Une semaine importante s'annonce pour Spawn et Todd McFarlane. Alors que les couvertures du 350e numéro de la série régulière ont récemment été dévoilées, la NYCC qui se déroulera en fin de semaine sera l'occasion pour les équipes du Spawn Universe de faire différentes annonces sur des titres à venir - notamment celui teasé il y a peu par Liam Sharp. En amont de ces festivités, Image Comics nous a donné l'opportunité de pouvoir discuter - une nouvelle fois - avec l'une des légendes de l'industrie, Todd McFarlane lui-même.
Au programme, une discussion dans laquelle comme à son habitude, l'auteur superstar y va franco dans ses réponses, et nous parle de Spawn, de l'industrie, des rénumérotations et des crossovers, mais aussi de NFT (hé oui, on lui a posé la question qu'on avait pas pu l'an passé). La version audio - qui a quelques passages difficiles à écouter faute de bonne connexion - est à découvrir également pour celles et ceux qui veulent entendre McFarlane en langue originale.
Remerciements : Shannon Baley, Bonnie Shouse - et Corentin pour la retranscription.
Nous allons évidemment parler de Spawn ! Todd, quel est ton sentiment à l’approche du numéro #350 de la série principale, dans la mesure où Spawn #300 était déjà un record en son temps ?
C’est intéressant. Sur le plan de la numérotation, ça indique aux gens - et ça me conforte dans mon idée - que je suis là depuis un bon bout de temps. Ça représente une certaine valeur pour une marque, pour une idée ou pour un personnage. On a tendance à se dire que si vous êtes dans les parages depuis longtemps, c’est un gage de qualité. Parce que ça signifie que vous avez réussi à passer à travers les hauts et les bas de… La vie. L’existence économique, le lectorat, les pandémies, tout ce genre de choses. Quand j’ai commencé à collectionner des comics - et c’est intéressant, parce qu’aujourd’hui la tendance a l’air de s’être inversée - lorsque j’étais plus jeune, mes préférés étaient ceux qui avaient des grosses numérotations.
Je me disais “waouh, ces trucs existent depuis… des décennies ! Et ils ont survécu ! Ils ont survécu à tout !” Alors que ceux qui n’en étaient qu’au numéro #7, j’avais plutôt tendance à me demander s’ils allaient exister pendant encore très longtemps. Mais je savais qu’Action Comics, et Superman, et les Fantastic Four, ils en étaient à des centaines de centaines. Donc… Je ressens une certaine fierté dans le fait d’avoir atteint les trois cent cinquante numéros. Pas seulement parce que c’est un record, même si c’en est un. Mais parce que, pour en arriver là, il faut être capable d’être présent pendant… plus de trente ans ? Mince. C’est une victoire, rien que ça, en tant que tel.
Et il y a autre chose : j’avais une conversation avec Eric Stephenson, l’éditeur en chef chez Image Comics. On parlait du numéro #350, et je lui ai dit “tu vois, même si tu mets de côté les trois cent numéros, le record originel, si tu mets ça de côté…”
Déjà cinquante numéros c’est un score impressionnant.
Voilà ! Et on s’est mis à réfléchir, en essayant de se souvenir, parmi tous les projets qu’on a publiés chez Image, combien d’entre eux ont seulement atteint les cinquante numéros. De mémoire, en trente ans - parce qu’Image existe depuis trente ans, ce qui est déjà pas mal - on a pu seulement en citer trois, en mettant de côté les titres fondateurs, et ceux de nos partenaires. Donc, si on ne compte pas Spawn, Walking Dead, Invincible, Witchblade, Savage Dragon, qui sont des séries lancées par les artistes qui ont fondé la boîte, ou par des gens qui sont devenus des associés permanents… Pour le reste de la communauté, sur trente ans, on n’a pu en compter que trois. Saga, Deadly Class et je crois…
Black Science ?
