Home Brèves News Reviews Previews Dossiers Podcasts Interviews WebTV chroniques
ConnexionInscription
Ice Cream Man, Killadelphia, Grim & The Silver Coin : panorama des titres d'horreur sortis chez Huginn & Muninn

Ice Cream Man, Killadelphia, Grim & The Silver Coin : panorama des titres d'horreur sortis chez Huginn & Muninn

chronique

Si l'horreur est un registre narratif qui s'épanouit à foison dans le cinéma, la série ou le jeu vidéo, la bande dessinée (américaine ou non) n'est pas en reste lorsqu'il s'agit d'effrayer son public. Les éditeurs américains proposent régulièrement, particulièrement dans le registre du creator-owned, des titres horrifiques qui arrivent parfois à point nommé pour Halloween, parfois non. En vérité, il n'y a pas de saison pour aller frissonner devant les planches d'une bande dessinée. Si beaucoup connaissent dans l'exercice les noms du duo Lemire/Sorrentino (pour Gideon Falls et les premières installations du Mythe de l'Ossuaire), celui de l'ultra-trash Crossed ou bien évidemment la célèbre saga de zombies The Walking Dead, l'étendue des possibles n'a pas encore été complètement explorée du côté des comics. 

Au printemps 2023, la maison d'édition Huginn & Muninn a choisi plusieurs titres d'horreurs pour élargir son catalogue, dans lequel on retrouve déjà quelques grandes signatures de la BD américaine (avec le Madman de Mike Allred) ou des titres issus de symboles de la pop-culture (avec l'adaptation en comics des romans Dune de Frank Herbert). Nous vous proposons aujourd'hui de faire le point sur chacun de ces albums, avec un descriptif de l'histoire, les forces et faiblesses du récit, et notre recommandation finale de lecture. Âmes sensibles s'abstenir dans tous les cas. 

Grim - quand la Faucheuse recherche son identité

Grim est une série démarrée chez Boom! Studios, écrite par Stephanie Phillips (Harley Quinn) et illustrée par Flaviano. On s'intéresse au personnage de Jessica Harrow, une faucheuse dont le but est de faire passer les âmes des défunts depuis la Terre jusqu'au royaume des morts, imaginé ici de façon bureaucratisée, un peu comme ce qui nous est donné de voir dans Toutes Les Morts de Laila Starr. La comparaison s'arrête assez vite avec ce titre puisqu'au terme d'une de ses missions, Jessica se fait voler sa faux par un défunt et est aperçue par les vivants sur Terre lorsqu'elle tente de la récupérer... ce qui ne devrait normalement pas arriver. S'ensuit alors une quête d'identité pour l'héroïne, qui essaie de se rappeler qui elle était avant sa mort (car toutes les faucheuses ont eu droit à une vie auparavant), puisqu'elle est la seule parmi ses collègues à n'en avoir aucun souvenir. Tout cela alors que la hiérarchie de Jessica la recherche et envoie à sa poursuite une entité monstrueuse, qui a pour mission de l'annihiler.

Grim n'a pas pour but de faire peur en tant que tel mais s'inscrit dans un registre assez lugubre de par ses thématiques. L'imaginaire morbide s'inscrit dans une forme de fantasy urbaine et le design goth/emo de Jessica Harrow fait que la série semble s'adresser à un public relativement jeune, et client de ce style de design. Sur ce point, Grim est assez réussi : le trait de Flaviano est très appréciable (et superbement magnifié par les couleurs de Rico Renzi), d'autant plus que l'artiste n'hésite pas à casser son découpage pour figer l'action ou au contraire accélérer le tempo au gré des nombreux rebondissements. 

