à ce moment là. D'accord ? Parce que Hollywood... et c'est ça qui est marrant, on peut aussi miser sur leur logique : si on prévoit de sortir avant Joker 2, alors on n'aura aucune donnée sur le succès ou l'échec de Joker 2. "Est-ce qu'on y va à ce moment là ? Je sais pas, tu penses ?" Mais alors si on sort après Joker 2, ils auront des données. Si ce film là fonctionne bien, ce sera facile de vendre Spawn dans la foulée. En un claquement de doigts. Mais si Joker 2 ne fonctionne pas comme ils le voudraient, ça ne les intéressera plus. 
 
Tout le monde joue cette espèce de partie d'échecs, et ce qui est important à retenir, c'est que ça n'a même rien à voir avec la qualité du film. De mon point de vue, le script qu'ils ont bossé, avec Scott Silver, est génial. La seule certitude, c'est que ça va dépendre de l'état d'esprit du moment dans cette ville. Si nous on pense qu'on a un bon script, une bonne équipe, mais que Hollywood n'est pas capable de voir ça ? Tant pis pour eux. 
 
Trouver des gens qui ont de l'argent en dehors de ce système ? (ndlr : Todd McFarlane claque des doigts avec élégance) Aussi simple que ça. 
 
AK : Mais c'est tout de même étonnant justement. Le premier Joker a rapporté un milliard de dollars, sur une enveloppe de... cinquante millions de budget ? Et à l'époque, vous aviez expliqué que le projet Spawn avait intéressé pas mal de gens, parce qu'il tombait au bon moment. On est cinq ans plus tard et ça ne s'est toujours pas fait.

TM : Pour être tout à fait honnêtes, on avait simplement pas encore mis la main sur un bon scénario à ce moment là. Celui que j'avais écrit n'a pas fait l'unanimité. C'est pour ça qu'on a fait rentrer des pros, de vrais poids lourds. Et après ça... il y a eu une pandémie. Et trois ans passent, on sort de la pandémie, tout le monde se demande ce qui vient de se passer. Les studios viennent tout juste de perdre des milliards de dollars. Parce que les gens n'allait plus au cinéma, tu vois. Et beaucoup de gens n'y sont pas retournés ensuite. On n'a pas retrouvé le niveau de fréquentation d'avant la pandémie. Et ça fait partie du problème : d'un côté, ils ne gagnent pas d'argent sur le streaming, et de l'autre, les gens ne vont plus au cinéma. Des deux côtés, les comptes en banque se vident. C'est à ça qu'ils doivent faire face.
 
Après la pandémie, les studios sont devenus plus conservateurs. Et pile au moment où ça recommençait à s'ouvrir, hop, une grève. La grève des scénaristes et la grève des acteurs. Ce qui a eu pour effet de balayer l'équivalent de huit mois à un an. Boum. D'accord ? On a perdu quatre ans à cause... d'un mauvais timing (rires). Et on est pas les seuls à avoir fait les frais de tout ça. Et voilà où on en est. Scott Silver s'est beaucoup impliqué dans Joker 2, et maintenant ce projet là est prêt à partir en salles. C'est à l'équipe du marketing de reprendre la main. J'étais avec l'équipe hier pendant une bonne heure et demie, et il est à fond dans le script. Il a de superbes idées, j'espère que les gens les apprécieront autant que moi. Je peux voir à quel point il est investi dans le film.
 
Alors, on va voir ce que ça va donner. Evidemment, j'aimerais que ça aille beaucoup plus vite... mais heureusement, j'ai mon travail de jour. Je fabrique des comics et des jouets. Je pense que toute l'équipe sur le film a envie de produire quelque chose de différent. Différent en bien, différent dans le bon sens, avec un peu de chance. Même si on laisse les gens qui financent prendre le gros des décisions, je reste confiant et... encouragé par la sincérité et l'enthousiasme que chacun met dans cet effort collectif. Surtout les scénaristes. Ils ne veulent pas faire du Marvel. Ils ne veulent pas faire un truc facile et prévisible. Ils sont même prêts à produire un script qui sera capable de brusquer le public. Qu'au moins, ça fasse réfléchir le spectateur. C'est vers là qu'on se dirige, c'est ça qu'on essaye de faire.
 
AK : D'accord. Est-ce qu'on a le temps pour une dernière question ?

TM : Vas y.
 
AK : Il me semble que vous êtes plutôt engagé dans l'interaction avec la communauté des fans. Vous avez démarré une newsletter, vous avez aussi monté un concours de couvertures (le "Spawnuary"), est-ce que c'est quelque chose que vous avez l'intention de pousser à l'avenir ? Entretenir ce lien avec les fans et les artistes qui apprécient l'univers de Spawn dans le présent.

TM : Oui, oui. Pourquoi pas ?
 
AK : Ca prend du temps.

TM : Ma communauté... a toujours été loyale envers moi ? Et a eu la gentillesse d'acheter mes comics, ce qui m'a permis de faire une bonne carrière, d'offrir une vie agréable à ma famille. Je leur suis reconnaissant pour ça. Donc même si ce n'est pas quelque chose de rentable, même si c'est juste pour les remercier, j'aime passer du temps avec les fans. Avec les réseaux sociaux c'est facile parce qu'on peut faire ça depuis n'importe où. Là je suis en train de te parler, tu es en Europe par exemple. Je parle avec des gens en Asie... Et oui, t'as raison, ça prend du temps. Mais comme je te l'ai dit tout à l'heure, j'ai une équipe. J'ai la chance d'avoir des gens qui peuvent m'aider pour certaines choses. Et je pense que la plupart des artistes feraient la même chose s'ils avaient eux aussi la chance d'avoir un peu d'aide. Parce qu'une équipe, ça se paye, donc il faut forcément gagner un peu d'argent. Les artistes que moi je connais, pour la plupart, font déjà ce qu'ils peuvent pour joindre les deux bouts. Ils ne peuvent pas se permettre d'embaucher.
 