Black Science ? Peut-être qu’il y est arrivé… Mettons quatre. Bien sûr, on en a sûrement oublié un ou deux, mais grosso modo, j’étais capable de les compter sur les doigts d’une main. Et tout ça sur trente ans. En considérant tous les créatifs de la communauté des comics avec qui on a travaillé, seulement quatre projets. Et ça… Même si je suis fier d’atteindre les trois cent cinquante, ou même seulement les cinquante… Je trouve ça un peu triste de savoir que si peu de gens ont atteint ce score avec leurs propres séries, sur une si longue période. Et si vous posez la question à Robert Kirkman, qui a créé The Walking Dead, je pense qu’il vous dira la même chose : avoir une série qui dure sur le temps long, ça compte. Je sais que ça compte. Parce que ces quelques séries qui ont atteint les cinquante numéros… elles ont réussi à sortir du cercle fermé des comics.
Si vous êtes un créateur de BD et que vous voulez que votre projet devienne populaire, qu’il arrive à dépasser les limites de l’industrie des comics, comme Walking Dead, vous feriez mieux de sortir au moins cinquante numéros. C’est ce qui s’est passé à chaque fois. Savage Dragon a été porté en dessin animé, Spawn au cinéma, Walking Dead en série télé’, Invincible en série télé’, Deadly Class en série télé’, Saga… Bon, là, Brian a dit non, il ne pouvait pas donc il a décidé de refuser, Witchblade en série télé’ - c’est presque une certitude à 100%. Si vous arrivez à cinquante numéros vous allez réussir à sortir du format comics.
Mais… Je ne sais pas. D’un côté, je me sens bien, et je sais que les gens viennent me dire “Todd, c’est génial !”, mais d’un autre côté, j’aimerais vraiment que plus de gens soient dans la même situation que moi.
Mais tu n’as jamais été tenté à l’idée de proposer un reboot pendant toutes ces années ?
Jamais.
Jamais ?
Jamais. A aucun moment.
Parce que, ma question serait : si tu es un nouveau lecteur qui débarquerait en 2023, est-ce tu ne serais pas effrayé à l’idée de commencer Spawn avec un tel volume de numéros ? Qu’est-ce que tu aurais envie de dire aux jeunes qui pourraient demander “hey Todd, j’ai envie de lire du Spawn mais je ne sais pas si je peux commencer au numéro #1”, parce que ce n’est pas vraiment une solution évidente ?
Je pense que c’est de la connerie. De la connerie. Et voilà pourquoi : dans votre pays, vous avez le football. Il y a une équipe pour Paris, pas vrai ? Ok. Mais alors comment est-ce que quelqu’un pourrait se déclarer fan, si cette personne n’a pas vu tous les matchs que cette équipe a joué depuis le commencement ? Vous ne les avez pas vu jouer dans les années cinquante. Ni dans les années soixante. Pourquoi ? Parce que vous êtes nés en 2001. Alors pourquoi vous avez envie de suivre cette équipe ? Vous avez loupé tous ces matchs, toute cette histoire. C’est une arnaque… de quoi est-ce qu’on est en train de parler ? Tu es en train de me dire que si un nouvel Harry Potter sort, les seuls que ça va intéresser sont les gens qui ont lu tous les autres tomes d’Harry Potter qui sont sortis avant ? Bien sûr que non !
On fait ça tout le temps. A la télévision, prenez votre série préférée, et je suis prêt à parier que vous n’avez pas vu l’intégralité des épisodes. Je ne comprends pas ce raisonnement ! Et il y a autre chose attendez, je vais vous chercher un truc (ndlr : Todd McFarlane part chercher un truc en hors champ).
Ce dont tu es en train de me parler, c’est d’un numéro (ndlr : Todd McFarlane est revenu). Un numéro, rien d’autre. Or, s’il existe des gens qui s’intéressent à ce que je produis uniquement à cause du numéro, je ne veux pas que ces gens là lisent mon travail, Arno. Si quelqu’un me dit : voilà, on a assemblé le meilleur scénariste des comics avec le meilleur artiste, le meilleur coloriste et le meilleur lettreur, mais on a un problème parce que c’est un numéro #312… Et que si je reprends exactement la même équipe créative, avec les mêmes personnages et la même histoire, et que j’efface le #312 et que je mets un numéro #1 à la place - c’est ça, la seule putain de raison qui fait que vous allez acheter le bouquin ? Mais vous l’achetez pour de mauvaises raisons !