Le côté "bureaucratie" que l'on donne à toute l'entreprise de la mort est au final assez vite évacué pour qu'on se concentre plus sur Harrow et sa quête d'identité, aux côtés de quelques personnages secondaires là aussi bien croqués. Problème : les enjeux posés vis-à-vis de la hiérarchie de Jessica peinent à convaincre et la créature que l'on retrouve tout du long, mis à part son design, a du mal à convaincre de sa dangerosité. En outre, l'action avance rapidement, peut-être trop rapidement, et certaines avancées (notamment les ellipses entre les différents chapitres) donnent l'impression que Stephanie Phillips ne maîtrise pas tous les éléments de son script, ou n'arrive pas à ménager le rythme pour que les ellipses n'apparaissent pas trop abruptes. 

Sur les quatre titres présentés aujourd'hui, Grim est celui qui m'aura le moins convaincu malgré la promesse initiale ; la série est prévue en trois tomes et ne nécessite donc pas un gros investissement de la part du lectorat. Si l'aspect graphique vous plaît, il y a donc peut-être quelque chose pour vous, mais ce ne sera pas notre premier choix. Passable, donc.

- Commandez Grim Tome 1 à ce lien.


The Silver Coin - une petite pièce, s'il vous-plaît ?

Deux anthologies au programme de cet article. La première des deux s'intitule The Silver Coin et sera également complète en trois tomes. Le principe de l'anthologie diffère un peu de ce qu'on connaît de ce style d'exercice dans la BD américaine : ici, l'artiste Michael Walsh opère sur l'ensemble des numéros, mais le script est confié à un ou une scénariste différent à chaque fois. Walsh doit donc changer sa façon de découper ses planches, et ajuste aussi son style, et le registre de chaque histoire a sa personnalité, le tout relié par un élément commun : la fameuse "pièce d'argent" qui donne son nom à la série. Cette pièce est retrouvée à chaque fois et va plus ou moins amener le malheur à celui qui se trouvera sur son chemin.

Comme pour toute anthologie, The Silver Coin se révèle relativement inégal ; l'histoire d'ouverture se montre assez classique (façon "pacte avec le diable" d'un groupe de rock qui souhaite rencontrer le succès), tandis que d'autres récits qui lorgnent du côté de la science-fiction ou du slasher sont bien plus réussi. Mention spéciale d'ailleurs à cette forme d'hommage à Vendredi 13 de Kelly Thompson, qu'on aimerait même voir développé sur plus d'un seul chapitre. 

Les cinq premiers chapitres ne lésinent pas d'efforts pour distiller une atmosphère assez angoissante, et les récits d'Ed Brisson et Michael Walsh (qui écrit le 5e numéro, qui peut être pris comme une origin story de la pièce) sont les plus impressionnants de ce point de vue là. On frissonne littéralement lorsque la série va chercher du côté de la terreur pure, quand les comportements humains deviennent erratiques au contact de la pièce, et que les personnes commencent à se faire du mal les unes aux autres. Walsh se montre extrêmement doué dans l'exercice stylistique et sait comment faire peur à l'aide de son dessin. Les éléments horrifiques sont parfois clairement montrés, parfois l'encrage et le hors-champ se chargent de faire le travail. Le style d'histoire (polar moderne, SF, slasher, folk horror) prend à chaque fois et il y a une forme de continuité graphique avec la mise en couleurs. 

The Silver Coin a quelque chose d'assez classique dans son propos et son pitch - celui de l'objet maudit qui entraîne autour de lui moult catastrophes, mais l'exercice de style livré par Michael Walsh est très prenant. Avec une durée assez courte, il s'agit d'un investissement plutôt intéressant pour qui aime l'horreur assez mainstream et veut se laisser porter par des histoires courtes et distinctes, à la manière d'un Contes de la Crypte moderne. Sans être un indispensable, la lecture reste fort sympathique. 

 - Commandez The Silver Coin Tome 1 à ce lien.


Killadelphia Tome 1 - que vous avez de grandes dents !

