Dans une bonne moyenne, le film Spider-Man : Across the Spider-Verse accumule depuis quelques jours les millions de dollars qui lui permettront (sans doute) de dépasser son prédécesseur. Au box office, cette nouvelle production animée des studios Sony Pictures en est rendue à 221 millions, moins d'une semaine après son weekend de lancement en Amérique du Nord.
Les professionnels du cinéma sont enthousiastes, le grand public s'est visiblement pris de passion pour les aventures de Miles Morales, et les journalistes coupables de papier un poil plus mitigés sur le rendu de cette suite n'osent plus sortir de chez eux. De peur de croiser en bas de une foule en colère armée de fourches et de torches en bas de leur immeuble ou sur le parking du Liddl.
En somme, un consensus global pour dire que c'était bien
S'il est encore un peu tôt pour présager du destin à long terme de Spider-Man : Across the Spider-Verse (qui ne s'est probablement pas encore remboursé complètement), il participe tout de même à tordre le coup au stéréotype de la "fatigue" du cinéma des super-héros. Une prophétie, qui revient de temps à autres, selon laquelle le public aurait fini par se lasser des héros costumés à force de répétitions. Au terme de quinze ans passés à suivre les personnages de Marvel Studios, de dix ans à suivre les tentatives de DC Comics visant à bâtir leur propre saga concurrente, le spectateur moyen aurait fini par en avoir assez. Et espérerait désormais le retour d'autres imaginaires sur le devant de la scène.
Dans le cadre de la tournée publicitaire de Spider-Man : Across the Spider-Verse, Phil Lord et Chris Miller, producteurs, scénaristes et créateurs sur cette franchise parallèle consacrée au multivers et au personnage de Miles Morales, ont évidemment un avis à exprimer sur le sujet. De passage chez Rolling Stone, le couple de réalisateurs, connu pour leur travail sur The LEGO Movie, 21 Jump Street et 2 Jump Street, estime de son côté que le public s'est surtout lassé d'une certaine façon de raconter les histoires. De ce modèle narratif inamovible qui sert encore de feuille de route à Marvel Studios et à DC Films dans le présent, et qui se retrouve même ouvertement pris pour cible dans le sous-texte de Spider-Verse 2.
"CM : Je ne pense pas que ce soit une fatigue des super-héros. Je pense que c'est surtout une fatigue de voir un film qu'on a l'impression d'avoir déjà regardé une douzaine de fois. Si vous utilisez la même structure et le même style et la même tonalité et le même esprit que les séries ou les films qui sont venus avant, le genre de votre histoire n'a pas d'importance en soi. Dans tous les cas, les gens vont s'ennuyer.
PL : Et le public dans la salle de cinéma ne va pas seulement être contente si vous n'avez que des easter eggs et des twists à lui proposer. Ce qui les intéresse, ce sera, genre, la relation entre Rocket et Groot. Et cette histoire là évoquera quelque chose aux parents et aux enfants. Comme Miles avec sa famille. Sur le premier volet, on l'avait montré à quelques amis en amont de la sortie, et ils nous avaient conseillé de 'ramener plein de Spider-personnages le plus vite possible' parce que c'est ça qui est 'excitant'. Et on leur a répondu qu'on n'était pas d'accord, parce que les éléments que le public a l'air de retenir, c'était plutôt les scènes plus intimes avec Miles et sa mère et son père. Les gens en redemandaient. Et je suis content, parce qu'on a suivi cette idée, et on a écouté le feedback du public là-dessus."
En somme,
la rengaine habituelle - pas besoin de varier dans la mesure où celle-ci reste la seule bonne réponse - même si le cinéma des super-héros s'est bâti sur un principe consumériste, les oeuvres vides ne l'emporteront jamais sur les oeuvres riches. Même en dégainant à chaque fois la carte du fanservice, et cette superficialité adulescente de la matière comics, comme si celle-ci suffisait à définir l'ensemble du spectre émotionnel des super-héros.
Le succès de Guardians of the Galaxy vol. 3, télescopé avec l'échec d'Ant-Man & the Wasp : Quantumania, servait déjà d'indicateur net et fiable pour mesurer l'évolution des envies du grand public sur le sujet. Les films de super-héros ont surtout souffert d'un manque cruel d'auteurs, d'autrices, de propos et de thématiques développées sur les dix dernières années. Voire d'un refus clair et net de laisser les réalisateurs s'exprimer, comme dans le cas d'Edgar Wright, Zack Snyder, etc. Les films de producteurs, aux ingérences formulées et aux scandales de plateau, commencent à perdre du terrain à force d'avoir servi trop souvent la même sauce au point de finir par se faire prendre.
En parallèle de la grève des scénaristes - où la guilde des producteurs, diffuseurs et financiers n'a pas n'hésité à dire tout haut ce qu'elle pense réellement des conteurs d'histoires (au point de chercher activement à les remplacer par des robots, plus fiables dans leurs logiques algorithmiques et moins chers à entretenir) - on espère maintenant que le public apprendra à reconnaître les bons élèves des mauvais d'ici l'année à venir. Dans la mesure où Hollywood ne fait que suivre le chemin fléché des entrées en salle, un film qui fonctionne est toujours un modèle à imiter. Reste donc à faire en sorte que les films avec une voix, un souffle et une personnalité fonctionnent demain, et que les commandes creuses qui, même si elles savent jouer sur des cordes personnelles (au point de créer leurs armées de défenseurs sur les réseaux sociaux), puissent faire de la place aux autres.