Regarde (ndlr : Todd McFarlane présente un album de Haunt). S’il faut en passer par là, je suis prêt à foutre le #312 sur le côté gauche de la couverture, et un numéro #1 sur le côté droit. Je mettrai deux numéros : le gros qui fait peur, et le numéro #1. Et pour le numéro suivant, je mettrai #313, et à côté, un numéro #1. Et puis #314, et un numéro #1. Et #315, et un numéro #1. Si la seule raison qui vous motive à acheter, c’est le numéro sur la couverture - un foutu numéro ! - alors c’est que vous achetez pour les mauvaises raisons.
Moi, je croyais que les gens achetaient parce qu’ils apprécient le contenu. Ou parce qu’ils sont curieux, ou parce qu’ils veulent essayer un truc différent. Vous n’avez pas besoin de connaître le détail de chaque seconde de la vie de Superman, de Batman, de Spider-Man, des X-Men, ou de n’importe quel héros. Vous n’avez pas besoin de regarder l’intégralité des épisodes de Dr Who pour monter à bord et vous amuser. Pourquoi est-ce qu’on est en train d’avoir cette conversation ? C’est une réflexion tellement bizarre.
Je suis d’accord Todd, mais c’est une conversation qui a encore pas mal lieu, notamment en France. Je voulais donc avoir ton opinion, mais je suis tout à fait d’accord-
Non non, Arno, c’est une bonne question ! Mais je crois que je suis en minorité dans mon approche du problème, ceci dit. Voilà le truc : si on fait les comptes, est-ce qu’on a vu Marvel ou DC rebooter leurs séries ? Oui, bien sûr. Est-ce qu’ils sortent des numéros #1 ? Bien sûr. Mais alors j’aurai seulement une question à adresser à ces deux compagnies : puisque vous avez fait vos reboots - parce que, encore une fois, “les gens vont se mettre à lire ! Ils ne vont plus avoir peur maintenant”, et que l’objectif c’est de faire entrer de nouveaux lecteurs, je comprends ça - mais ma question est toute simple. Est-ce vous vendez plus d’exemplaires aujourd’hui que ce que vous vendiez il y a trente ans ?
La réponse est non. Je connais les chiffres. Et la réponse est non. Donc, si vous faites vraiment ça parce que vous pensez que les gens vont enfin finir par arriver… alors ça ne fonctionne pas. Vous avez un graphique, vous voyez que la courbe des ventes diminue, alors vous sortez un numéro #1, hop, la courbe rebondit, et ensuite elle se remet à diminuer. Et ensuite vous refaites numéro #1, hop, nouveau rebond, et puis nouvelle diminution. C’est comme la courbe de valeur d’une action en bourse. Quand vous regardez ces données, ce n’est jamais une ligne droite, c’est un mouvement constant qui va de bas en haut. Et à la fin de la journée, vous n’avez pas vendu plus de numéros. Vous pouvez dégainer tout l’arsenal de gadgets, de reboots ou de numéros #1 - la question reste la même, est-ce que vous vendez autant de Spider-Man aujourd’hui que ce que vous vendiez il y a trente ans ? Non.
Et moi je ne veux pas répliquer, ou dupliquer, un truc qui n’a aucun avantage sur le plan industriel. Sans même parler de l’aspect divertissement. Non seulement il n’y a pas d’intérêt à le faire, mais on a tendance à voir que c’est l’inverse de l’objectif recherché qui se produit en réalité. Donc… Je ne sais pas. Que quelqu’un d’autre fasse ça. Pas moi.
Je voulais aussi savoir comment vous fonctionnez avec vos différents partenaires, les scénaristes, les artistes, et même l’éditeur en chef des comics Spawn. Comment est-ce que vous organisez toute cette partie éditoriale avec quatre séries régulières en parallèle ? Surtout que tout un tas de nouveaux projets ont été annoncés au cours de l’été.
Oui. Oui, et d’autres titres vont être annoncés à la New York Comic Con. J’aurais tendance à dire que je vais même… (rires) trop lentement, par rapport à tout ça. Il m’a fallu presque trente ans avant de me décider à passer d’une seule à plusieurs en même temps. Trente ans ! Et là-dessus, les gens ont tendance à me dire “quand même, Todd, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?” Alors que quand Marvel a commencé avec Fantastic Four en 1961, trente ans plus tard, en 1991, quand j’ai commencé à m’installer dans l’industrie, ils avaient déjà produit des centaines d’autres bouquins. Ils avaient déjà cette énorme quantité de séries, comme DC Comics sur le même espace temporel, et moi j’en suis à quatre. Peut-être qu’en me bougeant un peu, j’arriverais à en gérer huit. Ok, et alors ? DC et Marvel en ont fait des centaines.