Changement de registre avec Killadelphia, une série au long cours (30 numéros de sortis aux Etats-Unis, et ce n'est pas fini, et sans compter les spin-offs), qui parlera certainement aux fans de vampires. Un policier revient dans sa ville natale de Philadelphie pour enquêter sur la mort de son père, avant de se rendre compte que celui-ci est en fait bien vivant, a été transformé en vampire, et que toute une conspiration vise à faire tomber la ville - et par extension le reste des Etats-Unis - aux mains des suceurs de sang. Le titre de Rodney Barnes, nommé et récompensé aux Eisner Awards, démarre doucement comme un Salem de Stephen King, avant d'accélérer pour qu'on se retrouve dans une ambiance plus proche d'un True Blood, avec ces vampires qui s'intègrent dans nos sociétés humaines - sans que pour le moment il y ait de cohabitation actée. 

La plus-value de cette série est très clairement sa façon de montrer les rapports entre vampires et humains et son non-manichéisme sur la question. Comprendre que le fait de devenir vampire ne vous fait pas forcément rallier la cause des non-vivants, et que le récit est ainsi fait de faux-semblants et de retournement de situations qui font que Killadelphia dépasse très rapidement les attentes que l'on pourrait avoir à la lecture du pitch, ou du premier numéro. 

Il y a également un sous-texte politique très présent (comte tenu du cadre de l'action) qui se montre pertinent, sur les travers que connait la société américaine et la façon dont les émotions négatives (peur, colère) peuvent être manipulée à des fins politiciennes. Le récit mise donc sur l'horreur, mais ne se repose pas dessus, avec un côté polar très appuyé dans lequel les vampires pourraient au final être remplacés par n'importe quel groupuscule prêt à s'emparer du pouvoir. Mais c'est toujours plus fun avec des suceurs de sang.

Comme dans Grim, la situation avance avec célérité, mais on ne se sent pas perdu par des ellipses. Rodney Barnes maîtrise l'avancée de chaque pion et au sorti du sixème numéro (puisque la série fonctionne par arcs de six numéros) on se prend à finir sur un statu quo très différents du point de départ, et qui laisse la porte ouvertes à toutes les possibilités pour la suite. Or, on sait que la série n'a eu de cesse de surprendre (avec un point d'orgue atteint certainement sur le 30e numéro), et il faut donc espérer que le lectorat se montrera au rendez-vous pour que Huginn & Muninn puissent exploiter la série à fond. 

Sur le plan graphique, Jason Shawn Alexander fera très certainement plaisir aux fans de dessins plus ou moins abstraits, qui jouent à fond sur les aplats et des couleurs vives pour proposer des ambiances pleines de personnalité. On pense à du Ben Templesmith ou du Dave McKean par moments - sur la patte graphique du moins, puisque le découpage se montre lui plus classique. L'artiste développe des codes visuels intéressants qui servent sa narration mais permettent aussi de rapidement saisir l'univers, et les "effets spéciaux" sont eux aussi un plaisir pour les yeux. Le seul écueil qu'on aura donc à dire sur ce premier tome de Killadelphia, c'est l'impression d'avoir simplement un prémisse de ce que l'équipe créative a à dire, et que la "vraie" série démarrera par après. Une lecture que l'on vous recommande donc sans trop hésiter.

- Commandez Killadelphia Tome 1 à ce lien.


Ice Cream Man - Quel parfum, pour vous ? 

On terminera ce compte-rendu avec le titre qui m'aura le plus séduit : Ice Cream Man de Maxwell W. Prince et Martin Morazzo. Comme The Silver Coin, il s'agit d'une anthologie d'horreur (qui connaît aussi aux Etats-Unis un très grand succès et est déjà fort de plus d'une trentaine de numéros) avec un concept aussi simple que redoutable : dans une ville aux premiers abords tranquille des Etats-Unis, les habitants se retrouvent confrontés à un marchand de glace à l'allure étrange, qui est toujours enclin à proposer des glaces aux parfums divers et variés. Dans son sillage, l'étrange et l'épouvantable se croisent et chaque numéro nous propose donc de suivre de pauvres hères qui vont être confrontés à des situations curieuses, bizarrement loufoques, avec une chute qui fera plonger chacun dans un mélange d'horreur et d'interrogations non-sensiques. 

