A Hollywood, la géopolitique décide de contre-attaquer. Approchées récemment par un groupe de représentants du corps politique, dans le cadre d'un état des lieux des relations entre les Etats-Unis et la Chine sur le plan des échanges culturels, les élites du groupe Disney ont été invitées à corriger le tir vis-à-vis de leur plan de conquête de l'Empire du Milieu. La discussion tombe avec quelques années de retard, dans un moment de prise de conscience plus général sur les liens entre Orient et Occident (à l'aune des tensions au sujet de Taïwan, des enseignements de la crise COVID, de la présidence Trump, etc). Et, paradoxalement, à une époque où Hollywood semblait pouvoir reprendre son implantation en Chine, dans une moindre mesure.
Disney refuse désormais de courber l'échine ?
A l'origine de cette rencontre, le député républicain Mike Gallagher, l'une des voix les plus engagées contre l'ingérence du Parti Communiste Chinois sur la politique américaine. Depuis le début de cette année, l'homme préside le comité Strategic Competition between the United States and the Chinese Communist Party, une initiative trans-partisane focalisée sur les conflits économiques et les enjeux de sécurité entre les deux nations. Dans la liste des sujets d'importance, l'influence de la Chine sur le cinéma américain, via son désormais tristement célèbre bureau de censure pensé pour organiser l'importation des productions étrangères, aurait tendance à pointer du doigt Hollywood comme l'un des mauvais élèves.
Les exemples ne manquent pas : World War Z, Top Gun : Maverick, James Bond : Skyfall, Men in Black 3, quantité de sujets, de personnages, de répliques ou de détails peu ou prou secondaires coupés au montage dès lors que ceux-ci évoquaient ou présentaient la Chine sous un angle que le régime local considérera comme péjoratif. On se souviendra aussi des excuses publiques présentées par l'acteur John Cena, en Mandarin dans le texte, après avoir parlé de l'île de Taïwan comme d'un pays souverain, contre le discours officiel du Parti Communiste Chinois qui refuse encore de reconnaître l'indépendance de cet état nation.
Chez Disney, peut-être plus docile encore que d'autres studios en la matière, la stratégie de conquête de ce territoire aura couvert des formes très variées - des scènes de supplément dans différentes productions embauchant plusieurs vedettes du cinéma chinois (Iron Man 3), la correction de détails plus importants pour correspondre aux critères de censure (notamment l'origine du Grand Ancien dans le film Doctor Strange, passé du Tibet au Népal et interprété par une actrice caucasienne, pour éviter de tirer le moindre parallèle avec la colonie chinoise et le Dalaï-Lama encore en exil) et le sujet particulièrement épineux de la production du film Mulan. Tourné avec le concours des autorités de la région de Xinjiang, à quelques kilomètres des camps d'enfermement destinés à la population ouïghoure, et avec une actrice vedette affichant un soutien public pour la répression policière en oeuvre dans la ville de Hong Kong lors des manifestations survenues il y a trois ans. Sans oublier, bien sûr, la censure des thématiques LGBT+ en règle générale.
Depuis peu, le groupe
Disney semble avoir changé son fusil d'épaule. Vaguement plus engagé pour la représentation de la variété des orientations sexuelles au cinéma, les équipes du studio refusent désormais de couper dans les montages pour respecter les critères de censure des différents territoires d'importation (
le Golfe Persique, la Russie, etc). Le problème de la Chine ne se posait pas jusqu'à récemment, dans la mesure où le pays avait décidé de passer la main sur les productions
Marvel Studios jusqu'à récemment. Face
à une crise de la fréquentation des salles et un déclin constaté du box office local (doublé à l'incapacité des studios chinois à fonctionner en auto-suffisance pour le moment),
Black Panther : Wakanda Forever et
Ant-Man & the Wasp : Quantumania ont finalement été autorisés à l'importation sur le premier trimestre de cette année. Comme si les tensions entre Hollywood et le PCC n'avaient jamais eu lieu.
L'ouverture de ce nouveau canal d'échanges culturels pose la question des leçons à tirer de ces années d'autarcie - en particulier dans un moment où les Etats-Unis entendent rompre leur dépendance envers la Chine sur le plan diplomatique. Les équipes de Gallagher et de Bob Iger ont donc été amenées à s'entretenir pour prendre différents engagements. Premier nouvelle, le patron du groupe Disney a reconnu différentes erreurs de jugement dans l'attitude des studios sur les exemples passés : selon les sources de Deadline Hollywood, le nouveau PDG a admis "avoir pris la mauvaise décision" sur l'une ou l'autre occasion. Disney aurait en outre promis que "le but n'était pas de changer les histoires" et cherchait plutôt à trouver un équilibre entre les différentes directives du bureau de censure, entre ce qui relevait de la divergence culturelle et de l'ingérence politique nette. Un équilibre qui serait visiblement complexe à qualifier. Une chose est sûre, Bob Iger reconnaît que la relation entre Hollywood et le Parti Communiste Chinois a changé.
Pas forcément convaincus, le comité présidé par Mike Gallagher aurait sollicité le président de Disney pour venir témoigner au parlement - une requête somme toute assez sérieuse, et qui n'aurait pas été formulée sur un plan officiel pour le moment. Le conglomérat assure toutefois que "s'il est nécessaire de procéder à des coupes dans le montage, pour des raisons légales ou des considérations d'une autre sorte, celles-ci seront aussi réduites que possible" et que "nous ne couperons rien qui aurait un impact sur le storytelling (ndlr : histoire, message, propos ?). Si cela était le cas, nous refuserions de distribuer notre produit sur le territoire qui en ferait la demande." Pour l'heure, l'engagement semble tenir debout avec les exemples de l'année dernière, pour de tous petits marchés d'exploitation.
Le comité devra pour le moment se contenter de cette vague promesse, tandis que les observateurs extérieurs restent peu convaincus quant à la prise de conscience d'Hollywood vis-à-vis de la Chine (dans la mesure où la valeur maîtresse demeure la rentabilité des productions mises sur le marché). Lueur d'espoir au tableau pour les acteurs opposés à la poursuite de cette relation de docilité : dans le cas des derniers films Marvel Studios importés sur ce territoire, les chiffres tendraient à minimiser l'importance, autrefois cruciale, de ce parc de spectateurs.
Black Panther : Wakanda Forever n'aura en effet généré qu'un modeste score de 15 millions de dollars au box office chinois (contre 105 millions pour le premier volet), tandis qu'
Ant-Man & the Wasp : Quantumania aura ramassé 49 millions (contre 105 millions pour le premier film de la trilogie, et 121 millions pour le second). De fait,
si Hollywood considère que la source se tarit, les consignes du bureau de censure risquent de sonner comme bien moins essentielles - en particulier quand d'autres marchés restent à conquérir, sans la pression diplomatique des jeux de pouvoir géopolitiques ou la promesse de conflits armés à l'horizon.