Vous savez, il ne faut pas tant de gens que ça pour sortir des comics. Il vous faut des artistes, évidemment, et une équipe éditoriale. Mais pour seulement huit titres je n’aurais pas besoin d’énormément de personnel. J’ai surtout besoin de gens créatifs.
Mais est-ce que vous fonctionnez de la même manière ? Avec des rendez-vous hebdomadaires pour décider de la direction à donner à tel ou tel projet ?
Oui !
Est-ce que tu as prévu un crossover entre toutes les séries d’ici les prochaines années ?
Peut-être. Et voilà pourquoi je ne peux pas te répondre oui ou non : je n’ai jamais été fan de cette idée, qui fait que les gens sont obligés de lire l’ensemble des séries qui sont publiées en même temps, pour pouvoir comprendre le crossover. Même quand j’étais un simple collectionneur, je n’aimais pas ça. Bien sûr, j’adore les grands événements importants ! Mon dieu, Crisis on Infinite Earths ! Mais je n’étais pas très fan de l’idée qu’il fallait aller acheter The Flash, et tel autre titre, ou tel autre, etc. En fait je n’ai jamais voulu acheter les séries que je ne collectionnais pas à un moment T.
A mon avis, ce genre de mécaniques a trop souvent été utilisé. Je pense qu’il est possible de canaliser son histoire pour un gros événement, dans deux ou peut-être trois titres, et pas forcément sur tout ce que vous sortez en même temps. On est en train de discuter en ce moment même pour essayer de réfléchir à la façon dont on pourrait éviter de reproduire les mauvaises idées des deux grandes compagnies sur ce genre de choses. Par exemple, mes bouquins sont les moins chers sur ce marché : 2 dollars 99. Tu comprends ? Tout le monde s’est éloigné de ça, il y a du 3,99, parfois même du 4,99. Moi, je fais les comics les moins chers. Je pourrais monter à 3,99 dollars, et les gens viendraient se plaindre, mais ce serait facile de dire que je fais comme tout le monde. Mais j’ai décidé de ne pas faire ça. J’ai une vie confortable, je vais bien, je n’ai pas besoin de faire les poches de mes fans.
Donc, dans cette même mentalité, je me vois mal faire un crossover pour leur imposer de devoir acheter toutes les séries Spawn du moment. Parce qu’à ce moment là, ce serait comme essayer d’abuser la confiance de mes fans, et je n’ai pas envie d’être ce gars là. Je laisse ça aux autres. Donc…
En ce moment, on est en train de pousser… lentement… peut-être trop lentement (rires)... à la croissance croissance de certains éléments de l’univers. Et puis, quand je prends contact avec des artistes talentueux, je pars du principe qu’ils n’ont peut-être pas envie de faire le genre de choses que moi j’ai envie de faire. Par exemple, si je t’appelle toi, je vais commencer par te dire “hey, Arno, c’est quoi le genre de trucs qui te font envie ?” Pour les artistes, je leur demande plutôt ce qu’ils ont envie de dessiner, et avec quels personnages. S’il y en a un qui existe dans mon univers et qui leur plaît. Et pour les scénaristes, je pose la même question, et ensuite je leur demande quand est-ce qu’ils seront disponibles. S’ils ont le temps pour un petit projet, ou un projet plus important. Je ne les appelle pas pour leur indiquer ce qu’ils doivent faire, et leur donner des ordres. J’ai tendance à faire l’inverse : “Tu es très doué, tu es génial, ce serait un privilège de travailler avec toi, donc… A toi de me dire ce que je dois faire pour avoir un scénario, des planches et une histoire de ta part. Tu me dis, et j’essayerai ensuite de voir si c’est faisable.” J’aime garder les équipes créatives dans le processus général.
Est-ce que tu peux un peu nous parler des nouvelles séries qui ont été annoncées cet été ? Est-ce que vous avez déjà prévu un horizon de sortie pour celles-ci ?