Vous serez prévenus : Ice Cream Man est vraiment bizarre au sens premier du terme. La faiblesse de ce premier tome est qu'il ne contient que les quatre premiers numéros de la série, ce qui permet à peine de découvrir le concept de la série, mais n'en donne pas assez en termes de liant ou d'éléments pour essayer de comprendre qui est le vendeur de glaces (par moment vraiment terrifiant) et quel est son rôle à jouer dans cette petite ville. Des albums à pagination double, sinon triple, auraient à mon sens été plus pertinents - d'autant plus pour rattraper le retard sur la série, démarrée il y a maintenant cinq ans outre-Atlantique. 

Cet aspect mis de côté, revenons sur le bizarre : si The Silver Coin aborde l'horreur avec des registres assez "classiques", ici c'est l'opposé complet : les histoires partent parfois très loin jusque dans le psychédélique, le lecteur n'est pas certain de pouvoir comprendre tout ce qu'on lui a raconté, et il y a des idées autant visuelles que narratives qui laissent à la fois perplexe et admiratif. Pensez des oeuvres à plusieurs niveaux de lecture ou qui aiment à se complaire dans l'étrange, comme Le Prisonnier ou Twin Peaks, et vous aurez une idée de la sensation éprouvée à la lecture.

Le trait de Morazzo a lui aussi quelque chose de particulier avec un trait assez fin et des personnages aux grands yeux, expressifs. Le design même du marchand de glaces a quelque chose de malaisant, et dès que l'action passe dans l'étrange, tout est fait pour donner une sensation angoissante au lectorat. Comme le script ne se retient en rien de faire apparaître des éléments what the fuck d'une planche à l'autre, le tout se montre très généreux dans l'exploration du fantastique et de l'épouvante. Par ici, on aime tout ce qui sort des sentiers balisés, ce qui alerte ou choque, ce qui nous fait sortir de notre zone de confort. Ice Cream Man parvient à faire tout cela avec un certain brio, et si le fait que le premier tome soit malgré tout trop court, c'est une série qu'on vous presse de découvrir - ce afin d'avoir une chance de découvrir la suite !

 - Commandez Ice Cream Man Tome 1 à ce lien.

Arno Kikoo
est sur twitter
à lire également

Star Wars : le Mandalorien et l'Enfant de Jeffrey Brown (Dark Vador & Fils) à retrouver chez ...

Actu Vf
Si la maison d'édition Huginn & Muninn baisse un peu la cadence en comics en ce printemps 2024 (après avoir tout de même enchaîné ...

Les suites d'Ice Cream Man, Killadelphia et The Silver Coin en octobre 2023 chez Huginn & Muninn

Actu Vf
Le catalogue de l'éditeur Huginn & Muninn continue de s'agrandir du côté des comics, avec un effort soutenu depuis maintenant plus ...

Curie Society : vulgarisation scientifique en comics chez Huginn & Muninn ce 18 août 2023

Actu Vf
Alors que la rentrée sera riche chez Huginn & Muninn avec le retour de poids lourds de l'indépendant qui ont marqué l'industrie il y ...

Seven Sons de Jae Lee et Grim (Boom! Studios) à retrouver chez Huginn & Muninn

Actu Vf
L'éditeur Huginn & Muninn continue d'apporter comics indépendants au sein de son catalogue, avec une emphase visible sur les titres ...

Soutenez l'artbook Multiverse : The Art of Aleksi Briclot dès à présent sur Kickstarter !

Actu Vf
Nous vous en avions parlé en fin d'année dernière. Pour ouvrir les hostilités des campagnes de financement participatif stylées de ...
Commentaires (0)
Vous devez être connecté pour participer