Moi, entre mes deux entreprises, je dois avoir quatre-vingt cinq personnes. Je veux dire certaines sont des artistes, certaines sont des comptables, ils n'aident pas tous au même degré (rires). Mais j'ai des gens qui nous aident, qui m'aident, à interagir avec la communauté. Et encore une fois, si tu y réfléchis, avec la sortie des prochains comics, du film un jour, cette communauté ne peut que grandir. Donc il faut déjà qu'on réfléchisse à comment on pourra encore mieux communiquer avec les gens. Moi j'aime ça, même s'il faut abattre son quota de travail en parallèle. Mais ça ne me dérange pas. Je pense, enfin j'espère, que les gens qui prennent la peine d'interagir en retirent quelque chose eux aussi. 
 
AK : Et on peut espérer que les comics fonctionnent. Depuis la France, on a entendu dire que 2023 n'avait pas été une très bonne année pour les comic shops. Comme vous le disiez, on est en période d'incertitude, ça concerne aussi le marché de la BD. Les gens ont des loisirs plus variés, le milieu est aussi en période de réflexion...
 
TM : Tu sais, quand les gens me sortent des trucs dans ce genre, j'ai toujours envie de demander sur quelles données ils s'appuient. D'accord ? Pendant des années, les ventes ont été stables. Et puis la pandémie est arrivée. Etonnamment, alors que les gens étaient coincés chez eux, ne pouvaient pas voyager... ils ont commencé à acheter davantage de comics. Et pendant trois ans pendant et après la pandémie, les ventes ont augmenté. On a vendu beaucoup de numéros sur cette période. Beaucoup. Regarde simplement les ventes des quatre séries que j'ai lancé en 2021. King Spawn, on en a vendu un demi-million d'exemplaires. C'était un record sur les vingt dernières années. Tout le marché en a profité : mes séries, Image Comics, Marvel, DC, tout le monde s'est mis à vendre mieux. 
 
Et le truc, c'est que pendant toute cette période, où les comics et les jouets ont pris des chiffres énormes, je n'ai pas cessé de dire à mes employés : attention, ce n'est pas réel. C'est ce qu'on appelle un faux positif. C'est bien hein, c'est agréable, mais ça ne va pas durer. Parce que quand les gens en auront à nouveau la possibilité, ils vont recommencer à utiliser leur argent pour aller au restaurant. Pour prendre l'avion, pour louer une voiture. Pour l'instant, leur argent ne leur sert qu'à se divertir, mais ensuite ils pourront à nouveau le dépenser autrement. Donc les ventes ont diminué, évidemment qu'elles ont diminué. Mais elles ont diminué... par rapport à cette croissance soudaine. D'accord ? Et chez Image Comics, les ventes sont même encore supérieures aujourd'hui aux chiffres qu'on pouvait faire avant la pandémie. 
 
C'est ça qu'on espère quand on a un rebond dans la courbe. On sait que ça va baisser, mais on espère que le seuil minimum va être un peu plus haut. Donc... oui, là ça fonctionne un peu mieux qu'avant la pandémie. Mais par contre, pour toutes celles et ceux qui pensaient s'habituer aux chiffres qu'on a fait sur cette période ? Meh. C'était une erreur de croire à ça, c'était comme courir après un mirage. Je n'ai jamais cru à ça. On adapte pas son train de vide à un truc temporaire. Et ce truc temporaire là a duré trois ans, c'est pour ça que les gens ont fini par croire que ça deviendrait une routine. Sauf que : non. Donc je ne sais pas, l'industrie va bien, elle va même mieux qu'avant la pandémie mais... je pense juste que ce dont tu parles vient de gens qui ont vécu trois bonnes années et qui n'ont pas été réalistes.
 
Moi, parce que je suis dans ce business depuis un long moment, je sais comment ça se passe dans ce genre de cas. Ca monte, ça descend. Je ne vais jamais sauter au plafond quand je vois la courbe qui grimpe, parce que je sais qu'elle va finir par chuter de nouveau. 
 
AK : Donc dans votre cas, les ventes restent meilleures que ce qu'elles étaient avant la pandémie ?

TM : Absolument.
 
AK : C'est agréable à entendre. On a observé le même phénomène en France, avec une chute de 20% en volume sur un an, mais si on regarde les chiffres d'avant le COVID, les ventes restent supérieures. L'inconvénient, c'est qu'on n'a plus de source fiable pour observer les chiffres du marché américain  depuis l'érosion de Diamond Comics. C'est peut-être pour ça que les gens disent que ça s'effondre, mais à vous entendre, les choses n'en sont pas à ce point là.

TM : Non non, moi j'ai accès aux chiffres de tout ce que produit Image Comics. Donc, non. Non.
 
AK : hé bien merci beaucoup Todd McFarlane, nous avons hâte de découvrir vos prochains comics, et on apprécie encore une fois d'avoir un scénariste prêt à passer une bonne heure pour discuter de tous ces sujets.

TM : Et moi je te remercie de nous accorder ce temps. Je peux faire des comics, je peux les publier, mais j'ai besoin de gars comme toi pour rappeler aux gens qu'ils existent. D'accord ? Une fois que les gens savent qu'ils existent, ils peuvent se déplacer et les acheter, avec un peu de chance. Donc c'est moi qui te remercie, j'apprécie.
Corentin
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