C’est encore en cours de réflexion, il y en a deux dans le tas qui… bizarrement, je préfère attendre que les dessins soient prêts. Parce qu’une fois que cette partie là est terminée, on peut solliciter les numéros. Je n’ai pas envie d’annoncer une date de sortie - sauf éventuellement pour un titre prévu en mensuel - qui aurait tendance à mettre une pression sur le dessinateur en question. Généralement, comme je l’ai expliqué, j’ai plutôt tendance à poser d’entrée de jeu la question au collaborateur sur sa cadence de travail. Et à demander si la personne en question aura besoin d’un peu plus de temps. Tant que ce n’est pas une série qui doit sortir le mois suivant, je préfère que le dessinateur prenne son temps, et une fois que c’est bon, je dégaine les annonces.
Donc c’est difficile de donner une réponse précise, parce que j’attends encore que certaines planches soient terminées. Et dès que ce sera prêt, nous pourrons ouvrir les commandes.
D’accord. J’avais aussi une question - qui est un peu hors sujet, mais pas complètement. Tu t’es lancé dans le NFT il y a un an ou deux…
On en fait encore, on en fait encore. On a mis en ligne le dernier hier, et il s’est vendu au bout de quatre minutes.
Mais je ne comprends pas (et sans doute parce que j’ai un problème avec le concept en général), qu’est-ce qui t’as attiré là-dedans ? Surtout en tant qu’artiste, dans la mesure où tu vends des copies numériques d’oeuvres d’art que personne ne possède réellement…
Juste pour que ce soit clair : je ne privilégie pas les NFTs à quoi que ce soit d’autre. Je vais te dire comment je vois les choses. Les NFTs, ou l’art digital, c’est comme ça que je préfère l’appeler, n’est rien d’autre qu’un format. La télévision est un format, comme les jeux vidéos, les comics ou les jouets. Et les t-shirts, etc. Tout ça, ce sont des formats, sur lesquels on applique de l’art. Et moi, je suis dans le business de la vente d’art, Arno. Je n’en ai rien à foutre de savoir où les gens décident d’accéder à l’art que je produis. Je ne suis pas sélectif. Je serais prêt à peindre sur le côté droit d’un avion, si ça permettait aux gens d’accéder à ce que je fais.
Je me fous de savoir sur quoi se retrouvent mes dessins. Il y a des gens qui collectionnent les comics et les objets physiques, mais il y a aussi d’autres gens qui ne peuvent pas. Pour deux raisons essentielles, en mettant de côté le simple fait qu’il existe des amateurs d’art numérique : si vous vivez dans un pays où les frais d’envoi sur les objets physiques sont énormes, où si vous achetez un bouquin à 20 dollars, ça vous coûtera 70 dollars de le faire livrer chez vous, vous ne pouvez pas vous permettre de telles sommes. Alors vous pouvez vous dire “bon, dans ce cas, tant pis”, ou alors vous achetez la version numérique. C’est pour ça qu’il existe des comics en numérique. Et dans l’autre cas, mettons que vous habitiez à Tokyo. L’endroit où vous vivez est grand comme un couloir. Vous ne pouvez pas amasser une grande quantité de statuettes ou de figurines, parce que vous vivez dans neuf mètres carrés.
Alors là-encore, soit vous n’avez rien, soit vous trouvez une façon de le faire en virtuel. Et il y a d’autres raisons qui peuvent vous emmener vers cette décision. Mais parlons un instant de l’argument le plus idiot - parce que beaucoup de gens vous sortent des idioties sur ce sujet. Les gens vont me dire “Todd, pourquoi tu veux acheter ce truc qui n’existe pas, tu ne peux pas le tenir, ce n’est pas un objet physique, tu n’obtiens rien en échange de ton argent, ça n’a aucune valeur…” Voilà la pièce maîtresse : “ça n’a aucune valeur.” Et c’est ça qui me paraît le plus absurde dans ce raisonnement. Et je ne veux pas faire le publicitaire des NFTs. Pour moi, c’est un format, on aime ou on n’aime pas.
