La série Daredevil : Born Again serpente entre les piquets de grève. En mai dernier, cette nouvelle production Marvel Studios, actuellement en cours de gestation dans l'état de New York, avait déjà été mise à l'arrêt face aux complications posées par les protestations des scénaristes de la WGA. Les scribes d'Hollywood protestent depuis six semaines contre la nouvelle feuille de route imposée par la guilde des producteurs, diffuseurs et studios (AMPTP), sur le sujet des conditions d'emploi, de rémunération, de temps de travail, de densité des équipes et des dangers que représente la montée des technologies d'intelligences artificielles pour l'automatisation des scénarios.
La grève se poursuit depuis, avec le soutien de différents autres groupes dans différents corps de métier solidaires. Au point de produire une intersyndicale inattendue : la Fraternité des Conducteurs (IBT, International Brotherhood of Teamsters), l'une des plus organisations de salariés les plus importantes des Etats-Unis, affiliée à la Fédération Internationale des Ouvriers du Transport, s'est déclarée favorable à la grève de la WGA. Il s'agit tout bêtement du syndicat des camionneurs, transporteurs et conducteurs routiers, un énorme collectif de plus d'un million de membre essentiel au bon fonctionnement du pays pour la livraison de marchandises à flux tendu. Si vous vous rappelez du personnage campé par Al Pacino dans The Irishman, vous voyez à peu près de quoi il s'agit, sans la mafia.
Une solidarité passive, mais constatée
A la fin du mois d'avril, les représentants syndicaux de la IBT, Sean O’Brien et Lindsay Dougherty, avaient appuyé l'idée d'une grève des scénaristes par association de pensée. O'Brian et Dougherty avaient alors expliqué que les membres de la WGA luttaient pour leurs droits, pour une répartition plus juste des gains générés à échelle industrie, face à des conglomérats de milliardaires tout à fait capables de partager les profits. Suite à cette première prise de parole, la IBT avait indiqué que les transporteurs associés au collectif auraient pour consigne de ne pas franchir les piquets de grève, et de refuser le travail à chaque fois qu'une opération de blocage était décidée par la guilde des scénaristes.
Or justement, cette semaine, le tournage de Daredevil : Born Again avait prévu de se déplacer dans les studios de Silvercup, dans le Queens. Place forte des captations censées évoquer l'environnement de la ville de New York (Sex & the City, The Deuce, Mad Men, Les Soprano), la zone a été prise pour cible par les membres de la WGA basés sur la Côte Est pour la seconde fois. Les camionneurs embauchés par la production de Daredevil : Born Again ont décidé de tenir leur promesse, et n'ont pas franchi les piquets de grève. Incapables de poursuivre leur travail, les équipes de la série ont été obligées de renoncer pour le moment.
Un deuxième soubresaut à relativiser - dans la mesure où le tournage devrait reprendre normalement d'ici les prochains jours, et où la série a encore près d'une année complète pour se monter avant sa date de sortie. Mais, Daredevil : Born Again n'est pas une série comme les autres. Avec dix-huit épisodes au compteur et huit mois de production prévus à l'agenda, le projet présente une dimension bien plus importante que la norme d'usage pour les produits Marvel. Kevin Feige en aura fait son mantra, au grand dam des metteurs en scène et des équipes en charge des effets spéciaux : les films ou séries sont souvent tournés à grande vitesse, souvent en moins de cinq mois, avec quelques semaines de tournage additionnel, une usine qui tourne à plein régime depuis des années et qui n'apprécie que très moyennement les mécaniques grippées.
En parallèle,
Daredevil : Born Again présente aussi une masse salariale un poil plus exigeante que le gros des productions
Marvel standardisées - à savoir,
des professionnel(le)s du câble, moins habitué(e)s à cette méthode de travail à la va-vite qui forme la signature de la méthode
Marvel. Pour l'heure, avec déjà deux séquences de retard sur un tournage pensé dès la première mouture pour être chronophage, dans une ville où les captations sont plus notoirement coûteuses que dans les grands centres du Canada (Toronto) ou des autres bastions d'Amérique du Nord (Atlanta, Los Angeles),
Born Again pourrait finir par accuser le coup.
Pour paraphraser une observation pertinente de la rédaction du site ComicBook : les séries pensées pour les plateformes de streaming ne sont pas connues pour offrir une retour naturel sur investissement, dans la mesure où le modèle se passe des revenus liés à la publicités (comme c'était le cas avant, à l'époque des chaînes de télé'), et où le calcul se joue surtout dans l'abondance proposée à la base des abonnés mensuels. Avec un tournage au ralenti, et une facture salée à l'horizon, dans un feu croisé entre l'énorme budget des séries Star Wars (250 millions pour Andor, au hasard) et un groupe Disney qui cherche les économies pour relever la tête après une année difficile et une action en berne... Peut-être que Matt Murdock n'a pas choisi le meilleur moment pour amorcer son grand retour dans le canon du MCU.