Mais tous les gens qui disent qu’il n’y a pas de valeur dans les NFTs, ils ont déjà intégrés cette logique. La moindre personne sur Terre avec un accès à l’électricité est déjà en train de faire des NFTs, ou à peu près. Voilà comment ça marche : donne moi ton téléphone, je vais aller regarder tes photos, et je vais trouver une photo de toi et de ton petit-fils. Donc là, c’est toi et ton petit-fils, d’accord ? Et quand tu la regardes, ça te fait plaisir, tu te mets à sourire. Donc tu associes une valeur à cette image. Mais est-ce que tu es sûr de comprendre cette photographie, est-ce que t’es au courant que ce n’est pas vraiment ton petit-fils ? Est-ce que tu sais que c’est juste une représentation numérique de ton petit-fils ? Ce n’est pas lui, c’est juste une photo, une photo numérique. Alors pourquoi est-ce que tu vas me dire que tu ne vois pas de valeur dans le fait de regarder un objet virtuel, alors que ça te fait sourire ? Tu vas me dire que tu rejettes la technologie ou que tu ne… comprends pas ? Le fait que quelqu’un fasse ce que tu fais tous les jours ? (ndlr : Todd McFarlane mime un revolver sur la tempe).
Je ne comprends pas ! Le monde, les arguments qu’on me sort, de la part d’adultes, c’est inexplicable. Je n’arrive pas à m’expliquer ce genre d’attitude. Et j’ai une réponse encore plus rapide, Arno. Si tu n’aimes pas…
N’achète pas ?
Va simplement dépenser ton temps et ton argent dans les choses que tu aimes. Point. Je ne comprends pas pourquoi les gens viennent me parler à moi, ou à n’importe qui d’autre, pour expliquer qu’ils n’aiment pas quelque chose de précis. Je ne comprends pas ! L’espèce humaine, parfois, a tendance à me surprendre. Est-ce que tu sais, Arno, que je n’aime pas les choux de Bruxelles ?
C'est dommage...
Non, mais : est-ce que tu sais que je n’aime pas ça ? Est-ce que tu étais au courant ?
Non.
Ouais ? C’est parce que je te l’ai jamais dit, bordel. Je ne vais pas parler aux gens pour leur parler de ça. Ce que je fais, c’est que je ne vais pas en acheter et en consommer. C’est aussi simple que ça. Ce que je ne vais pas faire, en revanche, c’est aller sur le site officiel des choux de Bruxelles, et leur demander pourquoi ils font des choux de Bruxelles, leur dire que je préfère les brocolis et les épinards, et blablabla. Je m’en branle complètement de savoir pourquoi cette partie là de mon travail va déplaire, ou même plaire.
Est-ce que je peux te proposer une réponse là-dessus ?
Vas y.
Je pense que certaines personnes n’aimaient pas le format d’entrée de jeu, parce que certains artistes ont vu que leur travail leur avait été dérobé et converti en NFT pour être revendu. Et aussi, je ne sais pas si c’est un problème que vous avez abordé au sein de votre entreprise, mais il y avait aussi la question de la dépense énergétique nécessaire aux technologies de la Blockchain. Plusieurs personnes ont pointé du doigt le problème de la pollution, avec la crise climatique actuelle. C’est peut-être ça qui a guidé l’opinion des gens à propos de ce format.
Malheureusement, Arno, j’ai entendu tous ces arguments. Mais le fait que quelqu’un dise quelque chose ne signifie pas que c’est vrai.
Il y a eu des études menées sur la dépense énergétique…
Arno, il faut que tu ailles faire tes propres recherches. Le gars qui a lancé cet argument, au départ, il a fini par revenir dessus. Parce que des gens ont fait exactement ce que tu es en train de faire. Le raisonnement a évolué tout seul, et lui n’a pas été en mesure de prouver quoi que ce soit. Le gars auquel tout le monde se réfère, celui qui a écrit le papier, a fini par désavouer son propre travail là-dessus. Mais les gens ne sont pas au courant de ça !
Est-ce qu’il fallait plus d’énergie au début, quand la technologie est arrivée ? Oui. Est-ce que la technologie nécessite la même quantité d’énergie aujourd’hui ? Non. Elle consomme dix mille fois moins d’énergie. Donc ce problème-là a été réglé. Oh ! Et au passage, le gars qui a dit que c’était un problème, il est revenu ensuite pour dire que bon, il ne pouvait pas vraiment confirmer que c’était un problème. Mais c’est toujours ce qui se passe, les gens arrivent et s’emparent d’un sujet… Dites juste que vous n’aimez pas le format ! Et arrêtez avec cette méthode du “mon voisin m’a dit un truc, il paraît que”, etc. Parce que ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai. Après cette interview, va faire tes recherches.
Mais si c’est ta raison pour ne pas aimer, ce n’est pas grave ! Et si c’est le cas, n’en achète pas ! Mais, il faut aussi te dire qu’il existe des gens autour de toi qui vont peut-être apprécier. Donc… pourquoi est-ce que je suis rentré dans les NFTs ? Pour l’art ! C’est de l’art, et je me fous de savoir comment les gens consomment ce que je fais. Vraiment pas.
J’entends, et je te remercie pour l’honnêteté de cette réponse. J’ai une dernière question : je sais que l’on ne peut pas vraiment discuter du film Spawn, dans la mesure où la grève du syndicat des interprètes à Hollywood bloque le processus de production, mais au-delà du casting, tu as dit dans une interview récente qu’il vous fallait un script de seulement soixante pages pour amorcer la mécanique…
Trente !
Trente, pardon. Donc : à l’instar de Jason Blum, es-tu toujours convaincu que le film pourra sortir d’ici les deux prochaines années ? L’horizon de 2025 te paraît encore jouable ?
Moi j’aurais même été partant pour une sortie en 2019 Arno, qu’est-ce que tu me racontes (rires). Ce que Jason Blum a essayé de dire c’est que… si tout se passe bien, si tout se passe comme prévu, est-ce qu’il lui semble possible d’avoir un film de prêt en 2025 ? Oui. Il a travaillé sur des centaines de productions, il sait de quoi il parle. Est-ce que, de notre coté, on pourrait terminer le script dès cette année ? Oui. Est-ce qu’on pourrait même faire la deuxième passe dès cette année ? Oui. Est-ce qu’il est possible de trouver un distributeur entre la fin de cette année et le début de l’année prochaine ? Oui. Est-ce qu’on pourra entamer le tournage en 2024 ? Oui. A partir de là, est-ce qu’on aura le temps pour le montage et le marketing d’ici le début d’année 2025 ? Pour que le projet soit prêt à sortir pour les fêtes d’Halloween ? Oui !
On a le temps ! Si toutes ces choses se passent comme prévu, ou comme on aimerait tous qu’elles se passent, alors… l’objectif de 2025 me paraît raisonnable. Maintenant… est-ce que c’est ce qui va arriver ? (rires) Je ne sais pas. Il faudra que tu prennes des nouvelles, et on en reparlera. J’ai plusieurs options… Quelque chose finira bien par sortir, d’une manière ou d’une autre. Ca fait déjà trop longtemps que ça dure, et je commence un peu à perdre patience. Mais, bon. En tout cas, la déclaration de Jason Blum était valide, compte tenu du temps que nous avons devant nous entre aujourd’hui et 2025. Nous pouvons monter un film sur cette période, oui.
Et bien merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview, Todd. J’espère que je ne t’ai pas mis en colère !
Non non, Arno ! J’apprécie les questions, parce que je suis quelqu’un de très passionné, et tu sais à la fin de la journée je me contente de faire ce que je sais faire. Et je laisse les autres faire ce qu’ils savent faire. Encore une fois, si les gens apprécient ce que je fais, je suis content de compter sur leur soutien. Et pour les autres, je leur recommanderai de se trouver des trucs qu’ils aiment, et qu’ils peuvent encourager. La vie, ça peut être très simple. Même du côté des artistes ou celui des consommateurs. Mais il y a des choses comme ça - en fait, si vous n’aimez pas mes dessins, ce n’est pas grave. Ma mère n’aime pas mes dessins ! Mais dire que mes dessins ne devraient pas exister, comme je l’entends parfois, c’est de la censure. Et ça a tendance à m’irriter quand des gens disent qu’un truc ne devrait pas exister. Je peux très bien comprendre pourquoi quelqu’un n’aurait pas envie de consommer telle ou telle oeuvre. Mais venir me dire à moi que je ne devrais même pas autoriser que ça existe, c’est une toute autre conversation.
Et puis, si tu as des raisons de ne pas apprécier, je peux voir si j’ai des contre arguments à t’opposer. Et voilà. Moi, du moment que tout le monde va bien, et que chacun fait ce qui le rend heureux… Moi je fais ça !
Merci encore, j’espère qu’on aura l’occasion de se reparler dans le futur !